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DETERMINATION DES PRIX IMMOBILIERS ET FONCIERS

1. L’impasse théorique ?

Les marchés de l’immobilier et du foncier sont bien éloignés des postulats de la concurrence pure et parfaite (Renard, 1975). Pour ces deux biens, la transposition de la théorie économique traditionnelle (néoclassique) à leur marché respectif est difficile pour expliquer leurs prix.

Un marché de biens est en concurrence pure et parfaite s’il respecte cinq conditions : (i) atomicité de l’offre et de la demande : les vendeurs et les acheteurs sont nombreux et aucun ne peut à lui seul, influencer la formation des prix (les prix des biens sont donnés) ; (ii) homogénéité des produits : les produits échangeables sont identiques et substituables entre eux ;

(iii) fluidité du marché : aucune réglementation ou contrainte n’empêche acheteurs et vendeurs d’entrer ou de sortir du marché ;

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(v) parfaite mobilité des facteurs de production.

Bien que ce cadre de concurrence pure et parfaite relève d’un cas d’école et qu’il est constamment mis en question par la réalité des marchés, il reste néanmoins le cadre théorique par excellence sur lequel s’appuie l’économiste pour analyser un marché. La théorie de la concurrence imparfaite – lorsqu’au moins l’une des conditions du marché n’est pas satisfaite – est une « mosaïque complexe, en pleine phase d’élaboration » (Gabszewicz, 2003, p. 6).

Reprenons les cinq conditions de la concurrence parfaite et montrons en quoi elles ne sont pas applicables aux marchés des biens immobiliers et fonciers.

(i) Concernant l’atomicité sur le marché des biens immobiliers, les offreurs et/ou les

demandeurs sont souvent insuffisamment nombreux. L’un d’entre peut alors exercer une influence réelle sur le comportement de ses concurrents (en particulier en matière de prix), et de subir celle de ses concurrents.

Halleux (2005) montre que dans la pratique, c’est la structure oligopolistique du marché qui domine. Par exemple, un oligopole bilatéral s’observe généralement entre propriétaires fonciers (peu nombreux) et promoteurs immobiliers (peu nombreux). De même, sur le marché relatif à la production immobilière, un oligopole se dessine sur le marché où l’offre correspond à un nombre limité de promoteurs et la demande à un grand nombre de ménages.

(ii) L’une des caractéristiques définissant le plus les biens immobiliers et fonciers est

leur hétérogénéité. Cela correspond à leur caractère localisé (dans un espace donné) et unique (en termes d’attributs).

Les biens immobiliers et fonciers se distinguent les uns des autres par leurs propres caractéristiques. Elles sont à la fois internes aux biens (surface habitable, confort, nombre de pièces, année de construction (…) pour un logement et surface, largeur (…) pour un terrain) et externes (proximité aux services publics et privés, aux aménités34, accessibilité, image sociale du quartier…). Ces caractéristiques externes renvoient à la localisation du bien dans un espace donné.

Le caractère hétérogène des logements ne sera réellement étudié et pris en compte dans les analyses économiques qu’à partir des travaux de Lancaster (1966). Ce dernier montre que les

34 Les aménités désignent les « attributs, naturels ou façonnés par l’homme, liés à un territoire et qui le différencient d’autres territoires qui en sont dépourvus » (OCDE, 1999).

31 produits, seuls ou combinés, ne sont pas désirés pour eux-mêmes, mais uniquement pour les caractéristiques qu'ils possèdent. Cette idée constitue le fondement théorique de la méthode des prix hédonistes (Rosen, 1974) portant sur les logements (et pouvant être étendus aux terrains à bâtir). Cette méthode sera analysée dans la section 2 de ce chapitre.

Chaque bien étant unique, il n’existe pas de substituts. Toutefois, lors de la recherche d’un logement ou d’un terrain à bâtir, les ménages arbitrent entre les caractéristiques des biens : cela peut conduire à une certaine substituabilité entre les biens. Halleux (2005) note que c’est parce que les demandeurs peuvent substituer une offre à une autre qu’il existe une concurrence entre offreurs et entre demandeurs. De plus, il découle du caractère localisé des biens immobiliers et fonciers que les mécanismes de concurrence et de substituabilité dépendent largement de la mobilité des demandeurs (Watkins, 1999). En effet, la capacité des demandeurs à assurer leur propre transport détermine les conditions de la substituabilité.

(iii) La fluidité des offres et des demandes de logements et de terrains à bâtir n’est pas

vérifiée sur le marché de ces deux biens. Les raisons sont évoquées ci-dessous.

D’abord, dans le modèle de concurrence pure et parfaite, seules deux catégories d’agents sont supposées participer au marché. Les acteurs intervenant sur les règles de fonctionnement et/ou sur la régulation du marché sont absents. Or, en pratique les marchés immobilier et foncier sont fortement réglementés en France35, de l’intervention sur l’occupation du sol jusqu’à l’intervention sur la production immobilière (aides à l’accession à la propriété…). Cela justifie le fait que le prix d’un bien immobilier et foncier n’est pas seulement déterminé par la confrontation offre/demande, mais aussi par les droits auxquels ils sont attachés (droit de construire, droit d’usage…) (Renard, 2004). Par exemple, le zonage des POS (ou PLU) en restreignant l’offre foncière juridiquement urbanisable peut accroître les prix des terrains à bâtir par un effet de rareté foncière36.

Par ailleurs, les biens immobiliers sont des biens durables : ils présentent une longue durée de vie et s’apparentent plus à un bien d’investissement qu’à un bien de consommation. Cela génère une inertie de l’offre qui peut entraver l’ajustement de l’offre et de la demande. D’autres facteurs peuvent expliquer ces difficultés d’ajustement : les délais importants de la

35 Les leviers de l’intervention publique foncière ont été présentés dans l’introduction générale.

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production immobilière37 (Bar-Ilan et Strange, 1996), le stockage de logements (vacance ou stocks issus de la promotion immobilière) et la rétention de terrains à bâtir (dont les causes sont exposées dans l’Encadré 1.1). Celle-ci illustre le phénomène de spéculation sur le marché des terrains à bâtir dans la mesure où certains agents ont la possibilité de différer la date de vente ou d’achat d’un bien en fonction de leurs anticipations des hausses ou des baisses futures de prix (Granelle, 1998). La rétention du terrain par le propriétaire, dans une phase de hausse des prix immobiliers, est un comportement économiquement rationnel (Renard, 2009). Elle est favorisée en France par une « fiscalité38 quasiment indolore pour la détention, et fortement dégressive dans le temps pour la taxation » selon Braye et Repentin (2005) dans leur rapport au Sénat sur la crise des logements. Ces auteurs estiment également que, face à une forte demande créée autour de la rareté foncière, la hausse des prix des terrains se construit autour de la rareté de l'offre, de la hausse des prix qu'elle entraîne et des profits qu'elle peut générer pour les vendeurs.

Encadré 1.1 – Causes de la rétention foncière

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la rétention des terrains à bâtir (Jacoud et al., 1996). Citons-en cinq.

Dans un contexte d’incertitude, il peut être plus profitable de ne pas construire aujourd’hui sur un terrain à bâtir (et donc de le thésauriser) pour y construire dans le futur, accroissant ainsi les bénéfices liés à la non-construction (Segerson et al., 2006).

Lors d’une opération de remembrement foncier39, un cas particulier de rétention foncière due à

une anticipation sur les rendements futurs peut apparaître. Ce cas est appelé holdout40 problem. Il

s’agit d’une situation dans laquelle le projet d’aménagement ne peut se réaliser sans l’accord de vente de tous les propriétaires fonciers concernés. Ces derniers, détenant une forme de pouvoir de monopole (Posner, 2003) sont alors incités à demander un prix supérieur à celui du marché, ce qui conduit soit à enchérir les coûts pour le développeur, soit à empêcher le projet d’aboutir si le prix demandé par les propriétaires dépasse le prix de réservation du développeur (Miceli et Sirmans, 2007).

L’étroitesse du marché des terrains à bâtir est telle qu’un propriétaire hésite à vendre aujourd’hui son terrain de peur de rencontrer de fortes difficultés à retrouver un terrain dans l’avenir. Il est donc incité à garder son terrain.

Les comportements patrimoniaux et des problèmes successoraux empêchent les propriétaires de vendre leur terrain.

Les promoteurs peuvent assurer leur activité future en réservant la construction de leurs terrains.

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Ces délais correspondent au temps de la construction, de viabilisation et de commercialisation des terrains.

38 Taxe foncière sur les propriétés non bâties.

39 Le remembrement foncier est le regroupement de plusieurs terrains voisins en un lot unique pour un projet urbain de grande emprise au sol tel qu’un centre commercial.

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(iv) L’information sur les marchés immobilier et foncier est imparfaite : il existe une

asymétrie informationnelle entre les acteurs du marché. Renard (1996) qualifie à ce titre, ces marchés d’« opaques ». Cela entrave l’observation des marchés par les acteurs mais aussi de manière globale, par la société civile et publique. La diffusion de données immobilières et foncières est contrainte et restreinte à certains usagers en France. Le principe de confidentialité des données persiste quant à l'accès du public au fichier immobilier et foncier. Pourtant ces informations sur les transactions (et surtout sur les prix) sont fondamentales. En dehors de leur intérêt didactique, elles peuvent favoriser la régulation des marchés, limitant l'ampleur des cycles et le développement de bulles immobilières (Renard, 2004).

L’asymétrie d’information sur un marché génère des coûts de transaction (Coase, 1960 ; Williamson, 1999). Sur les marchés immobilier et foncier, ces coûts sont élevés (administratifs, de recherche, déménagement). Dans l’hypothèse d’un contrôle social de la ressource foncière (Jayet, 1996 ; Fujita et Thisse, 1997), l’information tend à être asymétrique, des comportements opportunistes apparaissent et la demande a une rationalité limitée41 (Napoleone, 2005). Dans ce contexte, les coûts de transaction incitent à l’instauration d’institutions économiques de régulation du marché plus efficaces.

(v) Les biens immobiliers et fonciers sont par nature immobiles dans l’espace. En

effet, contrairement aux biens meubles, les biens immeubles ne peuvent pas se déplacer ou être déplacés d'un lieu à un autre42 pour permettre un meilleur ajustement de la demande et de l’offre immobilière. Plus précisément, ils correspondent à des biens corporels43 (c'est-à-dire qui ont une existence matérielle) par nature44 puisqu’ils sont fixés au sol, attachés de façon durable ou incorporés dans un autre immeuble par nature.

L’immobilité physique des biens immobiliers et fonciers (et des offreurs) renforce le caractère d’absence de fluidité du marché. Pour les demandeurs, il implique que les offres accessibles ne sont disponibles qu’en quantité limitée et/ou qu’un excédent de biens en un lieu et un déficit dans un autre peut être observé.

41 La « rationalité limitée » (Simon, 1955) (ou procédurale) de l’agent économique résulte d’un processus de décision appropriée compte tenu de l’information et de ses capacités (limitées) de calcul, de mémoire, d’apprentissage… Elle s’oppose à la rationalité substantive (de l’homo œconomicus) : les individus atteignent leurs objectifs selon des contraintes données et un environnement économique connu.

42 Article 516 et suivants du Code civil.

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Les biens incorporels n’ont pas d’existence matérielle (droits d’auteur, marques…).

44 Les biens corporels par nature s’opposent aux biens corporels par destination. Ceux-ci sont des biens meubles par nature mais que la loi qualifie d'immeubles par destination en raison du lien qui les unit à un immeuble par nature dont ils constituent un accessoire. C’est le cas d’une statue scellée dans une niche, d’animaux d'une ferme, de matériels d'exploitation d'un atelier, d’une cuisine intégrée dans une habitation…

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Les biens immobiliers et fonciers présentent donc un certain nombre de caractéristiques – ce sont des biens hétérogènes, localisés, durables, immobiles… – qui s’éloignent de l’analyse économique traditionnelle basée sur le principe de la concurrence pure et parfaite. Ces difficultés empêchent la création d’un cadre conceptuel unique de formation des prix (Renard, 1998) pouvant servir d’aide à la prise de décision publique. Pour pallier cette impasse, les économistes ont recours à la théorie de la rente foncière pour expliquer la formation théorique des prix.