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Les droits attachés au statut de citoyen

§2 Principe de non discrimination et libre circulation des marchandises

A. Un cadre commun de protection

1. Les droits attachés au statut de citoyen

148. Les droits attachés au statut de citoyen de l’Union sont divers. Dans le cadre du marché intérieur, deux retiennent plus particulièrement l’attention640 : le droit de se déplacer et le droit à l’égalité de traitement, corollaire nécessaire du premier641.

639 Pour de plus amples développements sur cet arrêt, v. titre 2, chapitre 3, section 2 de la présente partie, infra. 640 Le statut de citoyens comportent certains droits qui ne seront pas évoqués ici, tels que le droit de vote. 641 L’existence de discriminations est, en effet, de nature à dissuader la circulation interétatique. Toutefois, le

principe d’égalité dépasse le cadre des libertés de circulation pour constituer un droit directement attaché à la qualité de citoyen (v. not. E. DUBOUT, « Entrave et discrimination », in L’entrave dans le droit du marché intérieur, L. AZOULAI (dir.), Bruylant, 2011, p. 137, spéc. p. 139).

α. Le droit de se déplacer

149. Le droit américain comme le droit communautaire reconnaissent aux citoyens un droit à la libre circulation.

Ce droit, fondé sur l’idée même de citoyenneté nationale, est d’essence jurisprudentielle aux Etats-Unis642. La Cour Suprême a, en effet, reconnu un “right to travel” qui implique, entre autres, le droit d’entrer sur le territoire d’un Etat ou de le quitter643. Ce droit ne résulte pas, explicitement, d’une disposition particulière du texte constitutionnel mais procède d’une lecture combinée de plusieurs articles et, surtout, de l’esprit de la Constitution644.

Dans l’Union européenne, ce droit ressort explicitement du traité. L’article 21 TFUE reconnaît à « [t]out citoyen de l’Union […] le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres » et l’article 45 TFUE stipule que : « 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l’Union. […] 3. Elle comporte le droit, […] b. de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres ». Le législateur communautaire a complété ce statut de base en adoptant plusieurs textes de droit dérivé645. 150. Il résulte du right to travel et des dispositions communautaires, un libre accès au territoire de chaque Etat. Aux Etats-Unis, la Cour Suprême a ainsi jugé qu’un Etat ne pouvait exclure de l’accès à son territoire certaines catégories de personnes, telles les indigents646. Dans l’Union européenne, tant le juge647 que le législateur648 ont consacré une liberté de

642 Les sources constitutionnelles de la libre circulation aux Etats-Unis ont fait l’objet d’intenses débats entre les

juges (v. not. Zobel v. Williams, 457 U.S. 55 (1982)). V. à ce propos, W. COHEN, “Congressional Power to Validate Unconstitutional State Laws: A Forgotten Solution to an Old Enigma”, Stan. L. Rev., vol. 35, 1983, p. 387, spéc. pp. 415 et s.

643 V., pour une réaffirmation récente de ce principe, Saenz v. Roe, 526 U.S. 489, 500 (1999). Ce principe s’étend

aux déplacements à l’intérieur des Etats (v. par ex. King v. New Rochelle Municipal Housing Authority, 442 F.2d 646 (2d Cir. 1971), à propos de l’accès aux logements sociaux dans la ville de New Rochelle, imposant une durée de résidence et excluant, de fait, les citoyens ressortissants d’autres collectivités de l’Etat).

644 V. not. à ce propos G. M. ROSBERG, “Free Movement of Persons in the United States”, op. cit., p. 275.

L’article 4 des articles de la Confédération reconnaissait aux citoyens américains un droit d’accès et de sortie aux territoires de tous les Etats (“the people of each State shall have free ingress and regress to and from any other State”). La Constitution n’a pas repris cette disposition mais la Cour en a déduit que, pour les rédacteurs, le droit de voyager était si évident qu’il ne méritait pas d’être mentionné (Guest, 383 U.S., préc., p. 758).

645 V. not. le règlement n° 612/68/CEE du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à

l’intérieur de la Communauté (JOCE 1968, L 257 p. 2) et la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres (JO L 158 du 20.4.2004, p. 77).

646 V. Edwards, 314 U.S. 160, préc.

647 V. not. CJCE, 23 mars 1982, Levin, aff. 53/81, Rec. p. 1035. 648 V. not. les article 4 à 7 de la directive 2004/38/CE, préc.

mouvement des ressortissants communautaires. Corollaire de ce droit, les citoyens de chaque Union peuvent établir leur résidence dans l’Etat de leurs choix649. Si ce droit est inconditionné aux Etats-Unis, il est accordé sous certaines réserves dans l’Union européenne650.

151. Le droit à la libre circulation est attribué non seulement aux personnes physiques mais également aux personnes morales. Toutefois, les dispositions applicables aux deux catégories de personnes ne sont pas nécessairement les mêmes. Ainsi, l’article 45 TFUE vise spécifiquement les personnes physiques, tandis que les dispositions relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services sont invocables tant par les personnes physiques que par les personnes morales651. Aux Etats-Unis, il a été exclu que les personnes morales puissent se prévaloir de la Privileges and Immunities clause de l’article IV de la Constitution652. Dès lors, celles-ci doivent fonder leur prétention sur la clause de commerce653. Aussi, même si les personnes morales bénéficient de larges garanties dans les deux Unions, leur protection est cependant atténuée par rapport aux personnes physiques. Dans l’Union européenne, par exemple, les personnes physiques ont toute liberté pour changer d’Etat de résidence, tandis que les personnes morales peuvent être obligées de se dissoudre avant de se reformer dans un autre Etat654.

ß. Le droit à l’égalité de traitement

152. Les deux Unions consacrent un principe d’égalité de traitement des citoyens.

Ce principe interdit, notamment, aux Etats américains d’opérer une distinction entre leurs résidents et les résidents des autres Etats. Dans l’arrêt Saenz v. Roe, la Cour Suprême a ainsi interprété le right to travel comme impliquant, également, « le droit de bénéficier du même

649 Aux Etats-Unis, v. par ex. Truax v. Raich, 239 U.S. 33, 39 (1915). En l’espèce, la loi litigieuse visait les

étrangers et non les résidents des autres Etats. Le principe est toutefois le même : la citoyenneté américaine ou la résidence légale sur le territoire américain (accordée par l’administration fédérale) offre le droit d’entrer et de s’établir sur le territoire de l’Etat de son choix. Dans l’Union européenne, v. l’article 7 de la directive 2004/38/CE, préc.

650 V. infra la distinction opérateurs économiques / citoyens n’exerçant pas d’activité économique. 651 V. articles 54 et 62 TFUE.

652 Bank of Augusta v. Earle, 38 U.S. (13 Pet.) 519 (1839) ; Paul v. Virginia, 75 U.S. (8 Wall.) 168 (1869) ;

Hemphill v. Orloff, 277 U.S. 537 (1928).

653 V. A. CONARD, “Federal Protection of Free Movement of Corporations”, in T. SANDALOW and E. STEIN

(eds.), Courts and Free Markets: Perspective From The United States and Europe, Clarendon Press, Oxford, 1982, vol I, p. 363.

654 V. not. CJCE, 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust, aff. 81/87, Rec. p. 5483 ; CJCE, 16

traitement que les citoyens de l’Etat d’accueil en cas d’installation permanente dans cet Etat »655. Toutefois, la force juridique du principe d’égalité varie selon l’objet de la discrimination alléguée et la disposition constitutionnelle invoquée. Ainsi, la Privileges and Immunities clause de l’article IV, § 2, cl. 1 n’est invocable que lorsqu’est en cause une activité « suffisamment importante pour l’économie nationale » et « pesant sur la vitalité de la Nation

en tant qu’entité »656. Tel est le cas, par exemple, de l’accès aux activités économiques, aux

juridictions, à la propriété et aux services médicaux657. Il en résulte qu’une discrimination relative aux loisirs de la population échappe à cette disposition658. En revanche, elle continue de relever de l’Equal Protection clause. La Cour met toutefois en œuvre, dans cette hypothèse, un contrôle minimal, conduisant en pratique à valider de telles mesures659.

Dans l’Union européenne, en raison d’une possible dissociation entre nationalité et résidence660, le principe d’égalité de traitement prend deux formes : l’interdiction des discriminations à raison de la nationalité661 et l’interdiction des discriminations à raison de la résidence662. Si le premier type de discrimination est invariablement qualifié de discrimination directe, le second, en revanch, soulève des difficultés de qualification663. En matière de prestation de services, les différences de traitement fondées sur la résidence sont, aux termes de l’article 61 TFUE, formellement interdites. Pour les autres libertés de circulation, il convient normalement de démontrer que de telles différences jouent concrètement en défaveur

655 Saenz, préc., 526 U.S., p. 500.

656 Baldwin, 436 U.S., préc., pp. 383 et 388.

657 McBurney v. Young, 667 F.3d 454, 463 (4th Cir. 2012).

658 Baldwin, 436 U.S. 371, préc. En l’espèce était contestée une taxe discriminatoire sur les permis de chasse

délivrés par l’Etat du Montana.

659 Id. La Cour examine seulement que le moyen employé n’est pas déraisonnable au regard du but recherché

(v. pp. 388 et s. de l’arrêt).

660 V. §1, B de la présente section, supra.

661 V. article 18 TFUE : « Dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des dispositions

particulières qu'ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité » ; article 45 TFUE : « [La libre circulation des travailleurs] implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail » ; article 49, §2 TFUE : « La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants » ; article 57, §4 TFUE : « le prestataire [de services] peut, pour l'exécution de sa

prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l’Etat membre où la prestation est fournie, dans les

mêmes conditions que celles que cet Etat impose à ses propres ressortissants ».

662 V. not. CJCE, Van Binsbergen, aff. 33/74, préc. 663 V. §1, B de la présente section, supra.

des non-nationaux. En pratique, on constate toutefois que le lien entre distinction fondée sur la résidence et discrimination à raison de la nationalité est largement présumé664.