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PARTIE I : CADRAGE THEORIQUE, PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE

CHAPITRE 2 - LE CONTEXTE MALGACHE

3.1 La question foncière

3.1.1 L’évolution des politiques foncières à Madagascar

3.1.1.1 Avant 2005 : une gestion centralisée basée sur la présomption de domanialité

D’après Teyssier et al. (2008), la politique foncière suivie jusqu’en 2005 s’est figée sur des principes établis à l’époque coloniale. En effet, durant la colonisation et même après l’indépendance de Madagascar, les autorités françaises et les gouvernements successifs à Madagascar ont instauré et conservé, en s’inspirant du Torrens Act13, un dispositif administratif centralisé nécessaire à l’application d’un système domanial. La présomption de domanialité stipule que les terres non titrées appartiennent à l’État, qui décide d’accorder des droits de propriété à ceux qui réalisent une mise en valeur (Teyssier et al., 2008).

La procédure d’immatriculation s’est révélée au cours des années, longue, coûteuse et inadaptée à la demande des ménages. En effet, elle compte 24 étapes, dure en moyenne 6 ans et est évaluée en moyenne à 507$14 US sur un hectare de rizière, soit à peu près deux ans du revenu moyen malgache ou le prix d’un demi-hectare de rizière irriguée (Teyssier et al., 2009). « Ainsi, en 110 ans, l’administration foncière

s’est progressivement paralysée; elle n’est parvenue à délivrer que 400 000 titres

13 « Ce système se base sur une présomption de domanialité, principe selon lequel la terre est présumée appartenir à l’Etat. Ainsi, l’Etat est en situation d’accorder des droits de propriété à ceux qui réalisent un effort de « mise en valeur ». Par l’établissement d’un titre de propriété inscrit dans un registre foncier, l’Etat reconnait un droit incontestable, opposable aux tiers » (Teyssier et al, 2009 : 274).

14 Les écarts vont de 262 à 667 $ US et l’évaluation de ce coût a été réalisée en 2006-2007 auprès de 11 circonscriptions foncières (sur 33) et sur analyse de 179 procédures d’immatriculation foncière individuelle (Teyssier et al., 2009).

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fonciers dans un pays qui compte autour de 5 millions de terrains agricoles et urbains. Le rythme de délivrance des titres stagne depuis 15 ans avec en moyenne 1 500 titres fonciers délivrés chaque année » (Teyssier et al., 2009 : 275).

La faiblesse des terres titrées, la paralysie de l’administration et les procédures coûteuses et inadaptées ont contribué à engendrer un sentiment d’insécurité généralisé qui peut avoir des incidences sur la propension à investir des ménages, comme le souligne le Ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche : « l’investissement privé est contrarié par l’imbroglio sur le foncier : les

producteurs ruraux ne sont pas incités à des investissements durables sur leurs terrains. Ils n’ont aucun intérêt à bonifier des parcelles dont ils ne sont pas assurés de l’exploitation à long terme » (MAEP, 2005 : 3-4). Cependant, ce sentiment

généralisé d’insécurité doit être nuancé car en réponse à la faillite du système domanial, les ménages ont inventé ce que Teyssier et al. (2008) appellent des « modalités locales de gestion foncière par défaut ». Ces modalités se matérialisent par divers « petits papiers » tamponnés par un service de l’État. « Il s’agit de

documents issus de différents services publics qui peuvent attester d’un droit, de manière indirecte, soit d’actes sous seing privé, validés par les collectivités. Malgré l’absence de normes nationales, ces « petits papiers » sont établis de manière identique sur l’ensemble du territoire. Ils mentionnent l’identité du titulaire des droits, celle de son voisinage, une estimation de la surface, des indications sur l’occupation du sol et sur l’origine des droits » (Teyssier et al., 2008 : 22). Ces

« petits papiers » accompagnent la plupart des transactions foncières (achat/vente et faire-valoir indirect), même s’ils ont une faible valeur juridique et que le sentiment de sécurité qu’ils confèrent a une portée qui est limitée au niveau local (Sandron, 2008 ; Teyssier et al., 2008). Pour certains ménages, cette reconnaissance locale est cependant suffisante à court terme par rapport à la reconnaissance légale (titre ou certificat)(Boué, 2013).

3.1.1.2 Depuis 2005 : abandon de la présomption de domanialité et mise en place du programme national foncier

Au vu de ce constat, un programme national foncier mis en en place en 2005 a pour objectif de « répondre à la demande massive en sécurisation foncière, dans de

brefs délais et à des coûts ajustés au contexte économique, par la formalisation des droits fonciers non écrits et par la sauvegarde et la régularisation des droits fonciers

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écrits » (Bertrand et al., 2006 : 18). Cette politique foncière repose sur quatre axes

stratégiques :

 La restructuration, la modernisation et l’informatisation des conservations foncières et topographiques ;

 L’amélioration et la décentralisation de la gestion foncière ;

 La rénovation de la réglementation foncière domaniale ;

Un plan national de formation aux métiers du foncier (Bertrand et al., 2006)

Pour ce faire, la Loi 2005 – 019 (statuts des terres) et la Loi 2006 – 031 (propriété privée non – titrée) classifient les statuts juridiques des terrains à Madagascar en trois catégories :

 les terrains dépendant des Domaines de l’État, des collectivités décentralisées et des autres personnes morales de droit public ;

 les terrains des personnes privées ;

 les terrains constitutifs des aires soumises à un régime juridique de protection spécifique.

Elles suppriment le principe de présomption de domanialité et créent une nouvelle catégorie juridique dénommée « propriété privée non titrée » reconnaissant ainsi « l’emprise » et l’occupation attestée de longue date comme une présomption de propriété. « Cette loi contient une innovation majeure : la propriété privée peut

toujours être matérialisée par un titre foncier, mais elle est également reconnue sans titre » (Teyssier et al. 2009 : 281). Les ménages peuvent alors avoir recours à la

Certification Foncière qui consiste en la formalisation des droits déjà reconnus de façon coutumière, à travers une procédure locale contradictoire et opposable aux tiers (affichage, opposition)15. La gestion de la propriété privée non titrée est décentralisée et confiée aux Communes (aux maires) à travers des guichets fonciers, qui fonctionnent en parallèle avec les services fonciers ou services des domaines pour l’immatriculation. « La valeur juridique du certificat est identique à celle du titre, à la

différence près que le titre est réputé inattaquable et peut être opposé à un certificat foncier si une procédure de certification mal réalisée superpose un titre ou un

15 « Une commission de reconnaissance locale, composée de représentants élus de la commune et du fokonololona, est chargée, suite à une séance publique et contradictoire sur le terrain, d’établir un procès-verbal enregistrant les droits revendiqués et d’éventuelles oppositions. Sur la base de ce procès-verbal, l’agent du guichet foncier prépare un certificat foncier et le soumet à la signature du maire » (Teyssier et al., 2009 : 283).

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certificat » (Teyssier et al., 2009 : 282). Le Certificat foncier ne remplaçant pas le

titre foncier, elle est une option supplémentaire pour les ménages qui ont ainsi le choix entre ne pas formaliser leur droits de propriété, ou les formaliser sous la forme d’un « petit papier », d’un certificat foncier ou d’un titre foncier.

En 2011, 400 des 1600 communes de Madagascar (soit 25%), disposaient de guichets fonciers et 68000 certificats avaient été délivrés (Burnod et al., 2012). L’étude de la perception et des effets de la réforme foncière au niveau des ménages (Burnod et al., 2012) montrent que les ménages qui demandent des certificats fonciers sont motivés par trois principales raisons : se protéger de toute contestation, offrir une sécurisation aux descendants et mettre fin à un conflit. Cependant, le certificat foncier n’est pas automatiquement substitué aux « petits papiers » parce que ces derniers sont moins onéreux et se caractérise par une étendue des droits formalisés. Cette étude montre aussi qu’il n’existe pas pour le moment un lien entre certificat foncier et accès au crédit formel, les garanties foncières étant rarement utilisées. Cependant, les certificats fonciers portent généralement sur des parcelles où le ménage a déjà fait des investissements. La certification aurait alors pour objectif de sécuriser ces investissements et de renforcer les droits du propriétaire de la parcelle.

3.1.1.3 Continuités et évolutions du droit coutumier

Indépendamment du cadre légal ou des politiques publiques, le foncier à Madagascar doit s’envisager également sous l’angle de la coutume. Selon Raharison (2006), les droits coutumiers malgaches sont fortement liés à la période antérieure au Code des 305 articles (recueil de droit civil et pénal) promulgué en 1881 par la Reine Ranavalona II, et qui est la version modernisée des lois du royaume et le premier système de lois codifiées malgaches (Raharison, 2006).

Ce droit coutumier foncier se matérialisait par des possessions communes. La délimitation de ces espaces résultait, selon Raharison (2006), d’une entente entre villages voisins et chaque zone formait ainsi les territoires de chaque clan qui devenaient par la suite des terres ancestrales. « Il n’y avait effectivité de situation

juridique sur ces terres mais tout simplement c’étaient la tradition orale, les us et coutumes qui présidaient à la présomption de possession des terres » (Raharison,

2006 : 4). Les droits sur la terre s’exprimaient traditionnellement en termes de lignage et ancré dans la notion de « premier occupant » (Droy et al., 2010). Dans ces lignages,

65 les terres étaient indivises, inaliénables et gérées par l’aîné, et transmises aux descendants.

Droy et al., (2010) montrent cependant que les droits ne sont jamais définitivement acquis et que l’incertitude règne . « Les grandes tempêtes tropicales

(comme Cynthia en 1991 ou Gafilo en 2004) provoquent des crues qui détruisent canaux et barrages (…).À chaque fois, tout est à recommencer. Les anciens droits sont peu pris en compte. L’important est le potentiel en force de travail et en pouvoir de négociation des lignages en présence. Un groupe qui dispose de beaucoup de jeunes adultes vigoureux pourra redimensionner le nouveau terroir à son avantage. Il en résulte des situations foncières complexes, floues et peu sûres. Les litiges se règlent davantage sur la base de rapports de force que sur le recours au droit » (Droy et al., 2010 : 1).

L’autonomisation à la fois foncière et sociale prise par la famille nucléaire ont conduit de plus en plus au partage de ces terres lignagères, ce qui engendre souvent des conflits entre membres du même lignage (Chazan-Gillig et al., 2006 ; Schlemmer, 1977 in Droy et al., 2010). Les droits sont ainsi de plus en plus individualisés dans certaines régions de Madagascar ou sur un certain mode d’exploitation, comme la riziculture (Droy et al., 2010). Cependant, cette individualisation des droits reste ancrée dans des principes coutumiers pour maintenir le lien social. C’est en ce sens que, selon le registre coutumier, les ventes de terres sont permises mais la terre doit être proposée en priorité au sein de la famille16 et les ventes aux étrangers doivent d’abord être validées par le clan (Raharison, 2006). Cet auteur ne mentionne pas cependant de règles particulières en ce qui concerne le faire-valoir indirect dans le registre traditionnel.