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2. CADRE THÉORIQUE

2.2 Stratégies identitaires en contexte d’exil

2.2.1 Classification des stratégies identitaires

Plusieurs types de stratégies identitaires sont répertoriés, le nombre et l’appellation varient selon les auteurs qui les abordent. Le recours à ces stratégies peut varier dans le temps et en fréquence d’apparition.

Bien que les typologies de stratégies identitaires de Taboada-Leonetti (1990), Malewska-Peyre (1989) et Camilleri (1996) présentent des nuances, ils se rejoignent sur le fait que les stratégies identitaires sont utilisées en fonction de la situation, des finalités et des ressources des acteurs. Ce ne sont donc pas des options définitives mais des conduites qui dépendent des circonstances et qui représentent un moyen de défense de l’identité menacée dans son unité ou dans son auto- perception positive. De plus, dans une même situation, deux individus n’adopteront pas forcément les mêmes stratégies. En effet, leurs valeurs, leur histoire individuelle (échecs et réussites passés…), leurs caractéristiques psychologiques sont autant de facteurs susceptibles d’influencer leurs interactions. (Lafortune & Kanouté, 2007) p. 41

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La typologie décrite ici découle des écrits de Kanouté (2002), Rachédi (2010), Malewska-Peyre (1993) et Manço (2006), qui s’inspirent tous notamment de la typologie de Camilleri (1990). À l’intérieur des catégories, résident plusieurs possibilités de manœuvres déployées par le sujet ou le groupe en fonction des interactions siégeant le projet d’intégration. Les stratégies formulées tentent de préserver la cohérence identitaire chez l’individu.

Les stratégies déclinées ci-dessous se fondent sur trois axes :

• De cohérence simple ou réductrice: éviter le conflit par le rejet de l’une des deux ou les deux cultures (séparation, assimilation …)

• De cohérence complexe ou synthétique et syncrétique: articulation des deux cultures (ou plus) dans l’éventualité d’une intégration ou d’une identité hybride : d’un équilibre identitaire.

• De détachement : le rejet des deux cultures, ni d’origine, ni d’accueil (marginalisation…)

— La séparation : Cette stratégie place l’individu au cœur de sa culture d’origine, mais fait part d’une renonciation de la culture d’accueil. L’individu valorise ou revalorise la place de sa culture d’origine au dépend de la culture d’accueil, peut éventuellement mener à une idéalisation de sa culture (Marti, 2008). En préservant sa culture, l’individu peut se cantonner dans un cadre de repères familiers, mais peut le cas échéant restreindre son accès à l’Autre et à sa propre intégration. Tout de même, il faut comprendre que cette stratégie peut révéler sécurisante au cours des premiers instants à l’arrivée dans le pays hôte.

— L’invisibilité ou « assimilation individuante » : Cette réaction vise l’intériorisation totale de la culture dominante (Malewska-Peyre, 1993; Kanouté, 2002). Les demandeurs d’asile et les réfugiés pouvant être vus comme des

« indésirables », au niveau politique ou socialement, certains pensent qu’il est à leur « avantage » social de se conformer totalement à toutes les attentes de la culture dominante dans la société d’accueil. Le coût psychologique est cependant extrêmement élevé parce que cela requiert une certaine autocensure. À travers des lectures et dans le cadre de conférences où certains jeunes venaient témoigner, un phénomène similaire ressortait, nommé personnellement « l’endettement symbolique ». Il s’agit plus que d’une reconnaissance envers la nouvelle société. Il s’agit plutôt de considérer le pays d’accueil comme un sauveur et qu’il y a une dette morale éternelle envers ce pays. De la sorte, il n’y a aucune possibilité de critiquer la culture dominante et, donc, de se comporter en citoyen libre. C’est également une façon d’éviter le conflit identitaire et, au lieu de conjuguer avec deux cultures de manière consensuelle, le sujet met de côté sa culture d’origine pour se plonger dans la culture d’accueil. Cette stratégie peut s’avérer conflictuelle chez le jeune dans la mesure où le reste de sa famille, par exemple, n’adopte pas du tout cette stratégie et que le jeune ne parvienne pas à concilier les stratégies identitaires personnelles de celles de sa famille ou autre espace social qui lui est important.

— L’intégration : Ce qui permet l’appropriation de valeurs de la société d’accueil sans tout de même renier et mettre de côté sa culture d’origine. Selon les écrits, l’individu se positionne dans les deux cultures : celle d’origine et celle d’accueil. Les opérations mises en œuvre ont pour finalité la cohabitation de deux visions culturelles. Il y a ici une composition entre les contraintes de l’acculturation (adaptation à la culture d’accueil) et la recherche d’un équilibre identitaire ontologique (Camilleri, et al., 1990).

— La marginalisation : il arrive que certains réfugiés vivent la séparation de leur famille au cours du voyage entre le pays d’origine et le pays d’accueil, ce qui peut amener à un sentiment de culpabilité. Dans certains cas, le sentiment est si puissant qu’il peut alimenter une attitude de marginalisation en coupant les liens

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d’investissement avec la culture d’accueil, mais aussi avec la culture d’origine (Coslin, 2002; Kanouté, 2002). Le jeune se sent tellement fautif d’être dans une situation de protection dans la société d’accueil, qu’il compense avec le rejet de la culture d’accueil. De plus, le fait de pouvoir être considéré comme « indésirable » a certainement une portée sur l’acceptation de la nouvelle société. En ayant le strict minimum comme droits et services, on se sent déjà marginalisé. La marginalisation peut aussi se traduire par une difficulté de raccommoder deux systèmes de codes culturels opposés, il devient plus facile alors de se désengager que de concilier la culture d’origine avec celle de la société d’accueil (Kanouté, 2002). La marginalisation s’accentue notamment s’il y a une divergence marquante entre les deux systèmes de références culturels. Il s’agit ici d’une stratégie de détachement, puisque le sujet ne parvient pas à se positionner dans aucune des cultures et se situe alors dans une troisième voie (Lafortune, 2006).

Aussi, face à la dévalorisation de l’identité, Malewska-Peyre conçoit une typologie qui vise à diminuer ou éviter la souffrance d’une identité négative dont;

— L’intériorisation de l’image dévalorisée : Par une perte des repères sociaux, le jeune réfugié arrive à croire qu’il serait plus simple de suivre le cours des stéréotypes véhiculés (Malewska-Peyre, 1993). De la sorte, on se soumet à l’image négative envoyée de nous-mêmes et l’on maximise les différences culturelles, qu’elles soient véritables ou non. On maintient des aspects culturels en accentuant les contrastes. Quand le jeune est cognitivement déstabilisé, ce qui est souvent le cas des réfugiés, un tel mécanisme permet de diminuer la souffrance et l’anxiété et de se trouver des points de repère dans sa structure identitaire.

— La déréalisation de la réalité : Cette attitude concerne la négation des propos racistes ou discriminatoires envers sa culture (Malewska-Peyre, 1993). L’individu évite cognitivement ou physiquement toute situation où il pourrait être

confronté à un conflit entre sa culture et la culture dominante. Dans ce cas, cela peut tenir lieu d’un choix individuel, mais à d’autres moments, c’est le contexte qui impose une telle situation où l’individu ne retrouve pas d’espace où se rencontrent pleinement les deux cultures et ainsi renforce cette déréalisation de la réalité.

D’autres mécanismes face à une identité négative peuvent intervenir dans le processus identitaire du jeune réfugié, certains plus réactifs, d’autres plus défensifs. Parfois ils s’avèrent nuisibles et paralysent la mobilisation de stratégies par cohérence complexe s’ils persistent dans le temps. Par contre, ils peuvent appelés à être remplacés par des stratégies dites plus ‘positives’ si l’environnement est propice à supporter la construction d’une identité fonctionnelle, en accord avec les sentiments axiologiques de l’individu et les représentations sociales et culturelles.

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