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Existe-t-il une société civile en Chine aujourd’hui ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 61-70)

Description de la réforme : l’adieu au maoïsme

C. Existe-t-il une société civile en Chine aujourd’hui ?

Le débat sur l’acceptation en son sein ou non des entrepreneurs montre que le Parti communiste chinois est confronté à une société civile qui cherche à se défaire de l’omniprésence du Parti. Dans une large mesure, on peut dire que la décision de 2001 illustre la volonté du PCC d’empêcher tout groupe social (ici les entrepreneurs) de s’organiser de manière autonome en dehors du parti et donc, à termes, présenter une menace politique. Il faut dire que le rapport de domination entre le pouvoir et la société n’a pas fondamentalement changé. Il se caractérise par le contrôle de l’information et par le fait que l’idéologie garde une fonction de légitimation surtout depuis qu’elle est renforcée par une forte dose de nationalisme.

Le point sur lequel le régime se diffère le plus d’un régime autoritaire « banal » tient à son refus systématique d’autoriser l’existence de toute organisation sociale hors de son contrôle.

Même si cette organisation ne représente aucun danger politique. Cela s’est déjà illustré par la répression féroce contre les membres de la secte Falungong, ou aujourd’hui de manière plus discrète mais tout aussi implacable contre les syndicalistes et les associations écologistes.

Face aux contestations sociales, la réponse du pouvoir est toujours la même. D’abord, le Parti accorde une priorité absolue à isoler le mouvement en empêchant tout contact avec d’autres plaignants qui peuvent être dans une situation semblable. Ensuite, il est capable de satisfaire une partie des revendications pour acheter la paix sociale. Mais les meneurs seront toujours punis très sévèrement pour instaurer la peur au sein de la population et éviter que de nouveaux troubles éclatent. Si le mouvement est collectif et spontané le pouvoir invente des meneurs pour l’exemple. La prise de contacts avec d’autres mouvements sociaux a toujours été un facteur très aggravant.

Dans un système totalitaire, toute tentative de créer des liens horizontaux est, par définition, mauvaise car elle perturbe le fonctionnement horizontal de l’organisation totalitaire.

Un constat s’impose : entre la Chine de la période maoïste et celle de la période qui nous intéresse (1992-2008), la société a réussi à se dégager du contrôle du politique.

La Chine de la période contemporaine n’est plus celle du « tout-politique ». Pour autant, si la société a réussi à gagner une marge d’autonomie, elle n’est pas indépendante du pouvoir. On a alors parlé de renaissance de la société civile : « les années quatre-vingt-dix sont celles de la renaissance de la société civile, renaissance qui est liée au relâchement du contrôle politique, au développement économique _ notamment dans le secteur privé _ et au dynamisme d’une culture de plus en plus indépendante. »1

1 ZHANG Lun, La vie intellectuelle en Chine après la mort de Mao, Paris, Fayard, 2003, page 236.

1. Détente politique et groupe public dans la vie politique chinoise

Bien qu’on estime souvent que la politique en Chine est un processus unitaire (de part le monopôle exercé par le Parti communiste), la stratification sociale et le pluralisme en Chine sont des concepts anciens. Déjà en 1926, dans un article intitulé

« une analyse des différentes classes sociales en Chine »1, Mao Zedong définissait cinq classes au sein de la république de Chine : les propriétaires terriens, la classe moyenne, la petite bourgeoisie, les « semi-prolétaires » et le prolétariat. Pour la période qui nous intéresse (1992-2008), les chercheurs proches du pouvoir ont publié sur le même sujet mais où les nouvelles classes sont définies sur la base des ressources économiques, organisationnelles et culturelles2.

L’existence de classes et de groupes en Chine ne signifie pas pour autant qu’ils jouissent d’une liberté d’expression tant que le contrôle du parti-Etat ne se relâchera pas. Nous pouvons brièvement identifier une liste des raisons conduisant à un tel relâchement de l’emprise du Parti au cours des années 1990-2000 : les changements de l’environnement international, la révolution dans les techniques de l’information avec le développement d’internet et des groupes de presse, la très timide réforme du système électoral expérimentée au niveau des villages et la polarisation croissante quant aux revenus au sein de la population. Mais une légitimation plus instrumentale de l’idéologie de groupe a été réalisée avec l’évolution récente de l’idéologie. En septembre 1999, le Parti-Etat lançait la campagne des « Trois accents » (sanjiang).

Selon cette campagne, il faut insister sur la conscience politique (zhengzhi), l’étude (xuexi) et une éthique saine (zhengqi). Cinq mois plus tard, comme une extension de cette campagne, Jiang Zemin marquait son emprunte avec la théorie des Trois représentations qui sera intégrée à l’idéologie officielle en août 2001. Au moins deux de ces « représentativités » présupposent du pluralisme au sein de la société chinoise : l’expression les « forces productives les plus avancées » fait référence au monde des affaires, tandis que « l’intérêt fondamental du peuple » fait référence de manière subtile au populisme ou plus ou moins aux aspirations primaires. Quand Jiang essaie

1 MAO Zedong, « Zhongguo Ge Jiezeng De Fengxi » « Une analyse des différentes classes sociales en Chine) in Mao Zedong Xuanji (Selected Works of Mao Zedong), vol.1, Beijing, Renmin Chubanshe.

2 LIANG Xiaosheng, Zhongguo Shehui Jiecen Fenxi (Analysis on Social classes in China), Beijing, Jingji Ribou Chubanshu, 1997

LU Yi (dir.), Dangdai Zhongguo Shehui Jiecen Yangjiu Baogao ( A Study of social classes in contemporary China), Beijing, Sheke Wenxian Chubanshe, 2002.

d’institutionnaliser la représentation du Parti communiste chinois du prolétariat à un Parti à l’assise plus large, il reconnaît également des droits acquis en Chine.

2. Y-a-t-il une société civile en Chine ? L’introuvable groupe d’intérêt à l’américaine

Il résulte du développement de ces différents groupes que le concept de

« société civile chinoise » est apparu sur le devant de la scène. Dans son sens académique strict, la société civile, le fondement des groupes d’intérêts, doit avoir deux prérequis : une démocratie pluraliste et une économie capitaliste.

Graphique 1.2: Le modèle américain des groupes d’intérêts et la société 

Source : SHEN, op.cit. , page 11 

En étudiant le pluralisme chinois de la même manière que les groupes d’intérêts américains, un certain nombre d’universitaires, comme le sociologue Gordon White1 relie la réforme économique et le passage à l’économie de marché à la société civile naissante, à l’embryon de société civile. Mais l’existence de groupes signifie-t-elle nécessairement l’existence d’une société civile en Chine comme le suggère le modèle de White ? Les similarités apparentes entre les groupes politiques chinois et américains sont superficielles car la manière dont les groupes fonctionnent en Chine semble être unique et avoir de nombreuses caractéristiques typiquement chinoises.

1 WHITE Gordon, HOWELL Jude & Alii, In Search of Civil Society: Market Reform and Social Change in Contemporary China, Oxford, Clarendon Press, 1996, pages 98 à 127.

Société civile  (avec des 

groupes  d’intérêts)  Démocratie 

pluraliste 

Economie  capitaliste 

Les groupes d’intérêts américains qui s’intéressent à la politique s’engageraient dans une stratégie de lobbying. Ils ont compliqué la structure du pouvoir du fédéral et de la société civile en introduisant ce que Theodore Lowi1 appelle un « issue network » : c’est-à-dire la capacité de certains groupes à maîtriser certaines questions pour compenser la relative ignorance du corps politique sur ces problèmes (en somme avoir une expertise que les acteurs publics n’ont pas). Nous pouvons étudier leur manière de manœuvrer à travers des données quantitatives comme les votes au Congrès ou le financement des campagnes électorales. Mais ce modèle des groupes d’intérêts américains ne peut pas s’appliquer à la Chine à cause de la manière dont ils sont formés.

En Chine, le Parti-Etat a une politique très stricte quant à la formation de toute nouvelle organisation afin d’anticiper le développement d’organisations rivales à la dictature du Parti communiste chinois. Bien que le droit d’association soit garanti par l’article 35 de la Constitution de 1982 : « Les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté d’expression, de la presse, de regroupement, d’association, de procession ou de manifestation. »2. Tous les groupes en Chine doivent impérativement respecter l’Ordonnance sur la gestion et l’enregistrement des groupes sociaux établi par le Conseil d’Etat après les incidents de la place Tiananmen en 1989. Celui-ci impose à tous les groupes de s’enregistrer auprès d’un ministère et d’être supervisé par les autorités. Politiquement les groupes d’intérêts, comme toutes les organisations publiques (même les associations nationalistes), ont des difficultés à être officiellement formée. Dans un régime de « dictature démocratique du prolétariat », il est difficile d’y adhérer. Contrairement aux groupes d’intérêts américains puissants et organisés, comme l’a montré Dorothy Solinger3, les groupes en Chine sont incapables ou ne veulent pas s’organiser. Afin d’influencer le gouvernement, les groupes en Chine ont peu d’autres alternatives que d’exprimer leurs opinions dans des journaux, des publications académiques ou des forums internet. L’organisation de mouvements sociaux a un coût élevé ; y compris celui de risquer leur droit à exister comme organisation, voire même de risquer la vie de ses membres. A cause de leur nature apparemment désorganisée, les groupes peuvent être

1 LOWI Theodore, « American Business, Public Policy, Case Studies and Political Theory » in World Politics, vol. 16, 1964, pages 677 à 715.

2 Constitution de la République populaire de Chine, Pékin, Editions populaires, 2004

3 SOLINGER Dorothy, « China’s Transcients and the State : A Form of Civil Society ? » Hong Kong Institute of Asia-Pacific Studies Working Papers, Chinese University, Hong Kong, 1991.

seulement décrits par leurs liens personnels ou informels et leurs connections (bref leur guanxi), ce qui est vraisemblablement en désaccord avec le concept de « issue network ».

Par conséquent, de nombreux chercheurs pensent qu’une société civile de type occidental n’est pas nécessaire en Chine. Par exemple, Thomas Metzger1 a fourni une étude historique sur le sujet. Il relève les inconsistances des interprétations occidentales (qui suivent un modèle ascendant _down-top) et chinoise (qui suit un modèle descendant _ top-down) de la société civile. Toujours réticent à appliquer les théories occidentales à la Chine, Wang Shaoguang2 est en désaccord avec la notion de société civile et a mis en évidence le fait que la « société civile chinoise comporte un certain nombre de différences politiques dont la question de la démocratie n’est pas une des moindres ». Si l’on parle de l’autre prérequis pour une société civile, l’économie de marché, la Chine est un produit hybride avec des réminiscences d’économie étatisée comme les entreprises d’Etat qui sont inefficaces. Comme He Baogang3 et Jonathan Unger4 ont montré de manière évidente, la société chinoise doit être regardée comme une « société semi-civile » ou un « hybride de corporatisme socialiste et de clientélisme ». La société civile, pour peu qu’elle existe en Chine, est imparfaite comme l’illustre le graphique 1.3 :

Graphique 1.3: L’analyse politique de la diversité publique   dans le cadre d’une Chine non‐démocratique 

Source: SHEN, op.cit. page 12 

1 METZGER Thomas, The Western Concept of Civil Society in the Context of Chinese History, Stanford Ca, Stanford University Press, 1998.

2 WANG Shaoguang, « Gongmin Shehui De Fanyi » (Some Reflexions on Civil Society), in Ershiyi Shiji (XXI° siècle), n°8, décembre 1991, pages 102 à 114.

3 HE Baogang, The Democratic Implications of Civil Society in China, Basingstoke, MacMillan, 1997.

4 UNGER Jonathan, « Bridges : Private Business, the Chinese Government and the Rise of New Associations » in The China Quarterly, n°147, septembre 1996, pages 795 à 819.

Société civile 

3. Le second cadre théorique: “l’analyse politique de la diversité publique” dans la Chine non-démocratique

On peut dire pour résumer que la définition américaine des groupes d’intérêts politiques combine les groupes d’intérêts proprement dits et les lobbys. Cette définition américaine n’inclut pas la voix des groupes non structurés qui ne visent pas à faire du lobbying. Cependant, ce type de voix décrit exactement la situation en Chine. Les tentatives des différents acteurs d’exprimer leurs opinions dans la société civile imparfaite de Chine devrait être dénommée différemment. La plupart des chercheurs, comme évoqué plus haut, identifient des classes ou des groupes en Chine selon des attributs économiques, organisationnels ou culturels. Cependant, ceci n’aborde pas le problème de l’interaction entre les comportements domestiques et internationaux. Par conséquent, on préférera identifier différents acteurs comme étant différentes entités publiques (ayant chacune leurs sous-groupes). Ces acteurs sont basés sur leur position fonctionnelle dans l’élaboration moderne du politique et la perception chinoise du monde. On utilisera le terme « d’analyse politique de la diversité publique » (politics of public diversity) pour qualifier ce phénomène.

Les différents groupes au sein du public qui contribuent à l’analyse politique de la diversité publique en Chine ont les caractéristiques suivantes1 :

• Ils reconnaissent le pouvoir de la volonté générale. Leur existence compense la déficience structurelle de la dictature du parti unique sans pour autant remettre en cause directement sa légitimité.

• Ils expriment clairement leurs opinions plutôt que d’essayer de mettre leur cause à l’agenda politique de manière agressive. Ils ne visent pas à un lobbying direct auprès du gouvernement, au lieu de cela la plupart expriment leurs opinions souvent au travers de l’écrit.

• Ils ne sont pas organisés de manière formelle et n’essaient pas d’établir des

« issue networks », ce ne sont pas non plus des blocs unitaires à la ligne politique clairement définie. Ils ont du mal à influencer l’opinion publique ou le Parti-Etat et sont par contre relativement facilement influençables par ce dernier exemple le nationalisme.

1 SHEN, op.cit. page 12

• L’avancée de leurs intérêts ne dépend pas forcément du retrait des autres intérêts à la manière d’un jeu à somme nulle.

• Le prérequis le plus important pour ces groupes en Chine est que si la nature non-démocratique du régime devait être altérée, ces groupes n’existeraient plus ou évolueraient pour devenir des groupes d’intérêts sur le modèle américain, si jamais ce jour doit arriver.

La manière dont le public est défini mérite ici une explication. Comme on l’a expliqué précédemment, le processus de prise de décision de la politique chinoise est vu par les chercheurs comme un mécanisme interne au Parti-Etat. Quand le régime stalinien du Parti communiste chinois a commencé à se relâcher l’implication des citoyens ordinaires (par différentes formes d’expressions comme des manifestations) et des intellectuels (via les différents think tanks) _ qui sont les différents membres contribuant à l’analyse politique de la diversité publique_ a commencé à prendre place d’une manière subtile. Ceux qui ne font pas partie de l’establishment ne peuvent pas participer directement au processus de prise de décision : leur participation est confinée au rôle de définir le politique et la perception chinoise du monde extérieur.

Les historiens Ray Huang1, Jin Guantao et Liu Qingfeng2 ont chacun analysé la macro-structure du régime féodal. Les concepts en jeu sont bien plus complexes que leur simplification ne le laisse suggérer, pourtant les terminologies fonctionnelles de

« haut», « base» et « intermédiaire » comme l’utilisent ces chercheurs, reste une référence utile pour une analyse plus poussée. En se basant sur leur argumentation, on peut définir en Chine trois macro-groupes d’après leurs fonctions dans la société chinoise en général et leur rôle dans le renouveau de la pensée du politique (notamment dans le cas du nationalisme). Au sein de chaque entité publique des sous-groupes existent et la composition de ceux-ci sera expliquée plus loin dans ce chapitre.

       

1 HUANG Ray, Zhongguo Da Lishi (China: a macrohistory), Taipei, Liangjing, 1993.

2 JIN Guantao & LIU Qingfeng, Xingsheng Yu Weiji (Prosperity and Crisis), Changsha, Hunan Renmin Chubanshe, 1984.

Graphique 1.4: l’interaction fonctionnelle de la diversité sociale 

Source: SHEN, op.cit. page 14   

• Le sommet (le Parti-Etat) comprend les hauts dirigeants et le ministère des affaires étrangères ainsi que les secteurs économiques et militaires.

• La base (les citoyens ordinaires) comprend l’opinion de masse comme elle est reflétée dans les sondages et comme elle apparaît dans les médias de masse, les membres de la cybercommunauté. De nombreuses opinions coexistent dans ces groupes.

• Le niveau intermédiaire, qui offre un lien bilatéral entre le « sommet » et la

« base » comprend les intellectuels en général, les universitaires (spécialistes de science politique, d’économie, de relations internationales et de droit) et les journalistes. Vers le « haut », ils fournissent des conseils politiques ou transmettent ou conceptualisent l’opinion populaire. Vers le bas ils relaient la politique officielle en la marquant de leurs propres opinions et aident à transmettre des informations brutes d’une manière plus ou moins biaisée.

On peut donc synthétiser la situation comme on le fait dans le graphique 1.4. Le Parti-Etat n’est plus en mesure d’avoir un contrôle total sur la société. De plus, les excès de la révolution culturelle l’ont convaincu de ne plus aller aussi loin dans la visée totalitaire. Ceci ouvre la possibilité pour la société civile (les niveaux intermédiaires et bas du modèle) de s’exprimer. Mais son autonomie est plus que partielle. Le rapport au politique se fait donc au travers de trois vecteurs. Il y a un rapport idéologique, stratégique et communicationnel. Le Parti-Etat produit du politique en fonction de cette interaction complexe. Le graphique 1.5 (déjà évoqué dans l’introduction) résume cette interaction complexe.

Sommet

Niveau  intermédiaire

Base

Graphique 1.5 : Analyse politique de la diversité publique et segmentation de la  conception contemporaine de l’Etat en République populaire de Chine 

II. La pensée Deng Xiaoping

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