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Chapitre 5. Intégration au milieu

5.2 S’intégrer à « son » groupe social

L’intégration des nouveaux arrivants dans les MRC d’Avignon et de Bonaventure est un processus qui demande certains efforts, même si ce degré de difficulté n’est pas le même d’un migrant à l’autre. Il est indéniable que la présence de la parenté atténue les difficultés d’intégration ou de réintégration, notamment dans le cas des migrants de retour. Toutefois, il existe chez les migrants métropolitains rencontrés, un processus d’intégration qui passe des groupes formés en grande partie d’autres migrants, établis depuis une longue ou courte période. Ainsi, les migrants socialisent surtout avec des individus qui partagent leurs expériences métropolitaines, leur niveau d’éducation, leurs valeurs, qui ont le même âge, etc. Ce sont des individus qui ont choisi les êtres, les pensées et les choses desquels ils s’entourent et constitue un « mode de relation » particulier au monde (Arendt, 1989). Intégrer des groupes qui leur ressemblent du point de vue « culturel » permet à ces migrants de diminuer la situation de « crise » (Schutz, 2003) dans laquelle il se retrouve à leur arrivée. Paul (HMM2) explique la stigmatisation qu’il peut y avoir à l’égard des nouveaux arrivants et considère que, pour éviter cela, plusieurs s’intègrent à un réseau composé d’autres migrants : « C’est sûr que

t’es quelqu’un de l’extérieur pis d’arriver dans un petit milieu, t’es un outsider. Il y a beaucoup de monde que leur cercle social, c’est avec d’autres mondes qui viennent de l’extérieur ». Une

municipalité comme Carleton-Sur-Mer, qui accueille de nombreux migrants chaque année, apparaît ainsi comme un terreau riche pour ceux qui veulent s’intégrer dans des groupes qui partagent leurs façons de penser, de sentir et d’agir ou « manières de penser habituelles » (Schutz, 2003). Rosie (FMM23) explique en quoi Carleton-Sur-Mer se distingue de Bonaventure sur le plan de l’intégration

et de l’accueil. Elle voit la présence de nouveaux arrivants à Carleton-Sur-Mer comme la cause de cette particularité :

Mais pour avoir habité à Carleton et avoir habité à Bonaventure, je pense qu’il y a vraiment une distinction à faire entre les deux municipalités, en ce sens où, à Carleton, il y a beaucoup de néo-Gaspésiens, il y a beaucoup de gens qui viennent de l’extérieur, beaucoup de gens de Montréal, et de Québec. Bonaventure c’est des Cayens, je le sais, je travaille au [nom d’entreprise]. « C’est qui ton père ? C’est qui ta mère ? Tu viens d’où ? T’habites où ? » Ça fait deux ans que j’ai le même emploi et je considère que je suis assez active dans mon milieu, pis je me fais encore dire, « t’es qui toi ? » C’est des personnes âgées qui n’ont pas Facebook. — Rosie (FMM23)

Son expérience lui donne l’impression que la présence de « néo-gaspésiens » est un facteur facilitant l’intégration. Au contraire, elle ressent une forme de stigmatisation dans un milieu où l’on retrouve moins de nouveaux arrivants et dont la communauté semble plus intégrée. D’ailleurs, Olivier (HMM27), qui est lui aussi un migrant métropolitain, partage l’idée qu’être accueilli par de nouveaux arrivants et des « Gaspésiens de souche » ne relève pas de la même expérience :

Les nouveaux arrivants ici, eux ils sont comme « ah ! viens », ils venaient vers moi et ils étaient très accueillants. Les Gaspésiens de souches, eux, tu sens qu’ils sont contents parce que ça ajoute de la jeunesse, t’es comme une bonne statistique. Mais je ne sais pas à quel point ils veulent… je partage moins d’intérêts avec eux de toute façon, je cherche moins à joindre leur gang. Donc, je ne vis pas de rejet. — Olivier (HMM27)

Si Olivier (HMM27) « partage moins d’intérêts » avec les « Gaspésiens de souches », c’est que son modèle culturel est plutôt semblable à celui des « néo-gaspésiens », il partage les mêmes sensibilités que ces derniers. En allant de préférence vers eux, il évite un « rejet » de la communauté d’accueil ou la « crise typique » évoquée par Schutz. Ainsi, la quête de similitude est un processus essentiel dans l’intégration des nouveaux arrivants, surtout dans un milieu rural qui n’est plus aussi homogène qu’on pourrait le croire.

Le processus d’intégration des nouveaux arrivants participe à un phénomène particulier dans la Baie-des-Chaleurs, soit la formation de deux communautés parallèles. L’intégration de migrants dans des groupes de nouveaux arrivants donne de plus en plus forme à un groupe social dont les membres partagent un modèle culturel semblable, surtout caractérisé par l’expérience de vie métropolitaine. Ce groupe social en devenir participe à l’émergence de nouvelles représentations de l’espace, de la nature, du développement, de la sociabilité, de l’économie, etc., qui sont ancrées

dans un « mode de rapport au monde » (Arendt, 1989, p.273) typiquement urbain et qui contrastent à avec les représentations des « Gaspésiens de souches ». Ainsi, les nouveaux arrivants participent à la transformation de la « réalité d’ordre moral » (Halbwachs, 1970, p.4) du milieu, en intégrant de nouveaux éléments dans la « mémoire collective » de la société locale. Bien sûr, il s’agit ici d’une description bien grossière d’un phénomène sans doute plus complexe. Certains migrants ont, peut- être, plus de points en commun avec les « Gaspésiens de souches » qu’avec les nouveaux arrivants et vice-versa. La « différence culturelle » entre les deux groupes tient probablement à une manière de catégoriser des participants qui serait à nuancer. Est proposé ici un modèle d’explication en construisant des « groupes types » qui expriment une « tendance » représentée dans la constitution sociale de ce territoire. Le fait est que le caractère dualiste de la Baie-des-Chaleurs est de plus en plus perceptible et perçu comme étant lié aux migrations et à la mixité sociale du milieu.

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