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Dans l’histoire de la philosophie, il y a une certaine tradition qui pense que Schelling et Hegel présentent une nouvelle image des philosophies platoniciennes et aristotéliciennes : Schelling fut regardé comme un nouvel Aristote et Hegel comme un nouveau Platon.131 De prime

127 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. III, p. 402. 128 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. III, p. 433.

129 Jean-Louis Vieillard-Baron, Platon et l’idéalisme allemand (1770-1830), Paris, Beauchesne, 1979, p. 269. 130 Hegel et le destin de la Grèce, p. 232.

131 Cf. Jean-Louis Vieillard-Baron, « Platonisme et aristotélisme chez Hegel », in Platonisme et interprétation de

Platon à l’époque moderne, Paris, Vrin, 1988, p. 177. Pourtant le problème constitue la base d’une discussion féconde.

Par exemple d’après Frederick Beiser, ce n’est pas Platon mais Aristote qui est le fondateur de l’idéalisme tel que Hegel l’entend. Il écrivait que « Hegel identifies the idea not with Plato’s archetype but with Aristotle’s formal–final cause. Hegel saw Aristotle, not Plato, as the proper founder of absolute idealism », voir Frederick Beiser, Hegel, New

abord, on ne peut pas nier que Hegel soit le dialecticien par excellence de son époque comme Platon l’était en son temps, et que Schelling soit le philosophe de la nature par excellence comme Aristote l’était en son temps. Mais même si elle implique une sorte de généralisation hâtive, on doit à Hegel lui-même ce genre de classifications, car c’est tout d’abord lui qui a appliqué l’idée du développement à l’histoire de la philosophie.

Pourquoi est-il nécessaire de retourner aux dialogues platoniciens pour étudier la question du fini et de l’infini, au lieu de plonger directement dans les écrits de Hegel ? D’où vient ce besoin incessant qui nous oblige de nous confronter à l’histoire de la philosophie ? Est-ce une nécessité purement pédagogique ? Dans ce chapitre, si notre recherche commence en prenant appui sur la philosophie de Platon, c’est parce que le Platon fut pour Hegel un interlocuteur central dans l’histoire de la philosophie. A part des confrontations parfois implicites qu’on trouve dans la Phénoménologie de l’esprit, ainsi que dans la Science de la Logique, son enseignement sur Platon de 1825-1826 nous donne la possibilité de découvrir un Hegel, non seulement admirateur du maître de dialectique, mais aussi un critique essentiel de la philosophie platonicienne. Si l’histoire de la philosophie forme une ligne continue, la philosophie de Platon, aux yeux de Hegel, est l’un de ses nœuds. On trouve cette image particulièrement dans les leçons sur l’histoire de la philosophie. Un nœud est ce qui comprend en soi tous les degrés antérieurs de la philosophie dans lesquels « le vrai est concret (das Wahre konkret ist) ».132 Ainsi l’histoire de la philosophie n’est en somme que les

nœuds possédants toutes les vérités de façon non abstraite mais concrète. C’est aussi le cas chez Platon, il accueille les autres philosophies dans sa philosophie en les unifiant en une unité concrète. C’est pourquoi Hegel accorde une importance remarquable aux dialogues platoniciens.

Pour comprendre comment le système hégélien dépasse les limites de la finitude et trouver sa signification pour la totalité du système, nous soutenons, avec J.-L. Vieillard-Baron133, qu’il est indispensable de se référer à son histoire de la philosophie. Car Hegel déclare explicitement que « la succession des systèmes de la philosophie est en histoire la même que la succession des déterminations du concept d’idée en sa dérivation logique » et explique ainsi que « si l’on

York, Routledge, 2005, p. 66. Par contre J.-L. Vieillard-Baron pense que « son interprétation de Platon et singulièrement de la dialectique, est plus pénétrante que celle d’Aristote et a plus d’impact sur sa propre philosophie » et que « l’univers de pensée où se meut Hegel, à la différence de celui d’Aristote, n’est pas un monde de choses ; il est tout entier animé par l’idée dont on peut dire qu’elle est l’âme du monde hégélien. », voir Platon et l’idéalisme

allemand, p. 227.

132 Leçons sur Platon, p. 69, n.6. 133 Leçons sur Platon, p. 22.

dépouille les concepts fondamentaux des systèmes apparus dans l’histoire de la philosophie de ce qui concerne vraiment leur forme extérieure, leur application au particulier, on obtient les divers degrés de la détermination même de l’idée dans son concept logique ». 134

Dans la section précédente nous avons essayé d’analyser la dialectique en tant que dialogue, usage que Hegel rejette pour la raison qu’elle est simplement subjective. Elle était un processus de l’entendement fini qui tient les déterminations fixes sans pouvoir dépasser leur unilatéralité. Dans les Leçons, le « socratisme » sous toutes ses formes –l’ironie, la maïeutique socratique etc.- est ainsi écarté par Hegel ; ce qui est important pour lui ce n’est pas la dialectique mais Socrate lui- même comme étant la figure ultime amenant la conscience ordinaire grecque vers l’universalité des choses. Dans ce cas, il faut se demander pourquoi Hegel estime que l’usage de la dialectique chez Platon est meilleur que chez Socrate : quel est l’apport de la dialectique au sens platonicien ? A ce stade, nous allons commencer par définir la dialectique chez Platon du point de vue de Hegel. Ce qui est commun aux Leçons de 1825-1826 du manuscrit de Griesheim et au texte de l’édition Michelet, c’est que Hegel y divise la philosophie de Platon en trois parties : la philosophie spéculative ou logique, la philosophie de la nature et la philosophie de l’Esprit.135 En qui concerne la première partie, Hegel explique que les anciens l’appellent la dialectique. Il est peu contestable que par delà cette division, ce qu’il avait en vue était la division de la sa propre philosophie exposée dans l’Encyclopédie. S’il est en ainsi, la dialectique est en rapport avec les catégories de la Science de la logique. Une telle lecture ne serait pas un contresens dans la mesure où l’on prend la dialectique au sens de l’automouvement de l’esprit (Selbstbewegung des Geistes) et de son déploiement logique. Hegel part ici de l’unité de la tradition philosophique : les thèmes fondamentaux depuis le commencement grec de la philosophie comme l’être, le néant, le devenir etc. sont déterminants dans la Science de la logique et c’est pour cette raison que ce qu’est en cause dans son examen de la dialectique est proche de celui de la Science de la logique.136 A cet égard, il ne s’agit pas d’affirmer sa propre conception de la logique dans la dialectique des Idées de Platon mais plutôt d’y montrer son développement. La lecture de Hegel établit ainsi un lien entre la Logique et l’histoire de la philosophie.

134 Phénoménologie de l’esprit, t. I., trad. Jean Hyppolite, Paris, Aubier Montaigne, 1941, p. 50. 135 Cf. Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. III, p. 432 ; Leçons sur Platon, p. 89.

Nous en venons ainsi au deuxième sens de la dialectique, c’est-à-dire la dialectique des Idées. Celle-ci se distingue de la dialectique en tant que dialogue du fait qu’elle est purifiée de tout contenu rhétorique ou ironique;137 telle est, du moins, l’interprétation hégélienne : ce sera la dialectique du mouvement propre des pensées qui ne sera plus fondé sur la subjectivité : « ce n’est pas une dialectique comme celle que nous avons vue précédemment, — ce n’est pas celle des Sophistes, qui jette le trouble dans les représentations en général : c’est la dialectique qui se meut dans les concepts purs, — le mouvement du logique »,138 en d’autres termes, c’est la dialectique de l’universel.

Pourtant, d’après Hegel, l’existence de l’élément socratique dans les dialogues écrits par Platon ne pose pas un problème car il n’y a pas de doute que ce sont des dialogues issus de la pensée philosophique de Platon. Contrairement à la forme du dialogue proprement socratique, les dialogues écrits ne sont plus le lieu de l’arbitraire personnel. C’est là où nous sommes confrontés à une définition particulière des dialogues écrits, Hegel estime qu’ils sont plastiques : « Chez Platon, tout est entièrement objectif et plastique (plastisch) ; il y a de l’art à tenir ainsi sa pensée à distance, à aller souvent jusqu’à la mettre dans la bouche d’une troisième ou d’une quatrième personne ».139 La notion de plasticité, déjà apparue dans la Préface de la Phénoménologie de l’esprit en 1806, désigne l’abolition de la proposition philosophique afin de rendre possible la proposition spéculative qui « exclut rigoureusement le genre de relation ordinaire entre les parties d’une proposition » 140, c’est-à-dire la relation du sujet et du prédicat. La plasticité renvoie à

l’élément graphique ou bien à ce que Derrida appelle l’écriture.141 Mais Hegel en donne

principalement le sens de « la capacité à recevoir la forme et la capacité à donner la forme ».142 Telle est désormais la place des personnages dans les dialogues, ils sont « plastiques », cela veut dire que « aucun n’est là pour exprimer son opinion, pour placer son mot ».143

La lecture hégélienne plonge ainsi directement dans la dialectique des Idées. Il commence par l’éclaircissement de la définition de l’εἶδος. Ce ne sera pas une description, mais une

137 Charles Griswold, « Reflections on Dialectic in Plato and Hegel », International Philosophical Quarterly 22, 1982,

p. 117.

138 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. III, p. 432. 139 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. III, p. 401. 140 Phénoménologie de l’esprit, t. I., trad. J. Hyppolite, p. 55. 141 Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967.

142 Catherine Malabou, La plasticité au soir d’écriture : Dialectique, destruction, déconstruction, Paris, Léo Scheer,

2005, p. 25.

interprétation philosophique, qui cite et commente les textes avec tant de force que l’introduction à la philosophie platonicienne est la philosophie elle-même. Hegel examine les dialogues tardifs de Platon comme le Sophiste, le Philèbe, la Phèdre et surtout le Parménide144, qu’il trouve spéculatifs. Ce qui intéresse Hegel par exemple dans le Sophiste et le Parménide, c’est la question de l’être et du néant, de l’un et du multiple et finalement celle de l’autre du Sophiste considérée comme essentielle dans l’étude de la négativité. Quant au dialogue du Phèdre, il s’agit du passage de la Logique à la Nature ou bien à la philosophie de la nature. En ce qui concerne le Philèbe, ce sera une analyse détaillée des notions de πέρας et d’ἄπειρον et leur mélange à propos duquel Hegel nous propose une lecture du point de vue de ce qui est fini et infini. Et le passage de la philosophie à la philosophie de l’esprit se fait par la médiation de la République. Mais la base de tout ce qui est en question dans ces dialogues est pour Hegel la théorie des Idées.

Dans les dialogues de Platon, on ne trouve cependant pas de définition systématique du sens des termes grecs l’eidos et l’idea ; mais on parle souvent d’une théorie des Formes intelligibles qui sont immuables et éternelles et selon lesquelles le monde sensible est formé. Socrate affirmait dans le Phèdon qu’il y a une distinction entre ce qui est visible et invisible, il disait « qu’il y a deux espèces de réalité (δύο εἴδη τῶν ὄντων), l’une visible (τὸ μὲν ὁρατόν), l’autre invisible (τὸ δὲ

ἀιδές) »,145 et puis il estime que ce qui est visible est passager et destiné à périr tandis que ce qui

invisible est ce « qui possède toujours l’existence, qui ne meurt pas point, qui se comporte toujours de même façon ».146 L’être invisible n’est visible que par la médiation de l’œil de l’âme, de l’acte

de la theoria, c’est-à-dire par l’intellect (νόησις). Il est clair qu’ici le domaine de l’intelligibilité (νοητόν) est distingué de celui de sensibilité (αἰσθητός), et en y regardant de plus près une telle division, n’a rien de nouveau parce qu’elle existait déjà depuis des présocratiques comme Héraclite147 et Anaximandre, mais elle devient un thème prédominant avec la doctrine de Parménide. Celui-ci a posé le principe de ne pas faire confiance à ce qui nous est donné dans la perception ; le monde perçu ou bien ce qui est visible est illusoire et son résultat n’est que l’opinion (δόξα) alors que la vérité n’est accessible que par l’intellect. Il faut donc distinguer la vérité de la

144 Il prête une attention particulière au dialogue du Parménide dont il reconnaît l’importance. Ce dialogue, d’après

lui, est « le plus célèbre chef-d’œuvre de la dialectique platonicienne », voir Leçons sur Platon, p. 103.

145 Platon, Phèdon, 79 a, texte établi et traduit par Léon Robin, Paris, Les Belles Lettres, 1926, p. 37, 38. 146 Phèdon, 79 d, p. 38.

147 Voir fr. B 54 : « L’ajustement non apparent est plus fort que l’ajustement apparent », et fr B 123 : « La nature aime

à se cacher », traduction de Marcel Conche, Héraclite, Fragments, texte établi, traduit par M. Conche, Paris, P.U.F., « Épiméthée », 1991, p. 530 et 253.

simple apparition. Dans son poème il disait : « Il est utile de tout apprendre, aussi bien le cœur intrépide de Vérité bien arrondie, que les opinions des mortels ; en elle Certitude qui dit vrai n’est pas ».148 Même si Platon n’est pas d’accord avec la théorie parménidienne de l’immobilité et de l’unité de l’être, il se rattache étroitement à cette tradition149 selon laquelle la seule réalité n’est que le domaine de l’intelligible. Mais contrairement à lui, il y a chez Platon un degré hiérarchique des modes de l’être ainsi que des modes du connaître. Hegel dans les Leçons du texte de Michelet mentionne la célèbre analogie de la caverne mais il n’accorde pas la moindre importance à l’allégorie de la ligne dans la République.150 Pourtant, c’est dans le manuscrit de Griesheim qu’on peut saisir le sens dialectique de cette analogie. Hegel cite la fin du livre VI de République et explique étape par étape le processus qui part de la sensibilité et nous amène jusqu’à ce qui est objet de la science véritable, c’est-à-dire à ce qui est intelligible. Toute la connaissance de ce qui est ainsi fondé repose sur une division générale entre la doxa et l’épistémè et chacun d’eux se divise à son tour en deux moments. Selon la première division du δόξα, le degré de la détermination la plus pauvre est ce que Platon appelle la conjecture (εἰκασία) dans laquelle se trouvent des images des choses sensibles comme l’ombre etc. C’est le commencement de l’acte d’intuition du sujet connaissant, à ce stade les étants sont pour lui immédiatement présents sous la forme des images (εἰκών), mais elles ne sont que des phénomènes extérieurs.151 En ce qui concerne le deuxième

moment de la dialectique, c’est la croyance (πίστις) qui a pour objet les réalités vivantes comme les animaux et les choses fabriqués par l’homme. Telle est la nature du monde sensible sur laquelle s’ouvre la perception.

Quant au monde intelligible auquel on accède par l’intelligence, il est aussi d’une nature double. La première partie est la faculté de la raison ou bien la réflexion discursive (διάνοια) qui emploie des images venant de la réalité sensible. Elle les imite (μιμηθεῖσιν ὣς εἰκόσιν) et institue

148 Voir, fr. I, 28b-30, Parménide, de l'étant au monde, textes, traduction du grec, interprétation par Jean Bollack,

Paris, Verdier, 2006, p. 97, 98

149 Mais aux yeux de Hegel, il sera.it faux de parler d’un éclecticisme platonicien comme on le voit par exemple chez

Cicéron, car il n’a repris que les problèmes essentiels de son époque : « il ne faut pas voir dans les dialogues de Platon le souci de faire valoir diverses philosophies, il ne faut pas voir non plus dans la philosophie de Platon une philosophie éclectique qui dériverait des précédentes; elle est plutôt le nœud où ces principes abstraits et unilatéraux sont à présent véritablement réunis de façon concrète », Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. III, p. 399.

150 Jean-Louis Vieillard-Baron, « Les leçons de Hegel sur Platon dans son histoire de la philosophie », Revue de

Métaphysique et de Morale, No. 3, (1973), p. 386.

151 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. III, p. 429 ; République, VI, 509 d-510 a. Selon la Philosophie de l’esprit

de 1805, le mouvement de l’imagination commence aussi par intuition de l’esprit, par des images privées de contenu,

Hegel écrivait : « dans l’acte d’intuition l’esprit est l’image (…) l’image, l’être comme mien », La Philosophie de

« ses recherches en partant d’hypothèses (ἐξ ὑποθέσεων) et suit une marche qui la mène, non au principe (ἆρxὴν), mais à la fin (ἐπὶ τελευτήν) ».152 L’objet de la raison discursive, ce sont les

notions abstraites et les concepts mathématiques qui sont encore dépendants des images des objets de la section inférieure.153 Par exemple dans le Ménon,154 Socrate a recours à la géométrie pour prouver son hypothèse qu’il n’enseigne rien de nouveau à l’esclave mais plutôt qu’il l’aide à se souvenir. C’est une méthode limitée dans la mesure où cette sorte de raisonnement ne progresse que par des déterminations fixées comme le pair et l’impair qui sont de « l’ordre de la convention ».155 Après avoir cité le dialogue en question, Hegel identifie d’emblée la dianioa comme une médiation entre la δόξα et le νοῦς, le degré le plus élevé du connaître. Ainsi décrit, la dianoia ne sera rien d’autre que le Verstand de Hegel : « A mi-chemin de l’opinion et de la science en soi et pour soi se trouve la connaissance par raisonnement, la réflexion discursive, la connaissance réfléchissante qui forme pour son compte des lois universelles, des genres déterminés à partir des données précédentes ». 156

Le δόξα, le premier mode du sensible, est d’abord pour Hegel la conscience du sensible : les images y sont les imitations des réalités sensibles ; et puis la dianioa est la faculté d’entendement qui comprend la connaissance technique157 à partir de laquelle on fait des suppositions, au sens du ὑπόθεσις, pour arriver jusqu’à un terme qui sera anhypothétique. Ce sont aussi des imitations du degré supérieur que Platon appelle νόησις, la deuxième partie des choses intelligibles ou la science (ἐπιστήμη) en général : « ce sont celles que la raison elle-même saisit par la puissance dialectique (αὐτὸς ὃ λὸγος ἅπτεται τῇ τοῦ διαλέγεσθαι δυνάμει), tenant ses hypothèses non pour des principes, mais pour de simples hypothèses, qui sont comme des degrés et des points d’appui pour s’élever jusqu’au principe de tout, qui n’admet plus d’hypothèse. Ce principe atteint, elle descend, en s’attachant à toutes les conséquences qui en dépendent, jusqu’à la conclusion dernière, sans faire aucun usage d’aucune donnée sensible, mais en passant d’une idée à une idée, pour aboutir à une idée (τελευτᾷ εἰς εἴδη) ».158 C’est le niveau où la pensée, qui ne se satisfait plus d’opérer avec les données sensibles et les notions abstraites, s’élève vers les Essences, c’est-à-dire vers les Idées

152 La République, VI, 510b, trad. E. Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1933, p. 140. 153 La République, VI, 511a.

154 Ménon, 82a-86c.

155 François Châtelet, Platon, Paris, Gallimard, 1965, p. 146. 156 Leçons sur l’histoire de la philosophie, t. III, p. 432.

157 Charles Griswold, « Reflections on Dialectic in Plato and Hegel », p. 188, n. 9. 158 La République, VI, 511b – c.

universelles. C’est par cette marche ascendante vers les principes que l’âme connaît ce qui est éternel et dont le monde sensible participe.

Nous pouvons désormais définir ce qu’est la dialectique platonicienne : consistant en quatre modes, la dialectique expose les quatre opérations de l’âme et elle remonte jusqu’à un principe absolu sans détruire la réalité du monde sensible, et réalise ainsi « la métamorphose de l’opinion sensible en penser ».159 Mais cette description est encore superficielle. La lecture de Hegel nous donne une définition assez claire de la notion de l’idée. D’après Hegel, l’apport essentiel de Platon est l’élévation de la conscience au royaume spirituel, au monde intellectuel par laquelle la pensée obtient l’élément du suprasensible et du spirituel. Il en résulte que les principes abstraits sont