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L’insécurité identitaire : une histoire collective

CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE

1.2 L A MEDIATION NARRATIVE : MA PROMESSE

1.2.2 L’insécurité identitaire : une histoire collective

Quand je demande à quelqu'un d'où il vient j'espère toujours qu'il va me répondre : « C'est une histoire très compliquée ».

Stuart Hall

En ce début du 21e siècle, caractérisé entre autres par des phénomènes de mondialisation et de crises migratoires, l'identité des migrants, mais aussi celle des communautés d'accueil ne cessent de se croiser, de s’altérer mutuellement et donc de se transformer. Peu de gens, à notre époque, peuvent affirmer se situer dans une seule appartenance stable et permanente. Comme l’écrit Évangelia Tatsoglou (2001, p. 15), citant Stuart Hall :

Dans l’ensemble, la mondialisation exerce un effet pluralisant sur les identités, en provoquant diverses possibilités et en rendant les identités plus positionnelles, plus politiques, plus diverses et plurielles, moins figées, unifiées ou transhistoriques (Hall, 1992, p. 309).

Depuis le début de l’humanité, les phénomènes migratoires contribuent considéra- blement à la diversification des identités et à la mixité de ces dernières. Cependant, comme le propose fort pertinemment Stuart Hall (2007), l’immigration est loin d’être un phénomène récent. Il semble important alors d’examiner les raisons pour lesquelles un fait si ancien semble poser des problèmes cruciaux à notre époque et plus particulièrement aux pays occidentaux. En effet, il est intéressant de constater que les phénomènes migratoires continuent de questionner de manière importante, non seulement les chercheurs en sciences humaines et sociales mais aussi les instances économiques et politiques de tous les pays.

Pour Hall (2007), nous sommes à une époque particulière et l’histoire nous rappelle que la période de la décolonisation nous a légué un monde postcolonial, encore sous le

joug de l’impérialisme occidental qui devient de plus en plus globalisé. Un héritage qui ne peut plus éluder les problèmes culturels des populations jadis colonisées dont les anciens maîtres avaient purement et simplement refoulé l’expression.

Si les quatre derniers siècles ont été marqués par des migrations principalement européennes, souvent sous des formes conquérantes, colonisatrices ou encore esclavagistes, les migrations actuelles se situent dans la continuité de cette histoire de notre humanité, mais présente des faces différentes. Il nous faut aussi rappeler avec Hall que l’effondrement de la puissance soviétique et la fin de la guerre froide ont profondément modifié le décor géopolitique et culturel de notre monde. Ainsi, notre époque connaît des crises économiques, démographiques, géopolitiques, écologiques et humanitaires qui ne cessent de jeter sur les routes et sur les mers de nombreuses personnes qui fuient les guerres, la pauvreté ou encore les catastrophes écologiques. Dans ce contexte, nous assistons quasi impuissants à la détérioration galopante des équilibres sociaux, écologiques et culturels déjà précaires un peu partout dans le monde. Ce n’est pas étonnant que dans une telle situation, on assiste à une forme d’inquiétude existentielle, qui prend plus souvent qu’autrement des visages identitaires un peu partout sur la planète. Ce type de tremblement identitaire fréquent dans l’expérience vécue par les populations immigrantes se voit de plus en plus dans les communautés dites de souche. Actuellement, dans différents pays, les populations dites de souche sont de plus en plus inquiétées par les flux migratoires qui deviennent de jour en jour incontrôlables. On assiste alors à une montée de vieux fantômes d’enfermement identitaire, de discours suprémacistes basés sur la race, le sexe ou la classe, ainsi que des revendications nationalistes qui portent, plus souvent qu’autrement, des émanations de xénophobie et d’une forme de racisme de plus en plus décomplexées.

Nous sommes donc face à d’énormes défis sur le plan individuel et collectif. La réinvention de soi est devenue un enjeu majeur pour tous et la réinvention de nos identités individuelles et collectives devient un devoir citoyen.

Il nous faut de plus en plus apprendre à assumer notre hybridité afin de pouvoir construire une mondialisation fondée sur une forte diversité culturelle, qui va au-delà des nationalismes frileux et des tentations mortifères d’une américanisation qui tend à tout vouloir homogénéiser.

Nul ne sera étonné de constater, dans un tel contexte, une expression variée des malaises de notre hypermodernité qui ne peut faire autrement que donner lieu à des crises multiples, aussi bien pour les migrants que pour les sociétés qui les accueillent. En effet, les modes de vie, les croyances et les valeurs peuvent être amenés à changer lorsque des gens d’origine diverses cohabitent dans les mêmes espaces et dans le même temps. Ce n’est justement par pour rien que Jacques Delors (1996) et ses collaborateurs, dans leur rapport à l’UNESCO de la commission internationale sur l’éducation pour le vingt et unième siècle, affirmaient que le plus grand défi éducatif de notre siècle sera d’apprendre à vivre ensemble, à vivre avec les autres.

Les sociétés québécoise et canadienne comme beaucoup d’autres sociétés occidentales ne sont pas du tout à l’abri des enjeux migratoires en constante augmentation et de ses effets sur les cultures, les personnes et sur l’organisation sociopolitique et économique.

En ce sens, comme l’indique Statistique Canada (2016), le Canada reste une des terres d’accueil les plus prisées du monde. Le taux d’immigration y demeure élevé depuis plusieurs années, ce qui a inévitablement un effet direct sur le tissu social et les identités collectives et individuelles. De plus, le portrait de l’immigration tend à changer à travers les années car l’origine de la majorité des immigrants n’est plus européenne comme ce fut le cas pendant de nombreuses années au Canada. Désormais, les immigrants issus des communautés dites racisées sont plus nombreux que ceux d’origine caucasienne, comme le démontre la figure ci-après :

Figure 1 : Répartition des origines ethniques ou culturelles de la population, selon le statut des générations, Canada, 2016

Les chiffres du recensement de 2016 nous indiquent que 21,9 % de la population est ou a déjà été un immigrant reçu ou un résident permanent du Canada. Il faut donc comprendre qu’actuellement, au Canada, plus d’une personne sur cinq est née à l’étranger. Entre 2011 et 2016, ce sont 1 212 075 personnes qui se sont établis au Canada, soit 3,5% de la population totale du Canada en 2016.

Le prochain graphique permet de voir l’évolution du phénomène migratoire au Canada depuis les cinq dernières décennies.

Figure 2 : L’évolution de la proportion d’immigrants au Canada sur la population totale. Graphique de Statistique Canada

Ces chiffres témoignent de l’importance de la présence des populations immigrantes sur le territoire canadien et d’une diversité ethnoculturelle toujours croissante. De plus, ils nous rappellent la nécessité de se questionner à propos des impacts de ce type de phénomène sur l’identité et les cultures locales ainsi que sur la santé et le bien-être des personnes et des collectivités.

Au regard de ces statistiques, on ne peut nier la croissance du nombre d’immigrants au pays, ni les difficultés que cela pose en termes d’accueil, d’accompagnement, d’inclusion et de création de conditions gagnantes pour favoriser le bien-être de ces néo- canadiens dans leur pays d’accueil et du lien social dans les communautés d’accueil.

Figure 3 : Représentation de la population canadienne pour l'année 2016 en pourcentage (%) selon Statistique Canada

Statistique Canada montre par ailleurs que la majorité (60,3%) des personnes immigrantes ont été admises en vertu du volet économique, alors que 26,8% sont venues rejoindre, par l'intermédiaire du programme de regroupement familial, un proche

76,4% 21,9% 1,4%

Représentation de la population

canadienne pour l'année 2016 en

pourcentage (%)

Non-immigrante Immigrante Résidents non-permanents

déjà̀ installé au Canada. Seulement une minorité (11,6%) de personnes immigrantes sont rentrées au pays à titre de personnes réfugiées.

Cependant, il faut ajouter que du 1er janvier au 10 mai 2016, la part des personnes réfugiées reçues était sensiblement plus élevée (24,1 %), suite à l’accueil des réfugiés syriens.

Figure 4 : Répartition des types d’admission des immigrants entre 2011 et 2016 au Canada en pourcentage (%) selon Statistique Canada.

Il faut noter par ailleurs que selon les statistiques du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), en 2016, on comptait à l’échelle mondiale 65,6

60,3% 26,8 11,6% 1,3%

Répartition des types d'admission

des immigrants entre 2011 et 2016

au Canada en pourcentage

Volet économique Regroupement familial Réfugiés Autres types d'admission

millions de personnes déracinées à travers la planète, soit des personnes réfugiées, demandeurs d’asile, apatrides et réfugiés réinstallés2.

Ces chiffres impressionnants nous font réaliser qu’au moment où l’on se parle, il y a sur cette terre des millions d’êtres humains qui ont été forcés de fuir leur foyer, de quitter leurs familles, leurs biens et leurs terres, la plupart du temps dans des conditions d’extrême violence. Ces personnes n’ont pas le luxe de se préparer à partir, de se déplacer librement et ils n’ont pas le privilège de choisir leurs destinations, leurs dates de départ, ni leurs moyens de déplacement. Ils n’ont pas eu le temps de dire au revoir, de mettre les leurs à l’abri, ni de conditions pour vivre sereinement les nombreux deuils que leur histoire migratoire a imposés. Une des préoccupations que j’avais dès le début de cette recherche consistait à savoir comment on peut faire pour permettre à tant de déracinés de s’enraciner à nouveau en vue de se reconstruire. Comment colmater les brèches de ceux qui ont été cassés par les violences des guerres et autres traumatismes qui accompagnent certains parcours migratoires ? Comment dépasser les effets des processus d’adaptation, d’acculturation et d’assimilation pour retrouver son intégrité ?

En effet, la plupart des personnes s’imaginent à juste titre que l’immigration constitue une chance dans nos parcours de vie. On peut dire également qu’elle apporte son lot d’aspects positifs pour le pays qui reçoit, que ce soit sur les plans démographique, économique ou d’enrichissement culturel. Cependant, on ne peut plus fermer les yeux sur les inquiétudes économiques, culturelles et identitaires que le même phénomène soulève au sein des communautés d’accueil. Ainsi, on assiste un peu partout à une montée inquiétante de nationalisme et de racisme. À l’instar des autres pays occidentaux, au Québec comme au Canada, nous sommes face à un besoin urgent d’apprendre à vivre ensemble et de sortir des attitudes hostiles et défensives. Il est également essentiel de considérer qu’une grande partie des nouveaux arrivants transportent avec eux un lourd bagage d’expériences traumatiques (guerres, génocides, terrorisme, etc.). Ainsi les

politiques et structures d’accueil doivent impérativement considérer ces réalités, sans quoi il devient impossible d’envisager la possibilité de veiller sur le lien social et de favoriser le vivre ensemble et l’inclusion socioculturelle et professionnel des immigrants ainsi que le bien-être de tous.

1.2.2 L’écriture autobiographique au service des processus de reconstruction