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Chapitre 5. Intégration au milieu

5.5 L’intégration des nouveaux arrivants du point de vue des natifs

Pour clore la question de l’intégration et par souci de continuité avec la méthode développée au chapitre précédent, il est essentiel de s’intéresser au discours des natifs sur l’intégration des nouveaux arrivants. Cet exercice permet de construire un point d’appui pour comparer les représentations des nouveaux arrivants et des natifs. L’originalité est de renverser l’explication afin de mieux comprendre, du point de vue des natifs, les obstacles — ou pas — à l’intégration des migrants. Cela permet aussi de discuter de la relation entre les deux groupes et des transformations du milieu.

Déjà, une similitude apparaît entre le discours des migrants et celui des natifs quant à la dualisation qui semble à l’œuvre dans ce milieu. En effet, les natifs rencontrés fréquentent très peu de nouveaux arrivants et ne sont pas enclins à intégrer leurs groupes. D’ailleurs, Charles (HNM29) ne se sent pas à l’aise lorsqu’il fréquente les mêmes lieux que les nouveaux arrivants : « Les nouveaux arrivants

qu'il me vient en tête, ce sont ceux qui sont au Naufrageur. Quand tu rentres et ils te regardent tous, tu te dis : “oups, j’ai-tu le droit d’être chez nous?" C’est ça, eux ils ne s’intègrent pas, ils ont leur gang ». Ici est réitérée l’idée selon laquelle les nouveaux arrivants intègrent des groupes qui leur

ressemblent du point de vue culturel, un réseau d’interconnaissance qui partage les mêmes sensibilités. Pour Charles (HNM 29), en restant « entre eux », les migrants ne s’intègrent pas au « chez nous ». André (HNM28) ajoute qu’il a vécu une expérience similaire : « Quand je vais [au

Naufrageur] avec [Kevin], ça parle avec le monde de l’université, mais moi je ne connais personne. Si je ne leur parle pas, ils ne me parlent pas, je suis là et je ne dis pas un mot. Donc, on n’a jamais été intégré à eux autres ». Kevin, l’ami d’André (HNM28), est un migrant de retour qui se lie plus

aisément avec les autres nouveaux arrivants. Au contraire, André (HNM28) ne partage pas les expériences de ces migrants, il ne possède pas les « codes culturels » pour s’insérer au sein de leur groupe.

Par ailleurs, les natifs rencontrés développent aussi une vision réflexive à l’égard de l’intégration des nouveaux arrivants. Ils sont conscients que la Baie-des-Chaleurs est un milieu qui peut être dur envers un étranger qui vient s’y établir. Viviane (FNM32) explique : « Ce qui arrive ici aussi, c’est

que tout le monde se connaît. Aussitôt que quelqu’un arrive de nouveau, c’est sûr qu’il va se faire pointer, parce qu’il est nouveau : “c’est qui lui ?" Mais, il y a du monde quand même accueillant ».

les sensibiliser à nous... comment on vit ici, c’est quoi notre mode de vie, etc. Si on se renferme et tout ce qu’on dit c’est : “c’est des immigrants” et qu’on leur ferme déjà la porte, je pense qu’on ne s’aide pas nous-mêmes et qu’on ne les aide pas non plus à s’intégrer dans nos milieux ». Ces natives

avouent ainsi qu’il existe une forme de stigmatisation du nouvel arrivant, ce qui réitère l’idée évoquée précédemment selon laquelle le migrant arrive dans un milieu au tissu d’interconnaissance bien établi et est propulsé sous les projecteurs de la collectivité. Elles soulignent aussi que la population locale devrait s’impliquer davantage pour intégrer ces jeunes.

D’une certaine façon, les natifs considèrent que leur propre attitude envers les nouveaux arrivants contribue à scinder socialement le milieu. Charles (HNM29) prend conscience qu’il « ferme la porte » aux migrants quand il affirme : « […] moi je ne suis pas correct, j’ai tendance à penser ça… quand

ils sont ensemble, ils ne veulent pas que je leur parle ». Il ajoute qu’il existe une certaine « normalité »

à l’égard du moule social en Gaspésie et qu’être à l’extérieur de ce moule conduit à un rejet de la part de la population locale : « quand [les migrants] fit exactement dans le moule, il n’y a personne

qui ne dit rien, c’est parfait ». André (HNM28) poursuit : « Automatiquement, si les gens sont plus

marginaux on dirait qu’ils ne fit pas dans le moule gaspésien ». Charles (HNM29) répond : « Ce qui est plus artistique, mettons ». Et André (HNM28) conclut dans une métaphore : « C’est vrai qu’au lieu de les intégrer, on va à l’église parler pour savoir qui ils sont et qu’est-ce qu’ils font ». Ainsi, ils

évoquent l’idée qu’il existe une représentation bien définie des façons de penser, de sentir et d’agir que l’individu doit adopter s’il veut intégrer « leur » monde et que la collectivité est le juge qui accorde ou non son absolution au nouvel arrivant. En fait, il s’agit avant tout d’un « monde » qui se distingue des nouveaux arrivants du point de vue socioprofessionnel. Par conséquent, il est peu probable que des jeunes ayant poursuivi des études universitaires et qui ont notamment une vision contemplative de la nature — portrait stéréotypé — « fit » dans le « moule » des natifs, qui œuvre dans le secteur primaire, comme Charles (HNM29) et André (HNM28).

Chez les natifs, il y a une prise de conscience à l’égard des efforts qu’il faut déployer afin d’intégrer les nouveaux arrivants. Mais si intégrer ces jeunes passe par une sensibilisation au « mode de vie » des natifs, pour ensuite les intégrer à « notre » groupe, il est possible de remettre en question le caractère opératoire de cette idée. À partir de l’analyse menée dans ce chapitre, il semble que les nouveaux arrivants n’ont pas réellement l’intention de s’intégrer au sein de la collectivité des natifs. Ce que les natifs interprètent comme une marginalisation des migrants semble être vécue comme

une intégration chez les nouveaux arrivants. L’autre est marginalisé selon « mon » groupe, mais pas du point de vue de « l’autre » groupe. En fait, ces représentations expriment le caractère de plus en plus dualiste du milieu.

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