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De l’espace du descripteur à l’espace du co-descripteur, le point de vue

SUJET ET TEMPS D’ENONCIATION DANS L’ECRITURE DE L’URGENCE

L’INTERSUBJECTIVITE A TRAVERS L’ESPACE DANS L’ECRITURE DE L’URGENCE

5.1. De l’espace du descripteur à l’espace du co-descripteur, le point de vue

Toute manifestation de la subjectivité suscite une autre, elle appelle une autre conscience, une subjectivité autre, qu’elle veut en réalité influencer. Dans les conceptions philosophiques que nous prenons inlassablement comme appui, un sujet, une conscience ne peut être déterminée qu’en fonction de la présence d’un autre sujet, d’une autre conscience, ce qui engendre un processus d’altérité1

selon Hegel (Hegel: 1978) et Merleau-Ponty. Ce dernier souligne dans cette perspective que: « La subjectivité transcendantale est une subjectivité révélée, savoir à elle-même et à autrui, et à ce titre, elle est intersubjectivité. » (Merleau-Ponty, 1992: 414). Notre démarche prend appui particulièrement sur quelques travaux menés par Détrie qui interroge les déictiques de l’espace dans un contexte de description, supposant que la corporalité aussi bien du descripteur que du co-descripteur, constitue une ossature qui construit le sens. En effet, ces promoteurs spatiaux, pour faire

sens, convoquent l’engagement et l’expérience pratiques de

l’énonciateur/descripteur, et son dynamisme face à ceux du co-énonciateur/co-descripteur, d’où la production co-énonciative (co-descriptive) du sens. Ainsi faisant, nous mettons à l’œuvre la notion de point de vue.

Nous nous appuyons dans un premier temps sur l’explication que fait P. Hamon à propos du processus descriptif:

Le descriptif tend à convoquer en texte des postures de descripteur et de lecteur (de descriptaire) particulières, tend certainement à accentuer et à solliciter prioritairement une certaine compétence linguistique de ce dernier, principalement

1 Notion prise dans le sens philosophique comme étant le caractère, la qualité de ce qui est autre, ou la reconnaissance de celui-ci dans sa différence ethnique, sociale, culturelle, etc.

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lexicale, constituant toute description comme une sorte de mémento ou de mémorandum lexicologique…Lieu du texte où se polarise et se fonde la mémoire (les différentes mémoires) du lecteur, le descriptif organise (ou désorganise), de façon privilégiée, la lisibilité de l’énoncé, étant toujours, et à la fois, énoncé didascalique (il s’y transmet les signes, indices, indication, plus ou moins explicites de régie nécessaire à la consommation et à la compréhension globale du texte par le lecteur) et énoncé didactique (il s’y transmet une information encyclopédique sur un monde, vérifiable ou simplement possible. (Hamon, 1993: 5,6).

Nous avons abordé au cours du chapitre III l’effet d’intersubjectivité, mais de manière succincte, lorsque nous avons démontré la récursivité de la subjectivité à travers un espace de partage entre énonciateur et co-énonciateur par le biais du marqueur spatial là dans des séquences narratives et dialogales, car nous avions envisagé une plus ample analyse au cours de ce chapitre, afin de l’étayer dans des séquences purement descriptives.

A cet effet, nous pointons uniquement les indicateurs spatiaux de position

absolue, récurrents dans les séquences descriptives de la trilogie, tels que: loin, dehors, dessus, derrière, en face, à droite, à gauche, etc., et dont nous

présenterons les proportions par des graphes dans chacun des trois récits.

Les indicateurs spatiaux à position absolue, sont des locutions adverbiales qui selon Charaudeau, « constituent le lieu dans lequel se situe un être ou un événement, par rapport à une référence qui se confond avec le sujet parlant lui-même. » (Charaudeau, 1992: 240). Le sujet construit l’espace en fonction de sa propre posture. Ces indicateurs peuvent être d’environnement immédiat : près, autour, à côté, etc., ou hors environnement immédiat : loin,

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ailleurs, etc., par opposition aux indicateurs spatiaux à position relative, qui

eux, revoient au point où se positionne un être ou un événement par rapport à une référence extérieure au sujet parlant, tels que : loin de X, près de X, à côté

de X, à Gauche de X, etc. Ainsi, la description est organisée extérieurement au

champ de vision de l’énonciateur et de son co-énonciateur, ce qui peut renvoyer à une déicticité imaginaire, am phantasma telle que la nomme Bühler par opposition à une déicticité ad oculos.

Dans les textes littéraires, les deux indicateurs qu’ils soient à position absolue ou à position relative, convoquent l’aptitude du lecteur à percevoir avec l’Autre, tout en polarisant sa propre corporalité. Mais la corporalité de l’énonciateur est aussi importante du fait qu’elle constitue le centre de gravité, le point de départ de l’édification du processus descriptif qui se fonde à partir de sa propre connaissance. Ce qui engendre une expérience commune basée sur la corporalité et le regard, donc un centre de perspective, une vision, un point de vue et qui s’inscrit dans la description. En effet, ce qui est perçu visuellement par l’observateur, nourrit régulièrement l’acte de la description et l’implication corporelle aussi bien de l’énonciateur que de son co-énonciateur avec les traces de l’expérience dans l’énonciation, et devient une portée sémasiologique (métaphorique) quant au signifié qu’il veut communiquer. L’observateur-descripteur ordonnance la description suivant sa vision des objets et des faits qui sera convertie en point de vue langagier.

Nous nous arrêtons sur la conception de point de vue, et nous évoquons le sens linguistique qu’en fait Rabatel (Rabatel, 1997: 1998) en dépassant les distinctions problématiques de la focalisation interne et focalisation zéro. Il a attaché le problème des instances focalisatrices aux deux seuls points de vue du narrateur (narrateur ou simple voix narrative) et point de vue du (des) personnages (s). Chacune des deux instances admet un point de vue interne ou un point de vue externe du focalisé. Dans les deux cas le point de vue du personnage ou du narrateur, comme aspect cognitive, peut être soit limité, soit

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étendu et porté par des expressions subjectivisantes ou objectivisantes. Le paradoxe que nous tentons de démonter dans cette thèse.