• Aucun résultat trouvé

De l’incertitude identitaire : une histoire d’exil

CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE

1.1 À LA RECHERCHE D ’ UNE IDENTITE PERDUE

1.1.3 De l’incertitude identitaire : une histoire d’exil

Quand j’arrive chez toi avec mes incertitudes et mes rêves, j’ébranle tes certitudes et tes nuits blanches. Quelque chose survient. Je suis de passage pour apprendre.

Suzanne Boisvert (2016) Mon expérience en terre d’exil m’a montré que la confrontation avec moi-même au contact de l’autre participait à me faire voir combien mes contours étaient flous, me dévoilant ainsi une réelle confusion identitaire. Cependant, malgré le fait que cette aventure soit loin d’être toujours facile à vivre, je réalisais qu’être dans un environnement interculturel était potentialisant pour moi. En effet, c’était plus simple pour moi d’être dans un groupe composé de personnes issues de cultures diverses que de me retrouver dans des environnements monoculturels, quand bien même ce serait avec les Québécois ou avec les Rwandais. Les environnements multiculturels me reposaient, me stimulaient et m’enrichissaient, non seulement parce que j’apprenais beaucoup à la rencontre de la différence, mais aussi parce que lorsque nous étions tous différents, mon insécurité identitaire et mon faible sentiment d’appartenance se calmaient, enfin, je me sentais comme les autres.

C’est ainsi que j’ai progressivement tenu à me rapprocher des étudiants internationaux au Québec, à fréquenter des immigrants ou encore des stagiaires du programme Jeunesse Canada-Monde. C’est cette même soif, de mieux m’apercevoir au contact de l’altérité, qui m’a guidée dans mes voyages en Europe, en Asie, au Maghreb, en Amérique Centrale ou encore en Afrique subsaharienne. Je voyais bien que dans toutes ces situations, j’étais à la fois bousculée, stimulée et transformée par la différence, l’étrangeté radicale d’autres personnes, d’autres lieux, d’autres mœurs, voire de l’autre en moi-même. Ces différentes expériences m’ont donc mise en contact de manière assez explicite avec ma quête de reconstruction identitaire. Je devenais de plus en plus lucide et je voyais avec une aveuglante clarté que je n’arrivais pas à me sentir légitimement Québécoise, ni à me croire réellement Rwandaise.

En effet, il était flagrant pour moi que je ne ressentais aucune appartenance nationale ou culturelle. Je me sentais partiellement porteuse des bribes des cultures rwandaises et québécoises, mais aussi de la culture belge dans laquelle avaient baigné mes parents et mes grands-parents suite à la colonisation. Cependant, je ne parvenais à habiter avec assurance ni mon Nord (mon identité québécoise) ni mon Sud (mon identité rwandaise). J’avais l’impression d’appartenir aux deux espaces géographiques et culturels, mais en même temps, de n’appartenir à aucun des deux. Cette incertitude identitaire dans laquelle je me trouvais depuis ma migration m'avait amenée à parcourir le monde en quête des lieux où je pourrais me déposer et me sentir enfin chez moi et parmi les miens, avec cette évidence que semblaient avoir ceux qui avaient la chance d’avoir un incontestable chez-eux.

À défaut d’avoir un chez-soi univoque, stable et légitime, je me demandais si je pouvais tenter de me faire un nid, dans cette langue seconde qui était devenue ma langue première. Trouver refuge au cœur du verbe ! C’est comme ça que j’ai pris la décision de commencer une formation de professeur de français au secondaire.

C’est avec cet espoir au fond du ventre, que j’ai commencé à écrire. En 2010, au summum de ma crise identitaire, je me suis inscrite dans un atelier d’écriture et je témoignais ainsi de mes errances identitaires :

Je suis d’ici et de là-bas, tantôt baobab, tantôt fleur de lys. Le sang de mère Afrique coule dans mes veines et je continue de grandir, debout dans ma terre d’accueil. […] Perfectionniste et orgueilleuse, je tremble à l’idée de laisser paraître ma vulnérabilité. Je suis une jeune femme mélancolique et souriante qui, jour après jour, cherche à se comprendre, à comprendre le monde et à se forger une identité. Je suis unique et multiple. Je suis Marie. Je suis Ange. Je suis Niwemugeni.

[…] En effet, je constate que chaque fois que je suis partie en voyage, j’étais à la recherche de moi-même. Ainsi suis-je allée au Bénin avec l’espoir de m’y rencontrer Africaine, comme je ne m’y suis pas tout à fait retrouvée, je suis revenue au Québec avec l’idée de m’y redécouvrir Nord-Américaine, mais je n’y étais pas davantage. Je suis donc repartie pour l’Europe, de la France à la Belgique, jusque dans la diaspora rwandaise. Je me suis cherchée en vain dans toutes les contrées parcourues et dans tous les visages rencontrés. Je suis repartie pour le Niger, puis au Cambodge, en Thaïlande et au Laos. Des régions éloignées

du continent asiatique, je suis revenue vers ma Rimouski, à défaut de me sentir réconciliée, j’étais décidée à la choisir comme terre d’accueil et d’accomplissement. Rimouski m’avait adoptée, c’était à mon tour, d’en faire ma terre d’élection. (Marie-Ange Niwemugeni, 2010)

Comme le montre ce texte, ma quête identitaire a commencé bien avant le début de la maîtrise, avec la prise de conscience de ma condition d’enfant qui grandissait dans une famille immigrante. Je réalise que c’est depuis mon adolescence que je vis avec une conscience aiguë de ma situation d’exilée. Je suis depuis longtemps dans « un état d’exilée

permanente » si je me permets cette forte expression de Clément Lépidis (1985, p. 12).

Pourquoi est-ce que je bâtis une demeure en chaque lieu que je visite et où j’aimerais vivre ? Est-ce pour jeter l’ancre à un moment choisi de mon existence ou pour me persuader que je suis homme de toutes les villes, de tous les pays ? (Lépidis, 1985, p. 147)

Il me semble évident à cette étape de ma démarche, que mon engagement dans un processus de recherche et de formation à la maîtrise en étude des pratiques psychosociales ne pouvait faire autrement que de me ramener à ce thème essentiel à ma vie. Ainsi me suis- je promis de revisiter mon histoire, de plonger profondément dans mon expérience d’exilée et dans mes insécurités et errances identitaires en vue de pouvoir entendre ce qu’elles avaient à me raconter, mais aussi de marcher à la recherche d’une issue. J’espérais ainsi entrer lentement, progressivement mais surement dans un processus de reconstruction identitaire, à la recherche d’un soi certainement toujours en mouvement, mais beaucoup moins vécu comme un éclatement douloureux. Je me sentais également appelée à voir de plus près les impacts de cette situation sur ma vie relationnelle et professionnelle.

En effet, dans ma pratique d’accompagnement comme éducatrice spécialisée, j’ai eu à intervenir plus d’une fois auprès de personnes immigrantes ayant un parcours semblable au mien ou à celui des membres de ma famille. Je me suis souvent sentie impuissante lorsque j’avais à utiliser des techniques et des approches d’intervention telles qu’apprises dans ma formation en éducation spécialisée. Je devais me réinventer toujours et partout jusque dans l’exercice de ma profession.