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L’ESPERANCE DE VIE DEPARTEMENTALE

ETAPES ET GEOGRAPHIE DE LA TRANSITION SANITAIRE

L’ESPERANCE DE VIE DEPARTEMENTALE

Les valeurs de l’espérance de vie, telles qu’elles sont représentées dans le graphique 1, ont été obtenues sur la base des données suivantes (conformément à la démarche décrite en détail au chapitre I.6) :

- de 1811 à 1850 et de 1856 à 1870, l’espérance de vie résulte de l’application des tables-types “Hérault XIXe siècle” au total des décès annuels et aux pyramides reconstituées, dont les effectifs ont été estimés annuellement en milieu d’année par interpolation linéaire ;

- en 1876 et 1877, l’espérance de vie résulte de la distribution sur les âges du total des décès annuels selon la distribution constatée en 1874-75 et 1878-79, et des pyramides reconstituées, dont les effectifs ont été estimés annuellement en milieu d’année par interpolation linéaire ;

- en 1851-55, 1871-75 et 1878-1920, l’espérance de vie résulte des décès par âge publiés et des pyramides reconstituées, dont les effectifs ont été estimés annuellement en milieu d’année par interpolation linéaire ;

- en 1921-1990, l’espérance de vie résulte des décès par âge publiés et des pyramides publiées aux recensements, dont les effectifs ont été estimés annuellement en milieu d’année par interpolation linéaire.

Au XIXe siècle, l’estimation de l’espérance de vie est tributaire de la qualité de la reconstitution et de celle des tables types “Hérault XIX” (voir à ce sujet l’annexe I.6.1). Elle souffre également d’une fluctuation annuelle de la mortalité par âge, qui est la règle du régime de forte mortalité. L’estimation doit donc être jugée comme un indicateur de tendance plutôt que d’une mesure exacte de la mortalité à telle ou telle date précise. Au XXe siècle, la qualité des recensements et des décès par âge publiés n’est plus en cause. Toutefois, l’estimation souffre de trois imprécisions au moins : jusqu’en 1854, les décès par âge publiés sont ceux enregistrés, non pas ceux domiciliés ; deuxièmement, l’espacement plus important entre recensements, au moment où les flux migratoires deviennent plus importants, nuit à l’estimation annuelle des effectifs présents ; troisièmement, les décès sont publiés par groupes d’âge, dont le dernier, depuis 1968, est celui des 85 ans et plus, qui regroupe à la fin des années 1980 près de la moitié du total des décès. Or, le calcul de l’espérance de vie ne pouvant prendre en compte ce groupe ouvert, se base sur les quotients avant l’âge de 80 ans (par extrapolation des logarithmes des quotients aux âges élevés) et par conséquent sur l’observation de la moitié environ

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Voir Régy (1868) et Coste (1869). Dès le début des années 1860, le Ministère des Ponts et Chaussées ont entrepris des études détaillées de la mortalité dans les communes du Littoral (réunies aux Archives Départementales sous le nom de Etudes de l’insalubrité du Littoral méditerranéen de Port-Vendres à Nice, AD S 720-730). Elles précèdent les travaux d’assainissement des étangs, entrepris dès les années 1870.

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des décès. Ce dernier biais peut être mesuré en comparant notre calcul à celui de l’INSEE, publié aux années de recensements et basé sur les décès par année d’âge.

INSE E estim. INSE E estim.

1967-69 69,8 70,0 76,4 77,0

1974-76 70,9 71,0 78,1 78,4

1981-83 72,2 72,3 79,3 79,4

1989-91 73,7 73,8 81,1 80,9

SE XE M ASCULIN SE XE FEMININ

Tableau 1. Espérance de vie publiée par l’INSEE et estimée sur la base des décès par groupes d’âge avant l’âge de 80 ans. Hommes et femmes de l’Hérault.

L’écart entre l’espérance de vie publiée par l’INSEE et notre estimation ne dépasse pas 0,2 an pour les hommes et 0,6 an pour les femmes. Le troisième biais est donc faible. Les deux autres ne peuvent être mesurés, car L’INSEE les subit comme nous. On peut cependant considérer que le graphique 1 reflète correctement l’évolution globale de la mortalité, au XIXe comme au XXe siècle.

20 30 40 50 60 70 18 10 18 30 18 50 18 70 18 90 19 10 19 30 19 50 19 70 19 90 e0 h om m es e0 fem mes Espérance de vie à la naissance

Graphique 1. Espérance de vie à la naissance, hommes et femmes du département de l’Hérault ; ajustement linéaire à la pente maximale

L’évolution de l’espérance de vie dessine une transition (une courbe en S) en cours d’achèvement. Elle s’amorce entre 1880 et 1890 ; sa phase la plus rapide se situe en 1910-1940, puis elle se ré-oriente vers un nouvel équilibre après 1955. Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, le gain en espérance de vie est de deux mois par an. Il atteint 6 mois par an au cours de la première moitié du XXe siècle, malgré le ralentissement dû aux deux guerres. Entre 1950 et 1990, le gain est revenu à trois mois par an.

La première moitié du XIXe siècle n’a apparemment pas enregistré de gain en espérance de vie. Mais les données concernant cette période sont les moins fiables. Le graphique 2 compare l’espérance de vie départementale à celles pour la France selon les estimations de Blayo (1975) et Meslé et Vallin (1989).

20 25 30 35 40 45 50 17 40 17 60 17 80 18 00 18 20 18 40 18 60 18 80 19 00 hommes 20 25 30 35 40 45 50 17 40 17 60 17 80 18 00 18 20 18 40 18 60 18 80 19 00 femmes

France selon M&V

France selon M&V France selon Blayo

France selon Blayo

Hérault

Hérault

Graphique 2. Espérance de vie à la naissance selon le sexe : département de l’Hérault, France selon Blayo (1975) et selon Meslé et Vallin (1989).

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’espérance de vie départementale est restée en deçà de la moyenne nationale. Rien d’anormal pour un département très urbanisé, dont le Littoral est marqué par la présence permanente de la malaria. Mais le graphique 2 pose une autre question. Le département, a-t-il connu une même élévation de l’espérance de vie au cours de la période 1785-1815 que la France, selon

l’estimation de Blayo ? Le gain en espérance de vie dans la France de 1785-1815 aurait atteint environ 4 mois par an, pour ensuite revenir à près de zéro jusqu’à 1870 environ. Il y aurait eu donc deux courbes en S, deux transitions de la mortalité, à un siècle l’une de l’autre. La reconstitution ne permet pas de déterminer la première transition, ni même d’en retracer fidèlement la dernière partie, entre 1801 et 1820. Mais il n’y a pas de raison de penser que le département s’est comporté différemment que la France. On a même une indication, très indirecte il est vrai, qui va dans le sens d’une première transition, selon le modèle de la France. 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1811 1831 1851 1871 1891 1911 1931 1951 1971 1990 2011 2031 0 10 20 30 40 50 60 70 80

Pop. totale en milliers Espérance de vie

eo en t-50

Pop. tot.

Graphique 3. Population totale aux dates indiquées t et l’espérance de vie 50 aux dates t-50 ; Hérault sexes réunis. Espérance de vie en 1761-1801 estimée selon Blayo (1975).

Il existe un rapport entre la baisse de la mortalité et la croissance de la population. Ce rapport est perturbé par l’évolution de la fécondité et de la migration. Surtout, il est décalé dans le temps : l’effet se montre avec un certain retard. Cest ainsi que l’allongement le plus rapide de l’espérance de vie a pu coïncider avec la période de stabilité de la population départementale (1910-1940) et que les phases de faible augmentation de l’espérance de vie (1801-1880 et 1955-1990) ont pu correspondre aux périodes de croissance démographique. Si l’on prend en considération un temps de réaction entre la baisse de la mortalité et la croissance de la population, le paradoxe apparent se transforme en correspondance. En fixant, arbitrairement, le décalage à 50 ans, la croissance modérée de la première moitié du XIXe siècle correspondrait à la baisse modérée de la mortalité durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la stabilité démographique de la première moitié du XXe siècle à la

correspondance entre les deux phénomènes. La courbe de la mortalité a été décalée de 50 ans : l’espérance de vie observée en t est attribuée à t+50 . La mortalité départementale de 1761 à 1811 a été estimée en empruntant les valeurs nationales retenues par Blayo (1975). L’hypothèse est donc celle d’une baisse de la mortalité départementale selon le modèle de la mortalité nationale.

Les courbes montrent les mêmes pentes et les mêmes points d’inflexion. La correspondance est troublante, même si le rapprochement des deux phénomènes doit être considéré comme un raccourci, car elle fait abstraction de la fécondité et de la migration. Cependant, on verra aux chapitres suivants, après avoir étudié la fécondité et la migration, que la mortalité tient toute sa place dans l’explication de la croissance démographique départementale.

Conformément à l’évolution nationale, la mortalité départementale a peu changé au cours du XIXe siècle. Il est probable que la période 1750-1850 a connu au moins une baisse modérée, peut-être concentrée entre 1790 et 1820, mais nos données ne permettent pas de l’affirmer. Le XXe siècle, par contre, est certainement celui de la baisse historique, dont la phase la plus rapide se trouve entre 1910 et 1940.

a - la mortalité aux différents âges

Le gain en espérance de vie s’est produit à tous les âges, mais pas en même temps. Les graphiques suivants montrent le gain réalisé à différents moments de la transition. Les quotients de mortalité sont comparés à ceux relevés en 1900-1902.

0 0. 2 0. 4 0. 6 0. 8 1 1. 2 1. 4 1. 6 1q0 4q1 5q5 5q1 0 5q1 5 5q2 0 5q2 5 5q3 0 5q3 5 5q4 0 5q4 5 5q5 0 5q5 5 5q6 0 5q6 5 5q7 0 5q7 5 hommes 1820 1878-80 1900-02 1950-52 1925-27 1975-77 1988-90

Graphique 4. Rapport entre la mortalité par âge à différentes dates et celle relevée en 1900-1902 ; Hérault, sexe masculin

0 0. 2 0. 4 0. 6 0. 8 1 1. 2 1. 4 1. 6 1q0 4q1 5q5 5q1 0 5q1 5 5q2 0 5q2 5 5q3 0 5q3 5 5q4 0 5q4 5 5q5 0 5q5 5 5q6 0 5q6 5 5q7 0 5q7 5 femmes 1820 1878-80 1900-02 1925-27 1950-52 1975-77 1988-90

Graphique 5. Rapport entre la mortalité par âge à différentes dates et celle relevée en 1900-1902 ; Hérault, sexe féminin

Comme il est habituel, le gain a d’abord été réalisé aux jeunes âges. Entre 1820 et 1900, c’est la mortalité de 1 à 5 ans qui a le plus reculé : de 30 % environ. Mais la mortalité infantile et celle entre 5 et 10 ans ont également reculé, de 20 % environ. Aux âges adultes, par contre, le gain acquis avant 1900 est négligeable.

Entre 1900 et 1950, la baisse de la mortalité aux jeunes âges s’accélère, on peut même la considérer achevée en 1950. A cette date, les âges élevés ont à peine amorcé leur baisse. Ces âges réalisent le gain le plus important entre 1950 et 1975. Après cette date, l’amélioration aux âges élevés continue à peu près au même rythme (la dernière période représentée dans les graphiques ne couvre que 13 années, contre 25 pour les trois périodes précédentes, d’où l’apparente décélération du gain).

La mortalité est la plus élevée avant l’âge de 5 ans et après l’âge de 50 ans. Par la définition même de l’espérance de vie à la naissance, la baisse de la mortalité avant l’âge de 5 ans contribue le plus à l’allongement de l’espérance de vie. Cela explique l’allongement rapide de l’espérance de vie au début du XXe siècle, et sa moindre augmentation après 1950.

Le plus surprenant, c’est la régularité par laquelle la mortalité engage la transition

en fonction de l’âge. Jusqu’en 1950, les courbes s’apparentent à des droites

“tenues” par une charnière imaginaire à 80 ans ; ensuite, c’est l’âge de 1-4 ans qui semble être la charnière, les gains se réalisant aux âges élevés. Chaque fois, le gain

b - la transition des groupes d’âge

Le graphique 6 montre, pour trois groupes d’âge masculins, la transition constatée entre 1880 et 1990 ; le niveau de la mortalité en 1900-1902 est fixé à 100. Nous avons représenté la moyenne mobile (sur cinq ans) des quotients de mortalité observés, rapportés à leur valeur en 1900-1902 ; nous avons également représenté les courbes d’ajustement (ajustées par une régression polynomiale de troisième degré). 0 20 40 60 80 100 120 1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 5q75 10q35 5q0 rapport

Graphique 6. Transition de 3 groupes d’âge, Hérault sexe masculin ; quotients observés (moyenne mobile sur 5 ans) rapportés au quotient en 1900-1902 (=100) ; courbes d’ajustement polynomiales de 3e degré.

Le groupe d’âge intermédiaire (10q35) suit assez bien le tracé complet d’une

transition : un plateau pré-transitionnel en 1880-1890 ; une baisse dont la phase la plus rapide se situe au cours des années 1920 ; enfin, un plateau post-transitionnel de 1960 à 1990.

Du premier groupe d’âge (5q0) nous n’observons pas le plateau pré-transitionnel,

qui se trouve avant 1880. Sa phase de baisse rapide se situe en 1900-1920, et le plateau post-transitionnel est atteint vers 1975.

Le dernier groupe d’âge (5q75) démarre la transition beaucoup plus

Le graphique 7 montre les groupes d’âge intermédiaires. Pour faciliter la lecture, seules les courbes d’ajustement sont représentées.

0 20 40 60 80 100 120 1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 10q65 10q55 10q45 10q35 10q25 10q15 10q5 0 20 40 60 80 100 120 1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 10q65 10q55 10q45 10q35 10q25 10q15 10q5 hommes fe mmes

Graphique 7. Transition de 5 à 75 ans, Hérault sexe masculin et féminin ; 1900-1902 = 100

On remarque la grande régularité avec laquelle les courbes évoluent en fonction de l’âge. Les hommes de 5-14 ans ont peut-être engagé leur transition avant 1880. Tous les autres groupes d’âge masculins ont attendu les années 1880 (âge 15-34 ans), 1890 (âge 35-44 ans), 1900 (âge 45-54 ans), 1910 (âge 55-64 ans) ou 1920 (âge 65-74 ans). Les hommes de 5-34 ans semblent avoir achevé la transition, ceux de 35-54 ans ont déjà fortement ralenti la baisse ; les hommes de 55-64 ans viennent juste d’engager le ralentissement de la baisse, et le groupe des 65-74 ans se trouve encore sur la pente de la baisse rapide.

Les femmes de 5 à 34 ans ont engagé leur transition avant 1880. Les autres ont attendu les années 1890 (âge 35-54 ans), 1900 (âge 55-64 ans), 1910 (âge 65-74 ans). Les femmes de 5-34 ans semblent avoir achevé la transition, celles de 35-44 ans ont déjà fortement ralenti la baisse ; les femmes de 45 à 74 ans, par contre, se trouvent encore sur la pente de la baisse rapide.

Engagée depuis le dernier quart du XIXe siècle, le démarrage de la transition de la mortalité a été fonction de l’âge : de 1860 (les plus jeunes) à 1920 (les plus âgés) ; les phases de baisse rapide se sont étalées de 1900 (les plus jeunes) à 1990 (les plus âgés) ; les âges de 0 à 45 ans ont déjà, à l’heure actuelle, achevé leur

c - surmortalité masculine

Le graphique 7 montre aussi la différence d’ampleur entre la baisse de la mortalité féminine et masculine, notamment après l’âge de 55 ans. Il en résulte une surmortalité masculine grandissante69. Le graphique 8 en donne l’évolution pour trois groupes d’âge.

1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 2.2 2.4 1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 45- 54 ans 55- 64 ans 65- 74 ans

Graphique 8. Surmortalité masculine ; rapport entre le quotient masculin (moyenne mobile sur 5 ans) et féminin (moyenne mobile sur 5 ans) ; Hérault, trois groupes d’âge

La tendance est très clairement à la hausse. Après l’âge de 45 ans, la mortalité masculine est devenue plus de deux fois supérieure à la mortalité féminine. Le retard pris par les hommes pour engager leur transition explique une partie de cet écart. Mais la plus grande part s’explique par la baisse plus lente de la transition masculine. Les courbes semblent même s’orienter vers des plateaux post- transitionnels de niveaux différents, ce qui impliquerait une forte surmortalité masculine permanente70.

Nous laissons à ceux, qui ont la compétence médicale nécessaire, le soin d’analyser plus en détail les étapes de la baisse de la mortalité, ses origines (de l’ordre biologique ou humaine) et ses perspectives, notamment concernant le décalage entre les deux sexes. Ce dernier est l’un des défis majeurs actuels.

69 La surmortalité masculine de la région Languedoc-Roussillon est toutefois légèrement moins importante que la moyenne nationale : 1,54 contre 1,68, tous âges confondus. Voir Broche (1990). 70 Voir notamment graphique 7. Se basant sur l’observation de la période 1973-1987, F. Meslé (1989) estime au contraire qu’à “long terme” la surmortalité devrait baisser.

Devant la transition aux âges adultes et élevés, hommes et femmes ne sont pas égaux ; les hommes ont pris du retard au démarrage, connaissent une baisse moins rapide et risquent d’achever la transition à un niveau de mortalité plus élevé que les femmes.