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Migrations, cohabitations et visions du développement régional dans la Baie-des-Chaleurs : Étude des représentations sociales chez les jeunes adultes natifs, nouvellement arrivés ou de retour

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Academic year: 2021

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Migrations, cohabitations et visions du développement

régional dans la Baie-des-Chaleurs : Étude des

représentations sociales chez les jeunes adultes natifs,

nouvellement arrivés ou de retour

Mémoire

Nicolas Roy

Maîtrise en sociologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Résumé

Depuis plusieurs décennies, les régions de l’Est-du-Québec connaissent un vieillissement démographique et un dépeuplement accélérés par les migrations des jeunes vers les principaux centres métropolitains de la province de Québec (Mathews 1996 ; Morin, 2013). Or, depuis 2002, les MRC gaspésiennes d’Avignon et de Bonaventure ont connu une diminution de leur déficit démographique annuel, culminant pour la période 2008-2012 par des gains migratoires et une croissance de population (ISQ, 2016). Dans la foulée des travaux sur le développement des régions du Québec (Jean, 1997 ; Polèse, 2009 ; Proulx,2011), ce mémoire jette un regard original sur de nouvelles tendances dans l’occupation d’un territoire « rural », « périphérique » et « ressource ». Ce mémoire présente une étude des représentations sociales (Abric, 2001) des migrations, de l’intégration et du développement régional chez de jeunes natifs d’Avignon et de Bonaventure qui sont demeurés dans leur milieu d’origine, chez d’autres qui sont de retour d’une migration et chez de nouveaux arrivants provenant des régions métropolitaines. Les résultats de l’analyse suggèrent que l’expérience métropolitaine (Simmel, 2013) et le partage de la mémoire sociale du lieu (Halbwachs, 1970) sont déterminants dans la construction des représentations. Les représentations qui se dégagent du discours des migrants sont celles d’un milieu enrichi d’une urbanité distincte de celle des villes, d’une intégration confrontée à l’interconnaissance de la communauté d’accueil et d’un optimisme inquiet du développement, suscité par les projets du secteur primaire qui détériorent le territoire idéaliséde leur projet migratoire. Leurs représentations de la vie dans les deux MRC ont été comparées à celles d’un groupe de jeunes natifs pour qui cet espace est jugé en déclin et tributaire d’une économie des ressources naturelles. Cette étude met en lumière la cohabitation de groupes qui partagent désormais un même espace sans nécessairement s’y rencontreret partager les mêmes aspirations pour son avenir. Ce phénomène participe à l’accroissement de la mixité sociale dans le milieu ainsi qu’à une « métropolisation » de ce sous-ensemble régional.

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Abstract

For several decades, the Eastern Quebec regions have been experiencing accelerated population aging and depopulation through youth migration to Quebec’s major metropolitan centers (Mathews 1996, Morin, 2013). However, since 2002, the MRC of Avignon and Bonaventure on the Gaspé Coast have experienced a reduction in their annual population deficit, culminating for the 2008-2012 period by migratory gains and population growth (ISQ, 2016). In the wake of work on the development of the regions of Quebec (Jean, 1997, Polèse, 2009, Proulx, 2011), this memoir takes an original look at new trends in the occupation of a "rural", "peripheral" and "resource" territory.

This master thesis presents a study of social representations (Abric, 2001) of migration, integration and regional development among young natives of Avignon and Bonaventure who have remained in their home environment, among others who have returned from migration and newcomers from metropolitan areas. The results of the analysis suggests that the metropolitan experience (Simmel, 2013) and the sharing of the social memory (Halbwachs, 1970) of the place are decisive in the construction of representations. The representations that emerge from the migrants' discourse are those of an environment enriched by urbanity distinct from that of the cities, of an integration confronted with the mutual acquaintance of the host community and of a worried optimism of development, prompted by projects in the primary sector that deteriorate the idealized territory of their migration project. Their representations of life in the two MRC’s were compared to those of a native youth group for whom this space is judged to be declining and dependent on a natural resource economy. This study highlights the cohabitation of groups that now share the same space without necessarily meeting and sharing the same aspirations for its future. This phenomenon contributes to the increase of a social mix in the environment and to a "metropolisation" of this regional subassembly.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Liste des Tableaux ... viii

Liste des Cartes ... ix

Liste des Figures... x

Liste des Graphiques ... xi

Remerciements ... xii

Avant-propos... xiii

Introduction. Penser et étudier l’univers régional au Québec ... 1

Un pays de distance et de dispersion ... 3

Question de recherche et organisation du mémoire ... 7

Chapitre 1. Développement régional : l’« anomalie » gaspésienne ... 11

1.1 La « dynamique du déclin » dans l’Est-du-Québec ... 13

1.2 Le « problème social » du sous-développement régional ... 17

1.3 Les nouvelles tendances démographiques dans Avignon et Bonaventure ... 19

1.4 Représentations du développement de l’espace régional et nouvelles dynamiques économiques dans Avignon et Bonaventure ... 28

1.4.1 Mario Polèse : Avignon et Bonaventure, une « périphérie d’exploitants » ... 29

1.4.2 Marc-Urbain Proulx : Avignon et Bonaventure, une « zone périphérique de transition » ... 32

1.4.3 Bruno Jean : Avignon et Bonaventure, des « communautés rurales » ... 34

1.4.4 Les nouvelles dynamiques économiques d’Avignon et de Bonaventure ... 36

1.5 Nouvelle structuration du territoire dans Avignon et Bonaventure ... 42

1.6 Le tourisme comme agent « d’urbanité » et de « centralité » dans la Baie-des-Chaleurs ... 47

Chapitre 2. La construction du rapport au territoire chez les jeunes migrants ... 51

2.1 Dynamiques migratoires des jeunes au Québec ... 52

2.3 La « vie de l’esprit » dans les villes modernes ... 59

2.4 L’étranger et l’homme qui rentre au pays : théorie de l’interprétation culturelle chez Alfred Schutz ... 61

2.5 La morphologie sociale et la mémoire collective chez Maurice Halbwachs ... 64

2.7 Représentations sociales et phénoménologie des mondes vécus ... 71

2.7.1 Les représentations sociales ... 74

2.7.2 Représentations sociales de la migration, de l’intégration et du développement du milieu... 76

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3.1 Question de recherche et objectifs ... 80

3.2 Méthodologie ... 81

3.3 Profil des participants ... 82

3.4 Recrutement et partenaire de recherche ... 84

3.5 Instrument de collecte et méthode d’analyse ... 85

3.5.1 Instrument de collecte ... 85

3.5.2 Méthode d’analyse : la recherche du noyau central ... 88

3.6 Limites de l’étude ... 89

Chapitre 4. Migrer vers Avignon et Bonaventure ... 91

4.1 Un espace aux antipodes de la métropole ... 92

4.2 Diversité des préoccupations liées à l’emploi selon la proximité de la famille ... 97

4.3 Un espace de centralité et de qualité de vie ...102

4.4 Inconvénients et causes d’insatisfactions limitant l’attractivité du milieu ...110

4.5 Conclusion : Des motifs à la migration ancrés dans des représentations diversifiées de l’espace ...113

Chapitre 5. Intégration au milieu ...115

5.1 Migrer dans un « petit milieu » : une insertion difficile ...117

5.2 S’intégrer à « son » groupe social ...119

5.3 Une interconnaissance qui empiète sur la vie privée ...121

5.4 Le syndrome d’Ulysse ...125

5.5 L’intégration des nouveaux arrivants du point de vue des natifs ...128

5.6 Conclusion : un milieu intégré et dualiste ...130

Chapitre 6. Représentations du développement du milieu et de la région ...132

6.1 Un milieu qui nourrit l’optimisme pour le développement ...133

6.2.1 Vitalité et développement endogène ...134

6.2.2 Potentiel entrepreneurial et personnel ...137

6.2.3 Entraide et solidarité ...140

6.3 Inquiétude et fragilité du développement ...142

6.3.1 Un extractivisme qui « dénature » la région ...143

6.3.2 Problèmes sociaux ...147

6. 5 Conclusion : Un optimisme inquiet du développement ...158

Conclusion ...161

7.1 Avignon et Bonaventure : un espace régional en transformation ...161

7.2 La Baie-des-Chaleurs : nouvel espace de cohabitation ...162

7.3 Pour la suite du pays : perspectives de recherche sur les espaces ruraux ...166

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Annexes ...175

Annexe 1. Lettre de sollicitation des migrants et natifs ...175

Annexe 2. Questionnaire individuel et schéma d’entretien de groupe des migrants ...177

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Liste des Tableaux

Tableau 1. Comparaison des projections de 1996 et population réelle de 2016

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et MRC d’Avignon et de Bonaventure (en milliers) ... 14 Tableau 2. Projection de la structure par âge de la population à l’horizon 2016 et population réelle

2016 (en %) ... 16 Tableau 3. Hiérarchie de la population dans les municipalités des MRC d’Avignon et de

Bonaventure 2006-2011-2016 ... 46 Tableau 4. Profil des participants ... 84

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Liste des Cartes

Carte 1. Carte de localisation de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (Québec) ... 6 Carte 2. Les six MRC de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine ... 6 Carte 3. Soldes migratoires interrégionaux cumulés des MRC de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

pour la période 2006-2016 (N) ... 26 Carte 4. Variation de la population (en %) des 25-44 dans les municipalités des MRC d’Avignon et

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Liste des Figures

Figure 1. Noyau et périphérie de la représentation sociale des motivations à la migration et du

caractère attrayant du milieu : Rejet du métropolitain ... 92 Figure 2. Noyau et périphérie de la représentation sociale des motivations à la migration et du

caractère attrayant du milieu : Préoccupations pour l’emploi ... 98 Figure 3. Noyau et périphérie de la représentation sociale des motivations à la migration et du

caractère attrayant du milieu : Centralité et qualité de vie ... 103 Figure 4. Noyau et périphéries des représentations sociales de l’intégration : un milieu intégré ... 116 Figure 5. Noyau et périphéries des représentations du développement : Un milieu dynamique ... 134 Figure 6. Noyau et périphéries des représentations du développement : Inquiétudes liées à la

fragilité du développement ... 143

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Liste des Graphiques

Graphique 1. Variation de la population Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine 1996-2016 ... 19 Graphique 2. Soldes migratoires interrégionaux Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine 2001-2016 ... 20 Graphique 3. Variation de la population selon le groupe d’âge dans la MRC d’Avignon 1996-2016 ... 21 Graphique 4. Soldes migratoires interrégionaux selon le groupe d’âge dans la MRC d’Avignon 2001-2016 (N) ... 22 Graphique 5. Variation de la population selon le groupe d’âge dans la MRC de Bonaventure 1996-2016 .. 23 Graphique 6. Soldes migratoires interrégionaux selon le groupe d’âge dans la MRC de Bonaventure 2001-2016 (N) ... 24 Graphique 7. Soldes migratoires interrégionaux des MRC d’Avignon et de Bonaventure avec certains ensembles de régions administratives 2008-2016 (N) ... 28 Graphique 8. Total des entrants et des sortants pour les MRC d’Avignon et de Bonaventure 2008-2016 (N) ... 31 Graphique 9. Répartition des emplois par secteurs d’activité en 2017 pour la région

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (%) ... 37 Graphique 10. Population active âgée de 15 ans et plus selon la profession – classification nationale des professions (CNP) MRC Avignon 2006... 38 Graphique 11. Population active âgée de 15 ans et plus selon la profession – classification nationale des professions (CNP) MRC Avignon 2016... 38 Graphique 12. Population active âgée de 15 ans et plus selon la profession – classification nationale des professions (CNP) MRC Bonaventure 2006 ... 39 Graphique 13. Population active âgée de 15 ans et plus selon la profession – classification nationale des professions (CNP) MRC Bonaventure 2016 ... 40

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Remerciements

L’aboutissement de ce mémoire de maîtrise dans sa forme actuelle aurait été impossible sans le soutien, la contribution et le dévouement de mon directeur de recherche, Dominique Morin. Du

Séminaire de maîtrise jusqu’aux derniers détails de la rédaction, il s’est impliqué activement à

l’enrichissement et au progrès de ce mémoire. Il m’a aidé à trouver les mots justes qui rendaient l’analyse claire et pertinente et m’a évité de tomber dans les écueils d’une sociologie spontanée sans originalité. Ma formation a considérablement été enrichie par les nombreuses discussions que nous avons eues et qui souvent dépassaient le cadre de ma recherche, mais qui étaient toujours passionnantes. Mes sincères remerciements pour ton aide et ton soutien dans la réalisation de ce mémoire de maîtrise, un moment qui restera gravé dans ma mémoire comme une expérience intellectuelle de premier ordre.

J’aimerais aussi remercier Geneviève Labillois et Lysanne St-Onge, agentes de migration à Place

aux jeunes pour les MRC d’Avignon et de Bonaventure. Dès le départ, elles ont démontré un intérêt

pour mon projet de recherche et ont apporté un soutien logistique essentiel au recrutement des participants et participantes. Merci pour le temps que vous avez consacré à ce projet. Sans votre collaboration, ce mémoire de maîtrise aurait été amputé d’une part considérable.

Merci également à ceux et celles qui ont donné leur voix et qui ont permis la réalisation de ce mémoire. J’ai une immense gratitude envers tous ces jeunes de la Baie-des-Chaleurs qui, malgré la distance que plusieurs avaient à parcourir, ont accepté de participer aux groupes de discussion. Cette expérience n’aurait pas été la même sans le partage de votre vécu et de votre vision de la région. Mille fois merci !

Lors de cet exercice académique, j’ai pu compter sur le support de ma famille et de mes amis qui contribuent pour beaucoup à constituer autour de moi un monde où je peux me détacher du travail scientifique. Merci de votre présence, de votre amitié et de votre affection. Enfin, comment ne pas souligner le support inconditionnel de celle qui tous jours partage mon cassoulet. Merci Solange pour ta confiance, ton soutien et ton sourire.

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Avant-propos

Pour rejoindre la Ville de Québec à partir du village d’Escuminac dans la Baie-des-Chaleurs, il faut emprunter la route 132 Ouest. Le voyage commence par la traversée de la vallée de la Matapédia qui aboutit à Mont-Joli. De là, nous apercevons le Fleuve pour la première fois. Le paysage change. Les terres agricoles sur notre gauche, le Saint-Laurent sur notre droite, un tronçon isolé d’autoroute, et puis Rimouski, pôle métropolitain du Bas-Saint-Laurent. À Trois-Pistoles, nous nous engageons pour de bon sur l’A-20. Sans être un chef-d’œuvre de beauté, elle nous mène sans détour vers notre destination. Nous devons auparavant passer devant certains centres économiques et urbains de la vallée du Saint-Laurent. Rivière-du-Loup, ville entrepreneuriale. La Pocatière, centre de savoir agricole. Et puis, Lévis. L’espace des champs et des forêts se rétrécit et la densité urbaine augmente. Une raffinerie sur la droite. Un goulot d’étranglement automobile se forme à l’approche des intersections des autoroutes A-20 et 73. Sortie 312-N pour le Pont Pierre-Laporte. Nous franchisons le fleuve vers la rive nord. Six heures de route, 500 kilomètres et nous voilà arrivés. Mais il faudra également faire le chemin de retour. Lors de mes études universitaires, j’ai réalisé cet aller-retour une quarantaine, peut-être même une cinquantaine de fois. Je retournais dans mon coin de pays pour visiter mes proches, pour Noël, pour la chasse, pour mon emploi d’été, enfin, pour tout et pour rien.

Cette expérience du territoire, ce n’est pas seulement la mienne, mais également celle de plusieurs autres jeunes du Québec et d’ailleurs pour qui la famille, les amis et les obligations professionnelles sont dispersés dans une multitude de lieux. Que ce soit la jeune abitibienne qui poursuit ses études à Sherbrooke ou le jeune montréalais qui prend la décision de s’établir en Gaspésie, la représentation de l’espace qu’ils habitent est alimentée par le rapport à d’autres lieux qui ont marqué leur expérience vécue, exercé une influence sur leurs valeurs ou développée en eux certaines sensibilités. Originaire d’un milieu où l’appartenance à la région est souvent revendiquée et même célébrée par plusieurs, l’expérience que j’ai acquise dans la « rencontre de deux mondes » a suscité en moi un questionnement quant au rapport entre les jeunes et le territoire ainsi qu’au devenir de l’espace régional de la Baie-des-Chaleurs. À partir du savoir de sens commun que j’avais de ce milieu, je me questionnais sur l’apport des nouveaux arrivants dans le développement d’un espace « rural » qui semblait plus complexe et diversifié qu’une simple campagne agricole ou une région ressource. L’intention originale de ce projet de mémoire est le fruit de ces expériences et réflexions.

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[…] l’espace n’est pas ce milieu vague et indéterminé qu’avait imaginé Kant : purement et absolument homogène, il ne servirait à rien et n’offrirait même pas la prise de la pensée. La représentation spatiale consiste essentiellement dans une première coordination introduite entre les données de l’expérience sensible. Mais cette coordination serait impossible si les parties de l’espace s’équivalaient qualitativement, si elles étaient réellement substituables les unes aux autres. […] C’est dire que l’espace ne saurait être lui-même si, tout comme le temps, il n’était divisé et différencié. Mais ces divisions, qui lui sont essentielles, d’où viennent-elles ? Par lui-même, il n’a ni droite ni gauche, ni haut ni bas, ni nord ni sud, etc. Toutes ces distinctions viennent évidemment de ce que des valeurs affectives différentes ont été attribuées aux régions. Émile Durkheim Les formes élémentaires de la vie religieuse

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Introduction. Penser et étudier l’univers régional au Québec

Au Québec, la sociologie occupe depuis plusieurs décennies une place privilégiée dans le champ des sciences régionales (Lacour et Proulx, 2012). En 1963, Fernand Dumont et Yves Martin voyaient déjà l’importance d’une « réflexion sociologique diversifiée » de la société à partir des études régionales. Sur le plan de l’organisation sociale, Dumont et Martin soupçonnaient l’existence de distinctions entre les différentes régions d’un Canada français en transition. Le « doute » sociologique les amenait à penser que « beaucoup de caractéristiques [différenciaient] les Canadiens français de la Gaspésie et ceux de Montréal » (Dumont et Martin, 1963, p.3). Des distinctions dont la sociologie devait rendre compte en mobilisant ses outils de « recherche et [de] vérification » (Dumont et Martin, 1963, p.11). À une époque de changements fondamentaux dans la société québécoise, l’analyse régionale devait fournir les données scientifiques permettant de disposer « d’une connaissance plus concrète et plus nuancée du territoire » (Dumont et Martin, 1963, p.4). Cette préoccupation pour une sociologie rurale ou « régionale » a aussi animé les travaux de Gérald Fortin (1971) qui a étudié quant à lui les mutations sociales des milieux ruraux dans leurs rapports avec les milieux urbains. Aujourd’hui, les « études territoriales » pluridisciplinaires tentent encore de saisir les dynamiques de l’évolution des régions du Québec à travers diverses conceptualisations de leur « occupation » et de leur développement (Jean, 1997 ; Polèse, 2009 ; Proulx, 2012).

Les sciences sociales — notamment la sociologie — s’intéressent le plus souvent à un objet quand celui-ci est subitement projeté au-devant de la scène des débats publics ou qu’il représente un défi social. Les études régionales n’y font pas exception. L’exode de la population des campagnes vers les villes, la décroissance démographique, le vieillissement démographique, la transformation des normes et des valeurs dans la transition de la société canadienne-française à la société québécoise, la « marginalité » de plusieurs communautés rurales, le déclin de certaines industries d’exploitation des matières premières lors des crises économiques, la prise en charge des régions par l’État, le « sous-développement » régional et biens d’autres enjeux sociaux ont fait de l’état des régions non métropolitaines une préoccupation et un objet d’étude des sciences sociales et de la sociologie en particulier. Ainsi, l’objet « région » a acquis une légitimité aux yeux de chercheurs1 qui ont saisi le

1 Tous les termes qui renvoient à des personnes sont pris au sens générique. Ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin. La féminisation des termes souligne les situations qui concernent spécifiquement les femmes. 

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territoire du Québec dans sa diversité et qui ont œuvré à en « nuancer » la représentation dans une visée de connaissance, mais aussi dans une visée d’intervention et de résolution de problèmes socioéconomiques. Dumont et Martin soulignaient que le rôle du sociologue dans les études régionales n’est pas de tomber dans la simple description du territoire, mais qu’il doit accomplir une nécessaire « mise en relation, par l’analyse sociologique, des diverses couches du social [permettant] au chercheur de formuler quantité d’hypothèses » (Dumont et Martin, 1963, p.10). En effet, pour la sociologie, les petits villages ruraux, le réseau des centres urbains régionaux, les régions administratives et même les territoires plus mouvants des analyses économiques peuvent être analysés en tant qu’« ensembles sociaux » (Dumont et Martin, 1963, p.11). L’étude de ces segments de « société » peut révéler un ordre de réalité jusqu’ici méconnue dans les relations entre les divers groupes socioprofessionnels, dans les représentations de l’espace, dans les actions posées par les acteurs du milieu ou encore dans le mode d’occupation de ces territoires. Par souci de contribution rigoureuse à l’avancement des connaissances dans le champ de la sociologie « régionale » et pour « nuancer » le portrait existant du devenir des régions du Québec, la présente recherche a été circonscrite au phénomène des migrations des jeunes dans un sous ensemble régional de l’Est-du-Québec. Ce choix est celui d’une fenêtre depuis laquelle nous avons exploré de nouvelles réalités dont l’étendue des manifestations dépasse les limites de l’espace et de la population à l’étude.

Dans les années 1930, le sociologue américain Everett C. Hughes observait le phénomène de la migration massive des ruraux vers les industries des villes. À cette époque, l’opposition entre le monde rural et l’urbain était « plus saisissante au Québec que nulle part ailleurs en Amérique du Nord » (Hughes, 2014, p.46). Ce clivage opposait les valeurs nationalistes d’une ruralité magnifiée dans le culte de la tradition canadienne-française et celles de la ville des « Anglais », lieux de la modernité véhiculant de nouvelles normes de conduite liées à l’aspiration à la civilisation de la société industrielle et à un niveau de vie plus élevé (Fortin, 1971). Mais cette dichotomie culturelle et territoriale sera cependant dépassée dès les années 1950 selon les travaux de Gérald Fortin sur les transformations des modes de vie, des normes et des valeurs dans le monde rural. Il affirmera avoir assisté à la « fin d’un règne », celui du monde rural magnifié par le nationalisme canadien-français, n’existant plus comme tel sur les territoires ruraux et dans l’esprit de ceux qui les habitent (Fortin, 1971). Le Québec se présentait désormais à lui comme une société post-industrielle ayant connu une homogénéisation des valeurs et des aspirations de ses membres dont le territoire serait

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de plus en plus structuré en un « réseau de villes […] à densité variable » (Fortin, 1971, p.390), dont les ruraux vivent en relation avec les centres urbains, plutôt qu’en communautés paroissiales isolées de la vie urbaine. Cette vision qu’avait Fortin des mutations sociales dans les milieux rurauxet les centres régionaux paraît aujourd’hui à réactualiser en regard de dynamiques territoriales observables dans certains ensembles et sous-ensemble régionaux. Ce n’est pas nécessairement la « fin du monde rural » qui apparaît dans ces dynamiques territoriales, mais plutôt une transformation marquée par l’essor de manières de s’approprier le territoire, de penser et de participer à son développement que l’on pourrait qualifier de métropolitaine. Leur essor soutenu par la migration de jeunes ayant vécu en région métropolitaine produit un nouveau clivage dans la région qui échappe aux interprétations qui continuent d’associer la ruralité et l’urbanité à des territoires et aux collectivités locales qui les habitent, en négligeant les effets de la mobilité et des échanges sur le développement. Comme l’affirme Morin (2013, p.83-84), il est nécessaire de « réviser nos représentations de la vie dans ces régions » dites non métropolitaines.

Un pays de distance et de dispersion

2

Ce mémoire s’intéresse à deux MRC de la Baie-des-Chaleurs3 très éloignées de la métropole et des

pôles de développement économique importants de la province de Québec. Dans l’univers régional québécois, la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine est depuis longtemps identifiée comme un territoire périphérique, au même titre que le Bas-Saint-Laurent, la Côte-Nord ou encore l’Abitibi-Témiscamingue. Parallèlement, le Québec est lui-même considéré par les analystes comme un « espace périphérique à l’échelle du continent nord-américain » (Lacour et Proulx, 2012, p.472). Cela ferait de la presqu’île gaspésienne une périphérie de la périphérie. Cette situation géographique est très bien exprimée dans la toponymie du territoire. En langue micmaque, le terme Gaspésie ou

Gaspé tire son origine du mot Gespeg qui signifierait « bout, fin ou extrémité » des terres (Rouillard,

1906, p.35). Ce « bout du monde » a été depuis le 17e siècle — c’est-à-dire depuis l’intégration de

ses ressources et de ses habitants à l’économie atlantique — un territoire d’exploitation et d’exportation des ressources naturelles. D’abord reconnues pour ses prodigieuses réserves de poissons, les eaux de la région ont fait la convoitise des pêcheurs basques, français et jersiais. Au 18e et au 19e siècle, le commerce de la morue sèche représente le principal moteur économique de

2 Titre de l’ouvrage de Clermont Dugas (1981) qui fait référence à deux régions administratives de l’Est-du-Québec : Bas-Saint-Laurent–Gaspésie. 3 Dans le cadre de ce mémoire, le terme « Baie-des-Chaleurs » est employé pour désigner le territoire des MRC d’Avignon et de Bonaventure.

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la péninsule, une ressource qui fut surtout monopolisée par les compagnies anglo-normandes (Bélanger, Desjardins et Frenette, 1981, p.157). Cette pêche perdura jusqu’au début des années 1990, époque de l’établissement d’un moratoire à la suite de l’effondrement des stocks de morue. L’industrie du bois s’y est développée vers la fin du 19e siècle avec l’intérêt grandissant des

compagnies forestières pour cette « nouvelle zone d’approvisionnement »(Bélanger, Desjardins et Frenette, 1981, p.355). Pour les pêcheurs et les agriculteurs, la forêt représentait souvent une source de revenus additionnels durant la période hivernale. Le secteur industriel lié aux matières premières se développa principalement dans la seconde moitié du XXe siècle. Ensuite, les usines de pâtes et

papiers, les moulins de sciage et la mine de Murdochville ont connu un lent déclin jusqu’à la fermeture complète de plusieurs usines au tournant des années 2000. En regard de ce passé, il n’est pas étonnant que le terme de « région ressource » ait servi à désigner la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine depuis une soixantaine d’années.

Dans sa tentative de rationalisation qui mènerait à l’avènement de la « cité idéale » (Simard, 2005, p.211), la Révolution tranquille a désigné la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine comme « région pilote » du développement servant de « laboratoire où se faire la main en attendant de s’attaquer carrément aux cadres sociopolitiques de toute la société québécoise » (Simard, 2005, p.211). En 1961, la grande région du Bas-Saint-Laurent–Gaspésie était considérée comme « la plus pauvre de la belle province », ayant un taux de chômage de 8,25 %, alors qu’au même moment, celui de la région de Montréal avoisine 3,64 % (Thibeault, 2014, p.47). Ces deux entités territoriales apparaissaient à l’époque comme un « territoire marginal immense, où habitait une population pauvre d’environ 325 000 habitants, rurale, dispersée, dépendante du gouvernement québécois pour sa survie » (Godbout, 2014, p.63). Dans la décennie 1960, l’intervention de l’État dans l’Est-du-Québec visait le développement et le rattrapage de la modernité du reste de l’Occident par l’économie de la région. Si la science devait jouer un rôle de premier ordre dans l’entreprise du Bureau d’aménagement de l’Est-du-Québec (BAEQ)menée de 1963 à 1966, la population locale devait aussi être appelée à participer à l’expérience de développement. À la suite de l’enquête du BAEQ, il a été proposé de créer dans le territoire pilote deux pôles de développement industriel, soit Rivière-du-Loup et Rimouski — aucun en Gaspésie —, de fusionner plus de 200 municipalités pour en réduire le nombre à 25 (Thibeault, 2014, p.55) et de fermer 11 paroisses rurales. Il faut ajouter à cela le scandale suscité par le rapport de la firme française Métra qui recommandait en 1970 la fermeture de 96 localités, dont 15 étaient des territoires non organisés (Deschênes et Roy, 1994, P39). La plupart

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des communautés désignées évitèrent la fermeture et le mouvement des Opérations Dignité donna une poussée et une visibilité à l’émergence d’une conscience régionale que l’animation sociale du BAEQ avait cherché à créer. La promotion de la « régionalisation » voulait permettre la création d’une nouvelle solidarité politique entre le local et le provincial autour d’un plan de développement et ainsi dépasser les esprits de clocher (Simard, 2005, p.226). Par la suite, la conscience régionale a plutôt constitué un « nous » des « gens de la région » devenue objet de représentations sociales après avoir légitimé des représentations politiques militantes. Ces épisodes ont marqué l’identité régionale gaspésienne, le rapport entre les habitants et le territoire, ainsi que la genèse de « l’esprit du développement régional québécois » (Morin, 2017).

Géographiquement, la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine est située à l’extrémité est de la province de Québec (voir Figure 1). En 2016, la région comptait approximativement 90 300 habitants dispersés sur un territoire de 20 223 km2 (ISQ, 2018). À titre comparatif, la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu

avait en 2016 une population similaire — 96 371 habitants — répartie sur 226,63 km2 (Statistique

Canada, 2018). Cette comparaison anecdotique vise à rappeler que l’occupation du territoire au Québec est marquée par la diversité. Les tendances démographiques et migratoires des différentes Municipalités régionales de comté (MRC) de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine présentent aussi des disparités, mais qui ne sont plus simplement réductibles à des effets de volume ou de densité de peuplement sur la côte ou « dans les terres ».

Les MRC d’Avignon et de Bonaventure sur lesquelles porte cette étude sont situées au sud de la péninsule gaspésienne (voir Figure 2), face à la province du Nouveau-Brunswick. Elles couvrent à elles deux un territoire de 7870 km2, occupé en 2016 par une population de 32 121 habitants (ISQ,

2018), et représentaient alors 35,6 % de l’ensemble de la population de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Il s’agit d’un territoire très éloigné de la métropole montréalaise — plus de 750 km — et ayant une faible densité de population, soit approximativement 4 habitants/km2 (ISQ, 2018). La

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et les MRC d’Avignon et de Bonaventure ne comptent pas de pôles urbains qui présentent une densité importante de population.

Avignon et Bonaventure apparaissent propices à l’analyse sociologique dans la mesure où certaines tendances populationnelles des dernières années nécessitent, comme Dumont et Martin le mentionnaient, une « connaissance plus concrète et plus nuancée »(Dumont et Martin, 1963, p.4).

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Les données statistiques récentes, mais aussi l’expérience vécue du chercheur — originaire de ce milieu —, auront conduit à penser cet espace comme étant en mutation. C’est principalement à travers le discours des jeunes qui l’habitent, la découvrent et l’expérimentent que la Baie-des-Chaleurs est saisie dans le cadre de ce mémoire de maîtrise. Cette approche permet de mieux comprendre ce que devient cet espace régional ainsi que de mieux connaître les jeunes qui font le choix d’y vivre.

Carte 1. Carte de localisation de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (Québec)

Source : Wikipedia Creative commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gaspesie-Iles-de-la-Madeleine_(Quebec)_map.svg (Page consultée le 10 août 2018)

Carte 2. Les six MRC de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

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Migration et rapport au territoire gaspésien

La migration des jeunes vers les milieux ruraux correspond à une dynamique territoriale dont l’étude paraît nécessaire en regard de nouvelles tendances observées dans les dernières années (Morin, 2013). Des régions telles que le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine ont connu, surtout entre 2012 et 2016 (ISQ, 2018), des soldes migratoires interrégionaux positifs et une croissance démographique dans certaines de leurs municipalités et Municipalités régionales de comté (MRC). En Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, ce sont surtout les MRC d’Avignon et de Bonaventure qui retiennent l’attention. Si d’autres MRC gaspésiennes ont connu des soldes migratoires interrégionaux positifs, Avignon et Bonaventure sont les seules à avoir connu des années de croissance démographique dans cette période et ce sont également les seules pour lesquelles les projections statistiques annoncent une légère croissance démographique d’ici 2036 (ISQ, 2018). Les jeunes de 24-35 ans représentent une proportion non négligeable dans les soldes migratoires interrégionaux positifs de ces deux MRC, fait étonnant là où « l’exode » des jeunes vers les villes a été pendant plusieurs décennies identifié comme un problème régional.

Si ce phénomène pose d’abord la question du « pourquoi » certains jeunes choisissent-ils la Baie-des-Chaleurs comme nouveau milieu de vie, il paraît également intéressant pour le sociologue d’examiner le rapport de ces jeunes au développement territorial. Ce qu’il y a de commun dans la façon dont ils se représentent leur espace habité indique ce qui est déterminant dans la construction de leur « rapport à l’espace » (Lefebvre, 1986). L’intuition sociologique amène à penser que le même territoire ne signifie pas la même chose pour un jeune migrant originaire de Montréal, un migrant de retour dans la Baie-des-Chaleurs ou encore chez un jeune qui n’a jamais quitté ce milieu.

Question de recherche et organisation du mémoire

L’objectif général de ce mémoire est d’explorer les représentations sociales de jeunes migrants et natifs des MRC gaspésiennes d’Avignon et de Bonaventure liées à la migration et au développement. La question à laquelle il répond est la suivante : quelles représentations sociales les jeunes migrants et natifs des MRC d’Avignon et de Bonaventure ont-ils du phénomène migratoire et de l’intégration des anciens et nouveaux habitants dans ces milieux ; et quelles sont leurs représentations des perspectives de développement de leur milieu et de la Gaspésie ? Afin de répondre à cette question de recherche, deux catégories de migrants ont été

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rencontrées : des migrants de retour dans ces MRC et des migrants originaires de régions métropolitaines. Aussi, un groupe de jeunes natifs a été rencontré afin de mieux cerner la façon dont leurs représentations de la région se distinguaient de celle des migrants. Au terme de cette recherche, il apparaît que le milieu d’origine et le passage par la grande ville sont des facteurs déterminants dans les représentations que les jeunes expriment en discutant de leur milieu, de la sociabilité et du développement qu’on observe.

Ce mémoire est composé de six chapitres. Le Chapitre 1 est dédié à l’état de la question qui vise à comprendre en quoi l’espace régional étudié connaît des transformations qui rendent nécessaire un examen plus approfondi de celui-ci. Le « problème régional » est abordé à travers des représentations savantes du développement des régions élaborées depuis les années 1990 et la façon dont la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et les MRC d’Avignon et de Bonaventure y apparaissent. Ces analyses sont comparées aux tendances démographiques, migratoires et de structuration du territoire observées actuellement dans les MRC à l’étude. La question de la croissance du tourisme y est finalement abordée pour saisir les possibles impacts de ce phénomène sur l’urbanité du lieu. À travers cet exercice apparaît un milieu dont le peuplement et l’économie se détachent des représentations des régions et de leur développement, et où semblent se dessiner de nouvelles dynamiques métropolitaines.

Le Chapitre 2 propose un cadre théorique pour étudier le phénomène migratoire des jeunes dans les MRC d’Avignon et de Bonaventure et leurs rapports au milieu d’accueil. Les différentes notions sociologiques qui y sont présentées permettent de mieux saisir les processus de construction des représentations du territoire et de l’espace chez de jeunes natifs ou des migrants récemment installés dans la région. Les apports d’études québécoises sur le phénomène de la migration des jeunes sont d’abord présentés, ce qui permet de mieux saisir les différentes trajectoires migratoires et la diversité sociale et culturelle que la migration peut procurer à de petites communautés. Ensuite, la sociologie de Georg Simmel (2013) sur la Grande ville et la vie de l’esprit est mobilisée afin de comprendre comment la vie urbaine ou le passage par celle-ci induit une forme de représentation de l’espace et des interactions sociales. Le travail théorique d’Alfred Schutz (2003) est également évoqué pour l’éclairage qu’il apporte au phénomène « d’interprétation » d’un nouveau milieu de vie chez l’Étranger ou Celui qui rentre au pays. Des réflexions de Maurice Halbwachs (1970) sur la

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effets de l’intégration de nouveaux individus dans une communauté. Les différentes représentations que peuvent avoir les migrants d’origine métropolitaine, les migrants de retour et les natifs trouvent de plus un éclairage théorique dans les travaux d’Henri Lefebvre (1986) qui aident à comprendre les différents types de rapport à l’espace et leurs fondements sociaux. Enfin, des apports de l’interactionnisme symbolique de Peter Berger et Thomas Luckmann (2006) et de la sociologie phénoménologique d’Alfred Schutz (1987) complètent la construction du cadre théorique de cette recherche visant l’analyse de la représentation du « réel », pour y trouver des « connaissances » qui donnent un « sens » au monde. Ce corpus théorique amène à penser les différents rapports possibles au territoire et à l’espace « social » chez les migrants et les natifs ainsi que les effets que l’intégration de nouveaux individus avec une expérience métropolitaine peut avoir dans un milieu rural peu densément peuplé.

Le Chapitre 3 présente la question de recherche, les objectifs ainsi que la méthodologie retenue dans le cadre de ce mémoire. La population à l’étude, l’échantillonnage, le recrutement des participants et la contribution d’un partenaire de recherche y sont également décrits et justifiés. Le profil des participants est caractérisé et le choix de la discussion de groupe comme méthode de collecte est aussi expliqué, ainsi que la méthode d’analyse qui est celle de la recherche du noyau

central de la représentation sociale élaborée par Jean-Claude Abric (2005). Le chapitre se termine

par la présentation des limites de l’étude.

L’Analyse des résultats débute avec le Chapitre 4 qui examine les motifs, évoqués par les migrants, ayant contribué à leur migration dans les MRC d’Avignon et de Bonaventure. Par leurs réponses, les migrants évoquent des expériences communes dans lesquelles les motifs de la migration donnent forme à des représentations sociales de la Baie-des-Chaleurs comme espace aux caractéristiques naturelles et sociales appréciées. Ce chapitre présente également les représentations des natifs concernant leur motivation à migrer hors de la région. Ce chapitre aborde également les différents inconvénients et causes d’insatisfactions qui, selon les différentes catégories de jeunes, limitent l’attractivité du milieu. L’analyse réalisée amène à penser que les représentations que les jeunes ont des deux MRC, comme milieu visé par la migration ou milieu de vie, varient selon qu’ils soient originaires d’une région métropolitaine, qu’ils soient un migrant de retour ou encore un natif.

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Le Chapitre 5 analyse les représentations des migrants concernant leur intégration au milieu. Les représentations des natifs à propos de l’intégration des migrants y sont également abordées. Ce chapitre vise à comprendre les processus d’intégration tels que les migrants affirment l’avoir vécu, mais aussi à saisir les représentations d’un espace rural à travers le discours de jeunes originaires ou ayant séjourné en région métropolitaine. Les stratégies et les difficultés d’intégration évoquées par les différentes catégories de participants permettent de saisir des représentations sociales liées à la sociabilité, aux relations interpersonnelles et à la solidarité chez des jeunes au parcours variées. L’analyse des représentations de l’intégration montre comment l’expérience métropolitaine, le retour dans l’ancien milieu de vie ou encore le fait de n’avoir jamais quitté la région sont déterminants dans la construction du discours. Les représentations de l’intégration témoignent de la nouvelle composition sociale qui émerge dans les MRC d’Avignon et de Bonaventure.

Le Chapitre 6 analyse les représentations des migrants et des natifs sur la question du développement actuel de leur milieu et de la région, ainsi que sur des suites potentielles qu’ils anticipent ou encouragent pour l’avenir. Les trois catégories de jeunes rencontrés, qui ont tous une expérience différente de la région et de son passé, produisent un discours dont l’interprétation permet de saisir l’influence des expériences antérieures sur les représentations de la Baie-des-Chaleurs et de son développement. Cet exercice permet de saisir comment les inquiétudes, mais aussi l’optimisme de ces jeunes sur la question du développement, expriment un avenir régional différemment représenté à travers des conceptions et des perceptions différentes de cet espace. La conclusion présente une synthèse des principaux résultats de l’analyse et des constats qui peuvent être faits concernant les nouvelles dynamiques démographiques, sociales et économiques des MRC d’Avignon et de Bonaventure. Des suites proposées à ce mémoire de maîtrise sont aussi présentées ainsi que les questions que posent aux sciences sociales et à la sociologie les nouvelles réalités régionales observées dans la Baie-des-Chaleurs.

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Chapitre 1. Développement régional : l’« anomalie » gaspésienne

En janvier 2015, le Conseil du patronat du Québec invitait en commission parlementaire le gouvernement provincial à « réallouer une partie des budgets actuellement consacrés au maintien des municipalités dévitalisées vers des mesures facilitant la relocalisation des ménages qui y habitent » (Le Soleil, janvier 2015). Ce type de proposition irrite les sensibilités dans une région comme la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, qui a été confrontée à des décisions et des projets de délocalisation à la suite des recommandations du BAEQ à la fin des années 1960, puis du projet du Parc Forillion et du dépôt d’un rapport de la firme Métra dans les années 1970. Bien que le Conseil du patronat se soit publiquement excusé de cette « formulation maladroite » (Le Soleil, février 2015), ce discours témoigne de la persistance d’un pessimisme dans les représentations collectives à l’égard des régions « périphériques ». Les représentations de la « région » comme milieu « dévitalisé », « marginal », « sous-développé » ou même en « désertification », sont ancrées dans l’épopée de modernisation du territoire des années 1960-1970 et ont été renouvelées plus récemment dans la décennie 1990. Clermont Dugas et Georges Mathews sont de ceux qui ont souligné avec alarmisme l’état des régions du Québec, nourrissant inquiétude et pessimisme à l’égard de l’avenir démographique et économique de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et d’autres zones « éloignées ». Le vieillissement de la population et l’« exode » des jeunes sont au nombre des problèmes soulignés par ces auteurs.

Ce premier chapitre présente le « problème » régional et différentes représentations savantes du développement des régions, pour ensuite les comparer à certaines dynamiques contemporaines du développement territorial qui s’en démarquent dans les MRC d’Avignon et de Bonaventure situées dans la région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Une première partie explique la « dynamique du déclin » interprété par Mathews et Dugas et montre en quoi les perspectives de développement, plus particulièrement celles liées à la démographie des années 1990, étaient de mauvais augure pour la région Gaspésienne et ses MRC. Ensuite, la variation réelle de la population pour la région et les MRC d’Avignon et de Bonaventure des années 1990 à aujourd’hui est examinée, pour prendre la mesure de l’écart entre les projections et ce qui s’est produit au cours des 25 dernières années. Une deuxième partie approfondit l’examen des tendances démographiques des dernières années dans la région. Les MRC d’Avignon et de Bonaventure présentent des dynamiques particulières qui

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apparaissent comme une « anomalie » : les migrations interrégionales favorables à leur croissance expliquent pour beaucoup un renversement momentané du déclin démographique dans la Baie-des-Chaleurs. Aussi, les quelques années de croissance démographique qu’ont connue ces deux MRC donnent un indice des mutations sociales que connaissent les régions « périphériques » ou « rurales ». En effet, si les nouvelles réalités démographiques retiennent l’attention dans les MRC d’Avignon et de Bonaventure, les dynamiques socioéconomiques se sont aussi transformées dans les dernières décennies.

La troisième partie de ce chapitre aide à mieux comprendre l’économie régionale, la ruralité et la place qu’occupent la Gaspésie et ses MRC dans l’espace québécois. Y est mobilisée l’approche théorique de trois auteurs qui proposent des visions différentes du développement des régions du Québec : Mario Polèse, Marc-Urbain Proulx et Bruno Jean. Leurs « représentations savantes » des régions et de leur développement orientent et donnent des points de comparaison pour mieux comprendre les dynamiques observées dans Avignon et Bonaventure. Ensuite, une description de la transformation de l’économie des dernières années dans les MRC d’Avignon et de Bonaventure est présentée. À ce titre, ces deux MRC se détachent en partie des représentations du développement socioéconomique des régions, ce qui nourrit à nouveau la notion d’« anomalie » en regard de l’espace conçu des spécialistes.

La quatrième partie met en lumière les nouvelles tendances de la structuration du territoire dans les MRC d’Avignon et de Bonaventure depuis quelques années. Les questions de l’occupation du territoire et de la croissance ou décroissance démographique de certaines municipalités y sont abordées. Cet examen illustre la formation d’une « aire de croissance démographique » qui vient changer la dynamique territoriale et fait apparaître sur la carte une exception aux conceptions de la croissance dynamisée par les pôles.

La cinquième et dernière partie de ce chapitre aborde le phénomène du tourisme. Cette question paraît essentielle, considérant qu’il est un vecteur de transformations démographiques, sociales, économiques et culturelles dans une région comme la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et notamment dans les MRC d’Avignon et de Bonaventure qui possèdent de nombreuses aires d’affluence touristique. Les travaux théoriques de Mathis Stock et Léopold Lucas sur la « touristification » de

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certains lieux jadis « ruraux » permettent de concevoir l’importance et le rôle du tourisme dans les mutations sociales que peuvent connaître des régions « périphériques ».

La Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine est une région dont l’avenir est envisagé depuis plusieurs décennies à travers des représentations de la « ruralité » et de la « périphérie » opposées à celles de l’urbanité et de la centralité. Pourtant, certaines de ses MRC n’échappent pas à des dynamiques de développement qui se détachent des représentations courantes de l’univers régional. Représenter les manifestations de ces dynamiques en territoire gaspésien met en question les limites de ces représentations.

1.1 La « dynamique du déclin » dans l’Est-du-Québec

En 1996, le démographe Georges Mathews présentait une analyse démographique des régions du Québec à partir des données des recensements de 1986 et 1991 et des projections pour les années 1996-2016. Voilà près de vingt ans que ces projections démographiques et leurs interprétations par Mathews sont parues dans Recherches sociographiques. S’y attarder permet de savoir jusqu’où elles se sont réalisées et en quoi la situation actuelle des MRC d’Avignon et de Bonaventure s’en démarque.

Dans son article Avenir démographique des régions : analyse critique et implications des plus

récentes perspectives démographiques du BSQ, Mathews abordait la question du déclin des régions

périphériques au Québec à la lumière des projections du Bureau de la statistique du Québec. Commentant la comparaison des recensements de 1986 et 1991, Mathews soulignait la « chute inattendue de la population » pour les régions de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent, alors que le Québec connaissait une croissance démographique pour la même période (Mathews, 1996, p.415). En 1986, la population de la région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine était de 116 000 et la projection calculée pour l’année 1991 prévoyait une légère diminution à 115 100, mais le recensement de 1991 confirma plutôt le chiffre de 108 500 habitants (Mathews, 1996). Cette diminution de 6,5 % de la population en cinq ans amena Mathews à considérer l’avenir de cette région — mais pas seulement de celle-ci — comme condamné à une « dynamique du déclin » et à une « désertification régionale » (Mathews, 1996). Les perspectives démographiques du BSQ pour la région estimaient une baisse de la population à 99 700 en 2001 et à 88 600 en 2016 (Mathews, 1996). Cela correspondait à une diminution de 18,3 % de la population entre 1991 et 2016. Mathews examina aussi les indices

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démographiques et les projections pour les MRC de la région. Alors que la population d’Avignon était de 15 820 habitants en 1991, les projections pour 2016 estimaient qu’elle allait passer à 13 300 habitants, soit une réduction de 16 %. Pour Bonaventure, la population était de 20 257 personnes en 1991 et ne devait plus en compter que 16 700 en 2016, soit 17,6 % de diminution (Tableau 1). Les pertes démographiques observées se sont toutefois avérées moindres que prévu. La population réelle était en 2016 de 14 461 pour Avignon et de 17 660 pour Bonaventure, alors que la population totale de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine était de 90 311 pour la même période (Statistique Canada, 2016.). L’écart entre les projections évoquées par Mathews pour 2016 et la population réelle de 2016 est donc de 1,5 % pour la Gaspésie, alors que l’écart pour Bonaventure est de 4,8 %, et celui pour Avignon de 7,2 %. Bien que l’écart entre les projections commentées par Mathews et la population réelle ne soit pas très élevé pour la région dans son ensemble, il est à souligner que celui d’Avignon est significatif et que celui de Bonaventure n’est pas négligeable. Les pertes démographiques pour Avignon et Bonaventure dans la période 1991-2016 sont, en proportion, moins considérables que pour l’ensemble de la région administrative de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Le Tableau 1 rend compte de la variation réelle de la population dans la région administrative et les MRC de Bonaventure et Avignon.

Tableau 1. Comparaison des projections de 1996 et population réelle de 2016 Gaspésie– Îles-de-la-Madeleine et MRC d’Avignon et de Bonaventure (en milliers)

Population réelle 1991 (en milliers) Projection 2016 (BSQ) (en milliers) Population réelle 2016 (en milliers) % de variation de la population estimée 1991-2016 (BSQ) % de variation de population réelle 1991-2016 Écart entre projections et population réelle (%) Gaspésie– Îles-de-la-Madeleine 108,5 88,6 90,3 – 18,3 % -16,8 % 1,5 % Avignon 15,8 13,9 14,5 -16 % -8,2 % 7,2 % Bonaventure 20,3 16,7 17,7 – 17,6 % -12,8 % 4,8 %

Source : Mathews, 1996; ISQ, 2017 ; Statistique Canada, Recensement de la population de 2016, modifié par l’auteur

Mathews entretenait un pessimisme sur l’avenir des régions qui l’amenait à considérer que « le Québec a désormais sa grande zone de dépeuplement » que l’on peut principalement situer dans l’est du Québec (Mathews, 1996, p.419). Si « l’avenir paraît sombre pour le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie », écrivait-il, c’était parce que ces régions étaient touchées par deux phénomènes qui accentuaient leur déclin démographique : l’exode et le vieillissement de la population (Mathews,

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1996, p.435). La Gaspésie avait connu entre 1986 et 1991 une détérioration de son solde interrégional de migration qui atteignait une « moyenne annuelle de 1 % de la population totale » (Mathews, 1996, p.422). De plus, Mathews considérait que les pertes des périphéries fluctuaient avec la « situation économique des régions urbaines » et que cette situation aurait été favorable de 1986 à 1989 (Mathews, 1996, p.425). Cela signifiait qu’il fallait s’attendre à des pertes de population plus grandes lorsque les régions urbaines auraient plus d’opportunités économiques à offrir. Mathews voyait aussi dans la situation économique de la province de Québec du début des années 1990 la nécessité d’assainir les dépenses publiques. Il ajoutait que la « contribution essentielle à cette lutte contre les déficits » serait principalement le fardeau des « régions centrales » ou des milieux urbains, ce qui signifiait que les « régions périphériques » devraient participer à l’effort par une « moindre péréquation » venant de ces villes (Mathews, 1996, p.426). Ainsi, les régions comme la Gaspésie, qui bénéficiaient d’une péréquation interrégionale, devaient selon lui participer en acceptant une diminution des investissements sur leur territoire, qui de toute façon étaient proportionnellement supérieures à ceux dans les régions du centre du Québec (Mathews, 2016). L’interprétation de Mathews suggérait que l’État n’avait plus les moyens de soutenir le développement des régions. Le départ de la population locale apparaissait inévitable devant ce cul-de-sac économique. Les conditions difficiles de l’économie gaspésienne dans la décennie 1990 pouvaient être en cause dans cet « exode », phénomène qui s’observait dans les soldes migratoires interrégionaux négatifs pour l’intervalle 1991-1996. Dans cette période, Bonaventure enregistrait un solde négatif de 605 individus et Avignon de 268 individus (ISQ, 2015). Lorsque l’on considère la région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine dans son ensemble, les soldes migratoires de la décennie 1990 prenaient une tournure encore plus préoccupante. Entre 1991 et 1996, la région présentait un solde négatif de 2795 individus et sur ce nombre, 67 % étaient âgés de 20 à 29 ans (ISQ, 2002). Pour la période 1996-2001, la situation, qui était déjà inquiétante, devenait dans les projections, puis dans le réel, une véritable ruée hors de la région. Le solde migratoire réel pour ces cinq années fut une perte nette de 7578 individus, dont 53 % étaient âgés de 20 à 29 ans (ISQ, 2002).

Un autre problème souligné par Mathews était le vieillissement « précoce » de la structure par âge. Le renversement progressif de la pyramide des âges, qui est un phénomène propre à l’Occident, se serait manifesté beaucoup plus tôt dans des régions comme la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Les

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effets du baby-boom s’épuisaient dans les années 2000 et le vieillissement de la population connaissait une accélération (Mathews, 1996). Les soldes migratoires interrégionaux négatifs annuels pour les jeunes en Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et l’arrivée dans la soixantaine des baby-boomers autour de 2011 devaient produire un contexte dans lequel les « coûts publics » pour ces régions connaîtraient une augmentation considérable (Mathews, 1996). Dans ce contexte, pour la région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, Mathews estimait que la population des 60 ans et plus augmenterait de 56,5 % entre 1991 et 2016, alors que, pour la même période, la population des 0-59 ans diminuerait de 33 % (Mathews, 1996). Ces projections correspondent à peu près à ce qui s’est produit.

Tableau 2. Projection de la structure par âge de la population à l’horizon 2016 et population réelle 2016 (en %)

Projection pour 2016

(BSQ 1996) Population réelle 2016 (Statistique Canada) 0-59 ans 60 ans et

plus 0-59 ans 60 ans et plus

MRC Avignon 67,6 % 32,4 %

MRC Bonaventure 64,1 % 35,9 %

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine 68,7 % 31,3 % 65 % 35 %

Sources : Mathews, 1996; Statistique Canada, 2017, modifié par l’auteur

Le Tableau 2 présente la structure par âge de la population selon les projections du BSQ et la population réelle de 2016. Non seulement les projections démographiques se sont réalisées dans la région administrative, mais la population est plus âgée que le suggérait le BSQ. Les 60 ans et plus forment 35 % de la population, soit 3,7 points de pourcentage de plus que dans les projections de 1996. Dans Avignon, la proportion de 0-59 ans est plus élevée (67,6 %) que pour la région, ce qui signifie que sa population a vieilli moins vite que celles des autres MRC. Cet écart entre les projections du BSQ et les données du recensement de 2016 pourrait s’expliquer par les migrations interrégionales dans cette MRC. Au contraire, avec 35,9 % de 60 ans et plus, Bonaventure connaît un vieillissement démographique plus prononcé que la moyenne régionale. Dans les années 1990, Mathews considérait que le « vieillissement apporterait de l’eau au moulin de la stagnation économique » dans des régions comme la Gaspésie et signifiait un coût supérieur pour l’État québécois qui devrait verser une « péréquation substantielle » à ces régions, dans un contexte de « nécessaire assainissement des finances publiques » (Mathews, 1996, p.436).

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« L’exode » et le vieillissement de la population dans une région qui fait partie de « l’arrière-pays » comme la Gaspésie amenaient Mathews à poser la question de son coût pour l’État et de son avenir. Pour ce dernier, le Québec allait devoir « faire face à la difficile question de [la] survie » de certaines régions périphériques et il estimait que « l’idée que chaque patelin a le droit de perdurer indépendamment des circonstances démographiques et économiques constitue un véritable cul-de-sac, dont il faudra sortir un jour » (Mathews, 1996, p.435). C’était selon lui s’opposer au sens de l’histoire que de s’acharner à maintenir artificiellement en vie les régions. « Il est illusoire [de vouloir] soustraire le mouvement des hommes et des femmes à l’histoire » (Mathews, 1996, p.436). Il se plaçait ici dans une logique affirmant que l’histoire amène inéluctablement les individus vers les villes et que « le renforcement des régions passe, en toute probabilité, par le renforcement de leurs centres, et non par le maintien artificiel de leur périphérie » (Mathews, 1996, p.435).

1.2 Le « problème social » du sous-développement régional

Dans la décennie 1990, Mathews n’était pas le seul à dresser un portrait alarmant de la situation économique et démographique des régions périphériques québécoises. Le géographe de l’UQAR Clermont Dugas a aussi abordé la question des « disparités régionales » et du « sous-développement » de certains milieux. Pour ce dernier, ces disparités contribuaient à « marginaliser » certaines régions et communautés très majoritairement rurales, ce qu’il qualifiait de « problème social » (Dugas, 1994).

C’est dans un article de l’ouvrage collectif Traité des problèmes sociaux que Dugas présentait l’état de « sous-développement » auquel auraient été confrontées certaines régions du Québec. Pour celui-ci, ce « sous-développement régional » se traduisait par un « niveau de développement socioéconomique d’un territoire englobant un certain nombre de municipalités » qui se situe significativement en dessous de la moyenne nationale (Dugas, 1994, p.5). Dugas concédait que cet état de marginalisation était plus observable dans les milieux ruraux qui avaient été les « grandes victimes de la modernisation de la vie socioéconomique » (Dugas, 1994, p.6). L’urbanisation et « l’exode » de la population des campagnes vers les villes apportaient un déséquilibre qui avait fait croitre la marginalisation de ces milieux (Dugas, 1994). Il soulignait d’ailleurs un ensemble de facteurs socioéconomiques — issus du recensement de 1986 — comme le taux de chômage, le niveau de revenu, les infrastructures de services, la démographie, etc., qui contribuaient au

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sous-développement de ces régions. C’est la région administrative Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine qui présentait à l’époque le revenu familial moyen le plus faible (27 014 $) et bien en dessous de la moyenne nationale (37 902 $) (Dugas, 1994). Mais pour Dugas, les régions périphériques comme la Gaspésie n’avaient pas le « monopole » des problèmes économiques, car pratiquement « toutes les régions sises à la périphérie de la plaine du Saint-Laurent » souffraient de cette « marginalité » (Dugas, 1994, p.8). Pour analyser les disparités de développement sur le territoire québécois, Dugas précisait en 1994 que la « répartition par MRC et par localité » de la « marginalité » devait être prise en compte (Dugas, 1994, p.8). Il notait également que sur les six MRC de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, quatre faisaient partie des MRC à « très bas revenu » (Dugas, 2014, p.8). Dugas soulignait aussi que le chômage s’était aggravé. Le taux de chômage était de 11,4 % en 1955 pour la péninsule et avait grimpé à 22 % en 1981, puis 27 % en 1987 (Dugas, 1994). Une détérioration de la situation économique dans la région lui semblait expliquer « l’exode » des ruraux vers la ville (Dugas, 1994). Ainsi, la « désertification » de certaines régions évoquée par Mathews apparaît plus compréhensible lorsque l’on prend en considération les disparités interrégionales que Dugas avait soulignées.

Dans ses travaux, Dugas critiquait les mesures prises par le gouvernement à l’époque concernant le développement économique des régions. Il leur reprochait une volonté de développement marquée par la même logique que la décennie précédente, le « laisser-faire » économique ou néolibéralisme. Le plan d’action de développement des régions de 1988 reposait « essentiellement sur l’initiative des individus et sur leur entrepreneuriat et par conséquent sur les dynamiques propres à chaque région » (Dugas, 1994, p.17). Si à la fin des années 1980 le développement local et endogène était encouragé par le gouvernement, c’était surtout afin de désengager l’État de ses responsabilités à l’égard du Québec des régions et d’améliorer la croissance économique, ce qui avantageait les centres urbains et contribuait à l’exode des populations rurales (Dugas, 1994).

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1.3 Les nouvelles tendances démographiques dans Avignon et Bonaventure

Un examen plus exhaustif et actualisé des tendances démographiques de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, mais surtout des MRC d’Avignon et de Bonaventure, montre un portrait moins dramatique que celui envisagé par les projections des années 1990 et les analyses de Mathews et Dugas.

Graphique 1. Variation de la population Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine 1996-2016

Source : ISQ, 2018, Statistique Canada, Recensement de la population de 2016.

Le Graphique 1 présente la variation de la population pour la région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine entre 1996 et 2016. La région, qui avait une population de 106 404 habitants en 1996, n’en comptait plus que 90 311 en 2016 (Statistique Canada, 2017). Cela représente une diminution de 12,8 % de la population entre 1996 et 2016. La courbe du Graphique 1 montre que la « saignée » démographique freine autour de 2006 pour la région gaspésienne et la période 2006-2016 présente ensuite un lent déclin. Mathews avait anticipé un recul de la migration en dehors de la région et un ralentissement du déclin, tout simplement parce que le vieillissement de la population allait réduire en nombre absolu la quantité de jeunes en âge de partir (Mathews, 1996). Aussi, l’accroissement naturel n’est pas un facteur de ralentissement du déclin démographique de la région, son taux étant négatif depuis 2001 (ISQ, 2016). S’il avait prévu que le « déclin s’atténue après 2006 de manière purement mécanique »(Mathews, 1996, p.430), Mathews n’avait pas anticipé que la région pourrait aussi compter sur des soldes migratoiresinterrégionaux positifs pour améliorer sa démographie.

80 000 85 000 90 000 95 000 100 000 105 000 110 000 1996 2001 2006 2011 2012 2013 2014 2015 2016 POP ULA TION/N( N) Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine

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Le Graphique 2 présente une amélioration importante des soldes migratoiresinterrégionaux4 pour

l’ensemble de la région après 2002. Cette tendance culmine aux années 2009-2010 et 2010-2011 avec des soldes positifs inattendus et un solde nul pour 2011-2012.

Graphique 2. Soldes migratoires interrégionaux Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine 2001-2016

Source : ISQ 2018

Cependant, ce graphique doit être interprété avec prudence, car ces dynamiques démographiques ne s’observent pas uniformément dans tous les territoires de la région. En effet, ce sont les dynamiques démographiques de certaines MRC qui semblent avoir donné forme à des soldes migratoires interrégionaux positifs pour la région administrative dans son ensemble. Les MRC d’Avignon et de Bonaventure retiennent particulièrement l’attention.

Le Graphique 3 présente la variation de la population totale et selon les groupes d’âge dans Avignon entre 1996 et 2016. Si la MRC a perdu 9,9 % de sa population dans cette période, certaines tendances sont encourageantes. Entre 2006 et 2015, la MRC connaît plusieurs périodes de stabilisation, voire de croissances démographiques (2008 à 2011 et 2015-2016). Cependant,

4 Dans le cadre de cette recherche, les soldes migratoires excluent les migrations interprovinciales et internationales. Si les migrations internationales sont peu nombreuses dans la région gaspésienne, la prise en compte des migrations interprovinciales, plus importantes, serait à ajouter dans une étude ultérieure.

-812 -510 -94 -150 -217 -202 -210 -61 146 99 -1 -336 -369 -134 -197 122 -1000 -800 -600 -400 -200 0 200 2001-2002 2002-2003 2003-2004 2004-2005 2005-2006 2006-2007 2007-2008 2008-2009 2009-2010 2010-2011 2011-2012 2012-2013 2013-2014 2014-2015 2015-2016 2016-2017 Soldes migratoires (N)

Figure

Tableau  1. Comparaison des projections de 1996 et population réelle de 2016 Gaspésie–
Tableau  2. Projection de la structure par âge de la population à l’horizon  2016 et  population réelle 2016 (en %)
Graphique  1. Variation de la population Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine  1996-2016
Graphique  2. Soldes migratoires interrégionaux Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine  2001-2016
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