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Que signifie l’ironie socratique ? L’usage intense de l’ironie (εἰρωνεία) est un élément essentiel de la dialectique socratique. Elle est constitutive de la démarche de l’entretien, dont le trait essentiel est l’interrogation, la question « qu’est-ce que ? ». Comme c’est le cas dans la plupart de ses dialogues, Socrate se comporte de telle façon qu’il s’efforce de convaincre son interlocuteur qu’il ne sait rien. L’entretien a pour but de former d’abord un lien de l’amitié, qui est la condition première pour qu’une recherche soit possible. Ce côté productif de l’ironie joue ainsi un rôle important, en ouvrant la possibilité pour celui qui est questionné d’exprimer ses opinions.

En vue de former l’âme, c’est-à-dire la pensée, et de lui rendre accessible l’essence de ce qui est, de l’être en général, deux moments sont essentiels dans l’ironie socratique : elle se donne premièrement pour but de laisser développer les représentations universelles, donc abstraites, de celui qui est questionné afin de lui montrer, en suivant ses propres raisonnements, la contradiction inhérente à ses opinions. L’ironie en tant que dissimulation intentionnelle du savoir vise à analyser ces représentations abstraites, puis à montrer ce qui est incohérent dans le soi-disant « bien connu ». Ainsi poussé à la contradiction, ce qu’on peut appeler suivant la terminologie hégélienne la « conscience habituelle » (gewöhnliche Bewußtsein) se trouve soi-même dans une position où elle ne peut pas échapper au réexamen de la définition en question. C’est là une similarité avec la démarche phénoménologique de la conscience telle que Hegel cherche à l’appréhender dans la Phénoménologie de l’esprit où l’on trouve peut-être, selon Hyppolite, « le plus bel exposé de la philosophie hégélienne »72 : « Ce qui est bien connu est en général, pour cette raison qu’il est bien connu (bekannt), non connu (nicht erkannt). C’est la façon la plus ordinaire de se faire illusion à soi-même comme de faire illusion à d’autres, que de présupposer, lorsqu’il s’agit de la connaissance, quelque chose comme bien connu, et que de tout autant s’en satisfaire ; en tout son discours qui va dans un sens et dans l’autre, un tel savoir sans savoir comment cela lui arrive, ne bouge pas de place. Le sujet et l’objet, etc., Dieu, la nature, l’entendement, la sensibilité, etc., sont, sans y regarder davantage, placés au fondement comme bien connus et comme quelque chose de valable, et ils constituent des points fixes aussi bien du départ que du retour. Le mouvement circule entre eux qui restent immobiles, dans un sens, puis dans l’autre, et, par conséquent, seulement à leur surface. Ainsi, également, l’appréhension et la mise à l’épreuve consistent à voir si chacun

trouve aussi dans sa représentation ce qui est dit à leur propos, si cela lui paraît ainsi et lui est bien connu ou non. L’analyse d’une représentation, continue-t-il, telle qu’elle fut ordinairement pratiquée, n’était déjà rien d’autre que la suppression de la forme de son être-bien-connu (Bekanntseins) ».73

Procédant de cette manière, en montrant que le bien connu n’est pas connu, l’ironie socratique fait naître le besoin de philosopher après avoir ébranlé les représentations courantes de son interlocuteur. C’est ainsi que la conscience partant du particulier s’est élevée à l’universalité dès qu’elle a commencé à philosopher, suivant ce besoin qui se montre désormais comme nécessaire : « cela visait à faire naître le besoin d’un effort plus sérieux en vue de la connaissance ».74 Selon Hegel, la philosophie et l’esprit de son époque sont supérieurs au sens où il s’agit non plus de démontrer pour la conscience cette nécessité de philosopher, simplement parce que contrairement à l’esprit grec, « l’universel du cas concret se présente plutôt à nous d’emblée comme de l’universel; notre réflexion est déjà habituée à l’universel ».75 Nous trouvons chez Hegel le degré supérieur de l’esprit qui a dépassé ce besoin (Bedürfnis) en l’intériorisant en soi-même et qui arrive ainsi à une autre exigence, celle de la science. Il est vrai que chez Socrate et les Grecs en général, il y avait un certain élan du travail de l’esprit qui a tenté de dépasser l’immédiateté de la chose par la pensée, mais l’esprit et la culture du temps de Hegel ne pouvaient pas se contenter de la philosophie définie comme l’amour de savoir. Au lieu de celle-ci, la vraie forme et le mode de présentation de la vérité qui est le tout76 ou l’effectivité (Wirklichkeit), sera cette scientificité

(Wissenschaftlichkeit) systématique exposant, non par une nécessité extérieure mais par une nécessité intérieure, « la vie propre du concept».77 La position hégélienne se trouve déterminée par

le seul but de montrer que « le temps est venu d’élever la philosophie à la science».78 Même si ce que nous venons de citer ne s’adresse pas directement à l’ironie socratique, cela montre que l’esprit désormais s’est libéré de toute cette « prolixité » socratique79 visant à créer en l’homme le besoin de la philosophie.80

73Phénoménologie de l’esprit, trad. de B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2006, p. 79 ; GW 9, p. 27. 74 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, p. 294.

75 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, p. 293.

76 Phénoménologie de l’esprit, trad. de B. Bourgeois, p. 70 ; GW 9, p. 19. 77 Phénoménologie de l’esprit, p. 96 ; GW 9, p. 38.

78 Phénoménologie de l’esprit, p. 60 ; GW 9, p. 11.

79 En effet, Hegel la juge la source d’ennui, voir Leçons sur Platon, p. 89.

Dans son analyse, Hegel distingue souvent l’ironie socratique de l’ironie moderne en usage à son époque. Alors que l’ironie socratique consiste dans l’intention d’ébranler les représentations pour en déduire une détermination universelle, après quoi elle finit par une prise de conscience de soi encore naïve,81 l’ironie au sens moderne se manifeste comme une méthode négative qui n’a rien à voir avec la méthode de Socrate. L’ironie romantique de Schlegel, de Ast et de Fichte82 s’oppose à l’ironie « tragique »83 de Socrate pour autant qu’elle implique « le jeu avec tout » 84 qui est la destruction de toute détermination par le sujet pris comme un absolu. Le résultat en est « la vanité de toute chose » et « la profondeur vide », car son fondement vient de « l’arbitraire subjectif. » 85 Si Hegel apprécie ainsi l’ironie antique par rapport à celle des romantiques, c’est parce que son résultat n’aboutit pas à un néant vide sans contenu. Dans l’ironie de Socrate, la subjectivité repose sur une tout autre forme et elle est déterminée par la moralité. La question se pose alors : si l’ironie socratique est supérieure, pourquoi Hegel la critique-t-il ?

Nous en arrivons donc au point fondamental dans la critique de la dialectique ainsi que de l’ironie socratique, c’est-à-dire la question de la subjectivité. Dans une remarque de l’Encyclopédie des sciences philosophique, Hegel note que « chez Socrate, le dialectique (das Dialektische),86 en accord avec le caractère général de sa manière de philosopher, a encore une figure à prédominance subjective (subjektive Gestalt),87 à savoir celle de l’ironie ».88 Quel est le caractère de cette subjectivité et pourquoi Hegel la trouve-t-il insuffisante ? Socrate est avant tout pour Hegel la

81 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, p. 292.

82 Hegel observe que chez Fichte l’ironie « trouvait son fondement profond », puisque le principe ultime, le Moi (das

Ich), est posé comme le principe absolu de toute connaissance alors qu’il reste entièrement abstrait et formel, voir Cours d’esthétique, t. I, trad. Jean-Pierre Lefebvre et Veronika von Schenck, Paris, Aubier, 1995, p. 89, 90.

83 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, p. 291. 84 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, p. 291.

85 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, 290. Hegel critique à plusieurs reprises cette forme de subjectivité de

l’ironie romantique, et la distingue de celle de Socrate. Comme le scepticisme moderne, l’ironie romantique est l’œuvre d’une époque qui est loin de son exemple ancien. Par exemple dans les Leçons, il précise sa critique ainsi : « le sujet se sait en lui-même comme l’absolu, tout le reste est vain à ses yeux ; toutes déterminations qu’il se donne à soi-même du juste, du bien, il sait aussi les détruire à leur tour. Il peut se figurer tout ce qu’il veut ; mais ce n’est que vanité, hypocrisie et effronterie. L’ironie sait sa maîtrise sur tout cela ; elle ne prend rien aux sérieux, c’est un jeu avec toutes formes. », Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. VII, p. 1999, cité par, Hegel, Principes de la

philosophie du droit, trad. Jean-François Kergévan, p. 245, note 1 ; voir aussi Cours d’esthétique, t. I, p. 93 et sq.

86 Il faut dire avec André Stanguennec (voir « Le dialectique, la dialectique, les dialectiques chez Hegel », in Lectures

de Hegel, Olivier Tinland (dir.), Paris, Éditions Livre de Poche, coll. Références, 2005, pp. 86-112) que nous

retrouverons chez Hegel à travers toute son œuvre une différence fondamentale à propos de l’usage du mot dialectique : le dialectique (das Dialektische) et la dialectique (die Dialektik) semblent désigner deux types de dialectiques. Nous en analyserons la portée logique quand nous traiterons la question de la dialectique platonicienne.

87 Nous soulignons.

figure ultime qui se révolte contre la moralité de la cité grecque de son époque et c’est la raison pour laquelle il l’apprécie comme le témoignage de l’esprit : « selon le principe socratique, rien n’a de validité pour l’homme, rien n’a de vérité pour lui si l’esprit n’en rend pas témoignage ».89 Le témoignage de son temps signifie l’élévation au niveau de la subjectivité concrète à travers les actions et la pensée, et selon Hegel, c’est par la médiation d’une telle subjectivité que l’on peut reconnaître effectivement l’esprit du temps. On trouve la même perspective dans la Préface des Principes de la philosophie du droit, lorsque Hegel prend cette fois-ci pour exemple l’esprit du christianisme dans la figure de Luther ; il écrit « c’est une grande obstination, cette obstination qui fait honneur à l’homme, de ne rien vouloir reconnaître dans la disposition-d’esprit (Gesinnung) qui ne soit justifié par la pensée, - et cette obstination est ce que le protestantisme a en propre. Ce que Luther a commencé à saisir dans le sentiment et dans le témoignage de l’esprit (Zeugnis des Geistes) en tant que foi est cela même que l’esprit, ultérieurement mûri, s’est efforcé de saisir dans le concept, ainsi de se libérer dans le présent et de se trouver par là en lui».90 Une chose paraît certaine : si Socrate comme Luther méritent une telle dénomination de « témoignage de l’esprit », c’est parce qu’ils n’acceptent pas la condition immédiatement donnée à leur époque et essaient de la dépasser par la force de la liberté de la pensée subjective. Mais une difficulté se pose d’emblée : Luther ou la religion chrétienne en général représente dans la perspective hégélienne un moment supérieur à celui de Socrate, puisqu’en elle seule réside la liberté absolue du sujet.91 Il faut donc

se demander comment comprendre le jugement de Hegel, quand il déclare que les Grecs n’avaient pas conscience de la liberté subjective et que la seule obligation chez eux était de défendre leur pays sans prendre compte de leur propre liberté ?92

Pour définir la conscience, Hegel emploie la notion de « das Gewissen » qui est tout autre chose que la notion du « Bewusstsein », car la première signifie avant tout la conscience morale.93 Mais il est important d’apporter un éclaircissement étymologique à ce terme : « das Gewissen »

89 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, p. 299. Cet aspect est souligné aussi dans un article récent par Allen

Speight, « Hegel on conscience and the history of moral philosophy » in Hegel : New Directions, Katerina Deligiorgi (dir.), Chesham, Acumen, 2006, p. 19, 20.

90 Principes de la philosophie du droit, p. 107.

91 Sur la portée théologique de l’idée du témoignage de l’esprit, voir Jean-Louis Vieillard-Baron, Hegel, Système et

structures théologiques, Paris, Les éditions du Cerf, 2006, pp. 248, 252.

92 Hegel, Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte, Werke, Suhrkamp, 12, p. 309 : « Von den Griechen in der

ersten und wahrhaften Gestalt ihrer Freiheit können wir behaupten, daß sie kein Gewissen hatten; bei ihnen herrschte die Gewohnheit, für das Vaterland zu leben, ohne weitere Reflexion ».

qui n’est pas non plus « das moralische Bewusstsein», la conscience morale que Hegel distingue soigneusement dans la Phénoménologie de l’esprit.94 La signification de « das Gewissen » est

d’abord strictement liée au « Wissen », savoir d’où vient « gewisss », ce qui est certain et par là « Gewissheit », la certitude. On peut donc dire que le for intérieur est en général un acte de savoir qui cherche à saisir la certitude. Par exemple, dès la première figure de l’esprit, à savoir la certitude sensible (die sinnliche Gewissheit) dans la Phénoménologie de l’esprit, il s’agit d’une lutte constante entre la vérité et l’expérience de celle-ci par la conscience qui en éprouve la certitude. Mais le côté essentiel demeure dans le fait que « das Gewissen » n’est pas avant tout une conscience objective et universelle, mais plutôt subjective et abstraite.

C’est sous cet aspect que la dialectique socratique est pour Hegel la première apparition du « Gewissen ». Elle l’est parce que Socrate est entré en scène dans un moment où une crise a surgi dans la vie éthique (Sittlichkeit) de la cité athénienne. Les devoirs, les lois institutionnelles aussi bien que personnelles manquaient de ce for intérieur car les Grecs déléguaient la responsabilité de prendre toute décision à un pouvoir extérieur. A cause de cette absence, ils avaient recours aux oracles, à la divination (μαντεία). Hegel en décrit ainsi la situation dans ses Leçons : « chez les Grecs l’individualité de la décision avait un autre aspect : ils prenaient cette décision pour une contingence de l’individu, et c’est pourquoi, de même que la contingence des circonstances est quelque chose d’extérieur, de même ils faisaient de la contingence de la décision quelque chose d’extérieur (…) conscience que la volonté singulière elle-même est quelque chose d’extérieur ».95

Cela implique que prendre la responsabilité sur soi c’est oser penser et donc agir par soi-même, au prix de contredire l’universalité de l’Etat. C’est pourquoi il « s’est acquitté lui-même devant le tribunal de son for intérieur (seines Gewissens) »96 et a été condamné à mort.

Dans les Leçons, Hegel insiste sur l’intériorité de la subjectivité de Socrate : selon le principe de Socrate, la conscience tire ce qui est vrai de sa propre réflexion et ainsi obtient la liberté subjective par laquelle la conscience rentre en elle-même. En termes logiques, ce mouvement est l’ébranlement de la moralité grecque existante dans la forme de la nature morale, immédiatement présente pour la conscience absolue et dépourvue de toute particularisation sous la forme de la

94 Nous utilisons ici la traduction de Bernard Bourgeois qui a traduit le terme non pas comme la « conscience morale »

(le mot est traduit ainsi avec un tiré dans la traduction de la Philosophie du droit de Jean-François Kervégan), mais comme « le for intérieur », voir Phénoménologie de l’esprit, trad. Bernard Bourgeois, p. 386, n. 2.

95 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, p. 321. 96 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, p 333.

conviction de l’individu.97 Socrate dépassait ainsi la particularité de ce qui est universel abstrait en

présentant celle-ci désormais dans une forme concrète comme la loi, le vrai, et le bien etc. Ceci nous met de nouveau en face de la similarité avec la dialectique de la certitude sensible. L’expérience de la conscience y commence par ce qui est immédiat, c’est ce que Hegel appelle le « ceci », c’est-à-dire ce qui n’a pas d’autre détermination que celle de l’être pur.98 Cette extériorité apparaît surtout comme la connaissance la plus riche de détermination, pourtant la question socratique se pose d’emblée : « qu’est-ce que le ceci ? »99 Même une simple expérience spatio- temporelle, ici et maintenant, devrait suffire pour conclure que les déterminations qui semblent être fixes se relèvent comme contradictoires puisque la conscience éprouve la négativité qui fait renverser la certitude de cette vérité. Le sujet et l’objet qui se trouve devant lui (Gegenstand) entrent dans une dialectique où la conscience, au lieu de saisir la singularité de ce qu’elle vise (Meinen), arrive à ce qui est universel. Tous les ici et maintenant ne sont que passagers, la réalité du monde extérieur perd donc son statut absolu et vrai et une nouvelle figure de l’esprit prend naissance. C’est le même résultat auquel Socrate fait accèder l’interlocuteur, c’est-à-dire l’unité du sujet et de l’objet : « dans l’opposition du subjectif et de l’objectif, l’universel est ce qui est aussi bien subjectif qu’objectif ; le subjectif est seulement un particulier ; l’objectif est pareillement un particulier opposé au subjectif, l’universel est l’unité des deux ».100 Ce

parallélisme a ses limites, car la dialectique socratique s’arrête, alors que la conscience phénoménologique hégélienne continue à s’avancer jusqu’à ce qu’elle saisisse le savoir absolu. Pourtant Hegel semble apprécier deux points capitaux : d’une part, il voit comme une découverte socratique l’apparition de la « subjectivité, la liberté infinie de la conscience de soi »101 par laquelle la conscience accède à la « reconnaissance du bien comme but en soi ».102 D’autre part, c’est Socrate « qui a instauré le connaître et l’universel » et, à partir de là, la « pensée consciente » (des bewußten Gedankens)103 qui devient l’objet d’elle-même.

Par contre, on saisit de façon plus précise et plus juste la critique hégélienne de Socrate quand on regarde de plus prèsce qui est fondamental dans la subjectivité et l’universalité conçue comme

97Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. II, p 297.

98 Ainsi s’ouvre le chapitre sur l’Etre dans la Science de la logique : « Sein, reines Sein », voir GW 21, p. 68. 99 Phénoménologie de l’esprit, trad. B. Bourgeois, p. 133 ; GW 9, p. 64.

100 Phénoménologie de l’esprit, p. 299. 101 Phénoménologie de l’esprit, p. 274. 102 Phénoménologie de l’esprit, p. 296. 103 Phénoménologie de l’esprit, p. 339.

l’en-soi. En ce qui concerne la première, Hegel nous donne une explication assez claire au paragraphe du 138 ainsi que dans l’addition du paragraphe 138 de la Philosophie du droit, en nous montrant pourquoi son contenu est purement formel. Il y traite de l’intériorité du for intérieur d’une telle façon que remis dans son contexte, son interprétation s’accorde exactement avec celle du démon de Socrate dans les Leçons : « cette subjectivité,104 en tant qu’autodétermination abstraite et pure certitude d’elle-même seulement, met en déroute toute déterminité du droit, de l’obligation (der Pflicht) et de l’être-là au-dedans de soi, tout comme elle est la puissance judicative de déterminer à partir d’elle seule quelle sorte de contenu est bon, et en même temps la puissance à laquelle le Bien, qui tout d’abord n’est que représenté et qui doit (sollende) être, est redevable d’avoir une effectivité. La conscience de soi qui, de manière générale, est parvenue à cette réflexion absolue au-dedans de soi, sait être en elle une conscience sur laquelle aucune, détermination présente-là et donnée ne peut ni ne doit en rien avoir prise. En tant que configuration plus universelle dans l’histoire (chez Socrate, chez les Stoïciens, etc.) apparaît l’orientation qui consiste à chercher au-dedans de soi et à déterminer vers l’intérieur ce qui est droit et bon, à des époques où ce qui, dans l’effectivité et la coutume-éthique (Sitte), vaut comme le droit et le Bien ne peut satisfaire la volonté meilleure ; lorsque le monde présente-là de la liberté est devenue infidèle à la volonté, elle ne se retrouve plus dans les obligation en vigueur, et il lui faut chercher à conquérir dans la seul intériorité idéelle l’harmonie perdue dans l’effectivité ».105 Socrate est désigné comme

le moment de l’esprit allant chez soi par la réflexion, afin de déterminer ce qu’est le bien et le droit.