• Aucun résultat trouvé

L’écriture autobiographique au service des processus de reconstruction

CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE

1.2 L A MEDIATION NARRATIVE : MA PROMESSE

1.2.2 L’écriture autobiographique au service des processus de reconstruction

L’écriture autobiographique serait à la fois tombeau et berceau, bravant la mort tout en saluant la naissance de l’écrivain.

Jean Starobinski (1970) Nombreux sont les chercheurs qui considèrent que l’écriture autobiographique constitue une voie gagnante d’accompagnement des processus de construction identitaire (Cauvier, 2008), de subjectivation (Malet, 2007), de production de soi (Pineau et Marie- Michelle, 1983) ou encore de formation du sujet (Dominicé, 1990) en recherche-formation (Josso, 1991). Les travaux de Johanne Cauvier (2008) ont montré que la démarche autobiographique dans un contexte scolaire contribue de manière significative à la construction identitaire des adolescents. Les recherches de Dominicé (2002), Josso (1998), De Villers (2003), Pilon (1996) et Pineau (1998) montrent la même chose en formation des adultes et en accompagnement des mouvements solidaires.

Par ailleurs, dans le domaine de l’intervention en contexte interculturel, Guilbert (2011), Lamothe-Lachaîne (2011), Rachédi (2010) et Vatz-Laaroussi (1993) témoignent de l’efficacité des approches narratives pour accompagner les personnes immigrantes en processus de reconstruction identitaire, de deuil, d’adaptation ou encore d’intégration socioculturelle et professionnelle.

Dans le champ de la littérature, Philippe Lejeune (1975) avance que l’écriture autobiographique suppose un travail rétrospectif et narratif qu’un sujet fait à propos de sa propre existence, lorsqu’il porte son attention sur son histoire singulière. Le même auteur affirme que prendre le risque de s’engager dans une démarche d’écriture à propos de sa propre vie constitue un défi majeur, dans la mesure où une telle activité a le pouvoir de

modifier le sujet qui la pratique, comme le propose avec force Gisèle Mathieu-Castellani (1996).

Pour cette auteure, dans la démarche autobiographique nous sommes face à un moi « qui se construit, se détruit, se reconstruit dans l'acte même d'écrire qui fixe de moment en moment des "instantanés", des métamorphoses qui "étrangent" et altèrent le sujet en devenir, un clivage interne qui fait du sujet l'autre d'un autre » (Mathieu-Castellani, 1996, p. 197). Dans cette perspective, écrire son autobiographie ne peut se réduire à une simple narration des faits marquants d’une vie. Une telle aventure implique d’avoir l’audace de s’engager tout entier dans la construction d’un texte, qui raconte une histoire qui se construit et nous construit au fur et à mesure qu’elle s’écrit. En effet, comme le propose Martine Renouprez (2000), une telle histoire s’édifie au fil de l’écriture et témoigne d’un parcours de conscience, d’une manière propre à cette conscience d’appréhender le monde. Précisons que la conscience est toujours « conscience de quelque chose » comme disent les phénoménologues.

La présente recherche se situe au carrefour de la formation, de la recherche et de la reconstruction identitaire du sujet chercheur en contexte d’exil. La revue de la littérature m’a permis de faire l’hypothèse que m’engager résolument dans l’écriture autobiographique pourrait me permettre d’accompagner ma quête de reconstruction identitaire. C’est à travers une démarche de recherche-formation que ce cheminement identitaire s’accomplit comme le proposent les chercheurs inscrits dans le courant des histoires de vie en formation, à savoir : Dominicé (2002), Josso (1991), Pineau (1983) et Rugira (1995), pour n’en citer que quelques-uns. Dès le début de ma recherche, je savais que j’avais besoin d’écrire pour témoigner de ces multiples histoires qui m’habitent et de ces multiples cultures que je porte. En effet, comme le souligne Lilyane Rachédi (2010), il est essentiel de créer des conditions pour que les immigrants écrivent eux-mêmes leur histoire, non seulement pour s’accompagner mais aussi pour nourrir, inspirer et questionner les pratiques. Le travail d’écriture va ainsi plus loin que le simple fait de raconter, il devient forcément transformateur.

Comme le rappelle avec pertinence Renouprez (2000), ce sont ces changements majeurs qui se trouvent en amont et en aval de toute démarche autobiographique. D’après Jean Starobinski : « on ne songerait sans doute pas à narrer les événements de sa propre vie s'il n'était arrivé quelque chose de fondamental propre à provoquer un changement radical dans le cours de l’existence : "conversion, entrée dans une nouvelle vie, opération de la grâce" » (Starobinski, 1970, p. 261).

Par ailleurs, le travail autobiographique permet de montrer que l’énonciateur n’est pas exactement identique à la personne qu’il était et qui fait l’objet de son discours lors de son écriture. « L'énonciateur se dédouble donc, devenant à la fois sujet et objet de son discours; la distance qui s'instaure dans le récit de sa propre vie n'est donc pas seulement le fait d'un écart temporel, mais aussi d'un écart d'identité » (Renouprez, 2000, p. 117). Mathieu- Castellani (1996, p.61) abonde dans le même sens en précisant que ce type d’écart identitaire montre que « celui qui parle est autre que celui dont il parle ». Ainsi, l’autobiographie est loin d’être une narration cohérente d'un passé à circonscrire dans le souvenir par l'écriture. Il constitue plutôt une lente et longue reprise d'une quête d'identité à jamais ininterrompue, car « la relation à la matière se modifie lorsque le scripteur est à la fois sujet et objet de l'écriture, lorsque la problématique de l'écriture est liée à celle du sujet écrivant » (Mathieu-Castellani, 1996, p. 167).


Ces différents auteurs avancent également que c’est justement ici que le travail de l’écrivain chercheur devient exigeant, car il lui faudra à chaque fois :

Corriger son souvenir en fonction du changement intérieur survenu dans l'écriture. Dans cette perspective, l'énonciation devient explicitement autoréférentielle, penchée sur elle-même et sur les modifications du "moi" qu'elle provoque dans son avancée. Un dialogue peut donc s'instaurer entre les différentes instances du sujet qui se perd et se gagne lors de ses successives métamorphoses (Renouprez, 2000, p. 118).

Ce type d’écriture demande donc à l’auteur d’instaurer un véritable dialogue entre celui qui écrit et son ancien « moi » qu'il interroge. C’est à travers un dialogue intime qu’il entretient avec lui-même, qu’il pourra également inviter ses lecteurs pour qu’ils puissent le

rejoindre, voire l’augmenter non pas comme des spectateurs distanciés mais comme des interlocuteurs qui participent à cette œuvre transformatrice des personnes et des cultures. Je peux dire à cette étape de ma démarche que je voudrais, dans le cadre de cette étude, recourir à l’écriture autobiographique pour accompagner ma quête de reconstruction identitaire en contexte d’exil. En effet, si les écritures migrantes sont nombreuses en littérature, on en voit rarement dans le domaine de l’intervention sociale. Lorsqu’on en voit, c’est souvent dans des dispositifs mis en place par les intervenants ou les formateurs. J’aimerais pour ma part, faire cette démarche radicalement à la première personne en vue de mieux la comprendre, m’accompagner et en tirer des enseignements susceptibles d’inspirer et d’éclairer la pratique d’intervention et de formation.