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EFFETS DE LA PLANIFICATION URBAINE SUR LES PRIX IMMOBILIERS ET FONCIERS

1. Analyse théorique

Les études microéconomiques analysant les effets de la réglementation sur les prix immobiliers et fonciers s’accordent sur le fait que celle-ci influe à la fois sur la demande et l’offre immobilière et foncière, respectivement par un effet aménité et un effet rareté.

1.1. Effet aménité

En voulant corriger les défaillances du marché (ou plus précisément internaliser les effets externes) et rationaliser le développement urbain de la région concernée, les pouvoirs

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publics locaux produisent des aménités. Dawkins et Nelson (2002) distinguent deux catégories d’aménités engendrées par la réglementation : les aménités locales et régionales. Les premières font référence aux bénéfices que peuvent retirer les ménages vivant à proximité d’espaces protégés par la planification urbaine : ces espaces créent des externalités positives à la fois en termes paysagers70, esthétiques (Bourassa et al., 2005), récréatifs, de préservation des ressources naturelles, etc. Quant aux aménités régionales, elles proviennent d’une meilleure accessibilité aux services publics et privés suite à l’instauration de mesures planifiant les usages fonciers et rendant l’organisation territoriale plus cohérente. Ces mesures permettent donc un accroissement de l’efficacité des services publics et des infrastructures ainsi que de l’accessibilité entre logements et zones commerciales et récréatives.

Ces deux catégories d’aménités agissent sur l’attractivité de la région concernée. Cela provoque une hausse de la demande résidentielle et tend donc, toutes choses égales par ailleurs, à accroître les prix immobiliers et fonciers.

Dawkins et Nelson (2002) précisent que l’intensité de la hausse de la demande résidentielle due à la planification urbaine sur les marchés immobilier et foncier dépend de l’élasticité71 de l’offre résidentielle :

- si l’offre est parfaitement inélastique au prix (comme c’est souvent le cas dans les centres-villes fortement densifiés), un accroissement de la demande résidentielle augmenterait le prix des terrains à bâtir et des logements sans faire varier le niveau des constructions nouvelles de logements ;

- si l’offre est élastique, la hausse de la demande devrait accroître moins que proportionnellement les prix fonciers et immobiliers et aboutir à une hausse du nombre de constructions de logements.

Lecat (2006) souligne aussi que la première hypothèse désigne une situation de court terme où les délais de mise en chantier ou de révision du POS limitent l’offre. Et la seconde hypothèse correspond mieux au long terme où l’offre de terrains constructibles a tendance à s’ajuster à la demande.

70 Le paysage correspond à « ce que l’œil embrasse d’un seul coup d’œil, le champ du regard » (Brunet et al., 1992). Comme cela est inscrit dans la Convention européenne du Paysage (Conseil de l’Europe, 2000), le paysage représente « un élément essentiel du bien-être individuel et social et de la qualité de vie des populations. Il participe de manière importante à l’intérêt général sur les plans culturel, écologique, environnemental et social et constitue une ressource favorable à l’activité économique, avec le tourisme notamment ». Il fait également partie intégrante des aménités en tant qu’« externalité localisée » (Michalland et Vollet, 1999).

71 Dans le cadre de l’analyse des effets de la réglementation, le concept d’élasticité est employé pour étudier l’impact d’une variation des prix suite à une variation des quantités.

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1.2. Effet rareté

Les réglementations agissant sur l’offre foncière et/ou immobilière peuvent, selon Gérald (1992), avoir pour objectif de :

• réduire la quantité totale voire la taille des terrains à bâtir disponibles ; • limiter l’emplacement des terrains à bâtir disponibles ;

• restreindre l’usage foncier des terrains à bâtir ;

• modifier les délais et/ou les coûts de constructions des logements.

A ce titre, Cheshire et Vermeulen (2008) précisent que toute action voulant limiter la croissance urbaine72, la hauteur des constructions ou contrôler les densités réduit forcément l’offre sur un espace donné. De même, Grieson et White (1981) estiment que les restrictions sur les densités et les mesures définissant l’affectation des usages fonciers à certaines zones restreignent les quantités de terrains disponibles à l’urbanisation et donc le nombre de logements, augmentant ainsi les prix immobiliers et fonciers des zones concernées par ces mesures. Ils considèrent également que l’imposition d’une taille minimale de lot accroît la dépense individuelle de logement des ménages et est susceptible d’amplifier le coût du logement. Ces mesures consistant à imposer des restrictions foncières sont assimilables à une

shadow tax. C’est une taxe particulière sur les nouvelles constructions : elle ne génère aucun

revenu, mais tend à augmenter les coûts de construction (Hilber et Robert-Nicoud, 2006) et retarder l’ouverture de chantier (Capozza et Li, 1994). Elle a donc les effets redistributifs habituels dans la mesure où elle est capitalisée dans les prix.

Plus généralement, l’action restrictive de l’offre foncière, et donc de logements neufs, par la réglementation tendrait à accroître les prix du foncier et de l’immobilier neuf par rapport à l’ancien. Si la demande de logements et de terrains à bâtir est relativement inélastique à l’intérieur de la région concernée, les restrictions sur l’offre augmenteraient plus que proportionnellement les prix immobiliers et fonciers. Inversement, si la demande est relativement élastique, la baisse de l’offre foncière par la réglementation peut favoriser le report d’une partie de la demande sur les régions voisines (surtout si la région considérée est petite) et donc diminuer le nombre de constructions de nouveaux logements dans cette région (Dawkins et Nelson, 2002).

72 En termes de logements et de populations. Les coûts de la croissance urbaine ou ceux liés à l’urbanisation ont notamment été mis en évidence par Mills (1972) ou Lacour (1975).

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1.3. Synthèse

Pogodzinski et Sass (1990) résument les principaux effets théoriques de la réglementation sur les prix immobiliers avec la Figure 2.1.

Ils partent d’une situation sans réglementation (zonage ou restriction foncière) et sans externalité foncière où S désigne l’offre initiale et D la demande initiale de logements. L’équilibre du marché se trouve en a. Ils évaluent ensuite séparément l’effet d’une réglementation sur l’offre puis sur la demande résidentielle.

Figure 2.1 – Effets théoriques de la réglementation sur le marché des logements

Source : Pogodzinski et Sass (1990)

Côté offre, l’imposition d’une réglementation diminuant l’offre foncière (c'est-à-dire le nombre de terrains à bâtir disponibles) peut réduire l’offre de logements nouveaux. La courbe d’offre se déplace alors vers le haut et la gauche de S vers S’. Un nouvel équilibre se forme alors en b, situation où la quantité de logements diminue et leurs prix augmentent par rapport à a. C’est l’effet rareté. Cela n’est vrai que si les ménages de la région concernée ne peuvent pas se localiser ailleurs que dans cette région (ville fermée) (Lecat, 2006). Dans ce contexte,

Quantité de logements Prix du logement a b c d S S’ D’’ D D’’’ Qmin Qa Qd Qb Pd Pb Pa P0 D’ D’

65 la réglementation diminue le bien-être (par exemple en termes de surplus) des acquéreurs potentiels de logements et accroît celui des résidents propriétaires avant la mise en place de la réglementation.

Côté demande et si la ville est ouverte ou semi-ouverte, l’instauration d’une réglementation peut accroître la demande73 sous l’effet de la production d’aménités. Elle passe alors de D à D’’ et le nouvel équilibre se situe au point c. Vis-à-vis de la situation initiale, la quantité et les prix des logements augmentent74. Le bien-être des acquéreurs potentiels est alors réduit. Pogodzinski et Sass (1990) soulignent aussi que la réglementation peut avoir un effet dépressif sur la demande si elle restreint très fortement les usages fonciers liés aux activités résidentielles. Par exemple, la limitation des biens ou des services collectifs peut faire diminuer la demande résidentielle (de D à D’’’) et donc la quantité et les prix des logements (équilibre d).

Pogodzinski et Sass (1990) envisagent un dernier cas, celui de l’imposition d’une taille minimale de lots. Qmin représente le nombre de lots consommés en présence d’une certaine

taille minimale de lot avec des ménages immobiles. La demande de logements des ménages est D’ jusqu’à P0, avec D’ parfaitement inélastique. Au-delà de ce prix, les ménages choisissent de se localiser dans d’autres communes et la demande résidentielle est nulle. En deçà d’un prix Pd, la taille minimale de lot n’est plus contraignante et la demande des ménages suit la courbe de demande initiale D. En présence d’une taille minimale de lot, le nouvel équilibre c implique un prix supérieur à a. Dans ce cas, cette réglementation réduit le bien-être des acquéreurs potentiels, c n’étant pas le niveau de consommation résidentielle optimale. Quant aux propriétaires existants, cette réglementation accroît la valeur de leur logement par rapport à la situation initiale, augmentant ainsi leur bien-être. Lecat (2006) souligne que la concurrence intercommunale est susceptible de limiter l’inélasticité de la demande D’ par des effets seuils au-delà desquels la demande se reporte intégralement sur une autre commune (parfaite élasticité).

La Figure 2.1 met en évidence que les effets de la réglementation sur les quantités et les prix des logements dépendent bien de l’élasticité des fonctions d’offre et de demande de

73 Pas seulement celle des habitants de la région concernée.

74 Pogodzinski et Sass (1990) précisent que les équilibres b et c ont des prix identiques uniquement pour la commodité de l’exposé.

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logements. Par ailleurs, la distinction entre effet aménité et effet rareté est indispensable puisque ces deux forces s’opposent en termes de bien-être pour les mêmes catégories d’agents. En effet, a priori, une augmentation de prix, attribuée à un effet rareté diminue le bien-être des acquéreurs potentiels alors qu’une augmentation de prix identique liée à un effet aménité l’accroît. Dans une approche empirique, l’effet net d’une réglementation (section 4) doit être calculé puisque son impact sur les prix immobiliers et fonciers (section 2 et 3) conditionne les conclusions des études empiriques (Engle et al., 1992).