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La conception dialogique et intersubjective à travers les temps verbaux

SUJET ET TEMPS D’ENONCIATION DANS L’ECRITURE DE L’URGENCE

L’INTERSUBJECTIVITE A TRAVERS L’ESPACE DANS L’ECRITURE DE L’URGENCE

6.1. La conception dialogique et intersubjective à travers les temps verbaux

L’approche praxématique que nous prenons comme appui d’analyse, nous permet d’aborder la notion de dialogisme en effectuation par le présent et l’imparfait. Cette dialogisation étant d’ordre interlocutif et intersubjectif, nous amène à interroger la co-énonciation et la co-construction de la subjectivité.

Sous le prisme de l’engagement et des postures intersubjectives, se profile un mode de significations et des effets langagiers reposant sur la manière qu’adopte le locuteur dans son engagement par rapport aux points de vue qui l’entourent, c’est-à-dire le contexte énonciatif. Ces significations et effets langagiers engendrent, par conséquent, une influence sur la représentation aussi bien du locuteur que sur celle de son allocutaire, générée par le discours. L’alternative et le niveau d’engagement du locuteur par rapport aux points de vue récursifs, dépendent de sa propre vision mais également de celle qu’il confère à son allocutaire.

Afin de sous-tendre cette hypothèse, nous tâchons d’interroger les séquences du corpus où apparaissent les formes temporelles du présent et de l’imparfait, eu égard à leur prédominance, aussi d’autres temps qui malgré leur faible déploiement comme du futur simple, le présent prospectif et l’imparfait prospectif, car ils possèdent une dimension dialogique.

Etant donné que l’écriture de l’urgence retrace le phénomène de la violence, celle-ci repose sur la description, et suscite un cadre de perceptions, qui à l’intérieur du texte, se conforme à certains faits de langue qui la régissent, tels que la métaphore et la métonymie. Les formes temporelles de la description de la violence dans la trilogie de Khadra sont, suivant ce que nous avons vu au chapitre IV, majoritairement à l’imparfait et au présent. Ces deux formes s’apparentent par leurs valeurs aspectuo-temporelles et placent la perspective de la violence dans une temporalité synoptique. Nous supposons que ces formes temporelles sont dialogiques par rapport à l’effet de sens qui

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en découle. Des interactions se tissent entre le déploiement des formes temporelles et les différents éléments co(n) textuels pendant l’actualisation de l’énoncé. Avant d’entamer l’analyse, présentons la notion de dialogisme telle qu’elle a été signifiée par Bakhtine et son cercle, ainsi que son rapport avec la notion d’intersubjectivité.

Le dialogisme, est une notion rapportée au lien existant entre un énoncé et des énoncés émis antérieurement ou avec des énoncés ultérieurs que pourraient créer ses destinataires. Bakhtine, le premier à avoir développé cette notion dans son ouvrage Problème de la poétique de Dostoiski, évoque le héros Dostoïevskien, en soulignant que la conscience de soi est entièrement

dialogisée par le fait qu’elle soit portée vers l’extérieur à chaque moment, elle

s’adresse à elle-même, à l’autre et au tiers.

Aussi, l’existence de l’homme est tributaire de son orientation vers soi et les autres, ce qui explique sa posture comme un sujet de destination. Ce n’est que dans l’interaction des hommes que se dévoile l’homme dans l’homme pour les autres que pour lui-même. (Bakhtine, 1970: 344). Ce sémioticien souligne aussi que l’homme n’a de vie que par la communication: le dialogue qu’il entretient avec lui-même et avec les autres. Le sujet de Bakhtine est donc foncièrement divisé, dissocié et pluriel, il ne peut être envisagé en soi qu’au sein d’une organisation d’échanges et d’interrelations. C’est pourquoi la notion de dialogisme se présente sous forme de deux acceptions essentielles, à savoir, un dialogisme externe (le dialogue) et un dialogisme interne au sens où tout mot est toujours le mot d’autrui, un mot déjà dit, déjà habité.

L’orientation dialogique est une caractéristique de tout discours. En effet, chaque discours croise forcément un autre discours lorsqu’il porte sur les mêmes finalités, une forme de métissage qui engendre une forte interaction entre les deux. Bakhtine utilise les termes: contact, rapport, relation pour renvoyer au dialogique. Jean Peytard se référant à Bakhtine quand il évoque l’interaction verbale, avance à son tour :

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.. Interaction verbale, ce n’est pas seulement prendre en compte ce qui, dans le face-à-face d’un individu et d’un autre individu, dans un dialogue, psychologiquement, logiquement et linguistiquement, se produit par concaténation, c’est, prioritairement, penser l’interaction réalisée dans/par l’ensemble des multiples discours, dans leur multitude indéfinie, interagissent les uns avec les autres. Et tout duo/dialogue singulier ne peut être analysé hors de l’interaction sociodiscursive. Ainsi il faut comprendre dialogue dans un sens élargi. (Peytard, 1995: 36).

Aussi, Bakhtine envisage le mot comme étant à la fois un lieu, un événement historique, une idée et une matérialisation, une sorte de tremplin entre moi et les autres, s’il est fondé sur moi à une borne, souligne-t-il, il est fondé également de l’autre borne sur mon interlocuteur, c’est une sphère de partage entre les deux protagonistes. Ainsi, et en envisageant ces deux acteurs de la communication comme le cadre d’événements historiques, ils doivent inéluctablement s’inscrire dans un espace intersubjectif, sachant que l’intersubjectivité, telle que la définit Husserl, est la perspective que les hommes sont des sujets pensant, capables de tenir compte de la pensée d’autrui dans leur jugement propre, « un mode selon lequel autrui se présente dans une intuition comme subjectivité originale radicalement autre. » (Husserl: 1992).

Puisque le temps verbal est un mot, tel que le pose Bakhtine et comme signe linguistique et objet signifiant, comment peut-il participer à l’actualisation du processus dialogique dans l’écriture de la violence? L’actualisation telle qu’elle est présentée par la praxématique, et notamment

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par Barbéris, est la réalisation linguistique permettant la mutation des possibilités de la langue au discours.