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Évolution et avatars du personnage

Dans le document Instantanés et destins (Page 22-34)

Chapitre I : La problématique du personnage de fiction

I.2. Évolution et avatars du personnage

S’il est vrai que le personnage n’est point l’apanage exclusif de la littérature narrative – d’autres productions comme le cinéma, la bande dessinée ou, plus récemment, la télévision se sont accaparé cette figure centrale -, il n’en demeure pas moins que c’est dans le domaine narratif que celui-ci trouve sa meilleure expression, la plus accomplie. Néanmoins, il faut convenir qu’il est difficile de définir et de cerner l’expression littéraire du personnage, tant les écrivains ont recouru à divers procédés afin de le présenter au lecteur.

Ainsi, c’est en vertu de leur conception philosophique et littéraire que les auteurs optent pour une présentation minutieuse des personnages, ou bien, choisissent la tendance inverse, consistant à réduire l’image de ces êtres à une description sobre. Dans ce dernier cas de figure, la coopération interprétative du lecteur est particulièrement sollicitée : il s’agit de combler les blancs sémantiques, délibérément ménagés par la narration :

« Si, comme on va le montrer, le texte est une machine paresseuse qui exige

du lecteur un travail coopératif acharné pour remplir les espaces de non-dit

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ou de déjà-dit restés en blanc, alors le texte n’est pas autre chose qu’une machine présupositionnelle »19

En outre, les forces agissantes au sein d’un récit ne sont pas toujours anthropomorphes, tant s’en faut. Aussi, un écrivain peut-il choisir de mettre en scène, dans son histoire, des entités non humaines, des animaux ou certaines réalités physiques du monde. Le cas des Fables est célèbre et se passe de commentaires. L’histoire de la littérature nous offre, à cet égard, force illustrations. Edouard Estaunié, dans Les choses voient, dotera les objets de la faculté de parole, à l’instar des personnages. C’est également le cas pour Manhattan Transfert de Dos Passos, et Ulysse de Joyce. Cette extension sémantique de la notion problématique de personnage incitera la sémiotique narrative à lui préférer le concept d’actant, plus opératoire et plus fonctionnel, afin de rendre compte de l’intervention d’entités inanimées au sein de la diégèse (la ville, la colline…).

Par ailleurs, la construction du personnage, autant que son expression littéraire, ne sont point indifférentes, ni fortuites. Elles dépendent du système de pensée dont le personnage est le véhicule et qu’il est chargé d’incarner, mais plus largement aussi du discours littéraire qui prévaut à l’époque de l’écrivain. Ce système est fortement ancré dans une civilisation et une culture. Ainsi, l’écrivain peut choisir de réfracter, au sein de son œuvre, une image conventionnelle du personnage. Il dispose, à cet effet, d’une palette de moyens et de discours sociaux (idiolectes et sociolectes) pour rendre compte du langage de ses personnages : il fera parler le politicien comme un politicien, le financier comme un financier, et le cuisinier comme un cuisinier, pour ne citer que ceux-là. On comprend, dès lors, qu’au fondement de cette expression du personnage, il y a une conception mimétique et référentielle de la littérature. La tendance inverse consiste à déconstruire et à subvertir le discours sur le personnage, tâche à laquelle se sont attelés les tenants du Nouveau Roman. Ainsi, la remise en question des conventions romanesques a

18 Umberto Eco, Lector in fibula, Paris, Grasset, 1990 (1ère edition 1985), p. 29.

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jalonné l’histoire de la littérature. Que l’on pense, à titre d’illustration et loin de tout souci d’exhaustivité, à Jacques le Fataliste de Diderot, dans lequel le philosophe des Lumières s’applique à démontrer, à grand renfort d’ironie et d’humour, le caractère foncièrement conventionnel et arbitraire du discours romanesque et de ses composantes.

Néanmoins, il n’est pas rare de trouver, au sein de la même époque, deux conceptions antinomiques, deux discours antagonistes tenus sur les personnages. Ce cas de figure s’illustre au XVIIe siècle, où le roman précieux construit une image fortement convenue du personnage, au moment où le récit burlesque ne craignait pas de verser dans la caricature. C’est pourquoi, avant d’être l’incarnation d’une figure humaine, le personnage appartient comme élément privilégié à un texte, et plus largement, à un discours littéraire.

Elément primordial de ce discours, critiques et historiens de la littérature l’extraient de cet ensemble, de manière arbitraire, pour en faire la figure centrale du récit, le pivot de la diégèse. Dans Aspects of the Novel, E.M. Forster propose une dichotomie des personnages, quelque peu réductrice, mais qui témoigne de l’intérêt qu’il leur porte. Il distingue, en effet, les personnages ronds qu’il oppose aux personnages plats. Si les premiers jouissent d’une existence textuelle, riche et complexe, bénéficiant de toute l’attention de l’auteur et faisant l’objet d’une représentation majoritaire (quantitativement ou statistiquement supérieure) dans l’histoire, les seconds ont une existence épisodique, textuellement marginale, et peuvent être résumés d’un trait de plume. Cette opposition recoupe, en partie, la distinction traditionnelle entre personnage principal et personnages secondaires. Selon cette perspective, le personnage constitue une composante essentielle de la structure narrative. Par conséquent, une figure qui se signale, paradoxalement, par son absence, qui est dépourvue de signes distinctifs, est susceptible d’acquérir, au sein du roman, autant de « présence » qu’un personnage abondamment décrit. C’est que la présence ou l’absence, la présentation détaillée aussi bien que la description

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la plus sobre, constituent autant de choix stylistiques opérés par l’esthétique romanesque dans le vaste champ des possibles littéraires. Aussi, l’art de la suggestion et de l’implicite, pratiqué avec brio par Mme de Lafayette ne dépasse en rien la précision photographique d’un Balzac ou d’un Zola. Pour Michel Zéraffa :

« L’essentiel est que l’écrivain sache traduire des rapports logiques,

cohérents, l’existence (visible et intérieure) d’un personnage et le contexte social et idéologique dans lequel cette existence s’inscrit »20.

Sartre fait remarquer que la relativité est la caractéristique dominante de l’univers romanesque. Ce qui explique la réaction d’adhésion (identification) ou de rejet dont le lecteur fait l’expérience à l’endroit de tel ou tel personnage.

La présentation physique et morale du personnage est souvent tributaire d’une vision du monde caractérisant un moment déterminé d’une société ou d’une culture. Ainsi, si le roman précieux attribue au personnage des qualités abstraites et générales, conception sous-tendue par une esthétique idéaliste, le roman burlesque, en revanche, forcera le détail jusqu’à la caricature.

Cependant, de manière générale, la poétique classique, en réduisant la description physique et morale du personnage, ainsi que l’analyse psychologique, au strict minimum, n’était animée par nul souci de typicité.

L’histoire littéraire démontre, de façon éloquente, que l’esthétique de la typicité est plutôt l’apanage du XIXe siècle, et acquiert ses lettres de noblesse et sa parfaite maîtrise chez Balzac. Il s’agit en effet de peindre des individus typiques, engagés dans la réalité sociale et représentatifs de groupes déterminés :

20 Michel Zéraffa, « Personnage de roman », in Dictionnaire des Genres et notions littéraires, Paris, Encyclopaedia Universalis/Albin Michel, 2ème édition, 2003, p. 673.

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« Le problème du typique se pose ainsi : singulariser, spécifier à l’extrême le personnage pour qu’il soit, justement, représentatif, de tout un groupe. L’art du typique appartient à Balzac, mais aussi au naturalisme, et le typique occupe une place majeure dans l’œuvre de Flaubert, de Melville, de Gogol, de Tolstoï. Mais tous les personnages de Balzac ne sont pas balzaciens. Balzac consacre une véritable description aux seuls individus qui représentent la machine sociale et économique, soit parce qu’ils savent (Vautrin) l’utiliser à leur profit, soit parce qu’ils en sont (comme Chabert) les victimes »21

Ainsi, le romanesque balzacien a contribué à répandre, à vulgariser des portraits (souvent détaillés) de personnages en prise avec le réel, et qui doivent compter avec la société au sein de laquelle ils vivent et se meuvent. Les contraintes sociales agissent comme des adjuvants, pour reprendre les catégories conceptuelles de la sémiotique narrative, chargés de favoriser leur accession à des positions socioprofessionnelles enviables, ou, au contraire, des opposants contrariant leurs ambitions, allant jusqu’à y mettre un terme et les laminer.

L’esthétique post-balzacienne, en revanche, a substitué la description fragmentaire et impressionniste à la classique présentation pléthorique du personnage. De la sorte, l’économie descriptive profite au dynamisme du récit. Le personnage est saisi, au fil de l’action, grâce à des fragments. Déjà Stendhal appliquait le procédé avec un art enlevé, faisant passer le typique du côté des actants secondaires :

« D’une part la description stable, ordonnée, encadrée en quelque sorte, fait

place à l’évocation cursive, emportée fragment après fragment par l’allure de l’action romanesque. De l’autre le typique sera de plus en plus réservé

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aux personnages "plats", dont l’écrivain tient à montrer la nature d’ « objets sociaux »22.

Par ailleurs, l’écriture stendhalienne inaugure l’ère du réalisme subjectif, technique narrative consistant à médiatiser la découverte de l’univers diégétique, par le lecteur, à travers la conscience focale d’un personnage engagé dans l’action, souvent le protagoniste de l’histoire.

Avec Madame Bovary de Flaubert, la subjectivité diffuse et irradiante atteint son paroxysme. Dans ce roman, le narrateur nous dépeint un être (Emma) fasciné par l’idéalisme des univers de ses lectures, doté d’une sensibilité exacerbée, parcourant, de façon souterraine, l’ensemble du récit. Cette conscience blessée et cette sensibilité se heurtent constamment aux aspects matériels de la réalité empirique, dont l’expérience est souvent décevante.

Aux antipodes de ce qui précède, l’univers romanesque contemporain, celui de Proust, Joyce ou Faulkner, présente du personnage deux images contrastées, voire hétérogènes et antinomiques : celui d’une conscience morcelée, fragmentaire, conséquence de la conjonction d’une «myriade d’impressions » (selon l’expression heureuse de Virginia Woolf) et celui d’individus-objets (cf. la réification), aux contours accusés, qui figurent des réductions schématiques de personnages balzaciens, pâles et lointaines copies du modèle archétypal. Ces auteurs (Proust, à titre d’illustration) n’accordent le statut privilégié de personne qu’à un personnage problématique, se définissant en opposition avec la société, dont les valeurs sont en porte-à-faux par rapport à celles de sa communauté d’origine, tel le Narrateur du

Temps perdu. De la sorte, le personnage est considéré et reçu comme la somme de

ses réactions aux événements :

« L’élaboration de telles figures procède de l’analyse psychologique, mais à

condition de donner au terme d’analyse son sens originel : dissociation. Le

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personnage sera la somme de ses réactions ponctuelles aux multiples aspects de la réalité, mais le plus souvent chacune de ses réactions (par le jeu de l’ "association des idées ") aura dans sa conscience un profond retentissement »23.

En sa qualité de conscience privilégiée, le protagoniste du récit n’est pas seulement saisi à travers le monologue intérieur, technique narrative mise en vedette par Edouard Dujardin (dans Les Lauriers sont coupés) et très en vogue au XXe

siècle, mais a besoin également, pour une meilleure délimitation et une mise en relief précise, de la présence de personnages secondaires qui rappellent son insertion sociale dont, pourtant, il tient à se démarquer :

« Chez Proust, par exemple, l’être du Narrateur commence là où finissent

les « acteurs » de la scène romanesque, Françoise, Saint-Loup, le directeur de l’hôtel de Balbec et même la grand-mère, et Albertine. Nous ne voyons jamais le Narrateur, dont pourtant la stature et le rayonnement dominent tout le Temps perdu, c’est un vide plein, alors que les autres figures du roman sont des pleins vides »24 .

La réflexion de Sartre, liant de manière organique, l’usage de tel procédé littéraire et la philosophie ou conception de l’auteur sous-jacente (cf. « toute

technique romanesque renvoie à la métaphysique du romancier ») réfère davantage

à la problématique du personnage. En effet, celui-ci revêt tous les attributs humains, il est doté de vie. S’il paraît convaincant, c’est avant tout parce qu’il réalise l’adéquation entre sa forme littéraire et la vision du romancier dont il est l’émanation. C’est dire l’importance de la vraisemblance comme valeur doxique. C’est le cas, par exemple, de Dostoïevski et Tolstoï, écrivains dont les personnages semblent l’émanation de leur système de pensée respectif :

23 Michel Zéraffa, op. cit., p. 675.

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« Pour Dostoïevski, seule l’âme est un être : le monde psychique et matériel

ne fait qu’exister. Aussi décrira-t-il une tapisserie éraillée, un robinet mal fermé, la buée d’un compartiment de chemin de fer, et maints personnages secondaires ; mais il s’abstiendra de décrire Stavroguine autrement que par son comportement et son langage. Dans Guerre et paix, en revanche, le lecteur perçoit aussi bien l’uniforme et les traits du prince André que l’odeur des bottes d’un moujik ou le frémissement d’un champ de blé ; Tolstoï célèbre la création de son ensemble »25.

Pourtant, au XXe siècle, une profonde crise du roman se fait sentir, de façon sensible, et ne manquera pas d’ébranler sérieusement les fondements mêmes du genre narratif. Le personnage est désormais entré dans l’Ere du soupçon (titre de l’essai de Nathalie Sarraute) et de la contestation. Mais ne nous trompons pas : il ne s’agit nullement d’une mode, car saper les fondements du réalisme classique dans l’établissement du portrait littéraire répond à une intention consciente de la part des écrivains et cadre avec leur vision du monde :

« Mais cette entreprise de démolition du personnage, ironiquement

entérinée par Nathalie Sarraute dans L’Ere du soupçon, qui se manifeste sous diverses formes et à des degrés variables dans les œuvres envisagées au cours de cette journée, n’est pas simple querelle technique qui opposerait un siècle à l’autre, mais renvoie à une signification. Chez ces auteurs, le nouveau statut ou l’absence de statut du héros romanesque s’associe à une vision de l’être et du monde ou se fait l’instrument d’une quête ou conquête de soi »26 .

25 Michel Zéraffa, op. cit., p. 676.

26 Françoise Lioure et al. Construction/Déconstruction du personnage dans la forme narrative au XXème siècle, Association des publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, Université Blaise Pascal,

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I.3. La contestation du personnage

Dans Les Faux-Monnayeurs, Gide, par la voix du romancier Edouard conteste la

représentation traditionnelle (classique) du personnage, notamment celle qui le dote d’un état civil, d’une vêture, etc. En somme, de signes distinctifs. A la même époque, Virginia Woolf s’opposait à Arnold Bennett qui déclarait : « La base d’un

bon roman, c’est la création d’un personnage, et rien d’autre ». Pour elle,

déterminer le personnage par un statut social et psychologique est un véritable leurre, car la vérité d’un individu ne réside pas dans cette détermination, mais dans les « myriades d’impressions » qui traversent son champ de conscience. Dès lors, peindre un personnage, c’est refuser catégoriquement de l’ériger en type universel, pour mettre en exergue ce qu’il y a de marginal et d’impondérable en lui :

« Virginia Woolf se trompait dans une certaine mesure, mais l’essentiel est d’observer qu’en refusant tout « cliché photographique » et en s’appliquant au contraire à exprimer, chez un personnage, « le spasmodique et le manqué », elle suivait la voie de Flaubert, de Henry James, de Joseph Conrad : un romancier authentique s’attache à traduire des aspects nouveaux, encore invisibles, de la personne humaine. Il refuse l’évident, comme l’avait fait d’ailleurs Balzac, qui avait littéralement révélé l’existence des Nucingen ou des Vautrin. […] De Cervantès à Kafka, le roman-vérité s’est toujours opposé au mensonge romanesque »27.

Par le refus du figuratif et du significatif au sein du genre narratif, les écrivains occidentaux du 20ème siècle inaugurèrent une crise du personnage, qui devait atteindre son paroxysme, en France, au cours des années 50. En s’attachant à peindre des consciences fluctuantes, en constant mouvement, et à présenter, au lecteur, des personnages dépourvus d’objectif dans la vie littéraire, Proust et Joyce ne faisaient que figurer un signe profond de la crise d’une civilisation : celle de la

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fragmentation et de la désarticulation de la personne par la fatalité urbaine et industrielle.

On peut lire Le Procès de Kafka comme une condamnation de la civilisation qui lamine l’individu, et de la société qui l’appauvrit jusqu’à le réduire à sa plus simple expression, une lettre (K), à un numéro matricule. L’œuvre de Kafka put ainsi apparaître comme un modèle d’humanisme, alors que d’autres écrivains et théoriciens (Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet et Samuel Beckett, notamment) entrèrent en scène et déclarèrent nourrir un soupçon radical à l’endroit du personnage et n’hésitèrent point à le qualifier de « notion périmée » :

« Cette fois des écrivains, partisans d’un « soupçon » radical à l’égard de

l’existence même du personnage, reniaient non seulement le portrait, mais encore ces consciences dont Virginia Woolf et même Proust avaient voulu traduire l’hésitante complexité. […] Nul écrivain n’a le droit d’attribuer telle "psychologie" à un personnage, ni surtout de lui confier un message »28 . Cette contestation systématique du personnage, comme représentation de l’homme, de la personne, devait mettre à jour et était symptomatique de l’absence de relations authentiques, sincères, entre l’homme et la société au sein de laquelle il vit ; l’individu, ainsi réduit par une civilisation industrielle implacable, se voit sacrifier sur l’autel de l’intérêt général, en réalité celui des puissances économiques et financières. C’est pourquoi, le roman moderne apparaît davantage comme une recherche s’opposant, sur maints aspects, à la représentation mimétique et référentielle du roman classique. L’écriture moderne s’emploie à gommer l’ancrage référentiel du personnage.

Toutefois, ces assertions doivent être raisonnablement nuancées, dans la mesure où elles caractérisent prioritairement le roman français. Car, même réduit à une

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simple initiale, amputé de ses attributs classiques ou traditionnels (en l’occurrence, un état civil, un patronyme, un statut socioprofessionnel, un passé…), réduit à une conscience impressionnable et à des impressions fugaces, le personnage n’en demeure pas moins un point d’ancrage fondamental, un repère narratif crucial pour le lecteur, défini par une certaine fonctionnalité dans la diégèse, d’autant plus que les diverses expériences romanesques, de part le monde occidental, ne sont guère identiques et sont souvent l’expression privilégiée de cultures différentes :

« Cependant, le problème du personnage ne se présente pas sous le même

jour en France et aux Etats-Unis, en Amérique du Sud et au Japon. Tout au plus doit-on se rendre à une évidence ainsi soulignée, en 1944, par le romancier américain Saul Bellow : "La réduction du personnage ne signifie pas que le pouvoir d’émotion ou d’action de l’homme se soit émoussé, ni qu’ait dégénéré ce qui constitue l’humain : si les êtres paraissent réduits dans le roman, c’est en raison des immenses dimensions prises par la société ". Même quand une narration est animée par un simple pronom personnel ou par un simple regard anonyme, ceux-ci peuvent être légitimement considérés comme des personnages : le " héros de roman " se définit avant tout par sa fonction dans un texte »29.

Cette mise en perspective historique de la notion cardinale de personnage nous a permis, nous l’avons constaté, de prendre acte de l’évolution certaine de ce « moteur du récit », laquelle évolution s’est révélée concomitante de celle des époques, des sociétés et des conceptions.

Une première dichotomie tendrait à le présenter, tantôt comme un modèle psychologique, projection de l’humaine condition ; tantôt comme un élément fonctionnel au sein du récit. Il est, de ce fait, l’objet privilégié de deux traitements antagonistes. On s’évertue, dans le premier cas, à reconnaître, sous la figure de tel

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ou tel personnage, la personne réelle qui l’a inspiré. Dans le second, le personnage est érigé en type universel, parangon de vertu ou modèle du vice.

Si, par ailleurs, le personnage n’est pas l’apanage de l’œuvre littéraire,

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