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L’´ev´enement surprenant source de conflits cognitifs

5.3 Le conflit narratif, un ´el´ement essentiel de la pertinence narrative

6.1.2 L’´ev´enement surprenant source de conflits cognitifs

donc qu’elle contient des gˆateaux), puis, une fois la boˆıte ouverte, il r´ealise qu’elle est vide. L’individu est donc surpris. Mais au-del`a de la surprise, l’absence de gˆateaux dans la boˆıte est source d’un conflit entre une croyance pr´ealable et une observation directe. Voici comment traduire cela en termes de n´ecessit´es :

— Avant l’´ev´enement surprenant la situation ”il y a des gˆateaux dans la boˆıte” (not´ee g) est tr`es n´ecessaire pour l’individu. L’absence de gˆateaux ¬g est tr`es inattendue et donc ¬g est tr`es peu n´ecessaire. Une n´ecessit´e ν(¬g) = −U (¬g) << 0 est donc affect´ee `a ¬g.

— La situation surprenante est observ´ee. Lorsque l’individu d´ecouvre que la boˆıte est vide, la surprise est de l’ordre de U (¬g). L’observation est source de n´ecessit´e, la situation ¬g devient tr`es n´ecessaire. Une n´ecessit´e ν′

(¬g) = U (g) >> 0 est donc affect´ee `a ¬g.

— La situation surprenante est source de conflit ν ∗ ν′

6.1 Le cas de la surprise 129

¬g est donc source de conflit cognitif. L’observation de ¬g vient contredire une croyance ant´erieure `a son occurrence, ce qui provoque une incoh´erence dans la repr´esentation qu’`a l’individu du monde et donc un conflit d’ordre cognitif.

D’une mani`ere g´en´erale, la surprise est source de conflit car une situation au- paravant tr`es peu n´ecessaire le devient lorsque l’´ev´enement surprenant est observ´e. Cela cr´ee un conflit entre une croyance pr´ealable et une observation (c’est donc un conflit entre deux croyances). Ou en d’autres termes, ce qui semblait auparavant inattendu se produit. Ou ce qui ´etait attendu ne se produit pas. Le cas des situa- tions non-anticip´ees est un peu diff´erent. R´etrospectivement, apr`es l’occurrence de la situation surprenante non-anticip´ee, on peut supposer qu’un individu alloue une n´ecessit´e n´egative ant´erieure `a la r´ealisation de l’´ev´enement. Autrement dit, l’in- dividu ne s’attendait pas `a l’occurrence de l’´ev´enement et se dit r´etrospectivement que l’´ev´enement n’aurait pas dˆu se produire.

Le m´ecanisme g´en´eral de formation d’un conflit au sein de la connaissance d’un individu suite `a l’occurrence d’une situation s est donc le suivant (voir ´egalement la figure 6.2) :

— Avant l’occurrence de s, la situation s est tr`es peu n´ecessaire car inattendue et donc est affect´ee d’une n´ecessit´e ν n´egative.

— L’observation de l’occurrence de s rend s n´ecessaire. s est donc affect´ee d’une n´ecessit´e ν′

positive. — Les n´ecessit´es ν et ν′

sont sources de conflit. Un conflit entre deux croyances apparaˆıt. Ce conflit traduit une incoh´erence au sein de la repr´esentation qu’a l’individu du monde.

Le m´ecanisme d´etaill´e ci-dessus concerne une incoh´erence au sein de la connais- sance, une situation que l’on pensait inattendue au pr´ealable est observ´ee. Une autre source de n´ecessit´e vient des d´esirs d’un individu. Or une situation inat- tendue qui se produit, et devient donc n´ecessaire, peut ˆetre non-d´esir´ee, et donc est affect´ee d’une n´ecessit´e n´egative. Si la situation inattendue en elle-mˆeme n’est pas non-d´esir´ee, elle peut n´eanmoins contribuer `a rendre une situation non-d´esir´ee plus n´ecessaire qu’auparavant. Autrement dit, la situation surprenante peut ˆetre source d’une perspective de conflit portant sur un d´esir. Par exemple, si la foudre vient s’abattre sur la cabane dans laquelle se trouve un individu et que celle-ci

Figure 6.2 – Formation d’un conflit li´e `a une incoh´erence au sein de la connais- sance d’un individu suite `a l’occurrence d’une situation surprenante s

s’enflamme, alors cela va mettre la vie de l’individu en danger, or celui-ci ne veut pas mourir (il y a donc un conflit anticip´e suite `a l’occurrence de l’´ev´enement surprenant).

Formellement, l’occurrence de la situation s rend une situation s′

non-d´esir´ee n´ecessaire. La formation du conflit est donc la suivante (voir ´egalement la figure 6.3) :

— s′

est non-n´ecessaire car non-d´esir´ee, s′

est donc affect´ee d’une n´ecessit´e ν n´egative.

— L’observation de l’occurrence de s rend s′

n´ecessaire. s′

est donc affect´ee d’une n´ecessit´e ν′

positive. — Les n´ecessit´es ν et ν′

sont sources de conflit. Un conflit entre une croyance et un d´esir apparaˆıt. Ce conflit correspond `a la possible occurrence d’une situation non-d´esir´ee suite `a l’occurrence de l’´ev´enement surprenant.

De mˆeme, si l’occurrence de s ´eloigne la perspective d’occurrence d’un ´etat d´esir´e, alors cet ´etat devient non-n´ecessaire car inattendu, mais est n´ecessaire car d´esir´e, ce qui est (l`a encore) source de conflit cognitif entre une croyance et un d´esir.

6.1 Le cas de la surprise 131

Figure 6.3 – Formation d’un conflit li´e `a la possible occurrence d’une situation s′

non-d´esir´ee par un individu suite `a l’occurrence d’une situation surprenante s

R´esolution des conflits

Les conflits cons´ecutifs `a l’occurrence d’un ´ev´enement surprenant viennent d’une incoh´erence entre deux croyances ou une croyance et un d´esir. Ainsi, afin de retrouver un ´etat stable, l’apparition d’un conflit est suivie d’une phase de raisonnement qui a pour but de r´esoudre le conflit.

Dans le cas d’un conflit entre deux croyances, ce raisonnement d´elib´eratif est de type diagnostic. La r´esolution du conflit consiste `a fournir une explication, c’est-`a-dire `a trouver un ensemble de causes et d’effets qui permettent d’int´egrer l’´ev´enement surprenant dans notre repr´esentation du monde. Reproduisons l’exemple suivant qui illustre ce processus :

“For example, if you found your car key was missing, and you had no way of explaining it, then you might experience a high level of surprise. However, if a plausible explanation subsequently emerged that allowed the anomaly to be resolved, such as realising that you left the key inside the car, then the experience of surprise should subside.” (Maguire et al., 2011)

La phase de r´esolution consiste `a former une ou plusieurs hypoth`eses, plus ou moins valables (la meilleure ´etant celle `a conserver). Dans l’exemple de Mary qui poignarde John (voir page 42), une explication possible est : Mary est une espionne et n’a jamais aim´e John. La taille de l’hypoth`ese explicative mesure ce que nous d´efinirons comme ´etant une forme de curiosit´e (voir partie 6.2.1). Le mot curiosit´e est utilis´e dans un sens proche de son sens commun. Nous sommes

curieux de savoir ce qui s’est pass´e, ce qui a produit ce que nous avons observ´e. Plus l’explication semble fiable (semble ˆetre ‘la bonne explication’), moins sa complexit´e de g´en´eration est ´elev´ee et moins l’´ev´enement est inattendu (donc surprenant) r´etrospectivement. Dans ce cas, la curiosit´e peut donc ˆetre vue comme le reste de surprise associ´ee `a un ´ev´enement apr`es son occurrence (notons ici que ce n’est pas le sens donn´e `a cette notion dans le cadre narratif, ce qui sera discut´e dans la partie 6.2.1).

Dans le cadre narratif, l’audience est g´en´eralement maintenue pendant un temps variable dans cet ´etat d’incertitude, mais le crit`ere de postdictibilit´e doit ˆetre respect´e et tous les ´ev´enements doivent ˆetre int´egr´es `a la fin du r´ecit. L’auteur doit donc fournir tous les ´el´ements n´ecessaires pour que, r´etrospectivement, aucun ´ev´enement du r´ecit ne soit surprenant, l’audience doit ˆetre en mesure d’expliquer tout ce qui lui a ´et´e pr´esent´e r´etrospectivement.

Dans le cas d’un conflit anticip´e li´e `a la possible occurrence d’une situation non-d´esir´ee (ou, ce qui est ´equivalent, `a la possible non-occurrence d’une situation d´esir´ee), la r´esolution du conflit consiste `a imaginer un plan, c’est-`a-dire une suite d’´ev´enements (g´en´eralement des actions `a r´ealiser) qui permettront d’´eviter (ou de s’´eloigner de) l’occurrence de l’´etat non-d´esir´e (ou de permettre l’occurrence de l’´etat d´esir´e). Nous d´efinirons la notion de suspense comme une incertitude li´ee `a la r´esolution du conflit (voir partie 6.2.2).

R´evision des connaissances et planification des actions

La premi`ere r´evision des connaissances intervient directement apr`es l’occur- rence de l’´ev´enement surprenant. Ensuite, l’analyse des possibles cons´equences, de la possible occurrence de situations suite `a l’occurrence de l’´ev´enement surprenant provoque ´egalement des changements dans notre repr´esentation du monde.

Le choix d’une hypoth`ese satisfaisante (apr`es son calcul) concernant une in- coh´erence au sein de la connaissance d’un individu a pour cons´equence une r´evision de ladite connaissance. Dans l’histoire de Mary et John (voir partie 42), suppo- sons que notre meilleure hypoth`ese est “Mary est une espionne et elle n’a jamais aim´e John”. Cette hypoth`ese modifie plusieurs ´el´ements de notre repr´esentation du monde fictif, par exemple :

6.1 Le cas de la surprise 133

— “Mary aime John” devient “Mary n’aime pas John” (avec une certaine n´ecessit´e)

— “Mary est une espionne” est ajout´e `a la connaissance (avec une certaine n´ecessit´e)

— “John est bless´e” (voire “John est mort”) est ajout´e `a la connaissance (avec une certaine n´ecessit´e)

Attention, bien que l’hypoth`ese “Mary est une espionne et elle n’a jamais aim´e John” soit consid´er´ee comme ´etant notre meilleure candidate, elle r´esout le conflit li´e `a la tentative de meurtre de John en cr´eant d’autres conflits, par exemple un conflit autour de la situation “Mary est une espionne”, qui est suppos´e mais inattendu a priori.

Dans le cas o`u l’´ev´enement surprenant fait apparaˆıtre la perspective d’un conflit anticip´e, l’individu est amen´e `a calculer un plan d’action pour ´eloigner la perspec- tive de conflit. Il faut distinguer le calcul du plan et sa r´ealisation effective. Le calcul du plan permet d’anticiper les ´eventuelles cons´equences de la r´ealisation du plan, l’humain est capable de simuler mentalement la r´ealisation du plan pour voir s’il r´esout effectivement le conflit sans cr´eer une situation encore plus conflictuelle. S’il d´ecide finalement de r´ealiser le plan, alors cela va modifier l’´etat du monde. Si le plan n’est pas r´ealis´e dans sa totalit´e ou si la simulation de la r´ealisation du plan est erron´ee (si l’individu a oubli´e de prendre en compte des cons´equences de ses actions futures par exemple), alors les changements dans la connaissance peuvent ˆetre diff´erents de ceux qui ont ´et´e simul´es.

6.1.3

Un mod`ele de la surprise comme source de conflits