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circulation des marchandises

A. L’entrave aux importations

227. En matière de libre circulation des marchandises, la notion d’entrave s’articule autour de la tétralogie jurisprudentielle Dassonville929 – Cassis de Dijon930 – Keck et Mithouard931 – « Cyclomoteurs »932. Or, seuls les deux derniers arrêts délimitent réellement le concept, en indiquant les mesures qui ne sont pas, a priori, de nature à faire obstacle à la libre circulation. 228. La définition des mesures d’effet équivalent proposée par l’arrêt Dassonville constitue, depuis 1974, le point de départ systématique de la Cour dans les affaires concernant la circulation des marchandises. Aux termes de cet arrêt, « toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou

potentiellement le commerce intracommunautaire est à considérer comme mesure d’effet

équivalant à des restrictions quantitatives »933. Cette définition soulève deux interrogations. Tout d’abord, une mesure doit-elle être discriminatoire – en droit ou en fait – pour entraver le

929 CJCE, Dassonville, aff. 8/74, préc. 930 CJCE, Cassis de Dijon, aff. 120/78, préc.

931 CJCE, Keck et Mithouard, aff jtes C-267 et 268/91, préc. 932 CJCE, cyclomoteurs, aff. C-110/05, préc.

commerce intracommunautaire ?934 Une lecture littérale de la formule invite naturellement à répondre par la négative. Toutefois, la question a pu opposer la doctrine935 dans la mesure où, d’une part, la réglementation litigieuse dans l’affaire pouvait être elle-même analysée comme étant discriminatoire936 et, d’autre part, la Cour s’est essentiellement prononcée sur des mesures défavorisant les produits importés jusqu’à la fin des années 1970937. Les développements jurisprudentiels à partir de l’arrêt Cassis de Dijon ont progressivement rendu obsolète ce débat, les juges communautaires ayant de plus en plus condamné des mesures indistinctement applicables, sans aucune considération quant à leur éventuel effet discriminatoire938. Seule une partie marginale de la doctrine a donc continué d’analyser le concept d’entrave à l’aune du critère de la discrimination, en se fondant cependant sur une conception élargie de ce critère939.

Ensuite, la définition impliquait-elle de recourir à des critères quantitatifs ? Autrement dit,

934 Rappelons que, pour la Commission, les mesures indistinctement applicables « dont les effets restrictifs sur la

libre circulation des marchandises dépassent le cadre des effets propres d’une réglementation de commerce » constituent des mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives à l’importation (article 3 de la directive 70/50/CEE, préc.). Le critère employé – la mesure doit dépasser les effets propres d’une réglementation de commerce – apparaît cependant pour le moins abscons et permet difficilement d’identifier les mesures constitutives d’une entrave (v. en ce sens R. JOLIET, « La libre circulation des marchandises : l’arrêt Keck et Mithouard et les nouvelles orientations de la jurisprudence », JTDE, n° 12, 1994, p. 145, spéc. p. 146 ; A. MATTERA « L’article 30 du traité de la CEE, la jurisprudence « Cassis de Dijon » et le principe de reconnaissance mutuelle… », préc., p. 29).

935 A propos des oppositions doctrinales à cette époque, v. M. WAELBROECK, Les réglementations nationales

de prix…, op. cit., pp. 23 et s. ; F. PICOD, Réglementations nationales et libre circulation intra-communautaire

des marchandises, op. cit., p. 108 ; P. OLIVER, Free movement of goods…, op. cit., p. 113.

936 En l’espèce, la mesure interdisait l’importation des marchandises portant une appellation d’origine lorsque

cette marchandise n’était pas accompagnée d’une pièce officielle délivrée par l’Etat exportateur. La réglementation n’opérait donc pas de distinction entre les produits nationaux et importés. En revanche, dans la mesure où seuls les importateurs directs étaient en mesure de satisfaire à la condition posée, elle défavorisait les importations parallèles. Cette distinction entre les importateurs a conduit certains auteurs à qualifier la mesure litigieuse de discriminatoire (v. par ex. W. WILS, “The Search for the Rule…”, préc., p. 481 ; C. HILSON,

“Discrimination in Community free movement law”, préc., p. 446 ; D. WILSHER, “Does Keck discrimination

make any sense?...”, préc., p. 10).

937 V. not la série d’arrêts sur les prix dans laquelle, on l’a vu (titre 1), la Cour s’est concentrée sur la nature

protectionniste des réglementations : CJCE, Tasca, aff. 65/75, préc. ; CJCE, SADAM, aff. jtes 88 à 90/75, préc. ; CJCE, GB-Inno c/ ATAB, aff. 13/77, préc. ; CJCE, Van Tiggele, aff. 82/77, préc. Pour l’ancien juge et professeur R. JOLIET, « la formule Dassonville n’avait en vue que des réglementations s’appliquant spécifiquement aux produits importés » (R. JOLIET, « La libre circulation des marchandises… », préc., p. 146).

938 L’arrêt Cassis de dijon, à lui seul, ne permet pas d’écarter définitivement la thèse restrictive, la mesure

litigieuse apparaissant protectionniste (M. POIARES MADURO, We the Court…, op. cit., p 61). En revanche, la jurisprudence ultérieure confirme que la Cour qualifie d’entraves des mesures non protectionnistes et non discriminatoires.

939 V. par ex., G. MARENCO, « Pour une interprétation traditionnelle… », préc., p. 291 ; L. DEFALQUE, « Le

concept de discrimination en matière de libre circulation des marchandises », CDE, n° 4-5, 1987, p. 471, spéc. p. 490. Sur cette approche, v. chapitre 2, section 1, §1, A, 2 du présent titre, infra.

convenait-il de démontrer une diminution des importations, au moins potentielle ? Dans la mesure où la réglementation doit produire des effets équivalents à une restriction quantitative, on aurait pu penser qu’une analyse fondée sur l’évolution du volume d’importations aurait été pertinente940. Cependant un tel critère a souvent été écarté941 : non seulement il n’est pas nécessaire de démontrer une diminution des importations942, mais une augmentation de celles- ci n’est pas suffisante pour écarter une violation du traité943. A l’opposé, l’éventualité qu’une mesure restreigne les importations n’implique pas ipso facto que celle-ci entrave le commerce intracommunautaire944.

229. Le critère de la discrimination et l’approche quantitative étant écartés, la question des critères de qualification de l’entrave demeure945. L’arrêt Cassis de Dijon n’a pas véritablement permis de répondre à cette question. Dans sa fameuse décision de 1979, la Cour a jugé que « les obstacles à la circulation intracommunautaire résultant des disparités des législations nationales relatives à la commercialisation des produits en cause doivent être acceptés dans la mesure où ces prescriptions peuvent être reconnues comme étant nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives »946. De cet énoncé découlent deux enseignements. D’une part, l’obstacle à la libre circulation procède directement de la disparité législative947. Ce n’est donc pas la législation nationale en elle-même qui affecte la circulation mais sa

940 V. par ex. E. WHITE, “In search of the limits…”, préc., p. 243 (l’auteur écarte cette hypothèse) ; F. PICOD,

Réglementations nationales et libre circulation intra-communautaire des marchandises, op. cit., p. 103 ; S. ROBIN-OLIVIER, Le principe d’égalité en droit communautaire…, op. cit., pp. 270-271.

941 Nonobstant quelques cas isolés (v. not. CJCE, 26 octobre 2006, Commission c/ Grèce, aff. C-65/05, Rec. p. I-

10341).

942 V. en ce sens, CJCE, 13 mars 1984, Prantl, aff. 16/83, Rec. p. 1299, pt 20 ; CJCE, 18 mai 1993, Yves Rocher,

aff. C-126/91, Rec. p. I-2361, pt 21.

943 V. par ex. CJCE, Cullet, aff. 231/83, préc., pt 28 ; CJCE, 8 mars 2001, Gourmet International Products, aff.

C-405/98, Rec. p. I-1795, pt 22 ; CJCE, 14 décembre 2004, Radlberger & Spitz, aff. C-309/02, Rec. p. I-11763, pt 69.

944 V. par ex. CJCE, 14 juillet 1981, Oebel, aff. 155/80, Rec. p. 1993 ; CJCE, 31 mars 1982, Thomas Blesgen, aff.

75/81, Rec. p. 1211 ; CJCE, 25 novembre 1986, Forest, aff. 148/85, Rec. p. 3449 ; CJCE, 11 juillet 1990, Quietlynn, aff. C-23/89, Rec. p. I-3059. Dans ces affaires, les réglementations contestées avaient pour effet de limiter les possibilités de commercialisation ou de production (en limitant les points de vente, les horaires de fabrication, les quantités produites, etc.). Les opérateurs économiques lésés alléguaient qu’une diminution des ventes entraînait une restriction des importations. La Cour a rejeté cette argumentation, faisant valoir que les importations demeuraient possibles.

945 Comme l’a relevé le professeur WILS, « la formule de [l’arrêt] Dassonville, telle qu’employée par la Cour, ne

comporte aucun critère » (W. WILS, “The Search for the Rule…”, préc., p. 482).

946 CJCE, Cassis de Dijon, aff. 120/78, préc.

947 V. en ce sens, S. WEATHERILL, “Pre-emption, Harmonisation and the Distribution of Competence to

Regulate the Internal Market”, in C. BARNARD and J. SCOTT, The Law of the Single European Market – Unpacking the Premises, Hart Publishing, Oxford and Portland, 2002, p. 41, spéc. pp. 43-44.

coexistence avec des réglementations différentes948. D’autre part, interprétée a contrario, la formule laisse apparaître que de tels obstacles sont contraires aux dispositions du traité s’ils ne sont pas nécessaires pour atteindre un objectif légitime949. Autrement dit, on peut penser que toute mesure commerciale d’un Etat, dès lors qu’elle diverge de celles des autres Etats membres, doit être justifiée. Certains arrêts ont, d’ailleurs, pu laisser penser que tel était le cas. Ainsi dans sa décision Cinéthèque de 1985, la Cour, appelée à apprécier la réglementation française interdisant la vente de vidéocassettes avant l’expiration d’un délai d’un an après la sortie en salle d’un film, a relevé que « l’application d’un tel régime peut provoquer des entraves aux échanges intracommunautaires de vidéocassettes du fait des disparités entre les régimes applicables dans les différents Etats membres »950. On perçoit bien, cependant, que cette divergence n’est pas suffisante951 et qu’elle nécessite des précisions quant à l’imputabilité de l’entrave952. La mesure doit avoir pour effet de faire obstacle à la circulation. Aussi, en déduit-on que la réglementation de l’Etat d’importation, en raison de ses divergences avec la mesure de l’Etat d’origine, doit empêcher ou du moins gêner l’importation ou la commercialisation, sur son territoire, de la marchandise953. La réglementation litigieuse dans l’affaire Cassis de Dijon interdisait ainsi la vente d’une liqueur en Allemagne sous sa dénomination d’origine954. Ce n’est donc pas tant la divergence que ses conséquences qui importent.

230. On constate cependant que, jusqu’en 1993, la Cour s’est peu préoccupée de déterminer

948 G. MARENCO, « Pour une interprétation traditionnelle… », préc., pp. 320-321 ; A MATTERA, « De l’arrêt

« Dassonville » à l’arrêt « Keck » : l’obscure clarté d’une jurisprudence riche en principes novateurs et en contradictions », RMU, n° 1, 1994, p. 117, spéc. p. 127.

949 Sur les justifications, v. titre 2 de la 2ème partie, infra.

950 CJCE, 11 juillet 1985, Cinéthèque, aff. jtes 60 et 61/84, Rec. p. 2605, pt 22.

951 En ce sens, v. C. KESSEDJIAN, « Entrave et disparités des législations », op. cit., pp. 27 et s.

952 V. en ce sens, C. VOLLOT-BRUNEAU, Les mesures nationales indistinctement applicables et les libertés de

circulation : de l’utilité d’une théorie jurisprudentielle, thèse, Lille II, 2007, spéc. p. 58.

953 V. par ex. CJCE, 5 février 1981, Kaasfabriek Eyssen, aff. 53/80, Rec. p. 409. Dans cet arrêt, la Cour qualifie

d’entrave une mesure néerlandaise interdisant l’emploi de nisine dans la fabrication du fromage. Or, certains Etats autorisent l’utilisation de cette substance. Constatant l’existence de divergences, la Cour conclut que les Etats prohibant la nisine entravent les importations en provenance des Etats où son usage est permis. Transposé sur le plan des principes, ceci signifie que l’entrave est imputable aux Etats d’importation ayant une réglementation plus stricte que celle de l’Etat d’origine. V. S. WEATHERILL, “Pre-emption, Harmonisation…”, op. cit., p. 44.

954 V. également CJCE, 12 mars 1987, Commission c/ Grèce, aff. 176/84, Rec. p. 1193 (interdiction de

commercialiser en Grèce des produits contenant des additifs autorisés dans l’Etat membre de production) ; CJCE, 12 décembre 1990, SARPP c/ Chambre syndicale des raffineurs et conditionneurs de sucre en France, aff. C-241/89, Rec. p. I-4695 (interdiction de mentionner le terme sucre dans la publicité relative aux édulcorants alors qu’une telle mention est autorisée dans d’autres Etats membres).

les effets propres des réglementations contestées. Partant du constat que des disparités existaient ou qu’un effet sur les importations n’était pas à exclure, elle est très souvent passée immédiatement au contrôle de proportionnalité955.

231. L’arrêt Keck et Mithouard956 constitue la première réelle tentative, à notre sens, de

délimitation du concept d’entrave957. Dans cette décision la Cour a établi une distinction entre les « règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre [les] marchandises » et les dispositions nationales relatives aux « modalités de vente »958. A l’égard de la première catégorie de mesures, elle a rappelé le principe de la jurisprudence Cassis de Dijon. Aussi, l’Etat d’importation d’une marchandise doit-il continuer de justifier ses réglementations, même si celles-ci sont indistinctement applicables. En revanche, elle a exclu que les réglementations des modalités de vente puissent constituer des entraves, au sens de la jurisprudence Dassonville, « pourvu qu’elles s’appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu’elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en

provenance d’autres Etats membres »959. Partant, l’existence de disparités législatives

concernant les modalités de vente n’est pas suffisante pour conclure à l’existence d’une entrave. Il convient, en outre, de démontrer que la réglementation désavantage les opérateurs ou les produits importés.

232. A première vue, la distinction peut paraître arbitraire et rigide, d’autant que les juges ne

955 W. WILS, “The Search for the Rule…”, préc., p. 478. Avant 1993, seule une poignée de mesures a échappé à

la qualification d’obstacle et n’a donc pas fait l’objet d’un examen des justifications (v. par ex. CJCE, Oebel, aff. 155/80, préc. ; CJCE, Thomas Blesgen, aff. 75/81, préc. ; CJCE, Quietlynn, aff. C-23/89, préc. ; CJCE, Forest, aff. 148/85, préc. ; CJCE, 7 mars 1990, Krantz, aff. 69/88, Rec. p. 583. Cette jurisprudence trouve a posteriori une explication dans l’arrêt Keck et Mithouard (v. infra)).

956 CJCE, Keck et Mithouard, aff jtes C-267 et 268/91, préc.

957 La Cour affirme procéder à un revirement et il est vrai que son analyse contredit une partie de sa

jurisprudence antérieure. A notre sens, toutefois, il s’agit plus d’une clarification, les critères énoncés apparaissant en filigrane dans de précédents arrêts (v. par ex. CJCE, Quietlynn, aff. C-23/89, préc.). En outre, tant la doctrine que certains avocats généraux avaient suggéré le test qu’elle met en œuvre en l’espèce (v. infra). V. en ce sens, J. MOLINIER et N. De GROVE-VALDEYRON, Droit du marché intérieur européen, L.G.D.J.,

2ème éd., 2008, spéc. p. 65. V. également L. CLEMENT-WILZ, La fonction de l’avocat général près la Cour de

justice des Communautés européennes, thèse, Paris II, 2009, spéc.pp. 272-273.

958 La Commission, dans sa directive de 1969, avait elle-même isolé les mesures « portant notamment sur la

forme, la dimension, le poids […] indistinctement applicables [….] dont les effets restrictifs dépassent le cadre des effets propres d’une réglementation de commerce » (article 3 de la directive 70/50/CEE, préc.).

proposent pas de définition des modalités de vente960. L’analyse relativement lapidaire de la Cour a, d’ailleurs, suscité les vives critiques d’une partie de la doctrine961. Il est vrai que l’application « mécaniste » de cette jurisprudence962 dans les temps qui sont suivi la décision, a pu laisser entendre que la classification de la mesure dans l’une des deux catégories constituait l’alpha et l’omega du raisonnement963. Pourtant, dans un point passé relativement inaperçu à l’époque964, la Cour justifie son analyse. Or, cette justification donne une autre perspective à l’arrêt. Au point 17 de la décision, la Cour indique, en effet, que « l’application de réglementations [relatives aux modalités de vente] à la vente de produits en provenance d’un autre Etat membre […] n’est pas de nature à empêcher leur accès au marché ou à le

gêner davantage qu’elle ne gêne celui des produits nationaux ». La distinction trouve donc

son fondement dans les effets que les mesures sont présumées produire : les réglementations relatives aux conditions auxquelles doivent satisfaire les produits, même lorsqu’elles sont indistinctement applicables, empêchent ou gênent l’accès au marché national. A contrario, les réglementations des modalités de vente n’induisent pas un tel effet965. On peut regretter que la

960 Ce travail de définition a davantage été opéré par la doctrine et par certains avocats généraux (v. par ex. les

conclusions de l’avocate générale STIX-HACKL sous l’arrêt CJCE, 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband eV c/ 0800 DocMorris et Jacques Wterval, aff. C-322/01, Rec. p. I-14887 ; de l’avocat général RUIZ-JARABO COLOMER sous l’arrêt CJCE, Radlberger & Spitz, aff. C-309/02, préc. ; de l’avocat général POIARES MADURO sous l’arrêt CJCE, Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour-Marinopoulos, aff. jtes C- 158 et 159/04, préc., ou encore de l’avocat généralBOT sous l’arrêt CJCE, cyclomoteurs, aff. C-110/05, préc.). La Cour, en appliquant sa nouvelle jurisprudence aux cas d’espèce soumis à son contrôle, a progressivement illustré le concept (v. par ex. CJCE, 25 mars 2004, Karner, aff. C-71/02, Rec. p. I-3025, pt 38). L’absence de définition a toutefois suscité des difficultés de qualification et, dans certaines affaires, la Cour n’a pas retenu la qualification proposée par son avocat général (v. par ex. CJCE, 14 décembre 1995, Domingo Banchero, aff. C- 387/93, Rec. p. I-4663 et CJCE, 14 février 2008, Dynamic Medien, aff. C-244/06, Rec. p. I-505).

961 V. par ex. F. PICOD, Réglementations nationales et libre circulation intra-communautaire des marchandises,

op. cit., p. 116 ; F. PICOD, « La nouvelle approche de la Cour de justice… », préc., pp. 172 et s. ; F. PICOD, « La jurisprudence Keck et Mithouard a-t-elle un avenir ? », in L’entrave dans le droit du marché intérieur, L. AZOULAI (dir.), Bruylant, 2011, p. 47 ; A MATTERA, « De l’arrêt « Dassonville » à l’arrêt « Keck »… » préc., p. 155 ; L. GORMLEY, “Reasoning Renounced? The Remarkable Judgment in Keck & Mithouard”, EBLR, vol. 5, 1994, p. 63 ; A. RIGAUX, « La jurisprudence Keck et Mithouard à l’épreuve des règles nationales de publicité (Rapide bilan à propos de l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire Gourmet International Products), Europe, n° 5, 2001, p. 5 ; S. WEATHERILL, “After Keck: Some thoughts on how to clarify the clarification”, CML Rev., vol. 33, 1996, p. 885, spéc. pp. 894 et s.

962 A. RIGAUX, « La jurisprudence Keck et Mithouard à l’épreuve des règles nationales de publicité… », préc.,

p. 6.

963 S. ENCHELMAIER, “The Awkward Selling of a Good Idea, or a Traditionalist Interpretation of Keck”,

Y.E.L., vol. 22, 2003, p. 249, spéc. p. 250.

964 V. R. KOVAR, « Dassonville, Keck et les autres : de la mesure avant toute chose », RTDE, n° 2, 2006, p. 213,

spéc. p. 214.

965 V. not. en ce sens D. CHALMERS, G. DAVIES & G. MONTI, European Union Law, Cambridge University

Cour n’explique pas les raisons de cet impact différencié sur l’accès au marché. Toutefois, la jurisprudence antérieure, les conclusions de plusieurs avocats généraux ainsi que les nombreux travaux doctrinaux sur la notion d’entrave permettent aisément d’en comprendre les mécanismes966. Les disparités dans les règles régissant les conditions auxquelles doivent satisfaire les produits obligent le fabricant à adapter sa production au marché d’importation. Autrement dit, le produit ne peut accéder au marché sans avoir subi une modification préalable967. La réglementation est donc per se de « nature à empêcher leur accès au marché ». Ce raisonnement apparaît clairement dans certains arrêt ultérieurs. Ainsi, dans l’arrêt Familiapress de 1997, la Cour observe que, « dès lors [que la mesure] contraint les

opérateurs établis dans d’autres Etats membres à modifier le contenu du [produit], l’interdiction en cause compromet l’accès du produit concerné au marché de l’Etat membre d’importation et, partant, entrave la libre circulation des marchandises. Elle constitue donc,

en principe, une mesure d'effet équivalent au sens de l’article [34] du traité » 968. A l’opposé, une réglementation des modalités de vente n’empêche pas une marchandise, telle que fabriquée dans son pays d’origine, d’être commercialisée dans l’Etat d’importation969. Aussi faut-il démontrer son caractère discriminatoire, c’est à dire que la mesure gêne davantage la vente des produits importés970.

233. Dès lors, l’arrêt Keck et Mithouard apparaît comme la pierre angulaire de la jurisprudence concernant la définition de l’entrave à la libre circulation des marchandises. En excluant certaines mesures du champ d’application de l’article 34 TFUE, les juges ont procédé à une requalification de l’obstacle971. Cette opération n’implique pas une

966 V. par ex. E. WHITE, “In search of the limits…”, préc., p. 235 ; J. STEINER, “Drawing the Line: Uses and

Abuses of Article 30 EEC”, CML Rev., vol. 26, 1992, p. 749 ; H. MUIR WATT, “Experiences From Europe: Legal Diversity and the Internal Market”, vol. 39, Tex. Int’l L.J., 2004, p. 429, spéc. pp. 451-452 ; les conclusions de l’avocat général VAN GERVEN sous l’arrêt CJCE, 23 novembre 1989, Torfaen Borough Council c/ B&Q PLC, aff. 145/88, Rec. p. 3851 et de l’avocat général TESAURO sous l’arrêt CJCE, 15 décembre 1993, Hünermund E.A., aff. C-292/92, Rec. p. I-6787.

967 V. par ex. A. MATTERA, « La libre circulation des marchandises et les articles 30 à 36 du traité CEE », préc.,

p. 503 ; E. WHITE, “In search of the limits…”, préc., pp. 246 et s.

968 V. en ce sens, CJCE, 26 juin 1997, Familiapress, aff. C-368/95, Rec. p. I-3689, pt 12.

969 V. en ce sens les conclusions de l’avocat général JACOBS sous l’arrêt CJCE, Leclerc-Siplec, aff. C-412/93,

préc., pt 45.

970 Cette analyse, logique de prime abord, est cependant discutable (v. par ex. S. WEATHERILL, “After Keck…”,

préc., p. 894 ; D. WILSHER, “Does Keck discrimination make any sense?...”, préc., p. 20 ; M. POIARES

MADURO, “Reforming the Market or the State?...”, préc., pp. 58 et s.). V. infra pour une analyse approfondie

des explications théoriques de l’entrave.

modification profonde de la jurisprudence972, mais la méthodologie change : là où la Cour appréciait la mesure à l’aune du principe de proportionnalité, elle l’apprécie désormais à l’aune du critère de l’entrave973. Il en résulte qu’elle n’a plus à juger tous les choix du législateur national, c'est-à-dire en apprécier systématiquement les mérites et inconvénients. Surtout l’arrêt Keck fournit, implicitement et rétrospectivement, le double cadre théorique permettant d’identifier les mesures contraires à l’article 34 TFUE974. D’une part, aux termes de la théorie de la « double charge »975, constituent des obstacles les mesures ayant pour effet de soumettre à des exigences divergentes la production des marchandises976. D’autre part, la règle de l’accès au marché, implique qu’un Etat ne peut, par ses réglementations, empêcher un