• Aucun résultat trouvé

Entre l’ici et l’ailleurs, le passé et le présent : qu’en est-il du futur?

4. PRÉSENTATION ET ANALYSE

4.2 Profil identitaire et les stratégies identitaires

4.2.4 Entre l’ici et l’ailleurs, le passé et le présent : qu’en est-il du futur?

Le projet identitaire comme le projet d’intégration se dégagent également à travers la capacité à se projeter vers l’avant, à visualiser une certaine représentation de son futur. La discussion à propos de la vision de l’avenir des cinq répondants s’est réalisée à partir de quelques questions directement formulées dans ce sens (ex. comment imagines-tu ta vie dans cinq ans ou dans 20 ans?) ou par l’intermédiaire des exercices faits autour des photos ou des objets personnels (rapporter un objet ou une photo personnel qui représente ta vision du futur). D’ailleurs pour ce segment de l’entrevue, le tableau ci-dessous, que nous avons

proposé dans la section sur la perception de soi, résume les éléments de réponses par rapport aux objets rapportés en lien avec leur représentation du futur. La configuration du tableau qui suit est identique à celle de la partie sur la perception de soi présentée plus tôt.

Tableau 10: Objets personnels (ou photos/images) rapportés Audrey CE QUI : représente le mieux ta vision du futur Carlos

21 ans, Colombie

Des photos de Montréal durant les premiers jours, Carlos voyait à ce moment-là une ouverture à un monde de possibilités plus grand qu’en Colombie et des photos de son séjour à Toronto avec son frère qui illustre les nouvelles possibilités de découverte.

Manuel

19 ans, Colombie

Une photo d’une maison et discussion autour du désir d’avoir un emploi à son image.

Carina

15 ans, Mexique

Un cartable d’école pour illustrer ses futures études en criminologie, qui s’avèrent un rêve pour elle.

Zulema

15 ans, Mexique

Le sigle de l’Université de Montréal, illustrant son désir de compléter des études en psychologie.

Olivia

21 ans, Colombie

Elle n’a pas trouvé d’objet ni d’image reflétant sa vision du futur.

Pour Carlos, sa vision du futur a changé au cours de la période postmigratoire depuis son atterrissage à Montréal jusqu’à maintenant : « J'imagine que euh c'est très difficile parce que toujours la vie va changer, pas comme au début, parce que peut-être qué demain, j'y vas partir dans une ville ou quelque chose comme ça euh maintenant, je sais pas trop. » Carlos indique que, dès les premiers jours, il entrevoyait pour lui un avenir prometteur lorsqu’il visitait les divers quartiers de Montréal et qu’il commençait déjà à développer un sentiment d’affiliation au pays en pensant que son futur serait plus grand au Québec qu’en Colombie. Il percevait les Québécois comme des citoyens ayant davantage de possibilités dans leur vie et croyait alors en avoir autant pour son avenir. Cependant, au fur et à mesure, face aux obstacles vécus dans son parcours scolaire et d’emploi, ses espoirs quant à ce futur se sont estompés les mois suivants. Tout de même, devant l’adversité, il maintient que

147

l’acquisition du français déterminera une partie de son avenir, mais il trouve toujours difficile de définir un futur et aspire à une place satisfaisante dans le marché du travail : « je pense que j'imagine ma vie, avec un bon français. […] euh attendre, je pense qu'il n'y a pas de futur, je pense qu'on doit toujours vivre le moment. Peut-être demain quelqu'un va dire 'ok Carlos en Colombie y'a una place de travail très bon pour toi […]'. Mais j'imagine quelque chose, peut-être una voiture, une maison avec mon frère...euh peut-être une fille […] et dans 20 ans, euh pas la même chose, je pense mieux que aujourd'hui, avec un bon travail comme tout le monde, en français. »

Quand la question est posée à Manuel, il prend le temps d’y réfléchir longuement et semble hésiter. Puis, finalement, Manuel montre une image d’une maison qui représente, selon lui, un symbole de stabilité et de confort et discute autour du marché du travail. Il indique qu’il ne se voit pas forcément vivre au Québec et, au contraire, qu’il se voit retourner en Colombie ou vivre dans un autre pays industrialisé comme les États-Unis parce qu’il aime bien la vie à l’américaine : « j'espère que je vais trouver un emploi, que je vais avoir mon auto à moi, hum peut-être avec une fille que ce soit une relation sérieuse et c'est tout pour le moment et peut-être dans un appartement à moi aussi, c'est ça ou peut-être, j'espère, si j'ai, si je trouve que ici au Canada, je veux pas rester ici, peut-être ça serait en l'Australie ou même aux États-Unis, une des deux. […] et dans 20 ans, ouf je sais pas, y'a pas de réponse. Vraiment je pense pas, euh je pense dans une long temps, mais pas comme ça, je peux pas. Je voudrais être en Colombie peut-être. »

Du côté de Carina et de Zulema, la vision du futur est automatiquement liée à la possibilité de faire des études universitaires. Leurs points de vue sur leur avenir sont empreints d’attentes envers le Canada, c’est-à-dire qu’elles anticipent le moment où elles pourront faire leur entrée dans le système scolaire universitaire, un monde rempli de possibilités pour ces deux filles. Carina compte rester au Canada pour, un jour, devenir criminologue : « parce que c'est de ça que je vais, c'est ce que je vais devenir plus tard. […] à partir de l'école, c'est ce que je vois dans mon futur, j'aimerais rester ici au Canada et pis un jour

être un crimini...euh un criminologiste. » Zulema soulève également l’idée que le Canada est un pays qui donne l’occasion de choisir parmi un plus grand éventail de choix quant au futur de chacun : « j'ai déjà l'idée de quel métier je veux faire plus tard, c'est la psychologie, c'est quelque chose que au Mexique c'est pas évident du tout, il y a des bons universités, mais pas dans mon état, donc il faut aller plus loin et tout ça. Donc je crois que ici il y a plusieurs opportunités, j'ai cherché sur Internet, c'est une bon pays, il y a beaucoup des options donc euh je crois que c'est ça. »

Les réponses d’Olivia quant aux questions relatives à sa représentation du futur paraissent la majorité du temps plus ou moins éloquentes et témoignent d’une confusion identitaire. D’abord, elle indique qu’elle n’a pas pu trouver d’objet ou d’image qui reflète sa vision de l’avenir, que ce soit sur le plan individuel, familial ou plus général. Parfois elle mentionne vouloir devenir actrice en donnant comme exemple une actrice connue au Mexique, parce qu’elle a pu vivre l’expérience de faire du théâtre en Équateur, mais elle réplique simultanément qu’elle n’en aurait probablement pas les capacités et qu’elle ne sait pas comment atteindre ce but :

Olivia : j'étais comme la deuxième actrice, mais j'étais contente, je les vu, je sais pas où et j'étais jeune, jeune, jeune, j'avais comme 14 ans. […] je devais apprendre beaucoup de textes, mais bon, des fois j'avais des trous de mémoire.

Audrey : et tu aurais aimé refaire encore?

Olivia : non pas encore, parce que je suis venue ici et ici c'est difficile, ici c'est difficile, je ne sais pas, je veux pas, mais je sais pas comment je me vois.

Il faut également relater les épreuves douloureuses qui perdurent en raison de ses problèmes de santé graves. Par conséquence, elle a du mal à se projeter plus loin qu’une année en avant, s’imaginer dans cinq ans ou dans 20 ans exige pour elle de s’abandonner à un rêve peut-être illusoire : « parce que des fois je deviens très mal, malade, et il y a des fois que je pense que je vais pas passer dans l'autre année, l'année passée j'étais vraiment malade, et je disais oh non peut-être je vais mourir, et non, ça dépend… ». Encore que, elle admette,

149

sous toute réserve, que si elle parvient à surpasser sa maladie, elle souhaite devenir une femme très studieuse et avoir la chance de poursuivre ses études. En parlant du possible futur, elle ne fait ni allusion à la possibilité de retourner en Colombie ni à celle demeurer au Québec, ses espoirs se concentrent plutôt à vivre, peu importe le lieu.