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Les discriminations de fait à l’égard des produits importés : l’exemple des réglementations des pr

§2 Principe de non discrimination et libre circulation des marchandises

B. Non discrimination et réglementations non tarifaires des marchandises

2. Les discriminations de fait à l’égard des produits importés : l’exemple des réglementations des pr

138. Bien que les deux Unions coordonnent les politiques économiques de leurs Etats membres, ces derniers disposent toujours d’une large autonomie pour réglementer le prix de certaines marchandises589. La fixation ou le contrôle des prix de certaines denrées relèvent toutefois de la compétence de l’Union. Dans l’Union européenne, par exemple, les prix des produits couverts par une organisation commune de marché font l’objet d’une négociation au niveau communautaire590. De même, le prix du charbon ou de l’acier échappe, en vertu du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, à la compétence des Etats591. Les règlements relatifs au transport contiennent également des dispositions relatives

587 Point 36 de l’arrêt.

588 V. titre 2 de la présente partie, infra.

589 Pour la plupart des marchandises, les prix sont fixés librement par les producteurs et les vendeurs. Toutefois,

le caractère sensible – d’un point de vue économique, sanitaire ou encore culturel – de certains produits peut conduire les Etats à contrôler leurs prix. Tel est le cas, par exemple, de l’alcool, du tabac, des médicaments, du carburant, de certains produits agricoles, des livres, etc. La CJUE a jugé que la notion de marché intérieur ainsi que les articles 3, 98 et 99 CE (26, 120 et 121 TFUE) qui font référence à « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » ne sauraient être invoqués pour contester de telles réglementations (v. CJCE, 3 octobre 2000, Echirolles Distribution, aff. C-9/99, Rec. p. I-8207). Similairement, le principe même d’une réglementation des prix n’est pas contesté aux Etats-Unis, les débats, devant les juridictions, portant plutôt sur le titulaire de la compétence en la matière (v. par ex. Arkansas Elec. Coop., 461 U.S. 375, préc., à propos du prix de l’électricité).Toutefois, les juridictions américaines semblent estimer que la liberté des prix constitue la norme et la réglementation l’exception (v. par ex. Allied Artists Picture Corp. v. Rhodes, 679 F.2d 656 (6th Cir. 1982)).

590 V. Y. PETIT, « Agriculture », Encyclopédie Dalloz, vol. I, janv. 2002, pts 295-301. V. également CJCE, 23

janvier 1975, Galli, aff. 31/74, Rec. p. 47.

aux tarifs592. Aux Etats-Unis, le législateur fédéral a pu adopter des réglementations contenant des dispositions relatives aux prix de certaines marchandises. Tel est le cas du plan Medicaid destiné à soutenir financièrement les Etats qui offrent une sécurité sociale à leurs citoyens nécessiteux593. De même, la compétence est partagée en ce qui concerne le prix des matières énergétiques594. Enfin, le prix de certains produits agricoles est réglementé au niveau fédéral595.

139. La compétence étatique demeure cependant la règle de principe en matière de réglementation des prix. Dans la mesure où de telles réglementations sont néanmoins susceptibles d’affecter la circulation des marchandises, elles sont soumises aux prescriptions du TFUE596 ou de la Constitution américaine597. A cet égard, toute mesure formellement discriminatoire est évidemment interdite598. Si une mesure indistinctement applicable en matière de prix ne constitue pas en elle-même une entrave599, il est apparu, toutefois, que diverses réglementations de ce type pouvaient avoir pour effet de défavoriser les marchandises importées. Certains Etats, sciemment ou involontairement, ont pu adopter de telles réglementations et il est revenu aux juridictions de faire la part entre réglementations licites de prix et réglementations illicites. Si la Cour Suprême et la Cour de justice ne

592 V. à ce propos Y. GALMOT et J. BIANCARELLI, « Les réglementations nationales en matière de prix au

regard du droit communautaire », RTDE, n° 2, 1985, p. 269.

593 La loi fédérale exige que les compagnies pharmaceutiques offrent des rabais précis sur le prix des

médicaments remboursés par Medicaid (programme voté en 1965, dans le cadre du Social Security Act, visant à fournir une assurance maladie de base aux individus à faibles ressources). Les Etats participant au programme sont toutefois autorisés à négocier les prix avec les fabricants (v. 42 U.S.C. § 1396r8). V. Pharmaceutical Research & Mfrs. Of Am. v. Walsh, 538 U.S. 644 (2003).

594 V. Arkansas Elec. Coop., 461 U.S. 375, préc. 595 V. Hillside Dairy, Inc. v. Lyons, 539 U.S. 59 (2003).

596 A ce sujet, v. l’étude de référence du professeur M. WAELBROECK, Les réglementations nationales de prix

et le droit communautaire, Edition de l’Université de Bruxelles, 1975.

597 Nous n’envisageons pas ici la conformité de telles réglementations avec les règles de concurrence. Notons

simplement que les deux juridictions ont du s’interroger, dans certaines affaires, sur les rapports entre réglementations étatiques des prix et pratiques anticoncurrentielles (dans l’UE, v. par ex. CJCE, 16 novembre 1977, GB-Inno c/ ATAB, aff. 13/77, Rec. p. 2115 ; CJCE, 10 janvier 1985, Leclerc c/ Au Blé Vert (« Prix du livre »), aff. 229/83, Rec. p. 1. Aux Etats-Unis, v. par ex. Joseph E. Seagram & Sons, Inc. v. Hostetter, 384 U.S. 35, 45 et s. (1966) ; California Retail Liquor Dealers Association v. Midcal Aluminium, Inc., 445 U.S. 97 (1980)).

598 Dans l’UE, la directive 70/50/CEE (préc.) énumère, parmi les divers exemples de mesure d'effet équivalent à

des restrictions quantitatives, les réglementations des prix discriminatoires. Ce principe a été mis en œuvre à plusieurs reprises. V. par ex. CJCE, 29 novembre 1983, Roussel Laboratoria BV, aff. 181/82, Rec. p. 3849 ; CJCE, Prix du livre, aff. 229/83, préc. ;CJCE, 9 juin 1988, Commission c/ Italie, aff. 56/87, Rec. p. 2919.

599 Dans l’UE, v. par ex. CJCE, 26 février 1976, Tasca, aff. 65/75, Rec. p. 291, pt 13 ; CJCE, 24 janvier 1978,

recourent pas nécessairement aux mêmes outils analytiques pour appréhender ce type de réglementations, une préoccupation commune anime leur jurisprudence : la détection des législations étatiques protectionnistes. Or, l’étude des réglementations des prix a ceci d’intéressant qu’elle révèle différentes manières de protéger les marchés étatiques.

140. Les Etats peuvent, tout d’abord, protéger leur marché en défavorisant les produits importés ou en dissuadant les producteurs des autres Etats d’exporter leurs produits sur leurs territoires. Certaines mesures fixant un prix ou une marge maximum sont susceptibles de produire un tel effet : lorsque le prix est fixé, par exemple, à un niveau inférieur au coût de production ou lorsqu’il empêche de réaliser un bénéfice raisonnable, les opérateurs économiques peuvent être dissuadés d’importer leurs marchandises.

La Cour de justice de l’Union européenne a ainsi jugé contraires au traité des réglementations qui fixaient les prix « à un niveau tel que l’écoulement des produits importés [devenait], soit impossible, soit plus difficile que celui des produits nationaux »600, qui obligeaient les opérateurs à vendre à perte601, ou encore qui rendaient impossible l’écoulement des produits importés « avec un profit raisonnable sur le marché de l’Etat d’importation »602. Il revient à la partie qui allègue un tel effet discriminant de le prouver603. A cet égard, la Cour est relativement stricte puisqu’il ne suffit pas, selon elle, de démontrer « qu’une entreprise a renoncé à commercialiser un produit déterminé au motif que le prix maximal qui lui est imposé serait insuffisant »604. Par ailleurs, elle a jugé que la fixation d’une marge maximale, si elle n’était pas, en elle-même, contraire au traité, constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative lorsqu’elle intégrait les frais d’importation, de telle manière que « le bénéfice net du détaillant ayant importé ses produits d’autres Etats membres est […]

600 CJCE, Tasca, aff. 65/75, préc., pt 13 ; CJCE, 26 février 1976, SADAM c/ Comité interministériel des prix, aff.

jtes 88 à 90/75, Rec. p. 323 (dans ces deux affaires, la Cour était saisie du prix maximal du sucre fixé par l’Italie. Elle a renvoyé l’appréciation des cas d’espèce au juge national).

601 Id. V. également CJCE, 6 novembre 1979, Openbaar Ministerie c/ Danis, aff. jtes 16 à 20/79, Rec. p. 3327.

En l’espèce il ne s’agissait pas d’une mesure fixant un prix maximum, mais d’une mesure imposant une notification préalable de toute hausse des prix. La Cour a estimé que la mesure équivalait à un blocage des prix, qui pouvait avoir le même effet qu’un prix maximum : si les prix sont bloqués à un niveau très bas, ils peuvent dissuader les opérateurs de procéder aux importations.

602 CJCE, 19 mars 1990, Commission c/ Belgique, aff. C-249/88, Rec. p. I-1275, pt 17. En l’espèce, la Cour a

estimé que cet effet n’avait pas été démontré et n’a pas jugé le régime belge de prix maximal des médicaments contraire à l’article 34 TFUE.

603 V. par ex. CJCE, 13 décembre 1990, Commission c/ Grèce, aff. 347/88, Rec. p. 4747, pts 72-75. Dans cet

arrêt, la Cour a considéré que la Commission n’avait pas rapporté la preuve de l’effet discriminatoire du régime de prix maximaux établi par la Grèce pour les produits pétroliers.

inférieur au bénéfice qu’un détaillant pourrait tirer en achetant ses produits sur le marché

national »605. Autrement dit, un Etat, s’il décide de fixer une marge fixe, doit prendre en compte la spécificité du produit importé qui emporte en principe des frais supplémentaires606. A défaut, sa réglementation s’avère discriminatoire.

La Cour Suprême des Etats-Unis a, pour sa part, eu à connaître de cas particuliers de prix maximum : les Etats n’imposaient pas un prix maximum fixe mais exigeaient des producteurs qu’ils ne fassent pas payer aux vendeurs ou consommateurs locaux un prix supérieur à celui pratiqué dans les autres Etats607. Après avoir jugé une telle configuration réglementaire conforme à la clause de commerce en 1966608, la Cour l’a déclaré inconstitutionnelle en 1986 en raison de son caractère protectionniste et extraterritorial609. Aux termes de la théorie de l’extraterritorialité, une mesure ayant pour effet de contrôler des activités économiques se déroulant hors du territoire de l’Etat qui l’a édictée viole l’article 1§8 cl. 3 de la Constitution610. Or, en empêchant les opérateurs économiques de réduire leur prix dans les autres Etats, sous peine de contrevenir à la prescription étatique, ces réglementations produisaient un tel effet. Ce raisonnement original, qui n’apparaît pas, du moins

605 CJCE, 5 juin 1985, Roelstraete, aff. 116/84, Rec. p. 1705, pt 21.

606 V. également CJCE, Commission c/ Italie, aff. 56/87, préc. (à propos d’un prix fixe).

607 En matière de vente d’alcool, de telles lois étaient très répandues. Ainsi en 1986, 20 Etats avaient développé

cette pratique.

608 Seagram & Sons, 384 U.S. 35, préc. L’Etat de New York exigeait des producteurs d’alcool ou des

intermédiaires qu’ils certifient aux grossistes ou vendeurs que les prix pratiqués n’excédaient pas les prix les plus faibles appliqués aux Etats-Unis. Le rejet du recours semble avoir largement été déterminé par l’objet auquel s’appliquait la réglementation : l’alcool. En 1966, si la Cour avait commencé à s’éloigner de l’interprétation originelle faite du 21ème amendement (v. à ce propos A, 3. du présent paragraphe, supra), elle continuait

d’affirmer que les Etats disposaient d’une large compétence en la matière. Ce n’était, selon elle, qu’à la condition que la mesure constitue une grave interférence avec le commerce interétatique qu’elle pouvait être déclarée inconstitutionnelle (v. pp. 41 et s. de l’arrêt). Par ailleurs, la loi n’ayant jamais été appliquée, la Cour ne pouvait fonder sa décision que sur la base du contenu de la loi et non de ses effets. Au regard du contenu, elle a estimé que la mesure ne violait pas la clause de commerce.

609 Brown-Forman Distillers Corp., 476 U.S. 573, préc. Cette jurisprudence a été confirmée et sa portée élargie

dans l’arrêt Healy v. Beer Institute, Inc., 491 U.S. 324 (1989). La Cour affirme, en effet, que le principe vaut non seulement pour les mesures qui figeraient les prix pour l’avenir (en exigeant, comme dans l’affaire Brown- Forman, que le vendeur ne modifie pas ses prix pendant une période d’un mois, l’empêchant ainsi de procéder à des réductions dans les autres Etats), mais également pour celles qui se limiteraient à conditionner le prix de vente aux prix antérieurement pratiqués dans les autres Etats.

610 De manière plus générale, toute réglementation « extraterritoriale » est contraire aux principes d’égale

souveraineté et de réciprocité même lorsqu’elles ne concernent pas le commerce interétatique (v. par ex. BMW v. Gore, 517 U.S. 559 (1996)).

explicitement, dans l’analyse de la Cour de justice de l’Union européenne611, a conduit la Cour Suprême à invalider diverses législations étatiques612. Si la détection d’un effet extraterritorial ne suffit pas nécessairement à conclure à l’existence d’une entrave613, elle complète en revanche l’analyse traditionnelle de la Cour Suprême614.

141. Ensuite, les Etats peuvent protéger leur marché en réduisant ou en supprimant les avantages concurrentiels dont bénéficient les produits importés en termes de prix. De cette manière, ils réduisent le risque de voir les consommateurs se détourner des produits nationaux au profit des produits importés. Les mesures fixant un prix ou une marge minimum fournissent un exemple de cette deuxième forme de protectionnisme : si ces prix sont fixés de telle manière que les producteurs d’autres Etats sont obligés de vendre au dessus du prix auquel ils pouvaient espérer écouler leurs marchandises, ils perdent un avantage concurrentiel. De telles mesures sont donc jugées contraire à la dormant commerce clause aux Etats-Unis et à l’article 30 TFUE dans l’Union européenne.

Aux Etats-Unis, la Cour Suprême a ainsi condamné une réglementation fixant un prix minimum d’achat pour le lait615, estimant que la mesure avait pour objectif et effet de protéger

611 La Cour de justice n’a pas développé de théorie similaire, ce qui peut s’expliquer notamment par le fait que,

contrairement aux juridictions fédérales américaines, il ne revient pas aux juges de Luxembourg de veiller à la répartition horizontale des compétences (bien que le principe de reconnaissance mutuelle puisse être assimilé à une règle de répartition des compétences. V. titre 2 de la présente partie, infra). Toutefois, il apparaît dans la jurisprudence que la Cour a pu qualifier d’entrave des mesures ayant un effet extra-territorial. V. par ex. CJCE, 10 mai 1995, Alpine Investments, aff. C-384/93, Rec. p. I-1141 et, à propos de l’effet extra-territorial de la mesure litigieuse, E. SPAVENTA, “From Gebhard to Carpenter…”, préc., p. 753. V. également CJCE, Roussel Laboratoria BV, aff. 181/82, préc. ; CJCE, 30 avril 2009, Fachverband der Buch – und Medienwirtschaft c/ LIBRO Handelgesellschaft mbH, aff. C-531/07, Rec. p. I-3717.

612 Cette approche n’est pas propre aux réglementations des prix. Elle a ainsi été appliquée en matière de

transport (v. Southern Pacific Railway, 325 U.S. 761, préc.) ou encore en matière de droit des sociétés (v. Edgar v. MITE Corp., 457 U.S. 624 (1982)). Pour de plus amples développements sur cette théorie, v. D. COENEN, The Commerce Clause, op. cit., pp. 272 et s. ; L. H. TRIBE, American Constitutional Law, op. cit., pp. 1074 et s. ; P. C. FELMLY, “Beyond the Reach of States : the Dormant Commerce Clause, Extraterritorial State Regulation, and the Concern of Federalism”, Me. L. Rev., vol. 55, 2003, p. 467.

613 V. not. Osborn v. Ozlin, 310 U.S. 53, 62 (1940): « Le simple fait que l’action d’un Etat puisse avoir des

répercussions au-delà des frontières étatiques n’a pas de signification juridique tant que cette action ne relève

pas d’un domaine que la Constitution interdit ». Toutefois, la théorie de l’extra-territorialité semble avoir acquis

une certaine autonomie puisque, dans plusieurs arrêts, les juridictions fédérales saisies ont examiné les prétentions fondées sur la clause de commerce à la fois sous l’angle de l’entrave et sous l’angle de l’effet extra- territorial (v. par ex. Air Transport Association of America v. City and County of San Francisco, 992 F.Supp. 1149 (1998) ; Alliance of Automobile Manufacturers v. Gwadosky, 430 F.3d 30 (1st Cir. 2005)).

614 V. par ex. l’arrêt Beer Institute, Inc., 491 U.S. 324, préc., dans lequel la Cour assoit son analyse à la fois sur

l’effet extra-territorial et sur le caractère discriminatoire de la réglementation.

615 Seelig, 294 U.S. 511, préc. En l’espèce, la mesure ne réglementait pas le prix de vente mais le prix minimal

d’achat : seuls pouvaient vendre dans l’Etat de New York des opérateurs ayant acheté leur lait au prix minimum fixé par l’Etat, que le lait soit acheté auprès de producteurs de l’Etat de New York ou des producteurs d’autres Etats. Outre le caractère protectionniste de la loi, la Cour a également condamné son caractère extra-territorial.

les producteurs étatiques de la concurrence des producteurs d’autres Etats616.

Par un raisonnement relativement proche, la Cour de justice a pu juger qu’une réglementation fixant un prix minimal de vente pour certaines boissons alcoolisées était « susceptible de

défavoriser l’écoulement des [produits importés] dans la mesure où il empêch[ait] que leur

prix de revient inférieur se répercute sur le prix de vente au consommateur »617, neutralisant ainsi leur avantage concurrentiel618. Elle a procédé à la même analyse à propos d’un prix fixe du livre qui ôtait « la possibilité pour l’importateur de répercuter sur le prix au détail d’un

avantage tiré d’un prix plus favorable obtenu dans l’Etat membre d’exportation »619. Toutes

les mesures fixant un prix minimal ne produisent évidemment pas un tel effet et il est nécessaire d’opérer une approche au cas par cas pour conclure sur ce point620. Cette appréciation, en ce qu’elles imposent un examen détaillé des faits, est généralement renvoyée au juge national dans l’Union européenne621.

On a pu se demander si la jurisprudence Keck et Mithouard622 allait modifier cette approche pragmatique en intégrant dans la catégorie « modalités de vente » toutes les réglementations

616 Seelig, 294 U.S., préc., p. 527. Pour une application de cette jurisprudence, v. Cloverland-green Spring

Dairies, Inc. v. Pennsylvania Milk Marketing Board, 298 F.3d 201 (3rd Cir. 2002), arrêt dans lequel la Cour d’appel pour le 3ème circuit a invalidé une loi de l’Etat de Pennsylvanie fixant un prix minimum pour le lait.

617 CJCE, Van Tiggele, aff. 82/77, préc., pt 18. V. également CJCE, 29 janvier 1985, Cullet c/ Leclerc, aff.

231/83, Rec. p. 305 (prix minimum de vente du carburant).

618 Cette condition explique que tous les prix minimaux ne soient pas interdits. D’une part, il doit être démontré

que ce prix est supérieur au prix auquel l’opérateur pouvait espérer vendre. D’autre part, un prix minimal au stade de la vente finale n’affecte pas nécessairement la concurrence par les prix à laquelle se livrent les producteurs. Ceci justifie, par exemple, que les Etats puissent exiger un prix minimal ou fixe pour la vente de tabac au détail : une telle mesure empêche la concurrence entre les détaillants mais non entre les producteurs ou les importateurs (v. à ce propos, CJCE, GB-Inno c/ ATAB, aff. 13/77, préc. ; CJCE, 5 avril 1984, Van de Haar et Kaveka de Meern BV, aff. 177 et 178/82, Rec. p. 1797).

619 CJCE, Prix du livre, aff. 229/83, préc.

620 V. par ex. CJCE, 13 novembre 1986, Edah, aff. jtes 80 et 159/85, Rec. p. I-3359,

arrêt dans lequel la Cour n’a pas considéré comme contraire au traité une mesure néerlandaise établissant un prix minimal pour le pain fabriqué sur son territoire et une marge minimale pour le pain importé. En prévoyant que le mécanisme de marge minimale ne s’appliquait plus pour le pain vendu à un prix égal ou supérieur au prix minimal applicable au pain produit localement, les autorités nationales permettaient aux producteurs étrangers de pain de maintenir leur avantage concurrentiel découlant d’un coût de revient plus faible.

621 V. par ex. CJCE, Tasca, aff. 65/75, préc., pt 13 ; CJCE, SADAM, aff. jtes 88 à 90/75, préc. Toutefois, la Cour

tranche parfois elle-même la question. V. par ex. CJCE, Cullet, aff. 231/83, préc., dans lequel elle conclut que le prix minimum fixé par la France pour la vente de carburant défavorise les produits importés.

622 CJCE, Keck et Mithouard, aff jtes C-267 et 268/91, préc. L’analyse de cet arrêt est développée au titre 2 de la

relatives aux prix623. A notre sens, l’arrêt n’implique pas une modification de l’analyse sur le fond. Même si la Cour présume, après le 24 novembre 1993, la licéité des mesures indistinctement applicables relatives aux modalités de vente, elle indiquait, auparavant, dans une formule de principe, qu’une réglementation nationale de prix applicable indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés « ne constitue pas en [elle-même] une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative »624, partant ainsi d’un présupposé favorable à de telles réglementations. En outre, l’arrêt Keck n’exclut pas de qualifier de mesures d’effet équivalent une réglementation produisant des effets discriminatoires625. Dès lors, les mesures considérées comme produisant de tels effets avant 1993, telles celles en cause dans l’arrêt Cullet c/ Leclerc626, continuent, en principe, à être interdites par les juridictions.

142. L’interdiction de quelques réglementations relatives aux prix dans les deux unions ne doit pas occulter le fait que, dans la grande majorité des cas, les Etats ne violent pas les dispositions du TFUE ou de la Constitution américaine en réglementant les prix des marchandises. Aussi, les juridictions ont-elles donné raison aux Etats dans un certain nombre de litiges.

La Cour de justice a, par exemple, considéré que l’interdiction de revente à perte ne défavorisait pas les productions importées. En effet, elles ne suppriment pas leur avantage concurrentiel en termes de prix et ne les désavantagent pas par rapport aux produits

623 V. F. PICOD, « La nouvelle approche de la Cour de justice en matière d’entraves aux échanges », RTDE, n° 2,