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PARTIE I : CADRAGE THEORIQUE, PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE

CHAPITRE 2 - LE CONTEXTE MALGACHE

4.5 L’accès au crédit

4.5.1 L’offre de crédit formel au lac Alaotra

4.5.1.1 Les acteurs : importance de la microfinance

L’offre de crédit formel est essentiellement composée de deux institutions de microfinance (OTIV et CECAM), deux banques qui font du crédit agricole (BNI et BOA) et enfin deux intermédiaires financiers (Projet BV Lac et la Silac).

90 a. Ombana Tahiry Ifampisambonara Vola : OTIV

Le réseau OTIV est l’une des premières institutions de microfinance à s’implanter au lac Alaotra au début des années 1990. C’est une institution de type mutualiste et une caisse mère représente les groupes OTIV au niveau de chaque région. L’union des OTIV Alaotra Mangoro comptait en 2009 plus de 30 000 membres et 26 caisses.

b. Caisses d’Epargne et de Crédit Agricole de Madagascar : CECAM Le réseau CECAM est implanté au Lac Alaotra depuis 2003. Les CECAM reposent aussi sur une base mutualiste. L’URCECAM comptait 12 caisses dans la région Alaotra-Mangoro en 2009, pour un total de 7200 membres.

c. Bank Of Africa

La BOA s’est implantée au lac Alaotra en rachetant la Banque Nationale pour le Développement Agricole (BTM) en 1999. En 2009, elle comptait 3 agences localisées dans les principales villes autour du lac (Ambatondrazaka, Amparafaravola et Tanambe).

d. Banque Nationale pour l’Industrie : BNI

La BNI fait du crédit agricole depuis 2006 et son offre s’adresse à des agriculteurs déjà aisés (demande de 18 500 euros minimum), ayant d’importantes garanties à fournir. La BNI ne se tourne pas vers la microfinance et cherche avant tout à être rentable comme institution financière.

e. Le projet BV Lac : Protection et Mise en Valeur des Bassins Versants Le projet BV Lac est un projet financé par l’Agence Française de Développement (AFD) qui s’inscrit dans l’amélioration des rendements rizicoles et la protection des bassins versants à travers 7 volets : sécurisation foncière, environnement, mise en valeur agricole, élevage, infrastructures rurales, aménagement hydro-agricole et animation-formation des organisations paysannes (OP). C’est dans ce dernier volet que le Projet BV Lac a fait office par le passé d’intermédiaire financier entre les OP avec lesquelles il travaille et les institutions financières OTIV et BOA dans le cadre de participation au fond de garantie mutuelle des crédits solidaires accordés aux OP. L’organisation sociale, la formation des groupements de paysans et le suivi de leurs crédits sont confiés au Bureau d’Expertise Sociale et de Diffusion Technique (BEST).

91 f. La Société Industrielle du Lac Alaotra : SILAC

La SILAC est une SARL fondée en 1993 qui a pour activité principale la production de riz et la collecte de produits locaux. Dans le cadre de ses activités, la SILAC participe à l’encadrement des paysans et à leur intégration dans la filière riz. En 2008, elle travaillait avec 1079 paysans ayant plus de 5 ha de rizières irriguées. Ceux-ci s’engagent à suivre les conseils des techniciens et en retour reçoivent du crédit (intrants, semences, espèces) qu’ils remboursent en paddy. La SILAC travaille avec les institutions financières (banques : BOA, BNI) en place au lac pour le financement de ses activités de crédit.

4.5.1.2 L’agriculture : un secteur prioritaire34

L’offre de crédit formel au lac Alaotra est marquée par une prépondérance des produits destinés au secteur agricole. Cela se comprend du fait que la région du lac Alaotra présente de fortes potentialités agricoles et la demande pour du crédit de production existe. La région du lac Alaotra est l’un des greniers à riz de Madagascar (300 000 tonnes de paddy/an) et produit en outre beaucoup de produits maraîchers comme la tomate (Samad, 2007): 15 000 tonnes/an d’après cet auteur. Ainsi, 3 des 5 crédits principaux sont liés directement au secteur agricole : le crédit productif ou agricole, le Grenier Commun Villageois ou GCV et le crédit matériel (financement de l’achat des motoculteurs). Par exemple, pour ce qui est des caisses CECAM, les encours totaux de crédit, qui sont principalement liés au financement agricole (LVM, crédit agricole, GCV etc.), n’ont cessé de croître entre 2003 et 2008: ils sont passés de 200 000 euros à 2,6 millions d’euros en 2008.

4.5.1.3 Le foncier dans les pratiques d’offre et de demande de crédit au lac Alaotra.

a. Du côté de l’offre

Du côté de l’offre de crédit, le foncier apparait dans les conditions d’accès au crédit et les garanties demandées. Dans les conditions d’accès, et à la différence des structures de microcrédit, la BNI et la BOA conditionnent l’accès au crédit par l’existence d’une superficie minimale de rizière possédée, avec un titre : 5 ha pour la BOA et 10 ha pour la BNI. Ces conditions limitent l’accès pour les ménages sans terre ou pauvres en terre. Cette superficie minimale est en plus combinée au niveau de la BNI à une autre exigence qui est la taille minimale de l’exploitation qui doit être supérieure ou égale à 30 ha de rizière irriguée. La

34 Le détail des produits pour chaque institution financière dans la zone du lac Alaotra est présenté en Annexe 5 : Détail des produits pour chaque institution financière

92 superficie considérée dans les deux cas (BNI et BOA) porte uniquement sur les rizières irriguées qui sont le type de terre le plus prisé par les ménages de manière générale sur les marchés fonciers. Au niveau des institutions de microfinance, la taille de l’exploitation et du patrimoine foncier ne figurent pas par contre dans les conditions d’accès au crédit.

Les institutions financières ont aussi des politiques différentes en matière d’acceptation du foncier comme garantie des emprunts. Ces différentes politiques sont mises en place dans un contexte marqué aussi par le fait que les justificatifs formels de droits de propriété (titres ou certificats) sont peu répandus à Madagascar et au lac Alaotra. Cette faiblesse du nombre de titres résulte autant de son coût que de l’incapacité des services fonciers à répondre à la demande des ménages. Les données que nous avons compilées à partir des registres du service des domaines du district d’Ambatondrazaka montrent que 24.295 demandes de titre (1950-2009) étaient toujours en cours de traitement. Cette situation au niveau des titres fonciers est peu susceptible d’évoluer à la différence des certificats fonciers dont le processus est amené à se développer.

Tableau 4 : Politique en matière de garantie foncière des institutions financières

Titre foncier Certificat foncier Petit papier

OTIV Oui Oui Oui

BOA Oui Oui Non

CECAM Oui Non Non

BNI Oui Non Non

Source : Auteur

Au niveau de la BNI tous les emprunts sont directement liés à des garanties foncières puisque la dotation foncière (titrée) du demandeur figure systématiquement dans le panier des garanties du crédit. La BNI n’accepte pas pour le moment le certificat foncier comme garantie des emprunts car pour eux « les certificats ne répondent pas aux normes exigées par les

services des domaines ». Les garanties foncières au niveau de la BOA sont liées à l’existence

d’un titre foncier ou d’un certificat de situation juridique. Pour ce qui est du certificat foncier, il peut y avoir un écart entre le discours et la pratique : dans le discours, la BOA n’accepte pas les certificats fonciers comme garantie, mais il existe néanmoins des cas (crédit de groupe notamment) où certains ménages ont mis leurs certificats fonciers en garantie (Rakotomalala, 2011). Les caisses CECAM n’acceptent comme garantie des emprunts dans les pratiques que le titre foncier ou un certificat de situation juridique. Dans cette institution, ce sont 9%35 des encours de crédit de l’année 2009 qui ont été octroyés sur la base de garanties foncières. Pour

35

93 l’ensemble des caisses OTIV d’Ambatondrazaka, ce taux monte à 45% et peut se comprendre du fait notamment de la diversité des justificatifs fonciers acceptés dans cette institution financière : titre foncier et certificat de situation juridique, mais également certificats fonciers et «petits papiers». Cependant, l’OTIV restreint le niveau des montants pour les ménages qui fournissent des «petits papiers» comme garantie par rapport aux autres types de garantie foncière: les ménages avec des «petits papiers» reçoivent entre 100000 (37 euros) et 200000 (74 euros) Ar par ha en moyenne tandis que les autres reçoivent en moyenne entre 400000 (148 euros) et 450000 (166 euros) Ar par ha en moyenne, soit l’équivalent de 4-8% (crédit avec « petits papiers ») et 16 à 18% (autre crédit) du prix d’une rizière à bonne maîtrise d’eau.

b. Du côté de la demande

Du côté de la demande, Rakotomalala (2011), à partir d’une étude sur 96 ménages détenteurs de certificat foncier dans la commune d’Amparafaravola, note que même si l’utilisation du foncier comme garantie des emprunts n’est pas un comportement nouveau, 2/3 des ménages enquêtés sont réticents quant à la mise de leur terre (tout justificatif confondu) en garantie pour obtenir un crédit. Dans la section précédente, nous avons vu que les caisses OTIV acceptaient tous les types de justificatifs, du petit papier au titre. Rakotomalala (2011) analyse la relation entre le type de garantie et les retards de remboursement en prenant comme cas d’étude les dossiers de crédit de 122 ménages membres de la Caisse Famonjena de l’OTIV Miharivola (Amparafaravola). Il répartit les ménages en trois catégories :

 SAIN (pas de retard par rapport à l’échéance),

 VNI (retard par rapport à l'échéance de 1 à 90 jours) et

 CDL (retard par rapport à l'échéance supérieur à 90 jours).

Ses résultats (tests de khi-deux) montrent qu’il n’y a pas de différence significative de comportement entre les ménages qui posent des garanties foncières et les ménages qui posent des garanties non foncières. Par contre, en faisant le test sur les différents types de garanties foncières (titre, certificat et petit papier), il trouve les résultats significatifs suivants (Tableau 5) : « les individus mettant en garantie un titre foncier appartiennent plutôt à la catégorie

SAIN, les individus mettant en garantie un certificat foncier appartiennent plutôt à la catégorie VNI, les individus mettant en garantie «petits papiers» appartiennent plutôt à la catégorie CDL » Rakotomalala (2011 :30).

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Tableau 5 : Tableau des signes entre les variables (garanties foncières/Retard)

Source : Rakotomalala (2011)

L’auteur met en évidence une relation entre le type de justificatif de propriété en possession et le comportement en matière de remboursement des ménages. Pour justifier ces résultats, il reprend l’argumentaire de Rakotondraisoa (2007) pour qui « la vente aux enchères

des terres s’avère inapplicable pour deux raisons : les recours à des huissiers de justice passent par une procédure complexe et qu’il est déshonorable36

qu’un habitat du village se porte acquéreur d’un bien appartenant à un autre habitant. Ces deux raisons procurent au débiteur le sentiment d’être inattaquable (Rakotondraisoa (2007) in Rakotomalala, 2011 :

37). Ce sentiment d’être inattaquable semble être plus présent chez les ménages qui donnent des « petits papiers » comme garantie de leurs emprunts selon cet auteur.

Cependant, les difficultés de remboursement ne peuvent être uniquement reliées au type de justificatif de propriété. Les chocs de production et la faiblesse des revenus des ménages peuvent être des déterminants de leur capacité de remboursement. De plus, dans leur politique de recouvrement, les institutions financières accordent dans un premier temps, des délais supplémentaires de remboursement aux ménages en difficulté. C’est après cette étape qu’elles procèdent à des visites au sein des ménages. Pour les ménages concernés, ces visitent s’apparentent à une « pression morale et sociale » qui les conduit le plus souvent à vendre un actif (bœufs, terre), à prendre un crédit relais ou à céder leurs terres en location pour rembourser leurs crédits. Cette expérience influence le comportement futur des ménages et de leur entourage. En effet, la peur de se retrouver dans cette situation est une des causes de l’auto exclusion des ménages du crédit formel.

Pour ce qui est de l’utilisation du certificat foncier comme garantie des emprunts, le projet BV Lac2 a mené en 2009-2010 une enquête à travers la Cellule Foncière de l’Alaotra qui a porté sur près de 1900 parcelles, réparties dans trois communes, deux avec guichets fonciers, une sans ; et dans les communes avec guichets, sur des nombres élevés de parcelles certifiées et de parcelles non certifiées. Les résultats montrent que « le certificat,

contrairement aux attentes, au moins à court terme, ne sert pas spécialement à garantir des opérations de crédit. Manifestement, cette situation est due tant à la perception des usagers

36

Ce serait une rupture du « fihavanana » (forme de lien social) et entraînerait la honte sur toute personne qui se portera acquéreur. Titre Foncier Certificat Foncier Petit Papier

SAIN + - -

VNI - + -

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qu’aux pratiques des organismes de crédit » (Rochegude, 2010 : 20). Les pratiques des

institutions résident dans l’acceptation de plusieurs types d’actifs (maison, brefs de traits, bicyclette etc.) comme garanties des emprunts. Les ménages ne sont donc pas obligés de mettre leurs terres en garantie surtout s’il y a un risque qu’ils les perdent. Du côté de la demande, la sous-utilisation du certificat foncier provient des motivations dans la demande d’un certificat foncier. En effet, la sécurisation foncière est la principale préoccupation des ménages. (100% des ménages ayant un certificat) ; l’accès au crédit n’apparaît qu’au second plan pour 9% des ménages enquêtés dans la commune d’Amparafaravola.