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Après plus de cinq ans en Amérique, La Chapelle revient enfin en France. Immédiatement après son départ, le trésorier de la Louisiane envoie la confirmation qu’il n’avait touché ses

430 Lire le premier chapitre à ce sujet.

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appointements que pour la période entre janvier 1761 et la fin du mois de juillet 1762432. Malgré les accusations en cours, La Chapelle devient à son arrivée un lieutenant réformé avec pension433. Celle-ci sera payée en tranches de 300 livres par année octroyées ultérieurement, à en juger par deux documents datés de 1767 défrayant ces montants pour les années 1764 et 1765434.

Comme il le souhaitait, La Chapelle est enfin conduit devant un conseil de guerre pour répondre aux allégations de Beaujeu et de Neyon sur sa supposée insubordination et pour présenter sa réclamation de 20 000 livres en compensation de ses dépenses personnelles lors de sa retraite435. Le 23 février 1763, son cas est confié au maréchal de Contades. En plus des copies de sa correspondance avec ses accusateurs, La Chapelle est armé de lettres signées par ses anciens supérieurs, dont Belestre et Vaudreuil, qui « sont unanimes à [le présenter] comme un officier d’élite436 ». Après vérification, le maréchal ne peut être plus élogieux envers le jeune officier : non seulement conclut-il que les accusations de Beaujeu et de Neyon sont « entièrement fausses, mensongères et calomnieuses », mais il n’épargne aucun compliment à son sujet. Son rapport se termine ainsi :

L’enquête a établi que M. Passerat de la Chapelle, Capitaine en second des compagnies de la marine, a bien mérité, depuis son entrée au service, de la confiance de Sa Majesté, qu’il est digne de sa bienveillante attention pour une récompense en rapport avec les services éminents qu’il a rendus pour le bien des armées du Roi. 437

L’exonération des charges contre La Chapelle et la « mise en néant » des accusations de Beaujeu et de Neyon impliquent donc que ces derniers avaient effectivement abusé de leur autorité. Toutefois, il ne faut pas s’étonner que les deux continuent leur service dans l’armée comme si de rien n’était. Comme le remarque Lee Kennett :

The government was very reluctant to remove bad officers, though it possessed the right to do so. The various ordonnances contained a rather complete system of military justice, but the application of the statutes was not uniform. The ministry closed its eyes

432 ANOM, Colonies, E 242, Personnel ancien, Lettre L, La Chapelle, enseigne des troupes entretenues au

Canada 1762/1764.

433 ANOM, Colonies, E 331, Passerat de La Chapelle…, p. 144.

434 ANOM, Colonies, E 242, Personnel ancien, Lettre L, La Chapelle, enseigne des troupes entretenues au

Canada 1762/1764.

435 ANOM, Colonies, C13A 43, F°17-23. Extraits de lettres de Kerlerec au ministre. À La Nouvelle-Orléans,

1761-1762. N°333.

436 PASSERAT DE LA CHAPELLE, Passerat de La Chapelle..., p. 36 et Annexe A, p. 209. 437 Ibid, p. 38 et Annexe A, p. 211.

103 to much, but was occasionally jolted into action by some flagrant case of dereliction.438

La Chapelle est non seulement blanchi, mais a également droit à un dédommagement vis-à-vis ses dépenses pendant la guerre. Il est remboursé au moins à deux reprises : une fois le 22 mars 1766 pour la somme de 2 307 livres et 10 sols pour « diverses fournitures, des voyages, courses, et autres travaux faits au service du fort Machault, de la Presqu’île, et autres postes du Canada439 », et le 12 mars 1767 pour la somme de 20 034440 livres « pour la subsistance qu’il a fournie à un détachement de 200 hommes et pour les fournitures, faites à cette occasion, au service de plusieurs postes du Canada441 ».

La Chapelle est maintenant libre de poursuivre sa carrière dans l’armée. Au mois de mai 1764, par l’entremise de Monsieur le Comte de Chabot, La Chapelle demande à aller à Saint-Domingue en tant que volontaire. Dans sa lettre de présentation, le comte s’appuie sur les lettres de l’ancien gouverneur canadien M. de Vaudreuil qui certifient que La Chapelle avait été présent à « differentes actions ou il a donné des preuves de sa valeur et de son zele et particulierement dans la retraite qu’il a fait a la nouvelle-orleans avec 200 hommes par une marche forcée au travers des Bois dans la plus mauvaise saison442 ».

La Chapelle reçoit plutôt l’ordre d’aller en Martinique en 1764, avec une pension de 450 livres de surcroit443. Cette pension est plutôt généreuse : rares sont les gratifications de plus de 500 livres, la moyenne étant entre 100 et 250 livres444.

Un an après son arrivée sur l’île, vingt-quatre bataillons sont envoyés par le ministre Choiseul qui craint une nouvelle guerre avec l’Angleterre445. Le 1er juin 1765, La Chapelle

438 KENNETT, The French Armies…, pp. 68-69.

439 Un autre document mentionne également le fort Détroit et le fort Miamis. ANOM, Colonies, B 125,

F°70v. Minutes des Dépêches et Ordres du Roy, Année 1766. Le 13 mars 1766 et ANOM, Colonies, A 10, Fº124 et AN, Ancien régime, V7 359, dossier 4. Le 27 avril 1763.

440 Ce chiffre diffère d’un document à l’autre. Bien que le rapport du maréchal de Contades fasse état de

20 118 livres, un autre rapport de liquidation fait plutôt état de 20 965 livres. PASSERAT DE LA CHAPELLE, Passerat de La Chapelle..., p. 39, Annexe A, p. 209 et AN, Sections anciennes, V7 359, dossier 4. Le 9 décembre 1766.

441 ANOM, Colonies, A 11, Fº123.

442 ANOM, Colonies, E 242, Personnel ancien, Lettre L, La Chapelle, enseigne des troupes entretenues au

Canada 1762/1764.

443 Cette source première contredit ce qu’écrit le Baron La Chapelle. Ce dernier mentionne une « pension de

400 livres en récompense de sa retraite du Canada à la Nouvelle Orléans », par ordre du roi le 24 septembre 1763. Il mentionne également que son ancêtre arrive en Martinique le 20 décembre 1763. Malheureusement, le Baron ne fournit pas la source de cette information. Ibid. et PASSERAT DE LA CHAPELLE, Passerat de La

Chapelle..., p. 38.

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est donc nommé capitaine dans le bataillon des milices de Saint-Pierre446. Avant que n’éclate un autre conflit, la paix relative lui permet de se consacrer à sa vie personnelle. Le 19 mai 1766, il épouse Marie Madeleine Louise Héricher de Montigny, « fille d’un lieutenant des Vaissaux du Roi »447. Des six enfants qu’aura le couple448, au moins deux fils s’enrôleront, l’un dans le corps de l’artillerie et l’autre comme volontaire dans la Marine royale449.

En 1767, profitant d’un voyage en France pour présenter sa nouvelle épouse à sa famille, La Chapelle obtient un prêt de 31 828 livres auprès de créanciers lyonnais afin de se lancer en affaires comme négociant en Martinique. Malheureusement pour lui, l’entreprise semble échouer puisqu’il ne respectera pas la date butoir de remboursement fixé à l’an 1769. Au lieu, il vend ses marchandises et se sert d’une bonne partie des profits pour acheter de nouveaux esclaves pour l’habitation de sa femme, « néçessaires à en augmenter le produit ». Malgré les réclamations de ses débiteurs, il s’obstine et essuie leurs plaintes : « il paroit que le Sr. La Chapelle se présente d’un usage abusif qui veut que l’habitant ne puisse être arrêté sur son habitation pour dettes sans un ordre supérieur450. » Se retirant dans le domaine de sa femme, ses problèmes financiers l’accablent. Il fait faillite en 1773 et doit restituer immédiatement une maison qu’il avait achetée sans les moyens de repayer ses créanciers451. Nous ne connaissons pas le dénouement de cet épisode, mais dix ans plus tard, soit en 1788, il sera toujours aux prises avec ses créditeurs lyonnais452.

Abandonnant la carrière de négociant, La Chapelle continue son service militaire. En 1770, il est capitaine aide major au bataillon de Fort Royal en Martinique. Il en devient le

445 Boris LESUEUR,« Les troupes coloniales aux Antilles sous l’Ancien Régime », Histoire, économie & société, Vol. 28, No. 4 (2009), p. 14.

446 ANOM, Colonies, E 331, Passerat de La Chapelle…, p. 146.

447 Alix DE LA CHAPELLE,correspondance par courriel, le 17 janvier 2011 et PASSERAT DE LA CHAPELLE, Passerat de La Chapelle..., p. 38.

448 Alix DE LA CHAPELLE,correspondance par courriel, le 16 février 2011. 449 ANOM, Colonies, E 331, Passerat de La Chapelle…, pp. 165-167.

450 ANOM, Colonies, E 376, Terrasse, négociant à Lyon, créancier de Passerat de La Chapelle, négociant à la

Martinique 1772.

451 ANOM, Colonies, C8B 13 Nº 117. A Rozière. Envoi semestriel des bordereaux de dépenses : faillite du

sieur Passerat de La Chapelle; demande d’augmentation de ses appointements; recommandation reçue en faveur du sieur Platel; [etc]

452 ANOM, Colonies, E 208, Godenol, Pierre, négociant à Lyon, octroi d'un pareatis pour l'exécution d'un

arrêt du parlement de Paris, à la Martinique, contre Passerat de La Chapelle, ancien négociant à la Martinique (1788).

105 major le 1er janvier 1777453. Entre ces deux promotions, il s’occupe de logistiques militaires, dirigeant entre autres la construction à son compte d’une batterie tout en améliorant les routes locales454. Pendant ce temps, le Secrétaire d'État des Affaires étrangères, Charles Gravier, comte de Vergennes, communique avec le gouverneur général des Îles-du-Vent, François Claude Amour du Chariol, marquis de Bouillé. Il informe ce dernier que Versailles cherche un ancien militaire, sous guise de négociant, pour remplir une mission secrète auprès des Américains en pleine guerre contre leur ancienne patrie. La Chapelle, on le devine, est celui qui est choisi. Son expérience en Amérique en fait d’ailleurs le parfait candidat455.

Arrivant à La Nouvelle-Orléans en 1777, La Chapelle remonte le Mississippi pour rejoindre la rivière Ohio. De là, il poursuit son chemin jusqu’au front. Il exécute l’ordre de ne trouver nul autre que George Washington en personne pour lui offrir de fournir des armes et des fournitures à son armée. Bien que ces transactions soient encaissées par le trésor du Roi, toute négociation doit se faire au nom personnel de La Chapelle seulement, au cas où il serait capturé par les Britanniques. Toutefois, ceci n’est qu’une ruse : en réalité, La Chapelle est secrètement un diplomate qui doit informer Washington que la France est prête à lui offrir une aide concrète. Après trois semaines passées au camp des Américains et sa mission accomplie, La Chapelle regagne les îles où, en décembre 1777, il se présente devant le gouverneur pour lui faire son rapport456.

Selon ce que rapporte le Baron La Chapelle, son ancêtre se fait remercier en obtenant le grade de major d’infanterie dès 1778. Sans tarder, il devient également maréchal général des Logis de l’Armée des Antilles et participe à la campagne des Antilles sous le

453 ANOM, Colonies, E 331, Passerat de La Chapelle…, p. 146. 454 Ibid., p. 147.

455 PASSERAT DE LA CHAPELLE, Passerat de La Chapelle..., pp. 39-42.

456 Ce que rapporte le Baron La Chapelle porte à confusion. Il indique que son ancêtre rencontre Washington

au camp de White Plains à New York peu après son arrivée le 6 octobre 1777 à Bethleem, Pennsylvanie. Toutefois, s’appuyant sur cette date, Washington campe consécutivement à Whitemarsh et Whitpain en Pennsylvanie. C’est plutôt en 1776 qu’il est à White Plains. D’ailleurs, notons que La Chapelle ne fait aucune mention de cet épisode dans son mémoire de 1779. Enfin, nous ne l’avons pas retracé ni dans les engins de

recherche de Rotunda, la collection numérique de la University of Virginia

(http://rotunda.upress.virginia.edu/), ni à la Library of Congress. Nous préférons donc confier pour l’instant cette énigme aux biographes de Washington. Ibid, et Julie MILLER, Library of Congress,correspondance par courriel, le 13 avril 2011.

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commandement du compte d’Estaing457 pour la durée de la Révolution américaine. Ses actions lui vaudront enfin la croix de Saint-Louis en 1779. Il continue de s’impliquer lors des autres conflits au-delà la fin de la Révolution américaine, et ce, jusqu’à sa retraite en 1787. Après « 35 ans de services ininterrompus », avec 2 400 livres en pension de la part du roi, il se consacre à l’agriculture458.

Toutefois, cette retraite ne sera pas de tout repos. Tout comme sa famille en France ciblée par la Révolution française, La Chapelle ressent les mêmes remous en Martinique. Bien qu’il perde sa pension, cette perte n’est toutefois pas aussi douloureuse que celle de son fils aîné, guillotiné. Obligé de fuir à Trinidad, il ne revient en Martinique que pour y mourir peu après en 1805. Monarchiste jusqu’à la fin, il exprime sa philosophie de vie dans son testament : « [j’ai] en tout temps, en tout lieu, et en toutes circonstances, été fidèle à Dieu, à la France, et au Roi459 ».