• Aucun résultat trouvé

Famille : négociations identitaires et situation d’acculturation

4. PRÉSENTATION ET ANALYSE

4.2 Profil identitaire et les stratégies identitaires

4.2.3 Stratégies et formes que prennent les rapports dans différents réseaux

4.2.3.1 Famille : négociations identitaires et situation d’acculturation

tableaux précédents, elle se manifeste tout de même dans leurs propos comme ayant une incidence sur leurs valeurs et leur perception de l’immigration. Pour les trois répondantes, elle représente une sphère très importante et demeure une thématique récurrente au cours des échanges, à plusieurs niveaux. Néanmoins, peu importe où les participants situent la famille sur l’axe de leurs priorités, nous pouvons repérer des témoignages s’articulant entre autres autour de la situation d’acculturation des parents, de l’influence que projettent les membres de la famille dans la trajectoire migratoire et sur le choix des relations, de nouveaux conflits intrafamiliaux… Ensuite, quand il est question de la cellule familiale, quatre des participants ne peuvent passer sous silence les bouleversements au cœur de la fratrie, positifs ou négatifs.

Au moment de l’installation, les familles réfugiées peuvent être confrontées à un système culturel différent, voire incompatible avec celui de leur pays d’origine. Ces familles semblent éprouver un choc culturel et une résistance face aux diverses expressions culturelles québécoises. Les parents ne reconnaissent pas toujours les codes culturels québécois comme étant dignes et entretiennent la mauvaise réputation de la culture d’accueil particulièrement au sein de la famille. Les parents, en général, sont déstabilisés par les nouveaux comportements des jeunes et associent directement ce changement à la nouvelle société. Toutefois, il faut prendre en compte le fait que ces jeunes peuvent d’une part être influencés par la nouvelle société, par l’intégration à de nouvelles institutions, mais d’autre part être également influencés par le fait d’être dans un processus de changement parce qu’ils sont en période d’adolescence et en période de mutation (soit d’enfant à adolescent ou d’adolescent à jeune adulte). Cette situation peut provoquer à la fois des tensions dans les rapports et des ruptures. Parfois, la période de ‘crise’ permet des négociations intrafamiliales, des réajustements et des rapprochements, mais d’autres fois elle provoque une sorte de suspension de l’expression de chacun. Les parents sont dépassés par la situation et moins disponibles psychologiquement parlant.

133

Audrey : Est-ce que tu trouves que ça, ta relation avec ta famille ça a changé depuis que tu es ici?

Carlos : ah oui! […] Oui, par exemple en Colombie, je, je parlé hum, je parlais beaucoup avec ma mère, mais pas ici.

Audrey : ah non, pourquoi ça a changé tu crois?

Carlos : ok, ma mère et mon père que parce que on a, on a ici l'argent... Audrey : l'argent?

Carlos : oui l'argent, ok, je travaille, je gagne de l'argent ici, en Colombie non. […] Je sors beaucoup ici avec l’argent parce que euh je vais pas à l’école.

Audrey : ça vous a distancés? Carlos : oui, beaucoup […]

Audrey : Est-ce qu'il y des choses que tes parents ou ta famille n’aiment pas d'ici?

Carlos : ah ok, y aiment pas euh je pense que la plus liberté de les personnes. Quand j'écoute de ma mère et de mon père, c'est la première chose qui dit 'ah au Canada, mal, tout le monde peut faire tout, c'est pas la même chose en Colombie, ça va pas...le libertinage, c'est ça, c'est trop...’

Ci-dessus, Carlos indique des différends entre lui et ses parents depuis l’arrivée. Ce qui a pour conséquence de provoquer quelques conflits et de fragiliser les relations à l’intérieur de la famille, qui demeure pourtant un lieu de socialisation important pour Carlos. Dans l’extrait suivant, Manuel fait part de tensions intrafamiliales à l’égard des changements qui surviennent dans sa personnalité et ses comportements.

Audrey : ok justement le fait que tu as changé comme tu dis, comment tes parents réagissent?

Manuel : ils sont fâchés […] oui euh ils étaient comme coutumés euh habitués que j'étais comme sérieux, beaucoup dans mes études et euh j'ai sorti par exemple j'étais beaucoup de fois à la bibliothéqua […] bon euh c'est ça ils étaient habitués que je sois sérieux, que je restais à la maison pour étudier et ici j'ai commencé à sortir et je vois pas l'obligation de dire à mes parents où je vais et je fais plus ce que je veux, je ne veux pas avoir l'obligation à chaque fois de leur dire que je vais sortir…

Puis, Zulema, pour qui la famille arrive en premier rang dans le tableau présenté plus haut, explique tout de même qu’elle ne peut pas se confier auprès de son père, parce qu’il reste une barrière difficilement franchissable entre elle et lui. Les rapports changent au sein de la

famille et mènent à des relations parfois plus distantes et des relations de confiance moins accessibles.

Audrey : ok et penses-tu que tes parents te connaissent bien? Zulema : hum c'est difficile de dire, je crois que oui et non. Audrey : De quels sujets ne pourrais-tu pas parler avec tes parents? Zulema : hum je sais pas, il y a des choses, des choses d’ici, je parle pas toujours à mes parents, je sais pas, des choses de l'école...des amis.

Audrey : ok, ok. Puis est-ce que tu sais ce que ta famille pense de la société ici?

Zulema : euh je sais que ils aiment beaucoup et ils sont très contents, ils veulent remercier du mieux qu'ils peuvent parce que ils nous ont aidés vraiment beaucoup dans le pire moment que on a eu, donc je crois qu'ils sont très fiers d'être ici.

Audrey : oui et est-ce qu'ils trouvent des points plus négatifs?

Zulema : euh je crois pas, mais je crois qu'ils ont peur que la jeunesse est comme elle est, ils ont peur que surtout moi je vais être comme eux, ils aiment pas les choses de ici, c’est pour ça que je parle pas des choses de ici.

L’un des problèmes discutés par les répondants, c’est la fragilisation de l’organisation et des rapports intrafamiliaux pour diverses raisons, mais notamment parce que la situation d’acculturation et que la perception du départ divergent entre les membres de la famille. Pour la petite sœur de Zulema et celle de Carina, le fait d’immigrer au Québec est perçu plutôt négativement et elles ont du mal à s’adapter, particulièrement à l’école. D’ailleurs, la famille de Carina envisage de consulter un intervenant spécialiste dans la problématique des troubles anxieux pour ainsi aider la petite sœur de Carina. Celle-ci n’arrive pas à apprécier le cadre scolaire au Québec et, au cours des journées d’école, son stress génère des nausées graves chez elle.

Certains s’accoutument plus rapidement que d’autres, entrevoient leur nouvelle vie comme une occasion de progresser sur divers plans, tandis que d’autres se sentent bloqués et pressentent le moment où ils devront retourner dans leur pays d’origine et ce, en dépit des pertes que cela peut susciter.

135

Carina: mon père il aime ici et ma mère pense qu'il y a trop de discrimination ici, mais c'est quand même parce que on parle pas le français pis euh ils peuvent pas nous comprendre.

Audrey : ok, ça ce sont les points plus négatifs, selon toi, qu'est-ce qu'ils aiment de la société d'ici, tu crois?

Carina: hum ma mère euh que c'est plus propre ici que là-bas au Mexique et tout ça, que il y a beaucoup des activités, en hiver, été...

Audrey : ok et ton père?

Carina : hum mon père, il aime tout.

Audrey : ok et est-ce qu'ils te parlent souvent du Mexique?

Carina: ma mère oui, tout le temps, dit que oh au Mexique, si j'étais au Mexique je étais en train de faire quelque chose comme ça ou comme ça, elle me parle beaucoup de ce qu'elle ferait là-bas. […] mais mon père non, lui il dit ‘ah la semaine prochaine on va faire une activité, ah la semaine prochaine on va aller au parc’ et plein de choses comme ça.

Audrey : ah ok, il pense à ce que vous pouvez faire ici. Carina : oui.

Audrey : ok. Et est-ce que tu penses que tes parents voudraient retourner au Mexique? Est-ce que tu crois qu'ils y pensent?

Carina : hum, hum, ma mère, pas mon père. Audrey : toi tu aimerais y retourner?

Carina : euh juste aller pis revenir tout de suite. […] Comme euh quand ma mère elle commence à me parler et elle me dit que on va retourner au Mexique décembre ou janvier et je me sens comme mal parce que je veux être ici, pas au Mexique.

Audrey : ok, c'est comme euh tu penses que ça représente quelle émotion? Carina : tristessa.

Audrey : ok et est-ce que ça arrive souvent que ta mère en parle? Carina : oui, presque tous les jours.

Carina de même que Manuel stipulent, au moment des deux entretiens, qu’il y a un certain tiraillement au cœur de la famille par rapport à la position qu’opte chaque membre de la famille sur l’immigration. D'un côté, le père insiste pour faire voir l’importance de l’intégration dans le nouveau pays; de l’autre côté, la mère envisage la possibilité de retourner dans le pays d’origine ou vice-versa.

Audrey : ok. Et est-ce que tes parents te parlent souvent de la Colombie? Manuel : oui, je sais que mon père veut aller en Colombie, il va retourner un jour. Il parle souvent.

Audrey : ah oui pour vivre?

Manuel: oui, mais des fois il sait pas, il pense avoir la citoyenneté canadienne un jour et là il sait plus, mais il aimerait vivre en Colombie. Mais faire la citoyenneté, c'est long.

Audrey : ah ok. Et ta mère?

Manuel : ah ça je sais pas, je sais pas ce qu'elle pense faire, je sais pas si elle aime ici.

Audrey : D'après toi, qu'est-ce qu'ils pensent de la Colombie?

Manuel : mon père aime c'est certain, c'est notre pays, c'est son pays, c'est sa vie, il a un bon travail là-bas et tout. Pour ma mère, je sais pas, je pense que c'est de la peur aussi, de mourir et tout, elle a peur. C'est ça. C’est des problèmes entre les deux des fois, ça fait des problèmes tout ça.

Les rapports changent, soit qu’il en ressort de nouveaux conflits et un éclatement des rôles dans la sphère familiale, soit que les liens se solidifient entre tous les membres de la famille ou entre certains membres. C’est ainsi que Carlos qualifie son rapport avec son frère Manuel, autrefois plutôt distants, les deux frères se sont rapprochés depuis leur arrivée au Québec.

Audrey : et ton frère? Avec ton frère, est-ce que ça a changé ta relation depuis que vous êtes ici?

Carlos : mais le contraire [contraire à la relation avec ses parents]. En Colombie, il avait ses amis, et moi mes.

Audrey : ok.

Carlos : oui et ici, on est tellement! Audrey : vous êtes plus ensemble?

Carlos : ah oui, ici, mon meilleur ami c'est mon frère! Audrey : ah oui.

Carlos : c'est fou parce que en Colombie c'est pas comme ça.

Pour Zulema, l’exil au Québec a permis à sa famille de s’unir, de s’entraider et d’assembler ses forces pour surmonter les obstacles de l’intégration : ‘c'est une famille plus unie, le bon côté de ma famille c'est que toujours on va se battre dans les bons moments ensemble et aussi les mauvais moments. On passe des bons moments ensemble, et euh des très mauvais moments comme de très bons moments et euh on est toujours là.’