• Aucun résultat trouvé

L’esprit de la réforme

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 90-94)

Description de la réforme : l’adieu au maoïsme

A. L’esprit de la réforme

D’après les historiens de l’économie, la Chine a été la première puissance économique mondiale jusqu’en 1820. Son PIB représentait un tiers de la richesse mondiale. En 1949, date à la quelle est créée la République Populaire de Chine, le PIB de la Chine ne représente plus que 1% du PIB mondial. Cette forte régression (on est même en droit de parler de chute abyssale) s’explique principalement par la fermeture du pays1. Ce repli de la Chine sur elle-même l’a fait passer à côté de la révolution industrielle. Ce repli est de deux ordres. Politique d’abord avec une Chine qui a peu de contacts avec le monde extérieur. Mais repli aussi culturel. La société chinoise de la fin de l’empire est très conservatrice et (c’est flagrant pour ses élites à l’image de l’impératrice Cixi) incapable de faire évoluer les structures de l’économie et de l’Etat à la situation nouvelle. On peut résumer sommairement la situation en disant qu’il faudra attendre la politique de réformes qui débute en 1978-1979 pour que la Chine renoue durablement avec la croissance. En vingt-cinq ans la Chine a réussi à doubler son PNB alors qu’il avait fallu cinquante ans aux Etats-Unis pour le faire après la fin de la guerre de sécession. Aujourd’hui, le PNB chinois2se situe au quatrième rang mondial (3,5 à 5% de l’ensemble) très loin derrière les Etats-Unis (31%) et le Japon (14%). Mais la Chine a récemment dépassé l’Italie, la France et semble-t-il l’Angleterre. Certes ces résultats sont flatteurs. Mais, on le verra au cours de ce paragraphe, ils sont incomplets pour aborder objectivement la situation de l’économie chinoise. Il faut être réaliste, l’histoire économique récente de la Chine, le manque de maturité de ses responsables politiques et économiques (qui sont souvent les mêmes personnes) et les spécificités du régime politique, la confinent dans son attachement pour de nombreuses années encore à la catégorie des pays en développement. En effet, le pays reste à dominante rurale avec 75% à 80% de ses habitants qui vivent à la campagne3. On estime que près de 500 millions de Chinois vivent de la terre dans le cadre de l’exploitation de petite taille.

Commençons par étudier le cadre général qui a guidé la politique de réforme économique. Sur le plan économique, Deng Xiaoping a tourné la page du maoïsme et les deux changements majeurs furent la décentralisation (c’est-à-dire l’abandon du

1AGLIETTA Michel & LANDRY Yves, La Chine vers la superpuissance, Paris, Economica, 2007

2 Sur la question de la validité des données concernant l’économie chinoise voir les explications qui suivent plus loin dans le paragraphe.

3 Sur les questions de démographie voir Michel Cartier, EHESS et colloque du CEFC avril 2008

contrôle centralisé et planifié de l’économie) et l’ouverture du pays sur l’étranger. Ces objectifs sont clairement affirmés lors de l’allocution qu’il prononce pour l’ouverture du XII° Congrès du Parti communiste chinois le 1° septembre 1982. « Son mérite est d’avoir eu la force politique de faire accepter ce tournant majeur aux organes dirigeants du parti communiste chinois »1. En effet cette ligne politique sera répétée plusieurs fois (martelée pourrait-on même dire) tout au long de la décennie 1980.

Après le massacre de Tiananmen en 1989, la Chine connaît une période d’incertitude quant à la poursuite des réformes. C’est ce même Deng qui, lors de son voyage dans les zones économiques spéciales du sud du pays, relancera le processus.

On connaît aujourd’hui l’ampleur du chemin parcouru. Revenons sur la philosophie des réformes. Premier constat, alors qu’on parle communément de « miracle » économique chinois, nous soutenons au contraire que la Chine avait de multiples atouts pour réussir2. Tout d’abord il y a ce qu’on appelle en économie l’effet de rattrapage. Si on considère que le capital est soumis à la loi des rendements décroissants ; alors plus il y a de capital, plus son rendement est faible. Si tel est le cas, l’accroissement du taux d’épargne ne générera qu’une accélération temporaire de la croissance. A long terme, productivité et revenu seront supérieurs, mais pas le taux de croissance. Cette loi des rendements décroissants a une conséquence importante : toutes choses égales par ailleurs, il est d’autant plus facile pour un pays d’enregistrer une croissance importante que le pays est pauvre au départ. On parle alors d’effet de rattrapage. Cet effet a joué à plein dans le cas de la Chine. En effet, un léger investissement en capital suffit à améliorer grandement la productivité de la main d’œuvre. Mais à l’inverse, il faut un investissement colossal pour améliorer sensiblement la productivité du pays. Les données dont nous disposons confirment ce modèle. Sur la période des réformes la Chine a connu un taux de croissance moyen de 8 à 9%. Les Etats-Unis n’ont eu qu’une croissance annuelle moyenne de 2,5%.

Pourtant le PNB chinois est presque dix fois inférieur à celui des Etats-Unis (et près de quatre fois inférieur à celui du Japon). Le revenu par tête est particulièrement faible : il se situe au 127° rang mondial en termes de Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) sur les 208 pays répertoriés par la Banque mondiale (il est notamment inférieur à celui du Mexique, du Brésil et des Philippines).

1 LANDRY & AGLIETTA, op.cit.

2 Sur ce point voir aussi CHOW G. , China’s economic transformation, Oxford, Blackwell Publishers, 2002

Le point de départ des réformes est le Troisième Plénum du Onzième Comité central du Parti communiste qui a eu lieu en décembre 1978. Pour instaurer une politique de réformes et écarter l’aile maoïste du pouvoir (c’est-à-dire ceux qui voulaient garder la ligne de la révolution culturelle), Deng a formé une alliance avec les « planificateurs pragmatiques1 et en particulier avec Chen Yun. Pour obtenir leur soutien, Deng accepte leurs positions sur une approche alternative du développement économique.

En ce sens, la victoire initiale lors du plénum fut plus celle de Chen que celle de Deng.

Comme le rappelle Saich, « il a semblé, un moment, que le centre [Pékin] abandonne ou ne soit forcé d’abandonner son approche monopolistique de la politique et que celui-ci autorise l’épanouissement de différents modèles d’organisation un peu partout en Chine. A partir de 1982-1983 cependant, des décisions ont été prises pour standardiser le nouveau système et la décollectivisation a été renforcée à travers tout le pays à une vitesse qui n’est pas sans rappeler celle de la collectivisation des années 1950. »2

A la ligne des planificateurs pragmatiques, on doit ajouter la ligne de Deng synthétisée dans les « Quatre modernisations ». Mais, il faut aussi ajouter une ligne de la troisième génération de leaders celle de Hu Yaobang et Zhao Ziyang. On peut donc résumer comme dans le tableau qui suit :

                     

1 SAICH, op.cit, page 57

2 Ibid. page 61

Tableau 1.1 : la « coalition » de la réforme dans la décennie 1980   

groupe Planificateurs pragmatiques Quatre modernisations

Réformateurs

leaders Chen Yun Deng Xiaoping Hu Yaobang puis Zhao Ziyang

Pendant les années 1980, on a clairement deux lignes qui s’opposent : celle de Deng et celle des réformateurs. Cependant, ces deux courants restent d’accord sur l’idée qu’il faut mener des réformes économiques. On a donc un front commun sur les questions économiques et un autre sur les questions politiques. Sur les questions économiques, les réformateurs de la troisième génération et Deng sont unis contre les planificateurs de la ligne Chen. Mais sur la question de la modernisation de l’Etat au niveau politique, on a une situation inversée. Deng et Chen estiment qu’il ne faut pas changer le système politique. Alors que les réformateurs comme Hu et Zhao estiment eux qu’une réforme du système politique est nécessaire si l’on veut mener à bien les réformes. Entendons-nous, il serait abusif de faire de Zhao et Hu de fervents démocrates. Leur idée semble plus que les réformes sont nécessaires (sur ce point ils sont parfaitement d’accord avec Chen et Deng). Pour sortir le pays de la pauvreté il faut donc réformer le système économique que la période maoïste a mis à mal. Pour ce faire il faut autoriser l’activité de marché et réinstaurer la rationalité dans la gestion des questions économiques. Jusque là les trois courants sont toujours d’accord. Là où l’on voit apparaître une première scission c’est sur la place et le rôle que doit tenir le marché dans les réformes. Les réformateurs, tout comme Deng, estiment que le

contrôle de l’Etat dans la gestion des entreprises doit être en partie relâché voire dans certains cas abandonné. Chen, lui, estime que l’économie doit être régulée par une gestion centralisée par le haut. La deuxième ligne de fracture est celle qui distingue progressivement les réformateurs de la troisième génération d’avec Deng. Il ne faut pas oublier que cette troisième génération de leaders a été réhabilitée et appelée à Pékin par Deng. Deng les a protégés quand ils ont avancé les premières idées des réformes. Cette divergence se fait donc progressivement et, a priori, sans être de manière frontale. Pour les dirigeants de ce qu’il est convenu d’appeler la Troisième génération de dirigeants (la première étant celle de Mao et des dirigeants de la

« guerre de résistance » puis de « libération » ; et la seconde est celle de vétérans de la guerre représentée par des hommes comme Deng ou Chen), il apparaît bientôt que le but de la réforme économique est de sortir le pays de la pauvreté mais aussi d’en faire un pays moderne (la notion de fu guo bing qiang déjà évoquée). Or, une économie moderne ne peut se développer et fonctionner que dans un cadre cohérent. Il faut donc une réforme des institutions pour permettre le bon fonctionnement de l’économie. En bref, une économie moderne n’est pas viable dans une structure étatico-légale d’un autre âge. C’est dans ce sens que les réformateurs vont pousser en faveur d’une réforme progressive des institutions non pas dans le but, semble-t-il, d’instaurer une démocratie représentative en vertu de la défense des libertés fondamentales, mais plutôt pour fournir un cadre cohérent et efficace à l’économie en train de se moderniser. Leur préoccupation semblait plus tenir de la volonté de moderniser le pays et « purger » les institutions d’un mode de gouvernance jugé obsolète et conçu dans les années 1930-1940 et qui ne convenait donc plus à la situation actuelle.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 90-94)