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L’itinéraire narratif du personnage

Dans le document Instantanés et destins (Page 114-118)

Un arbre dans Babylone)

VII.1. L’itinéraire narratif du personnage

Marc-Antoine Pélonque, le protagoniste du récit, est un général ayant pris part, en sa qualité de pilote, à la Deuxième Guerre mondiale, durant laquelle son avion a été bombardé. Il a convolé en justes noces avec Pauline :

« Pélonque contrôlait les rapports et dessinait en sous-main les affiches. Sa

haute taille et son air de gloire en imposaient encore dans les cérémonies d’anniversaire qui ponctuent la monotonie des jours de paix. Il s’était marié récemment, un vendredi. La belle-famille avait ses raisons, mais Pélonque ne pouvait oublier que la viande avait manqué au repas de noces. Il revoyait la table, pouvait redire mot à mot les compliments, mais exactement pourrait-il donner la couleur des yeux de sa femme, la silencieuse Pauline ? Exactement ? Non qu’il fût mal tombé, mais cela s’était fait comme son combat aérien : l’autre avait eu le dessus »188.

Doté d’un tempérament enclin à un certain fatalisme, Pélonque regardait s’écouler son existence monocorde, sans réagir, jusqu’à la rencontre inopinée de sa future maîtresse, au cours d’un meeting aérien. L’irruption de ce nouveau personnage féminin, sur la scène narrative, représente un élément perturbateur, qui a pour effet de rompre l’équilibre initial et d’introduire, de ce fait, de la diversité dans la monotonie. Henriette, qui est une amie d’enfance de Pauline, est l’exacte antinomie de celle-ci. Si la deuxième se révèle taciturne, la première s’impose, de toute évidence, par sa volubilité, laquelle volubilité fait prendre conscience, paradoxalement, à Pélonque des qualités insoupçonnées de son épouse :

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« Il rencontra sa future maîtresse un dimanche, , dans la tribune d’un

meeting aérien. Elle avait les cheveux fous et l’œil bleu. Pauline en avait quelquefois parlé. Cette Henriette qui tenait une agence littéraire était une amie d’enfance de sa femme. Pélonque l’écouta de la bonne oreille et découvrit dans la voix étrangère la jeunesse de son épouse qui ne l’en avait jamais entretenu. Henriette avait mille histoires dans son sac. Pélonque ne découvrit jamais tant sa femme que pendant les semaines qu’il écouta Henriette. Elle venait le chercher à la sortie de l’Organisation de la Paix, en bordure du Bois, et le reconduisait jusqu’à sa porte. Pélonque retrouvait son épouse muette et il lui paraissait qu’il venait la trahir en quittant la volubile Henriette. Où était donc la jeune fille farceuse d’autrefois ? Pas ici, dans cet intérieur Louis XVI aux pendules toujours arrêtées, mais dehors, dans les allées et venues, dans la voix de l’échevelée »189.

Sur le plan sémiotique, la coexistence de deux programmes narratifs (PN) retient l’attention de l’analyste : un PN principal, qui régit l’ensemble de la nouvelle, et un PN d’usage, le précédant et constituant une condition préalable à sa réalisation. Nous tenterons de le démontrer dans la suite de notre lecture du texte. Ainsi, la première transformation, survenant au cours des événements, est de type disjonctif et se solde par la séparation (à tout le moins affective) de l’acteur avec son objet de valeur. D’où découle le PN suivant :

F(S) n (S1 ∩ O1) (S1 U O1),

où S1 s’incarne en la personne de Pélonque et O1 représente son épouse, Pauline. Il s’agit, comme nous l’avons susmentionné, d’une transformation disjonctive consécutive à la perte de l’affection de Pélonque à l’endroit de sa femme ; il n’éprouve plus d’attirance pour elle. Quant au PN d’usage, il s’écrit :

F(S) (S1 U O2) (S1 ∩ O2).

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Dans cette nouvelle schématisation, S1 est toujours Pélonque, alors que O2 figure, cette fois, Henriette, sa maitresse. Après leur rencontre, il entame une liaison avec elle, sans en deviner les réelles motivations.

Au terme du récit, se produit une nouvelle transformation conjonctive, instaurant par là une situation narrative inédite, qui permet à Marc-Antoine de se conjoindre, une fois encore, à sa femme :

F(S) (S1 U O1) (S1 ∩ O1).

Ce qui nous amène, par voie de conséquence, à établir une étroite corrélation entre le désir triangulaire et le PN d’usage, l’un présupposant l’autre. Ce dernier est convoqué pour servir le fonctionnement efficace et la réussite du désir triangulaire. Nous essayerons, dans le schéma ci-après, de rendre compte de cette relation : Objet désiré (Pauline)

Sujet désirant (Marc-Antoine) Médiateur (Henriette)

La médiation d’Henriette, grâce, notamment, à ses propos élogieux sur Pauline, ravive le désir dans le cœur de Marc-Antoine pour sa femme, et ranime la flamme naguère éteinte.

Néanmoins, Marc-Antoine ne manque pas d’éprouver un sentiment de culpabilité, lorsqu’il étreint sa maîtresse au moment de prendre congé d’elle, afin d’aller rejoindre son épouse. Les deux femmes possèdent des tempéraments antinomiques, comme le souligne la citation suivante :

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« Pélonque retrouvait sa femme muette et il lui paraissait qu’il venait la

trahir en quittant la volubile Henriette. Où était donc la jeune fille farceuse d’autrefois ? »190.

Un peu plus loin, dans le même texte, cette hypothèse de lecture se confirme davantage, lorsque le narrateur cède la parole, par délégation, à l’amie de Pélonque qui commente ainsi le nouveau comportement qu’elle affiche :

« -Elle s’est refroidie, laissa tomber Henriette, et Marc-Antoine lui

découvrit un sourire méchant. Cette lèvre supérieure que deux rides relèvent à peine et font un peu trembler »191.

L’importance de l’espace se révèle cruciale quant à la détermination du caractère des acteurs de la diégèse, et la relation métonymique entre le lieu et le personnage s’impose à l’attention d’un lecteur vigilant, dans la mesure où l’un surdétermine l’autre :

« Où était donc la jeune fille farceuse d’autrefois ? Pas ici, dans cet

intérieur Louis XVI aux pendules toujours arrêtées, mais dehors, dans les allées et les avenues, dans la voix de l’échevelée »192.

Conséquemment à son union conjugale avec Marc-Antoine, Pauline adopte une nouvelle attitude empreinte de taciturnité. Cette rupture de la communication entre les personnages, ou à tout le moins sa diminution, est probablement à l’origine de la transformation disjonctive affectant la relation actantielle :

190 Daniel Boulanger, op. cit., p. 306.

191 Ibid., p. 310.

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« Pauline si close aujourd’hui était la plus folle du pensionnat, la compagne

des diableries »193.

Dans le document Instantanés et destins (Page 114-118)