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L’admission résiduelle de certaines charges

douane et taxes d’effet équivalent

B. L’admission résiduelle de certaines charges

64. Dans l’Union européenne, aucune exception à l’interdiction des droits de douane et taxes d’effet équivalent n’est prévue292. La Cour de justice a cependant admis que certaines charges échappaient à la qualification de droit de douane ou de taxe d’effet équivalent. Outre le fait qu’une taxe affectant à la fois les produits importés ou exportés et les produits nationaux relève, en principe, du champ d’application de l’article 110 TFUE293, deux autres catégories de taxes ont été jugées comme ne relevant pas de l’article 30 TFUE. Il s’agit, d’une part, des charges « constituant la rémunération d’un service effectivement rendu à l’opérateur économique, d’un montant proportionné audit service » et, d’autre part, des contributions « afférente[s] à des contrôles effectués pour satisfaire à des obligations imposées par le droit communautaire »294. La faculté de lever des redevances dans ces hypothèses est toutefois subordonnée à des conditions strictes295.

65. Aux Etats-Unis, outre que le Congrès peut autoriser un Etat à lever un droit de douane296, l’import-export clause prévoit expressément que les Etats peuvent prélever des charges visant à financer les inspections qu’ils conduisent, ce qui correspond, peu ou prou, à la notion communautaire de service rendu. La Constitution précise que les droits ou impôts prélevés à cette occasion doivent être absolument nécessaires à la réalisation de ces inspections. Le Congrès dispose à cet égard d’un droit de révision des lois étatiques297 et, en cas de non respect de cette exigence, le Trésor américain est autorisé à prélever le surplus298. Cette faculté des Etats à prélever des taxes en contrepartie des services rendus aux opérateurs économiques a été doublement étendue par la jurisprudence.

292 L’article 36 TFUE ne permet notamment pas de justifier une taxe d’effet équivalent, cette disposition visant

spécifiquement les restrictions quantitatives et mesures d’effet équivalent (v. CJCE, 10 décembre 1968, Commission c/Italie, aff. 7/68, Rec. p. 617, spéc. p. 628).

293 V. section 2, §2, A, infra.

294 V. not. CJCE, 27 septembre 1988, Commission c/ Allemagne, aff. 18/87, Rec. p. 5427, pt 6 ; CJCE, 2 mai

1990, Etat néerlandais c/ Bakker Hillegom, aff. C-111/89, Rec. p. I-1735, pt 10 ; CJCE, 27 février 2003, Commission c/ Allemagne, aff. C-389/00, Rec. p. I-2001, pt 23.

295 V. infra.

296 Dans cette hypothèse, le produit de la taxe revient au Trésor des Etats-Unis et non à l’Etat qui l’a prélevée

(article I, section 10, cl. 2 : “[…] and the net Produce of all Duties and Imposts, laid by any State on Imports or Exports, shall be for the Use of the Treasury of the United States”). Sur la faculté du Congrès d’autoriser les entraves au commerce, v. 2ème partie de la thèse, titre 1, chapitre 2, infra.

297 Article 1, section 10, cl. 2 : « […] toutes ces lois seront soumises à la révision et au contrôle du Congrès ».

D’une part, la Cour Suprême a nuancé l’interdiction des « duties of tonnage » en déclarant conformes à la Constitution les taxes exigées en contrepartie des services rendus par l’Etat299. D’autre part, à l’égard des autres droits de douane et taxes d’effet équivalent que les Etats pourraient prélever sur les importations ou exportations internes à l’Union, la Cour Suprême a admis des exceptions au principe d’interdiction des discriminations contenu dans la dormant commerce clause. Relèvent notamment de ces exceptions les prélèvements visant à financer les contrôles effectués par les autorités étatiques300.

66. Que ce soit dans l’Union européenne ou aux Etats-Unis, les redevances exigées en contrepartie des services rendus par l’Etat membre ou l’Etat fédéré doivent être proportionnées au coût de ce service. En revanche, le degré de contrôle diverge sensiblement : alors que la Cour Suprême ne semble vouloir sanctionner que les charges exagérément disproportionnées301, la Cour de justice se montre beaucoup plus sévère avec les Etats. Elle a, en effet, estimé que l’exigence de proportionnalité impliquait que le montant de la charge ne dépassât pas le coût réel du contrôle302. Elle a jugé à cet égard que la condition n’était remplie « qu’en présence d’un lien direct entre le montant de la redevance et le contrôle concret à

l’occasion duquel la redevance est perçue », précisant qu’ « un tel lien existe lorsque le

montant de la redevance est calculé en fonction de la durée du contrôle, du nombre de personnes qui y sont affectées, des frais matériels, des frais généraux ou éventuellement

d’autres facteurs du même genre »303. Cette exigence n’exclut toutefois pas une évaluation

forfaitaire des coûts du contrôle, telle un tarif horaire fixe304, à condition qu’une telle

299 V. Steamship Co. v. Portwardens, 73 U.S. 32, préc. ; Clyde Mallory Lines, 296 U.S. 261, préc. Par

comparaison, v. CJCE, 18 juin 1998, Corsica Ferries, aff. C-266/96, Rec. p. I-3949.

300 Patapsco Guano Co. v. North Carolina Bd. of Agriculture, 171 U.S. 345, 361 (1898): « […] la clause deux de

la section dix de l’article un reconnaît expressément la validité des lois d’inspection, et autorise la collecte du montant nécessaire pour leur exécution, et nous pensons que le même principe doit s’appliquer au commerce interétatique ».

301 Patapsco Guano Co., 171 U.S., préc., p. 351. Après avoir rappelé que le Congrès dispose d’un pouvoir de

contrôle et de révision des charges perçues en contrepartie des inspections et que, en conséquence, il est compétent pour déterminer si le montant des charges est excessif, la Cour précise que « la question [est] de

savoir si la charge est si excessive qu’elle fait perdre à l’acte son caractère de loi d’inspection ». En l’espèce, le litige était examiné à l’aune de la commerce clause. La Cour a toutefois utilisé son interprétation de l’import- export clause pour conclure que la taxe imposée par l’Etat de Caroline du Nord à l’occasion d’inspections des engrais n’était pas inconstitutionnelle. En revanche, elle a sanctionné, sur le fondement de la dormant commerce clause, un droit d’inspection 63% supérieur au coût du contrôle (v. Phipps v. Cleveland Refining Co., 261 U.S. 449, 452 (1923)).

302 CJCE, 12 juillet 1977, Commission c/ Pays-Bas, aff. 89/76, Rec. p. 1355, pt 16. 303 CJCE, Bakker Hillegom, aff. C-111/89, préc., pts 12-13.

évaluation n’aboutisse pas, même dans des cas isolés, à un dépassement du coût réel de l’opération305.

67. Par ailleurs, la Cour de justice a défini strictement la notion de « service rendu ». Elle a ainsi estimé qu’ « une redevance perçue à l’occasion de contrôles systématiques à la frontière […] constitue une taxe d’effet équivalant à des droits de douane à l’exportation […] même si elle correspond au coût réel de chaque contrôle »306. Autrement dit, une taxe pour service rendu ne peut être licite qu’à la condition que le service, s’il n’est pas imposé par le droit communautaire, soit facultatif. Par ailleurs, le service en question doit bénéficier directement et spécifiquement aux débiteurs de la taxe, c’est-à-dire être individualisable307. Tel n’est pas le cas de l’établissement de statistiques générales308 ou encore de « la réparation et l’entretien

du réseau routier, la mise en place d’une infrastructure portuaire, l’entretien d’un musée,

[des] recherches sur la sécurité dans les carrières, l’activité de formation en génie minier, ou encore [de] l’aide sociale en faveur des ouvriers »309. De même, un contrôle autorisé par le droit communautaire, dans la mesure où il est exercé dans l’intérêt général, doit être financé par la collectivité publique et non par les importateurs310. Les arrêts dans lesquels la Cour reconnaît l’existence d’un « service rendu » sont donc rares : il s’agit la plupart du temps de simples dicta, les mesures litigieuses étant condamnées par ailleurs311.

En pratique, les conditions strictes posées par la Cour rendent l’admission d’une telle

305 V. par ex. CJCE, Italie c/ Commission, aff. C-209/89, préc.

306 CJCE, 22 juin 1994, Allemagne c/ Deutsches Milch-Kontor (« Deutsches Milch-Kontor I »), aff. C-426/92,

Rec. p. I-2757, pt 56.

307 V. par ex. CJCE, 30 mai 1989, Commission c/ Italie, aff. 340/87, Rec. p. 1483, pt 15. 308` CJCE, Commission c/ Italie, aff. 24/68, préc., pt 16.

309 CJCE, Carbonati Apuani, aff. C-72/03, préc., pt 32.

310 V. par ex. CJCE, 15 décembre 1976, Simmenthal, aff. 35/76, Rec. p. 1871, pt 44 ; CJCE, 15 décembre 1993,

Ligur Carni, aff. jtes C-277, 318 et 319/91, Rec. p. I-6621, pt 31. Cette hypothèse est à distinguer de celle où le contrôle est imposé par le droit communautaire, et qui, sous certaines conditions, peut être financé par les importateurs (v. infra).

311 Ainsi, si le placement de marchandises importées en dépôt provisoire dans les magasins spéciaux des

entrepôts publics constitue un service rendu aux opérateurs économiques, l’extension de la taxe perçue en contrepartie de ce service aux importateurs n’entreposant pas leurs marchandises dans ces magasins viole les articles 28 et 30 TFUE (v. CJCE, 17 mai 1983, Commission c/ Belgique, aff. 132/82, Rec. p. 1649, pt 10).

hypothèse relativement improbable312, alors que la Cour Suprême s’est plutôt montrée souple à cet égard. Ainsi, si un Etat ne peut exiger le paiement d’une taxe pour un service non rendu313, il n’est, en revanche, pas obligé de démontrer que le service en question a bénéficié spécifiquement à l’opérateur concerné314.

68. Quant aux redevances perçues pour exécuter les contrôles rendus obligatoires par le droit communautaire, la Cour de justice a estimé qu’elles échappaient à la qualification de taxes d’effet équivalent si, outre l’interdiction de dépasser le coût des inspections, les contrôles remplissaient trois conditions. Ils doivent avoir « un caractère obligatoire et uniforme pour l’ensemble des produits concernés dans la Communauté » ; être « prévus par le droit communautaire dans l’intérêt général de la Communauté » ; et, enfin, favoriser « la libre circulation des marchandises, notamment en neutralisant des obstacles pouvant résulter de mesures unilatérales de contrôles prises en conformité avec l’article 36 du traité »315. Aussi, l’existence d’une obligation communautaire ne suffit pas. Saisie à quelques reprises de cette justification, la Cour a essentiellement contrôlé que la mesure était bien imposée, et pas seulement autorisée, par le droit communautaire316. Elle a en outre étendu sa jurisprudence aux contrôles effectués en vertu d’obligations internationales317. Dans cette hypothèse, comme dans celle d’un contrôle imposé par le droit communautaire, la mesure perd en effet son caractère de « perception unilatérale »318.

69. A une interdiction stricte des droits de douane et taxes d’effet équivalent entre les Etats de l’Union, s’ajoute, aux Etats-Unis comme dans l’Union européenne, un contrôle rigoureux

312 Dans la plupart des affaires où la Cour a été amenée à se prononcer sur la question, elle a considéré que les

conditions posées n’étaient pas réunies. V. par ex. CJCE, Commission c/ Italie, aff. 24/68, préc. ; CJCE, 26 février 1975, Cadsky S.p.a. c/ Istituto Nazionale per il Commercio Estero, aff. 63/74, Rec. p. 281 ; CJCE, Commission c/ Belgique, aff. 314/82, préc. ; CJCE, Commission c/ Italie, aff. 340/87, préc. ; CJCE, CRT France International, aff. C-109/98, préc. ; CJCE, Commission c/ Allemagne, aff. C-389/00, préc. ; CJCE, Carbonati Apuani, aff. C-72/03, préc.

313 Steamship Co. v. Portwardens, 73 U.S. 32, préc. (à propos d’une taxe fixe perçue sur tous les navires entrant

dans un port, qu’un service soit ou non fourni en contrepartie).

314 Clyde Mallory Lines, 296 U.S. 261, préc. (à propos d’une taxe levée en contrepartie des services de pilotage

et de sécurité fournis par la direction d’un port).

315 CJCE, Commission c/ Allemagne, aff. 18/87, préc. En l’espèce, la Cour a estimé qu’une redevance prélevée

par l’Allemagne et destinée à couvrir les frais de contrôles, effectués en vertu d’une directive, d’animaux importés vivants, était conforme à ces exigences. V. également CJCE, 25 janvier 1977, Bauhuis, aff 46/76, Rec. p. 5.

316 V. par ex. CJCE, Commission c/ Belgique, aff. 314/82, préc. ; CJCE, Commission c/ Italie, aff. 340/87, préc. 317 CJCE, Commission c/ Pays-Bas, aff. 89/76, préc.

des droits prélevés à l’occasion d’importations de marchandises non produites dans l’Union ou d’exportations vers des pays tiers.

§2. L’interdiction des droits de douane et taxes d’effet équivalent sur

les marchandises en provenance ou à destination de pays tiers