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"Fidèle à Dieu, à la France, et au roi" : les retraites militaires de La Chapelle et de Beaujeu vers la Louisiane après la perte du Canada 1760-1762

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Texte intégral

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« Fidèle à Dieu, à la France, et au Roi »

Les retraites militaires de La Chapelle et de Beaujeu

vers la Louisiane après la perte du Canada

1760-1762

Mémoire

Joseph Gagné

Maîtrise en histoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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R

ÉSUMÉ

Le 8 septembre 1760, le gouverneur de la Nouvelle-France signe la capitulation de Montréal. L’événement marque la Conquête finale du Canada par les armes. Les forces françaises restantes sont sommées de se rendre à l’ennemi. Pourtant, deux factions des troupes de la Marine du Canada feront fi, semble-t-il, de ces ordres et se replieront en Louisiane encore sous le contrôle des Français. L’histoire de cette retraite du Pays d’en Haut vers le Pays des Illinois et la Louisiane aura jusqu’ici échappé à l’historiographie de la guerre de Sept Ans. Ce mémoire décrit et analyse le périple de ces deux groupes dans le contexte géographique et militaire de la période en insistant plus particulièrement sur la biographie comparée des deux officiers, Pierre Passerat de la Chapelle et Louis Liénard de Beaujeu.

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A

BSTRACT

On September 8, 1760, the governor of New France signed the capitulation of Montreal. The event marked the final act in the military conquest of Canada. Remaining French forces were directed to lay down their arms and surrender to the enemy. However, two groups of the troupes de la Marine du Canada apparently ignored these orders and fell back onto Louisiana which had, up to then, avoided being conquered. The story of this retreat from the Pays d’en Haut to the Pays des Illinois and Louisiana has up to now been overlooked by the historiography of the Seven Years’ War. This thesis describes and analyses the journey of these two groups in the geographical and military context of the period, insisting particularly on the comparative biographies of the two leading officers, that is, Pierre Passerat de la Chapelle and Louis Liénard de Beaujeu.

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ABLE DES MATIÈRES

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Abréviations ... ix

Remerciements ... xi

Carte du Pays d’en Haut et du Pays des Illinois ... xiii

Introduction ... 1

Un événement méconnu ... 1

Historiographie ... 6

Corpus de sources et méthodologie ... 12

Le journal de La Chapelle ... 12

Autres sources ... 17

Outils de recherche ... 19

Une microhistoire ... 20

Une étude militaire ... 22

Revivre un périple ... 24

Chapitre I : Deux retraites spontanées ou réfléchies? ... 27

1.1 Un antécédent stratégique : Une retraite militaire déjà anticipée ... 27

1.2 Une déportation civile planifiée ... 32

1.3 L’élément déclencheur : la capitulation de Montréal ... 34

Chapitre II : Une question d’origines ... 37

2.1 Pierre Passerat de la Chapelle ... 37

2.2 Louis Liénard de Beaujeu de Villemonde ... 45

Chapitre III : La débandade ... 53

3.1 La Chapelle face à la capitulation ... 53

3.2 Beaujeu face à la capitulation ... 65

Chapitre IV : L’honneur, l’hiver et le froid entre officiers ... 75

4.1 Entre temps, au fort Détroit… ... 75

4.2 Entre-temps, au fort Michilimackinac… ... 77

4.3 La Chapelle : un souffre-douleur indocile ... 80

4.4 Beaujeu : dans les limbes aux Illinois ... 97

Chapitre V : La fin d’un monde, le début d’un autre ... 101

5.1 La Chapelle : deux révolutions, deux enjeux ... 101

5.2 Beaujeu : Un officier canadien errant ... 106

Conclusion ... 125

Nouvelles perspectives de recherche ... 126

Legs de cet épisode ... 127

Bibliographie ... 131

Annexe A : Documents de La Chapelle ... 131

Annexe B : Rolle du détachement de Mons.r de Beaujeu ... 213

Annexe C : Le mystère du portrait de La Chapelle ... 215

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A

BRÉVIATIONS

AN : Archives nationales de France ANOM : Archives nationales d’outre-mer BAC : Bibliothèque et Archives Canada

BAnQ-Q : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, centre d’archives de Québec.

BAnQ-M : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, centre d’archives de Montréal.

DBC : Dictionnaire biographique du Canada HNOC : The Historic New Orleans Collection

LaRC : The Louisiana Research Collection (Tulane University, Nouvelle-Orléans) LSMHC : Louisiana State Museum Historical Center (Nouvelle-Orléans)

MPHC : Michigan Pioneer and Historical Society

PRDH : Programme de recherche en démographie historique (Université de Montréal) PRO : Public Record Office (maintenant National Archives, Angleterre)

RAPQ : Rapport de l’Archiviste de la Province de Québec WHS : Wisconsin Historical Society

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EMERCIEMENTS

Le crédit pour la genèse de cette recherche revient à Rénald Lessard qui m’a proposé son sujet. Ses connaissances encyclopédiques m’ont inspiré et dirigé chaque fois que j’étais coincé. Pareil crédit revient à Alain Laberge qui a bien voulu me diriger, un jeune ambitieux du Nord de l’Ontario, avant même de m’avoir rencontré personnellement. Son mentorat a été fantastique et j’espère avoir le plaisir d’avoir de nombreuses occasions de collaborer avec lui à l’avenir.

Cette recherche n’aurait jamais vu sa fin sans le mécénat de la Fondation Baxter et Alma Ricard. J’aimerais en particulier souligner que la fondation m’a offert non seulement un soutient financier, mais également moral. Être appuyé par une fondation aussi prestigieuse encourage à être à la hauteur des attentes. Et ce remerciement ne serait pas complet sans la reconnaissance que je dois à Benoît Grenier, Pierre Cameron et Normand Renaud de m’avoir appuyé dans ma candidature pour cette bourse.

Je remercie ceux que j’appelle mes complices, soit Élodie Morin, Robert Englebert, Catherine Ferland, François Roy, Gisèle Giral, David Girard, Katherine Piché-Nadeau, Cathrine Davis et la gang au CIEQ-étudiant (Marie-Claude Dionne, Kim Chabot, Rémi Bouguet, Alex Tremblay, et al.) : ces collègues et amis qui ont partagé mon cheminement et mes découvertes (ainsi que quelques procrastinations bien méritées…).

A particular thank you goes out to my American friends and colleagues who have been an integral part of my experience and some of the most ardent participants in my historical meanderings between languages, cultures, histories, good food and good beer. My thanks to Nan Keck for hosting me in Mackinaw City; to the Colonial Michilimackinac staff; to the Fort de Chartres staff; to Carl Ekberg; to Susan M. Hart at the Ellis Library of the University of Missouri-Columbia for being such a sweetheart when I would randomly call for the most tedious verifications in their manuscript collection; to the Wisconsin Historical Society staff; to the Newberry Library and staff; to Judy Riffel in Louisiana for searching through French manuscript indexes for me; to Greg Lambousy and Melissa Stain for their help and warm welcome at the Louisiana State Museum archives. I wish to thank the Center for French Colonial Studies, especially Arnaud Balvay, Gail Moreau, Margaret Kimball Brown, Susan Boivin Sommerville, and José Brandão. I am forever in debt to

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Mark Walcynski and David (Mac) MacDonald for having each consecutively driven me around Illinois and Missouri to enjoy the sights, sounds and history of the Pays des Illinois (and Mac, please believe me that you should write a memoire!). I would like to thank Robert Hall for his help in establishing Fort Ottawa’s most likely location; unfortunately, Bob passed away in 2012 before I could share with him the fruit of my labours. Finally, I would like to thank the Davis family for having supported me, and having shared the experience on so many of my trips to the American Midwest; your warmth, love, and friendship made me feel at home. Especially you, Cathrine.

Je remercie Bibliothèque et Archives Canada (en particulier Lorraine Gadoury et Patricia Kennedy), ainsi que Bibliothèque et Archives nationales du Québec (particulièrement Annie, toujours à l’affut pour mes commandes de microfilms, et Sylvie et Jean-Paul, nos deux gardes de sécurité préférés!). Merci à Francine Ouellette qui a bien voulu partager sa recherche sur La Chapelle avec moi. Je réserve une chaleureuse reconnaissance à la famille La Chapelle, particulièrement à Alix avec qui ce fut un plaisir de correspondre au sujet de son ancêtre et qui a été d’une aide précieuse. Je les remercie d’ailleurs de m’avoir donné la permission de reproduire une partie des textes de Pierre en annexe.

Enfin, je remercie ma propre famille laquelle j’espère, en lisant ce texte, comprendra mon obsession. Je dédie les efforts de ces quatre dernières années à mon défunt grand-père, Fernando Richard, qui fut mon meilleur lien avec le passé.

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I

NTRODUCTION

UN ÉVÉNEMENT MÉCONNU

Le 24 avril 1761, un jeune officier français des troupes de la Marine du Canada écrit ces lignes :

Étant en service au Fort Détroit, commandé par M. de Bellestre, je fus chargé par cet officier […] de prendre le commandement d’un détachement de deux cents hommes de troupes royales, dont cinq sergents et six caporaux, prélevés sur la garnison du Fort Détroit, avec ordre de me porter à marche forcée au secours de Montréal, défendu par M. le Chevalier de Lévis et assiégé par les Anglais.

Après une marche forcée d’environ cent lieues, dans la direction de Montréal. J’appris d’abord par les fuyards et ensuite par les R. P. Jésuites que Montréal avait capitulé le 8 septembre [1760], que les troupes était [sic] prisonnières sans condition, et que tous les Forts du Canada et leurs garnisons étaient compris dans la capitulation.

En présence de cette situation, je décidais d’opérer une retraite vers la Nouvelle-Orléans pour conserver ma troupe au Service du Roi, plutôt que de me rendre aux Anglais1.

Ainsi commence le rapport de campagne de Pierre Passerat de la Chapelle décrivant l’aventure inouïe qui s’ensuit. Bien que l’histoire de sa retraite militaire soit remarquable, elle est rarement mentionnée de nos jours dans les annales de l’histoire de la guerre de Sept Ans. De plus, l’officier n’est pas le seul à tenter l’exploit. Un peu plus au nord-ouest du Pays d’en Haut, le commandant du fort Michilimackinac, le capitaine Louis Liénard de Beaujeu de Villemonde, apprend également la nouvelle de la chute de Montréal aux mains des Britanniques. Ne trouvant aucune autre issue pour sauvegarder les honneurs de la guerre, il choisit aussi la voie de la Louisiane. La force des choses fera que les deux officiers se rencontreront accidentellement aux marges du Pays des Illinois. Non seulement devront-ils survivre au froid de l’hiver, mais également au froid qui se développera entre eux…

Ces deux officiers font partie des Compagnies franches de la Marine. Aussi appelées troupes de la Marine, troupes des iles, troupes du Canada, troupes des Colonies, ou Compagnies détachées de la Marine, elles relèvent du secrétariat d’État à la Marine et non à celui de la Guerre. Leur nom reflète leur fonction originale de servir de garnison aux ports et aux vaisseaux du roi. En 1674, Colbert, alors Secrétaire d'État de la Marine, élargit

1 PierrePASSERAT DE LA CHAPELLE, Passerat de La Chapelle : 1734-1805. Campagne du Canada. Guerre de l’Indépendance Américaine, Paris, Librairie Gabriel Enault, 1933, p. 9 et Annexe A, p. 149.

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leur vocation en les appointant troupes coloniales. Elles deviennent ainsi le seul corps militaire permanent dans la colonie laurentienne entre leur arrivée au Canada en 1683 et 1755, année de l’arrivée des troupes de terre envoyées en renfort au début de la guerre de Sept Ans. Entre 1683 et 1760, un total de 9 900 hommes sert dans les troupes de la Marine. Au début de la guerre, ils sont environs 2 000. En général, chaque compagnie porte le nom du capitaine qui la dirige. En temps normal, celui-ci est secondé par 2 sergents, 3 caporaux, 2 tambours et 39 soldats, portant tous un uniforme gris-blanc à veste bleue. Toutefois, plusieurs expéditions sont menées par de plus petits groupes de soldats lors de guerres de raid, ou de partis. Les postes d’officiers sont accessibles à la noblesse coloniale. La possibilité de monter les échelons militaires attire à un point tel qu’à la fin du Régime français en Amérique, presque tous les officiers sont canadiens (comme est le cas de Beaujeu). En revanche, les soldats sont majoritairement français. Les militaires qui ne sont pas issus de la noblesse peuvent s’attendre tout au plus à atteindre le rang de sergent, ou capitaine d’armes. Bien que les soldats puissent parfois provenir d’autres troupes de terre, en théorie il revient aux capitaines de recruter de nouveaux soldats volontaires en France. Il arrive souvent que les « recrues » soient, en fait, enrôlées plus ou moins involontairement par racolage. On en trouve qui ont à peine 14 ans et proviennent majoritairement de milieux modestes de la société. Les troupes répondent directement au gouverneur général selon le siège colonial auquel ils sont rattachés (Québec, Louisbourg et La Nouvelle-Orléans). Leurs hommes sont divisés entre les postes et les centres de gouvernement selon leur importance relative (par exemple, en 1750, il n’y a qu’un seul soldat au petit poste de Michipicoton). Les troupes du Canada se démarquent également du fait qu’elles adoptent rapidement les tactiques et les armes de la « petite guerre »2, utilisant, par exemple, le casse-tête au lieu de l’épée3.

2 Méthode de guerre inspirée des Amérindiens. Au lieu de la guerre européenne traditionnelle pratiquée sur

un champ à découvert, la petite guerre utilise plutôt l’embuscade afin de surprendre l’ennemi tout en tentant de limiter ses propres pertes d’hommes en s’abritant derrière des arbres.

3 Les trois meilleurs ouvrages qui traitent à divers degrés du sujet des Troupes de la marine sont Jay CASSEL,

« Troupes de la marine in Canada, 1683-1760: Men and Material », thèse de doctorat, Toronto, University of Toronto, 1987, 624 p., Louise DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français,

Montréal, Boréal, 2008, 664 p., et Arnaud BALVAY, L’Épée et la Plume : Amérindiens et soldats des troupes

de la marine en Louisiane et au Pays d’en Haut (1683-1763), Québec, Presses de l’Université Laval, 2006,

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3 Les retraites de La Chapelle et de Beaujeu ont lieu à la fin de la guerre de Sept Ans. Les différents noms donnés à ce conflit, dont « Guerre de la Conquête » au Canada français et « French and Indian War » chez les Américains, illustrent son importance et son impact sur l’histoire de l’Europe et surtout de l’Amérique du Nord. Bien que les colons des deux empires s’échangent des escarmouches depuis 1754 dans la vallée de l’Ohio, ce n’est qu’en 1756 que la guerre est officiellement déclarée entre la France et l’Angleterre. Le conflit prendra fin en Europe sept ans plus tard (d’où son nom), scellé par le traité de Paris signé le 10 février 1763.

Bien qu’officiellement la capitulation de Montréal du 8 septembre 1760 doit mettre fin au conflit sur le territoire canadien, quelques escarmouches continuent lors des mois suivants, amorcées surtout par des officiers qui ne sont pas au courant du cessez-le-feu. Le conflit perdure aussi sur les mers : le dernier affrontement naval en Nouvelle-France a lieu en 1762, suivi la même année de la bataille terrestre de Signal Hill, les deux à Terre-Neuve4. Bref, la fin du conflit armé en Amérique du Nord ne se produit pas de façon abrupte, mais graduelle. La nouvelle de la capitulation doit d’abord se communiquer parmi les combattants dans les forts et les camps éloignés.

Qui plus est, la question du sort du Canada et de ses habitants ne sera pas réglée avant la signature du traité de Paris. L’Amérique française vit donc, pendant les quelques années après la perte de Québec et de Montréal, une période d’incertitude face à son avenir. Y aura-t-il possibilité de reconquérir le territoire perdu ou de l’obtenir à nouveau dès la déclaration de paix? Sinon, les Canadiens subiront-ils une déportation comme les Acadiens? Alors que ces questions hantent les habitants de la vallée du Saint-Laurent, la Louisiane aussi attend des réponses aux siennes. Ce vaste territoire, qui à cette époque s’étend de la rivière des Illinois jusqu’au delta du Mississippi, est toujours sous contrôle français et, croit-on, encore menacé par l’armée britannique. Il s’avérera à la fin que l’épuisement des ressources britanniques, suite à l’encerclement massif de Montréal, empêchera Amherst de s’en prendre à la Louisiane5. Au lieu, la conquête britannique de la

4 André DE VISME,Terre-Neuve 1762 : Dernier combat aux portes de la Nouvelle-France, Éditions André de

Visme, 2005, 252 p.

5 Jonathan R. DULL,The French Navy and the Seven Years’ War, Lincoln, University of Nebraska Press,

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rive est du Mississippi sera purement diplomatique, scindant le territoire par le même traité qui confirmera la prise du Canada.

Avant la capitulation de Montréal toutefois, la Louisiane offre à certains une lueur d’espoir d’être capable de reconquérir le Canada ou, sinon, de s’en échapper. En 1758, Louis-Antoine de Bougainville, l’aide de camp de Montcalm, avait présenté à Versailles un projet proposant la retraite d’une partie de l’armée française vers l’intérieur du continent, devait-elle y être obligée advenant la perte du Canada6. Le plan, bien « qu’admiré », avait été rejeté faute d’argent dans les coffres du roi. N’empêche que le chevalier de Lévis écrivait un mois après la perte de Québec « qu'il falloit aviser si, à la dernière extrémité, il ne nous seroit pas possible de passer avec l'élite des troupes à la Louisiane [si Montréal vient à tomber]7. » En dépit de son désir de continuer la bataille, Lévis dut obéir au gouverneur Vaudreuil qui préféra capituler pour éviter de prolonger la souffrance des habitants.

Toutefois, cela n’empêche pas d’autres groupes de s’évader en Louisiane. Par exemple, le 3 septembre 1760, quelques jours à peine avant la capitulation, le métis Charles-Michel Mouet de Langlade reçoit l’ordre de Vaudreuil de mener vers la Louisiane deux compagnies britanniques qui désertent leur armée8. Il y a aussi le cas de l’Abbé Picquet, un missionnaire réputé pour avoir dirigé des assauts contre des forts britanniques, qui quitte le Canada pour La Nouvelle-Orléans la même année9. Alors que les historiens se sont intéressés au phénomène de la migration de l’élite française vers la France après la Conquête, la question d’une semblable migration vers la Louisiane leur a échappé. C’est cette même question qui pique notre curiosité. Nous en parlerons davantage dans l’historiographie ainsi qu’au premier chapitre.

6 Lionel GROULX, « D’une transmigration des Canadiens en Louisiane vers 1760 : notes autour d’un

document », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 8, No. 1 (1954), pp. 98-99 et H. R. CASGRAIN,

(dir.), Lettres de la cour de Versailles au baron de Dieskau, au marquis de Montcalm et au chevalier de

Lévis, Québec, L.-J. Demers, 1890, p. 103.

7 François Gaston duc de LÉVIS (Édité par l’abbé H.R. CASGRAIN), Journal des campagnes du chevalier de Lévis en Canada de 1756 à 1760, Montréal, C.O. Beauchemin & Fils, 1889, p. 236.

8 Vaudreuil à Langlade, le 3 septembre 1760, cité dans Wisconsin Historical Collections, Madison, State

Historical Society of Wisconsin, Vol. VIII, 1879, p. 215.

9 ANOM, Colonies, C13A 42, F°81-82v. Kerlerec au ministre. À La Nouvelle-Orléans, le 21 décembre 1760.;

Marc VILLIERS DU TERRAGE, Les dernières années de la Louisiane française : Le Chevalier de Kerlérec d’Abbadie – Aubry Laussat, Paris, E. Guilmoto, 1904, pp. 115-116, et André CHAGNY, François Picquet, "Le

Canadien" (1708-1781) : un défenseur de la "Nouvelle-France", Lyon, Librairie Emmanuel Vitte, 1913,

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5 Notre recherche porte donc sur deux de ces exemples de fuite vers la Louisiane, soit celles de Pierre Passerat de la Chapelle10 et de Louis Liénard de Beaujeu. L’étude de ces deux acteurs est particulièrement intéressante puisque l’histoire de leur retraite est la mieux documentée parmi toutes celles que nous avons recensées jusqu’ici. Ceci dit, la rencontre accidentelle de ces deux officiers en plein hiver, perdus au sud des Grands Lacs, met en opposition les notions de grade, d’ancienneté, de jeunesse, de mérite, d’éducation, et d’origine. Difficile donc de bien cerner une question de recherche unique pour nous guider, d’autant plus que la genèse de ce projet provient du rapport de campagne de La Chapelle. Ce document, biaisé car il s’agit que du point de vue de La Chapelle, contient de sérieuses lacunes à savoir, par exemple, le silence relatif sur ce qu’a vécu Beaujeu au cours de cet épisode. Ce dernier, malheureusement, ne nous a pas légué de pareil mémoire. On peut donc dire qu’initialement notre recherche a été dirigée par ces lacunes que nous cherchions à combler, plutôt que de l’avoir été par une seule question concrète.

Au fur et à mesure que nous avons trouvé de nouvelles sources pour compléter le récit de La Chapelle, il nous est rapidement devenu évident que l’histoire de ces deux hommes nous ouvrait une brèche d’observation privilégiée sur la société militaire française du XVIIIe siècle en temps de crise en Amérique du Nord. Ainsi que nous venons de le résumer ci-haut, la Conquête du Canada fait en sorte que la colonie française vit une période d’anxiété sociale. Comme le démontrera l’exemple de ces deux personnages, les réseaux de communications fragilisés par les énormes distances entre les postes engendrent une perte de contrôle rapide du territoire à l’ouest du Saint-Laurent. Les rumeurs abondent et les gens s’inquiètent de leur sort. Le rapport de La Chapelle en particulier nous permet d’observer les effets de la désintégration de la cohésion sociale qui menace les Grands Lacs, tant civile que militaire. Nulle part cette désintégration n’est plus évidente que chez Beaujeu. Comme nous le verrons, La Chapelle, en tant qu’officier français sans attaches au Canada, se servira de cette crise comme tremplin social. Au contraire, Beaujeu, dont la famille noble a su tirer profit et prestige de sa participation au sein des troupes de la Marine au Canada, voit son monde social se désintingrer alors qu’il sera exilé en Louisiane pour près de huit ans. Cet éloignement le ruinera et jamais plus ne réussira-t-il à se réintégrer à part entière

10 Dans la majorité des manuscrits, on le retrouve simplement sous le nom de La Chapelle. Dorénavant, pour

alléger le texte, nous nous référerons à lui de la sorte. Il en va de même pour Beaujeu (bien qu’avant la mort de son père, on le dénomme « Beaujeu de Villemonde »).

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dans le milieu de la traite des fourrures ni dans la société militaire. C’est ainsi que par son identité canadienne et les sources disponibles, Beaujeu est rapidement devenu le sujet d’intérêt principal dans cette recherche en archives. Il est le fil conducteur dominant par lequel nous suivrons les conséquences de la Conquête sur le territoire des Grands Lacs et du Pays des Illinois. Avec celle de La Chapelle, leur histoire commune illustre comment la perte de la Nouvelle-France remet en doute la chaîne de commandement et met de l’avant les alliances personnelles. Le témoignage unique de La Chapelle nous permettra en plus de comparer ces relations avec celles décrites par les autorités françaises de l’époque et étudiées par les historiens d’aujourd’hui.

Bref, si l’histoire de la survie de ces deux officiers perdus avec leurs hommes dans une sorte de « no man’s land » méritait déjà une étude approfondie simplement par l’intérêt de son côté insolite et remarquable, elle finit par nous servir davantage d’exemple pour illustrer une période de transition importante entre deux régimes par le biais du parcours d’individus.

HISTORIOGRAPHIE

Jusqu’ici, les retraites militaires de La Chapelle et de Beaujeu n’ont jamais fait l’objet d’une étude approfondie. Bien que la source principale à leur sujet, Passerat de la

Chapelle : 1734-1805. Campagne du Canada. Guerre de l’Indépendance américaine, est

évidemment écrite en français, nous n’avons trouvé aucune référence à celle-ci de la part d’historiens francophones11. Seule une romancière, Francine Ouellet, s’y est intéressée12. Inversement, grâce à une traduction du texte faite en 1935 par l’historienne Louise Phelps Kellogg13, les deux officiers ont fait l’objet de citations anecdotiques par une poignée d’historiens anglophones, dont Howard H. Peckham et Jonathan Dull14. Outre ces citations, un article de l’archéologue américain Robert L. Hall discute en partie l’emplacement du

11 Mentionnons toutefois que Rénald Lessard mentionne Beaujeu et ses hommes dans un de ses articles.

Rénald LESSARD, « Les compagnies franches de la Marine au Canada et à l’île Royale (1750-1760) », dans

Marcel FOURNIER, dir. Combattre pour la France en Amérique. Les soldats de la guerre de Sept Ans en

Nouvelle-France 1755-1760, Montréal, Société généalogique canadienne-française, 2009, pp. 105-125. 12 FrancineOUELLETTE, Feu : Fleur de lys, Montréal, Libre Expression, 2007, 590 p.

13 LouisePHELPS KELLOGG, « La Chapelle’s Remarkable Retreat Through the Mississippi Valley, 1760-61 », The Mississippi Valley Historical Review, Vol. 22, No. 1 (juin 1935), pp. 63-81.

14 Howard H. PECKHAM, Pontiac and the Indian Uprising, Detroit, Wayne State University Press, 1994

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7 fort que les hommes de La Chapelle avaient construit15. Les deux seules autres mentions importantes de ces retraites se retrouvent dans l’œuvre de Marc Villiers du Terrage et dans les Wisconsin Historical Collections16. Écrits avant la parution du livre sur La Chapelle en 1933, ces deux titres résument une lettre diffamatoire écrite par le commandant du fort de Chartres au Pays des Illinois défendant sa décision d’emprisonner le jeune officier17. Depuis, toutefois, les WHC ont eu la chance de connaître le verdict disculpant La Chapelle et ont conséquemment tenté de redorer son image dans leurs publications ultérieures18. Nous reviendrons sur le sujet du livre du Baron La Chapelle dans la prochaine section.

En ce qui concerne strictement les biographies de ces deux acteurs, il n’y a guère plus d’études. Dans le cas de La Chapelle, il n’y a rien à signaler de particulier en dehors des documents familiaux de ses descendants19. À l’inverse, Beaujeu apparaît dans quelques livres. L’histoire de sa famille figure dans certains vieux tomes comme l’Histoire des

grandes familles françaises du Canada (1867) de Daniel François20. Toutefois, ces ouvrages ne contiennent essentiellement que quelques dates et noms qui lui sont reliés. L’article le plus complet au sujet de Beaujeu reste de loin celui de David Daniel Ruddy dans le Dictionnaire biographique du Canada. C’est d’ailleurs le seul biographe qui mentionne le périple de Beaujeu en Louisiane. Toutefois, l’article contient certaines erreurs concernant cet épisode. À l’exemple de l’article The Picoté de Belestre Family de Donald Chaput21, une biographie renouvelée de Beaujeu et d’autres acteurs du Pays d’en Haut serait la bienvenue pour mettre à jour l’histoire de la région des Grands Lacs, mal connue dans l’histoire de la Nouvelle-France.

Le phénomène des retraites militaires en Nouvelle-France n’a pas plus fait l’objet de recherches approfondies. Bien au contraire, Guy Frégault écrivait qu’ « aucun détachement

15 RobertL.HALL, « The Archaeology of La Salle’s Fort St. Louis On Starved Rock and the Problem of the

Newell Fort », dans John A. WALTHALL, dir. French Colonial Archaeology: The Illinois Country and the Western Great Lakes, Chicago, University of Illinois Press, 1991, pp. 15-16.

16 VILLIERS DU TERRAGE, Les dernières années..., pp. 146-147 et WHC, Vol. XVIII, 1908, p. 222.

17 ANOM, Colonies, C13A 43, F°165-172. Copie Neyon, major-commandant aux Illinois, à Kerlerec. Aux

Illinois, le 1er juillet 1762. Reproduit aussi dans PASSERAT DE LA CHAPELLE, Passerat de La Chapelle...,

pp. 71-81 et Annexe A, p. 195-204.

18 PHELPS KELLOGG, « La Chapelle’s Remarkable Retreat… », p. 79.

19 Sur ce point, nous tenons à remercier madame Alix de la Chapelle pour son aide. Elle est une descendante

directe de Pierre.

20 DanielFRANÇOIS, Histoire des grandes familles françaises du Canada ou Aperçu sur le Chevalier Benoist et quelques familles contemporaines, Montréal, E. Senécal, 1867, pp. 315-336.

21 DonaldCHAPUT, « The Picoté de Belestre Family », Louisiana History, Vol. 21, No. 1 (hiver 1980), pp.

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militaire n’a pu se soustraire aux Anglais22 ». Pourtant, comme l’illustre ce mémoire, le contraire est vrai. Bien que Frégault admette que l’armée française planifie se servir de la Louisiane pour s’y réfugier, seuls Lionel Groulx et E. Wilson Lyon se sont penchés réellement sur la question23. Il en demeure que l’intérêt principal de leurs articles porte plutôt sur une migration des Canadiens vers la Louisiane, proposée par la France. L’article de Groulx est le plus pertinent à lire sur le sujet.

Notre recherche s’insère, bien entendu, dans l’historiographie de la guerre de Sept Ans. Ce conflit stimule toujours l’imaginaire public et la politique d’aujourd’hui. À preuve, il suffit de songer à 2009 et la controverse entourant la reconstitution de la bataille des plaines d’Abraham proposée pour son 250e anniversaire. Justement, l’historiographie de cette guerre a été fortement influencée par les opinions politiques de ses historiens. Il ne s’agit que de penser entre autres au nationalisme de Garneau, Groulx et Frégault, qui opposent les Canadiens aux Français; ou bien à William Kingsford qui tente de rallier le Canada à l’Empire britannique, évoquant l’idée d’une « libération » du peuple canadien, dorénavant annexé à la Grande-Bretagne; ou enfin à W.J. Eccles qui, pour sa part, voit cette guerre comme étant la naissance d’un Canada uni entre Français et Britanniques contre les Américains. Ce qui résulte dans chaque cas est la malheureuse application d’une vision anachronique des divisions nationales entre Français, Canadiens, Britanniques et Américains. C’est une vision sociale simplifiée et uniformisée qui ne tient pourtant pas compte des réalités et des personnalités propres à chaque individu vivant ce conflit à sa manière24.

Il est également étonnant de constater à quel point les historiens de partout s’en sont tenus à des histoires géographiquement délimitées, et ce, malgré le fait que ce conflit est le premier à avoir eu des fronts répartis tant en Amérique, en Europe et en Inde25. Même en ce qui concerne l’Amérique, l’historiographie se penche le plus souvent sur les vallées du

22 Guy FRÉGAULT, Histoire de la Nouvelle-France, Tome IX : La guerre de la conquête 1754-1760, Montréal,

Fides, 1955, pp. 381-382.

23 GROULX, « D’une transmigration… », pp. 97-118 et E. WilsonLYON, « Proposals to Transfer the French

Population of Canada to Louisiana », The Canadian Historical Review, Vol. XVI, No. 3 (1935), pp. 296-300.

24 Sur cette question historiographique, voir Catherine DESBARATS et Allan GREER,« The Seven Years’ War

in Canadian History and Memory » dans Warren R. HOFSTRA, dir. Cultures in Conflict. The Seven Years’ War in North America, Toronto, Rowman & Littlefield Publishers, inc., 2007, pp. 145-178.

25 Une exception notable est cet ouvrage incontournable pour comprendre ce conflit dans son contexte

global : Mark H. DANLEY et Patrick J. SPEELMAN (dir.), The Seven Years’ War: Global Views, Boston, Brill, 2013, 586 p.

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9 Saint-Laurent et de l’Ohio, le principal front de guerre, ignorant en grande partie la Louisiane et le Pays d’en Haut qui, pourtant, sont également affectés par celle-ci.

Du côté de la France, les historiens du dernier siècle se sont très peu intéressés à la Guerre de la Conquête au Canada, et encore moins à la Louisiane. Malgré l’âge de son œuvre, Marc Villiers du Terrage y donne un argument intéressant que nous notons pour expliquer la pauvreté de l’historiographie de cette colonie : « L’histoire a oublié son nom [la Louisiane] puisqu’il faut, en temps de guerre, pour passer à la postérité, avoir vaincu ou... s’être fait battre26. » Pourtant, ni l’un ni l’autre n’a été le cas de la Louisiane. À cette même époque où les hauts faits sont valorisés, la stagnation de la Louisiane en marge du conflit en a fait la victime de l’oubli. Ce n’est que récemment que la Louisiane de l’Ancien Régime, incluant le Pays des Illinois, commence à retrouver ses lettres de noblesse auprès des historiens français par le biais de Gilles Havard, Cécile Vidal, Arnaud Balvay et Khalil Saadani27.

Au Québec, la notoriété de la bataille des plaines d’Abraham lui a assuré le quasi-monopole de l’historiographie. Depuis Guy Frégault et Marcel Trudel, presque rien de majeur n’a été écrit sur le sujet de la guerre de Sept Ans dans son ensemble en Amérique du Nord. Heureusement, le 250e anniversaire de la Conquête a inspiré une récente vague de rééditions et de nouvelles études à son sujet. Une série de conférences, entre autres à Québec et à Montréal entre 2004 et 2010, ont fait appel à une recherche thématique accrue et géographiquement plus large que le cadre des frontières du Québec moderne28. Il en résulte la récente publication d’un véritable florilège d’ouvrages incontournables qui examinent ce conflit d’un œil nouveau29.

26 VILLIERS DU TERRAGE, Les dernières années..., p. ii.

27 GillesHAVARD et Cécile VIDAL, Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2008 (2003), 863 p;

BALVAY, L’Épée et la Plume..., 345 p. et KhalilSAADANI, La Louisiane française dans l’impasse : 1731-1743, Paris, L’Harmattan, 2008, 316 p.

28 Nous nous référons principalement au symposium « De la Nouvelle-France à la Province de Québec

(1754-1776) » organisé par le Musée Stewart et le Musée McCord entre le 28 et 29 septembre 2010. Les conférenciers étaient invités à discuter sur la fin du régime français au Canada, principalement sur le thème de « ce qui reste et ce qui change ».

29 Parmi les plus importants titres sont Gaston DESCHÊNES et Denis VAUGEOIS ( dir.), Vivre la Conquête, 2

tomes, Québec, Septentrion, 2013 et 2014; Bertrand FONCK et Laurent VEYSSIÈRE (dir.), La fin de la Nouvelle-France, Paris, Armand Colin et ministère de la Défence, 2013, 499 p.; Jacques MATHIEU et Sophie

IMBEAULT,La guerre des Canadiens : 1756 1763, Québec, Septentrion, 2013, 270 p.; Laurent VEYSSIÈRE

(dir.), La Nouvelle-France en héritage. Paris, Armand Colin et ministère de la Défence, 2013. 480 p.; Laurent VEYSSIÈRE et Bertrand FONCK (dir.), La guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, Québec, Septentrion, 2012,

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Même au niveau muséal, l’anniversaire n’est pas passé inaperçu. Entre autres, soulignons qu’au musée de la civilisation à Québec, le public a eu droit entre juin 2009 et mars 2010 à l’exposition 1756-1763, récit d’une guerre. Celle-ci invitait les visiteurs à prendre connaissance et conscience d’un conflit international aux répercussions plus larges que la perte seule de Québec aux mains des Britanniques.

De son côté, le monde anglophone a souligné l’anniversaire de cette guerre à divers degrés. Alors qu’au Canada anglais sa mémoire a été à peine évoquée (au grand profit, étrangement, de la guerre de 1812), les États-Unis n’ont pas raté l’occasion de la commémorer à l’aide de reconstitutions massives30. Tout comme dans le monde francophone, l’anniversaire a inspiré de nombreuses publications31. Ce renouvellement est le bienvenu considérant qu’auparavant, tant chez les Britanniques, les Canadiens et les Américains, on s’est relativement peu intéressé à la guerre de Sept Ans, comparativement au montant énorme d’œuvres consacrées aux guerres ultérieures. Cela ne veut pas dire pour autant, toutefois, que son historiographie est pauvre! Mais, tout comme l’histoire coloniale britannique en général32, les historiens qui s’y sont intéressés l’ont étudiée de manière régionaliste. C'est-à-dire, ces ouvrages vont souvent se concentrer sur une seule colonie britannique ou à la géographie d’un état d’aujourd’hui. Cependant, la biographie tient une place importante au sein de cette historiographie; ses sujets agissent le plus souvent comme le fil conducteur d’un événement ou d’une période (pensons au Britannique Stephen Brumwell qui a rédigé une biographie magistrale de Robert Rogers pour comprendre le massacre de Saint-François-du-Lac33). Il n’en demeure pas moins que les historiens américains préfèrent de loin se consacrer aux guerres qui ont eu lieu après la « French and

Indian War », principalement la Révolution américaine, la Guerre de Sécession, et la

Deuxième Guerre mondiale. Pendant longtemps, leur seule « référence par excellence » au 400 p. et Laurent VEYSSIÈRE, Sophie IMBEAULT et Denis VAUGEOIS (dir.), 1763. Le traité de Paris bouleverse l'Amérique, Québec, Septentrion, 2013, 456 p.

30 Au sujet des commémorations, voir notre billet : « Nouvelle pièce de la guerre de Sept Ans : Une

commémoration manquée? », Curieuse Nouvelle-France [blogue], 7 avril 2013. [ En ligne : http://curieusenouvellefrance.blogspot.ca/2013/04/nouvelle-piece-de-la-guerre-de-sept-ans.html ]

31 Pour son contenu portant sur l’historiographie de la bataille des plaines d’Abraham, notons comme

exemple Phillip BUCKNER et John G. REID (dir.),Remembering 1759. The Conquest of Canada in Historical Memory, Toronto, University of Toronto Press, 2012, 317 p.

32 Trevor BURNARD, « The British Atlantic » dans Jack P. GREENE et Philip D. MORGAN, dir. Atlantic History. A Critical Appraisal, New York, Oxford University Press,2009.p. 116.

33 Stephen BRUMWELL, White Devil: A True Story of War, Savagery And Vengeance in Colonial America,

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11 sujet de cette guerre était l’œuvre de Francis Parkman, datant du XIXe siècle34. Heureusement, de nos jours, tout comme dans le monde francophone, son histoire a été renouvelée entre autres par les œuvres incontournables de Fred Anderson et de Jonhathan Dull35. Ces récents historiens se sont tournés vers de nouveaux objets d’étude : qu’il s’agisse de Peter Way et son étude de la place des femmes dans l’armée britannique36 ou de Fred Anderson et sa recherche sur les aspects « mondains » de la vie militaire37, ils démontrent tous la variété de sujets qui restent à être exploités. Ces chercheurs se penchent sur de nouvelles sources comme les journaux personnels et les lettres de correspondance de soldats, les listes d’embarquement, etc.

Cette récente méthode de recherche ne se limite pas au monde anglophone, toutefois : ces mêmes genres de sources ont été utilisés entre autres par Louise Dechêne, Jay Cassel, et Arnaud Balvay dans leurs études sur les soldats et les miliciens au sein de l’armée coloniale française. Dans le cas de Louis Dechêne en particulier, son oeuvre est de loin la meilleure tentative de saisir et de comprendre l’expérience des colons français pendant la guerre38.

Enfin, ce sujet s’insère également dans l’historiographie du Pays des Illinois et de la Louisiane française. Celle-ci, assez récente, est présentement dominée par les Américains Carl Ekberg, Winstanley Briggs, Joseph Zitomersky, Jay Gitlin, Robert M. Morrissey et le Canadien Robert Englebert. La rareté de l’intérêt porté sur cette région pendant et surtout après le Régime français repose sur le fait que peu de chercheurs américains comprennent le français et que les francophones (outre Vidal, Havard, Saadani et Balvay) ne s’intéressent généralement pas à ces régions. La recherche historique sur cette région est compliquée davantage par la présence d’un « rideau de vitre39 » métaphorique créé par la

34 Fred ANDERSON, A People’s Army: Massachusetts Soldiers and Society in the Seven Years’ War, Chapel

Hill, University of North Carolina Press, 1984, p. vii.

35 Nous apprécions en particulier qu’Anderson comble le vide laissé par ses prédécesseurs qui ont marginalisé

l’influence réelle des peuples amérindiens. Fred ANDERSON, Crucible of War. The Seven Years’ War and the

Fate of Empire in British North America, 1754-1766, New York, Alfred A. Knopf, 2000, 862 p. et DULL,The French Navy…, 445 p.

36 Peter WAY, « Venus and Mars: Women and the British-American Army in the Seven Years’ War », dans

Julie FLAVELLE et Stephen CONWAY, dir. Britain and America Go to War: The Impact of War and Warfare in

Anglo-America, 1754-1815, Gainesville, University Press of Florida, 2004, pp. 41-68. 37 ANDERSON, A People’s Army, 274 p.

38 DESBARATS et GREER,« The Seven Years’ War... », p. 160.

39 Bethel SALER et Carolyn PODRUCHNY, « Glass Curtains and Storied Landscapes: Fur Trade Historiography

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frontière entre le Canada et les États-Unis. Comme l’explique Englebert, « [...] both sides

see and acknowledge each other, but do not venture to the other side. Add to the mix Whig interpretations of British and Anglo-American exceptionalism that help reinforce these national paradigms, and one has a potentially toxic historiographical cocktail40. » Cela dit,

l’histoire du Pays des Illinois et de la Louisiane française a le potentiel de faire l’objet de meilleurs échanges entre chercheurs, particulièrement grâce aux nouvelles technologies.

CORPUS DE SOURCES ET MÉTHODOLOGIE

Le journal de La Chapelle

Notre source principale est la publication Passerat de la Chapelle : 1734-1805. Campagne

du Canada. Guerre de l’Indépendance américaine, publiée en 1933 chez la Librairie

Gabriel Enault à Paris. Ce livre reproduit un texte paru originalement en 1932 réparti entre deux numéros de la revue Nova Francia41, l’organe de diffusion de la Société d’histoire du

Canada42. Le texte est une transcription de la conférence donnée à cette société par le Baron Pierre Passerat de la Chapelle43, l’arrière-petit-fils de La Chapelle, accompagnée d’une copie des documents à l’appui. Ce sont ces derniers qui nous intéressent, puisque la conférence en soi ne fait que résumer en grande partie leur contenu. Ces documents appartiennent presque tous au même dossier du Conseil d’État du Roi qui a été utilisé pour décrire et justifier les actes et les dépenses de La Chapelle en Nouvelle-France. Outre le rapport et les lettres de La Chapelle, nous y trouvons des billets et des pièces de correspondance de Pierre Joseph de Neyon de Villiers (commandant du fort de Chartres), de François-Marie Picoté de Bellestre (commandant du fort Détroit), et de Louis Billouart de Kerlerec (gouverneur de la Louisiane). Notons qu’il est exceptionnel d’avoir accès à ces

Duke University Press, cité dans Robert ENGLEBERT, « Beyond Borders: Mental Mapping and the French River World in North America, 1763-1805 », thèse de doctorat, Ottawa, Université d’Ottawa, 2010, p. 9.

40 ENGLEBERT, « Beyond Borders… », p. 9.

41 Baron PASSERAT DE LA CHAPELLE, « Le Baron Pierre Passerat de La Chapelle. Conférence faite à la

Société d’Histoire du Canada par M. le baron de La Chapelle », Nova Francia, Vol. VII, No. 1 (janvier-juin 1932), pp. 81-135 et Idem, « Le Baron Pierre Passerat de La Chapelle. Conférence faite à la Société d’Histoire du Canada par M. le baron de La Chapelle », Nova Francia, Vol. VII, No. 2 (juillet-décembre 1932), pp. 178-210.

42 Société parisienne principalement généalogique fondée en 1924 dans l’intérêt de la recherche portant sur

l’histoire de la Nouvelle-France. Voir « Revue des périodiques », Revue d'histoire de l'Église de France, Vol. 13, No. 60 (Année 1927), p. 417.

43 Né le 15 septembre 1867 à Saverne en Alsace, décédé le 2 octobre 1937. Pour éviter toute confusion entre

les deux Pierre, nous nous référerons dorénavant à lui comme le Baron de La Chapelle. Alix DE LA

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13 documents qui, pour la plupart, n’ont survécu que grâce à la lucidité de La Chapelle qui a réussi à les soustraire au commandant de Neyon qui cherchait à les détruire44.

Quel poids donner aux textes de La Chapelle et qu’en est-il de leur authenticité? Après tout, son histoire est tellement remarquable qu’elle peut même sembler rocambolesque à première vue. Heureusement, le Baron La Chapelle fournit les sources des documents majeurs qu’il reproduit dans son livre. Certains sont facilement disponibles sur microfilm ou sur Internet. Cependant, nous n’avons pas pu nous déplacer pour trouver le dossier principal qui est aux Archives nationales à Paris45. Une vérification auprès d’archivistes a toutefois confirmé que la cote correspond probablement à un dossier réel. L’authenticité du dossier est d’autant plus assurée par sa comparaison avec quelques documents originaux que nous avons pu retracer. La version typographiée du Baron, à quelques coquilles ou épellations accidentelles près, concorde avec les originaux. De plus, en ce qui concerne les originaux hors de notre portée, nous avons pu confirmer l’existence de personnages mineurs mentionnés dans la copie à l’aide des registres de Sainte-Anne du fort de Chartres46. Impossible donc que le Baron les ait inventés.

Que dire alors du contexte de l’écriture? Il faut se rappeler que La Chapelle est un jeune officier ambitieux; on peut donc facilement penser qu’il se donne le beau rôle et exagère son influence dans son récit. De plus, dans un mémoire écrit plus tard dans sa vie, il lui arrive de se tromper sur certains détails de sa vie (dont sa date d’arrivée au Canada). Mais puisque son texte principal consiste en un rapport abrégeant un journal tenu pendant les événements décrits, il est possible de dire que le risque d’erreurs est relativement faible comparativement aux écrits d’officiers, composés plusieurs années après les faits. D’ailleurs, nous n’avons pas trouvé de documents contradictoires. Les officiers qui en ont produit ont été amplement infirmés par une cour martiale suivant les témoignages d’officiers de l’état-major appuyant La Chapelle.

Dans cette même veine, mentionnons qu’il est remarquable que le dossier de La Chapelle nous permette d’observer une instance de justice militaire à l’œuvre. « La justice militaire a laissé peu de traces dans les archives, à part une série de poursuites

44 PASSERAT DE LA CHAPELLE, Passerat de La Chapelle..., p. 53 et et Annexe A, pp. 175-177.

45 Conseil d’Etat du Roi, Chambre des Comptes, année 1767. Liquidation des dépenses du Canada. No 24051

ou 24.051 (le Baron se sert des deux chiffres).

46 Margaret KimballBROWN, et Lawrie Cena DEAN, The Village of Chartres in Colonial Illinois 1720-1765.

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contre les déserteurs », écrit Louise Dechêne47. Ici, nous retrouvons La Chapelle confronté aux accusations de Beaujeu et de Neyon. Son entêtement à vouloir se disculper de toute accusation et à rétablir son honneur nous mène avec lui dans un méandre de malentendus, d’abus de pouvoir et de rhétoriques cinglantes.

Bref, revenant à la question de l’intégrité de l’auteur, nous croyons que minimalement il faut lire La Chapelle avec un léger grain de sel en ce qui concerne le ton de son discours. N’oublions pas qu’il cherche, comme tout officier, à impressionner ses supérieurs48. Ce soupçon est particulièrement prononcé lorsqu’on lit le discours idéaliste qu’il prétend avoir donné à ses miliciens canadiens… Malheureusement, aucun témoignage de ses miliciens n’existe pour confirmer ou infirmer celui-ci.

Étudier le rapport de La Chapelle est un privilège. Il reste tout au plus une vingtaine de journaux d’officiers de la Marine qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui. C’est très peu lorsqu’on considère que Fred Anderson s’est servi de près de trois fois plus de journaux militaires américains pour la même période49. Comme le remarque Jay Cassel :

Entering the minds of the men who served in the Canadian marines is difficult. They were not writers. Most of the journals kept by officers and the only surviving journal by a soldier, were written by Frenchmen who came to the colony. Officers apparently wrote very few journals, and what letters survive relate strictly to ―business‖: either commissions, promotions, postings or inheritances. They only wrote when they had to do so, and only wrote what they felt was necessary. Evidently the marines were not reflective people. Journals and letters contain few remarks on conditions in the colony. Almost all commentary is by visitors and transient officials — outside observers.50

On peut donc dire qu’il est exceptionnel d’avoir accès à un témoignage comme celui de La Chapelle. Il ne se doute pas que par sa plume il nous ouvre une brèche sur les pensées et les émotions de ses soldats et miliciens (sans doute en grande partie illettrés51) en temps de crise. Comme l’écrit Louise Dechêne, « Les miliciens […] ne nous livrent pas leurs sentiments52 ». En ce qui concerne les officiers qui nous laissent leurs impressions des miliciens, ceux-ci sont le plus souvent que de généralisations soumises aux stéréotypes de

47 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 345.

48 JohnKEEGAN, The Face of Battle, London, Jonathan Cape, 1976, p. 33. 49 CASSEL, « Troupes de la marine... », p. 25.

50 Ibid., pp. 184-185.

51 À la fin du Régime français, seuls 23% de la population de la Nouvelle-France est alphabétisée. HAVARD et

VIDAL, Histoire de l’Amérique française, p. 181.

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15 l’époque53. Pourtant, ici, nous avons un témoignage qui fait connaître la réaction de ce groupe de miliciens particulier face à la perte probable de leur pays54. C’est la même chose pour la relation entre militaire et milicien : le document de La Chapelle offre un regard privilégié sur l’interaction entre ses soldats et les Canadiens qui l’accompagnent, affectés par l’écroulement de leur monde. Rappelons ce que Louise Dechêne écrit au sujet des journaux d’officiers français à l’époque de la guerre de Sept Ans :

Ni plus ni moins fiable que les autres sources, la documentation laissée par les militaires français a le mérite de relever certains détails touchant la milice que l’officier du pays ne voit plus tellement ils lui sont familiers. Mais comme les miliciens sont rarement sous le commandement direct des officiers des bataillons, ces observations ne sont pas aussi nombreuses que nous l’aurions souhaité.55

Comme on le verra plus tard, il est dommage que ce rapport abrégé semble être tout ce qui ait survécu du passage de La Chapelle en Amérique.

Il est difficile de résumer ici le témoignage de La Chapelle vu sa longueur et ses détails, surtout en ce qui concerne le récit de son emprisonnement au fort de Chartres. Nous avons donc cru bon de reproduire son dossier dans l’Annexe A. Nous n’avons pas voulu priver le lecteur de la chance de lire le texte original, difficilement accessible même dans les cercles universitaires. Ceci nous permet également, pour les besoins de ce mémoire, d’aborder son contexte plutôt que son contenu, tout en reconstituant le périple de Beaujeu et de ses hommes. Notons toutefois que nous ne reproduisons pas les documents ayant rapport à La Chapelle pendant la Révolution américaine56.

Bien que nous allons les aborder, nous ne reproduisons pas les certificats cités par le Baron. Émis par différents acteurs de la guerre de Sept Ans (dont Montcalm, Lévis et Vaudreuil), ces documents semblent appartenir à la famille La Chapelle et n’ont pas été retrouvés en archives. Malheureusement, une part importante des archives familiales de Passerat de la Chapelle a sans doute été détruite lors de la période de 40 ans où le château

53 Martin L. NICOLAI,« A Different Kind of Courage: The French Military and the Canadian Irregular Soldier

during the Seven Years’ War », Canadian Historical Review, Vol. 70, No. 1 (1989), pp. 57-59.

54 Bien sûr, dans le contexte de cette recherche, nous utilisons « pays » pour signifier demeure, famille, et vie. 55 DECHÊNE, Le Peuple, l’État et la Guerre…, p. 293.

56 Nous invitons donc le lecteur qui s’y intéresse à lire le livre du Baron La Chapelle. De plus, il profitera

également de la lecture de la traduction de Louise Phelps Kellogg, De la Chapelle in the American

Revolution, comprenant plusieurs notes de bas de page qui complémentent le texte. LouisePHELPS KELLOGG, « Passerat De La Chapelle in the American Revolution », The Mississippi Valley Historical Review, Vol. 25, No. 4 (mars 1939), pp. 353-542.

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de Montville n’appartenait plus à ses descendants57. Ne pouvant donc pas vérifier leur authenticité, nous avons préféré nous fier à d’autres documents pour reconstituer son passage au Canada. Nous justifions ce choix en s’appuyant sur le fait que nous mettons en doute l’information de certains billets qui placent La Chapelle en Amérique bien avant son arrivée confirmée par les Archives nationales de France. Rappelons toutefois qu’outre ces exceptions, les autres billets concordent quand même avec les documents d’archives.

Nous devons mentionner que le dossier sur La Chapelle contient des documents identifiés par des chiffres entre 5 à 13. Nous notons que deux documents différents sont pareillement identifiés par le chiffre 11. En ce qui concerne les documents 1 à 4, outre la possibilité que ces documents soient réellement absents dans le dossier original, nous avançons l’hypothèse que ces quatre pièces sont simplement des lettres déjà reproduites par La Chapelle dans son rapport. Le Baron aurait donc choisi de ne pas les recopier pour rien. Une vérification éventuelle à Paris devra se faire pour éclairer cette question.

Le premier document que l’on retrouve dans le dossier est le rapport du déplacement de La Chapelle entre le fort Détroit et La Nouvelle-Orléans. Celui-ci est une version brève de son journal, abrégée à la demande du gouverneur de la Louisiane. Il semble que le journal original ait été perdu dans une explosion volcanique en Martinique (et rien de moins!)58. Alors qu’il écrit au gouverneur de la Louisiane, La Chapelle nous laisse un seul indice d’une autre copie possible (italiques par nous) :

Je vous ai, Monsieur, remis hier la copie collationnée et certifiée du carnet de route, tenu jour par jour, au cours de la retraite que je viens d’effectuer, du Canada à la Nouvelle Orléans, […] Vous avez bien voulu me demander de résumer la teneur de ce carnet de Route, et de vous faire rapport des principaux événements survenus au cours de cette retraite.59

Il faut donc se demander si le gouverneur Kerlerec a laissé cette copie en Louisiane avec les documents allant à son successeur, ou s’il l’a rapportée en France. Comme nous le verrons, c’est une question à laquelle il est difficile de répondre vu l’état présent des Archives de la Louisiane.

57 Alix DE LA CHAPELLE,correspondance par courriel, le 17 janvier 2011.

58 Louise Phelps Kellogg avait été informée que les « memoirs » (nous interprétons « journal ») de

La Chapelle étaient, en 1896, entre les mains de Duval de Sainte Claire, cousin du Baron Pierre Passerat de La Chapelle, habitant Saint-Pierre en Martinique. Celui-ci fut parmi les 29 000 victimes de l’explosion volcanique de la montagne Pelée qui terrassa Saint-Pierre en 1902. PHELPS KELLOGG, « Passerat De la Chapelle… », p. 538.

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17 Autres sources

Alors que de nombreuses archives ont fait l’objet de nos dépouillements, nous ne mentionnons ici que nos sources les plus importantes. Nos recherches ont été entreprises en grande partie à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) parmi les microfilms provenant du Centre des archives d'outre-mer à Aix-en-Provence (ANOM) et de Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Nous avons concentré nos recherches sur les Fonds des Colonies, principalement à l’intérieur des sous-séries C13A à C13C (correspondance arrivant de la Louisiane), ainsi que C11A, C11E et C11G (correspondance du Canada). Les microfilms des Amherst Papers de la National archives de l’Angleterre ont été un fonds particulièrement important pour déterrer les détails de la retraite de Beaujeu. Effectivement, ces documents sont inestimables pour quiconque s’intéresse à la fin du régime français. Par l’entremise d’agents répartis partout en marge du territoire canadien, Amherst recevait des descriptions de forts français, de leurs effectifs, et des événements y ayant lieu. Ce fonds est donc rapidement devenu notre source principale. À l’instar de celui-ci, les écrits d’officiers britanniques (dont William Johnson et Robert Rogers) sont également d’une grande importance. Leur avantage à tous porte sur le fait que ces officiers notaient des détails que les sources françaises sous-entendaient par familiarité.

De nombreuses sources imprimées reproduisent des documents d’archives étrangères qui ne sont pas toujours facilement disponibles. Par exemple, le Wisconsin Historical

Collections nous a permis de trouver des traductions de quelques sources conservées aux

États-Unis. D’autre part, les tomes du Rapport de l’archiviste de la province du Québec contiennent plusieurs documents sur la fin de la colonie, notamment sur la planification d’une retraite militaire proposée par Versailles. Ces plans sont également abordés dans les journaux publiés de plusieurs officiers de l’état-major, dont Montcalm, Lévis, et Bougainville. L’historien qui s’intéresse à l’histoire du « Midwest » américain a intérêt à retracer les œuvres souvent oubliées de Clarence Alvord qui reproduisent d’innombrables perles d’archives portant sur le Pays des Illinois.

Considérant l’étendue géographique que couvre notre mémoire, une recherche dans les archives américaines n’a pas été négligée. Nous nous sommes penchés sur des collections principalement notariales qui nous ont permis d’élucider les activités de Beaujeu et de

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quelques-uns de ses hommes. Les Kaskaskia Manuscripts datant de 1708 à 181660, ainsi que les French and Spanish Archives de la Western Historical Manuscript Collection de l’université Columbia61 sont des sources primaires importantes pour quiconque s’intéresse au Pays des Illinois. Il ne faut pas non plus oublier le livre The Village of Chartres in

Colonial Illinois 1720-1765 de Margaret Brown et Lawrie Cena Dean. Ce livre reproduit

une grande partie des archives du fort de Chartres, difficilement accessibles même aux États-Unis. Nous avons également entrepris une session de recherche aux archives de la Louisiane. Malheureusement, vu leur état et leurs index souvent incomplets, retrouver la copie du journal de La Chapelle que nous cherchions — assumant qu’elle existe réellement — fut un échec. Une fouille des index existants ne nous a rien révélé sur La Chapelle, bien que quelques documents sur Beaujeu et le gouvernement de La Nouvelle-Orléans aient été d’intérêt. Le chercheur qui s’intéresse à la Louisiane doit savoir que ces archives ne sont pas aussi complètes que celles du Québec. Une partie des archives destinée pour l’Europe suivant le changement de régime a été perdue lors d’un naufrage. Des archives administratives restées en Amérique, environ le quart a mystérieusement disparu lors de la Guerre de Sécession62. Alors qu’on retrouve quelques fonds d’intérêt à l’université Tulane et à la Historic New Orleans Collection, les archives du gouvernement de Louisiane se retrouvent en grande partie à la Louisiana State Museum Historical Center. Il faut noter aussi que le quart des actes notariés se retrouvent à la New Orleans Notarial

Archives. Ces archives, pour paraphraser l’archiviste Greg Lambousy, sont assez

mystérieuses : la barrière linguistique a fait en sorte que ni les historiens américains ni les archivistes de l’État ne les connaissent vraiment à fond. Sur ce, mentionnons que les archives coloniales louisianaises sont difficilement accessibles par manque de main-d’œuvre. Toutefois, au moment de l’écriture de ce mémoire, un projet était en cours pour la numérisation sur trois ans de la collection entière des archives françaises de la LSMHC. Heureusement épargnées par le désastre de l’ouragan Katrina, c’est par souci de protéger ces archives que la Louisiane a décidé de numériser ce legs important de son patrimoine. Du même coup, l’État assurera un meilleur accès aux trésors insoupçonnés de ses archives.

60 Microfilms disponibles à BAnQ.

61 Les originaux se retrouvent à la Missouri History Museum.

62 French Colonial Historical Society, conférence en 2012 à La Nouvelle-Orléans, table ronde « Histoires

d’archives » à la Louisiana State Museum. Président de séance : Howard Margot. Participants : Sally Reeves, Polly Rolman, Susan Tucker et Demitri Debe.

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19 Outils de recherche

Aujourd’hui grâce à Internet et aux nouvelles technologies de communication, l’historien a un accès plus facile à de nouvelles sources. Effectivement, comme le soulève Donald Fyson, nous sommes à même de procéder à « [des] tâches qui, auparavant, auraient pris des jours, ou qui n’auraient pas été remplies, faute de temps, [et] peuvent maintenant être effectuées en quelques minutes ou, tout au plus, quelques heures63. » Par le biais de sites comme Archive.org, Google Books et Jstor, nous avons pu retracer de nombreux articles et documents pertinents pour notre recherche, dont certains livres rares et difficilement accessibles en bibliothèque. De plus, de nombreux centres d’archives et de musées offrent dorénavant un catalogue de leurs collections en ligne, voir même des milliers de documents numérisés. Nous nous sommes donc servis en particulier de sources américaines qui auparavant n’étaient pas facilement disponibles aux historiens québécois64. En se servant de ces nouveaux outils, l’historien doit toutefois rester vigilant. Comme l’explique Donald Fyson : « Le défi pour les étudiants et les chercheurs qui utilisent de telles collections pour toute autre chose que l’accès facile à des documents est de comprendre comment la collection a été façonnée par ces divers critères de sélection, et d’en tenir compte dans leurs analyses65. » Par exemple, même une simple recherche de mots clefs peut poser problème. En cherchant le nom Bellestre dans nos sources, nous avons retracé plusieurs épellations, dont Belestre, Bellettre, et même Beletter chez les Britanniques. Le chercheur doit donc faire preuve d’une certaine intuition pour maximiser le profit tiré des moteurs de recherche et d’un catalogage parfois arbitraire. Sur ce, pensons au site Nouvelle-France : Horizons

nouveaux (http://archivescanadafrance.org/) : alors que sa base de données est une

ressource extraordinaire sur les archives franco-québécoises, ses descriptions des manuscrits ne vont pas nécessairement afficher tous les mots clefs qui peuvent nous intéresser. De plus, la qualité des documents numérisés qui s’y trouvent laisse souvent à désirer et l’interface pour les consulter ne fonctionne pas toujours. Enfin, il faut également

63 Donald FYSON, « À la recherche de l’histoire dans les bibliothèques numériques : les leçons de Notre mémoire en ligne », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 59, No. 1-2 (2005). p. 96.

64 D’ailleurs, après avoir constaté la méconnaissance générale de ces sources, nous avons fondé le site web Nouvelle-France électronique (www.novafrancia.org) afin de les rassembler dans un même portail internet à

la disposition de futurs chercheurs.

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