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LES NOUVELLES LITTÉRAIRES

A – L’ENRACINEMENT DANS LE PASSÉ

a – L’Antiquité

L’Antiquité, ses textes, sa mythologie ou les références que l’époque se reconnaît, donnent lieu à une production imprimée que l’on destine à un public d’amateurs, lettrés ou

385 N.L., août 1711, pp. 543-544, d’Angleterre : Crull, J., Antiquitez de saint Pierre, in-8°.

386 N.L., nov. 1726, p. 708, de Hollande : Tissot de Patot, Simon, Lettres choisies, La Haye : Mathieu Roguet, in-12. [Misc.]

387 N.L., févr. 1746, p. 125, de Modène : Tassoni, Alessandro, La Secchia rapita, éd. Gianandrea Baretti, Ludovico Antonio Muratori & Gaspare Salviani, Modène : Bartolomeo Soliani, 1745, in-8°. [Orat.]

388 N.L., juin 1727, p. 379, de Paris : Perdoux de la Perrière, Défense de la Bibliotheque historique & critique, Paris : Chaubert, in-12.

« antiquaires », dûment informé, en 1742, de la récente découverte d’une inscription romaine qui « a paru faire plaisir aux antiquaires de ce pays-ci389 ».

En ce domaine, peu de réel enthousiasme pour une édition dont on signalera les qualités ou la beauté, certes, mais avec une sorte de distance, comme si le journaliste nous désignait un public auquel, manifestement, il ne s’identifie pas. Un recueil strasbourgeois des pièces de Sophocle390, dont on vante la « magnificence » de l’édition, est qualifié « d’important pour les amateurs de la littérature grecque391 », tandis qu’un ouvrage de numismatique est ainsi défini :

pour les amateurs de l’Antiquité savante392

Il n’est cependant pas question de nier que l’Antiquité conserve une place primordiale dans l’enracinement intellectuel des Lumières. Le regard sur l’Antiquité, son omniprésence, les références à l’antique, modèle et repoussoir du temps, tout signale une imprégnation culturelle où la transversalité disciplinaire est primordiale et qui s’exerce sous différentes formes : sujets de recherches, commentaires et exégèses où s’affrontent les érudits. On revient sans cesse aux textes antiques, dans une glose permanente, pour les commenter, les éditer avec des variantes, les retraduire, les réinterpréter, les préfacer, les annoter et naturellement critiquer les éditions précédentes. Ainsi, un nouveau commentaire d’Hérodote393, en 1789, « relève les erreurs de Danville & peut contribuer à répandre de nouvelles lumières sur la géographie & l’histoire ancienne394 », tandis qu’en 1757, une nouvelle édition des lettres de Pline le Jeune395 s’adjoint des dessins et des plans de sa villa, qui enrichissent et éclairent le texte396. Enfin, quand une édition renommée est devenue introuvable, on n’hésite pas à la réimprimer, signe très sûr d’une réelle demande du public, même pour des ouvrages généralement onéreux.

L’Antiquité est en outre considérée dans une perspective pédagogique, en fournissant un matériau de travail à la rhétorique, mais aussi comme un recueil d’exempla. Elle participe

389 N.L., août 1742, pp. 505-506, de Rome.

390 Sophocle (vers 495-vers 406 av. J.-C.), poète tragique grec. Cité comme auteur (1724, 27, 29, 48, 86), contributeur (1748) et référence (1735, 48, 49, 63).

391 N.L., déc. 1786, p. 821, de Strasbourg : Sophocle, éd. Rich. Franc. Phil. Brunck, Strasbourg : Johann Georg Treutel, in-4°, 2 vol. [Poet.]

392 N.L., juill. 1741, p. 429, de Rome : Ficorini, Francesco de, Piombi antichi, Rome : Girolamo Mainardi, 1741, in-4°, 64 pl. [Hist.]

393 Hérodote (vers 484-vers 425 av. J.-C.), historien grec. Cité comme auteur (1710) et référence (1726, 30, 43, 49, 64, 89).

394 N.L., juin 1789, p. 425, de Göttingen : Hennicke, J. Frid., Commentatio de Geographiâ Africae Herodoteâ, 1787, in-4°. [Hist.]

395 Pline le Jeune (vers 61-114) [C. Plinius Caecilius Secundus], écrivain latin. Cité comme auteur (1753, 57, 69) et référence (1711, 25, 28, 43, 53, 63).

396 N.L., févr. 1757, p. 116, de Livourne : Pline le Jeune, Lettere, trad. Giovanni Tedeschi, notes John Orrery, dessins Scamozzi, Livourne : Anton Santini, 1754, in-4°, 2 vol. [Misc.]

de ce fait du mode traditionnel d’éducation des princes, à l’image de cet ouvrage historique, rédigé « pour l’éducation du Dauphin397 ».

Quant à la mythologie, elle représente l’une des voies par lesquelles l’Antiquité s’impose dans la production imprimée. Il s’agit là d’une source d’inspiration et de réflexion mais aussi d’un procédé métaphorique de compréhension de l’époque. Tel recueil de pièces fugitives qui s’enracine dans ce thesaurus et mêle songes philosophiques et explications des fables porte ainsi ce sous-titre :

La Mythologie rendue à ses principes398

b - Le Moyen Âge, les « siècles obscurs »

Les traditions médiévales n’ont pas toutes été évacuées par les Lumières triomphantes et nombre d’exemples pourraient s’inscrire en faux contre cette idée reçue. Cependant, on doit constater qu’à de certaines occasions, le Moyen Âge apparaît comme un océan de barbarie où surnageraient quelques îlots de culture qui s’efforcent de transmettre les leçons de l’Antiquité. Mille ans semblent ainsi gommés de la mémoire humaine avant que la civilisation ne renaisse enfin au XVe siècle. A la fin du siècle, cependant, le regard s’infléchit sous l’influence du pré-romantisme. La fascination pour l’histoire malheureuse d’Héloïse399 et Abélard400, ainsi que le goût des ruines, n’en sont que quelques indices. De plus, il n’y a pas d’unicité de la période médiévale dans la façon dont l’envisagent les Nouvelles et qui peut varier considérablement, selon le siècle et le pays considéré, entre l’Allemagne et l’Italie, par exemple, pour ne citer que ces deux extrêmes.

L’Italie médiévale, en effet, suscite chez le journaliste l’intérêt le plus vif et lorsqu’un recueil de biographies connaît sa première publication, il prend soin de nous donner quelques précisions sur les sources de l’ouvrage :

composé en latin vers la fin du XIVe siècle, l’original a disparu, ce n’est que la traduction italienne401

Pour les Nouvelles, l’Italie est en effet la première à sortir de la gangue médiévale, dès le XIIe

siècle, et la seule à avoir conservé l’héritage antique :

397 N.L., janv. 1789, p. 62, de Paris : Laborde, de, Essai sur l'Histoire, Paris : Fr. Amb. Didot l’aîné, in-4°. [Hist.]

398 N.L., avril 1786, p. 235, de Paris : L’Esprit de la Fable, Amsterdam, à Paris chez Monory, 1786, in-4°, 64 p. [Poet.]

399 Héloïse (1101-1164). Citée comme référence (1772, 83).

400 Pierre Abélard (1079-1142), philosophe français. Cité comme référence (1772, 83).

401 N.L., juin 1748, p. 377, de Brescia : Villani, Filippo, Vite d'Uomini illustri scritte da Filippo Villani, ora per

pendant les siècles XI-XIV qui est le temps où la langue grecque a été le plus négligée, plusieurs savants d’Italie l’ont cultivée avec beaucoup de soin402

On lui sait gré d’avoir fourni à cette époque des savants dont la correspondance, les œuvres ou la biographie peuvent encore être utiles à la République des lettres. Ainsi, l’édition des lettres de Barbaro403 à ses contemporains est-elle accueillie avec grand intérêt car elle ne concerne « pas seulement l’histoire de sa vie mais principalement l’histoire civile & littéraire » et témoigne de son époque en s’adjoignant des récits et anecdotes, « tant de Barbaro que de plusieurs autres savants du XVe siècle404 », tandis qu’un recueil de lettres de « savants du XVe siècle405 » est également très bien considéré.

En France, la période suscite moins d’éloges. Certes, on apprécie les éditions de ses mémorialistes, au premier rang desquels Philippe de Commynes406 dont on salue en 1747 une nouvelle édition, ce qui témoigne de l’intérêt certain du public éclairé pour cette période :

très belle, très bien exécutée, la plus complète jusqu’à présent407

Nous n’avons cependant rencontré que peu de témoignages de la période médiévale française, et quasiment rien avant le supposé réveil culturel du XIVe siècle. Ainsi, lorsque paraît en 1731 la suite de l’édition des monuments de la monarchie par les mauristes, lisons-nous ce commentaire sans nuances :

le goût pour la peinture & la sculpture ayant commencé à renaître sous Charles V408

Quoi qu’il en soit, le Moyen Âge constitue un sujet d’étude historique409 ou littéraire d’importance pour les Nouvelles, faisant tour à tour figure de repoussoir ou d’exemplum, lorsqu’un recueil de maximes morales du début du XIVe siècle italien nous est présenté comme « utile pour la conduite de la vie410 ».

402 N.L., mars 1744, p. 285, de Venise : Gradenigo, père Jean Jérôme, Lettera all'Eminentissimo e

Reverendissimo Signor Cardinale Angelo Maria Quirini…, Venise, 1743, in-8°. [Orat.]

403 Francesco Barbaro (vers 1398-1454), humaniste et diplomate vénitien. Cité comme auteur (1741, 43) et référence (1744).

404 N.L., juin 1743, p. 376, de Brescia : Barbaro, Francesco, Diatriba praeliminaris in duas partes divisa, Brescia. [Hist.]

405 N.L., avril 1758, pp. 247-248, de Rome : Miscellanea inedita ex Bibliotheca Coll., contrib. Aonius Palearius, Lambinus, Leo Allatius, Manuce, Morin & Muret, Rome, 1758, in-8°. [Misc.]

406 Philippe de Commynes (1447-1511), homme politique et mémorialiste flamand d’expression française. Cité comme auteur (1713, 47) et référence (1711).

407 N.L., juin 1747, p. 379, de Paris : Comines, Philippes de, Mémoires de Messire Philippes de Comines,

Seigneur d'Argenton, où l'on trouve l'Histoire des Rois de France Louis XI & Charles VIII revue sur plusieurs manuscrits du temps…, éd. Godefroy, supplément par l’abbé Lenglet-Dufresnoy, Londres, à Paris

chez Rollin Fils, 1747, in-4. [Hist.]

408 N.L., août 1731, p. 500, de Paris : Montfaucon, dom Bernard de, Monumens de la Monarchie Françoise, Paris : Julien-Michel Gandouin, 1731, in-f°, T. III. [Hist.]

409 N.L., avril 1744, pp. 248-249, de Ratisbonne : Horneck, Ottokar, Scriptores rerum Austriacarum veteres ac

genuini, éd. Père Pez, Ratisbonne : Emmerich Felix Bader, 1743, in-f°, vol. III. [Hist.]

On invite les savants à s’y intéresser et à procurer aux historiens un matériau fiable, par le moyen d’études systématiques, de l’identification des sources et d’outils de travail tels que des dictionnaires, comme celui-ci, consacré au droit féodal et complété par des tables « très détaillées411 » mais aussi des recueils sigillographiques que les érudits appellent de leurs vœux :

il serait à souhaiter qu’on entreprît un semblable travail dans toutes les grandes provinces de France412

ou numismatiques, fournissant des « anecdotes curieuses & intéressantes qui peuvent servir à l’histoire de la fin du XIIIe & du début du XIVe siècle413 ».

L’édition de manuscrits, de mémoires414 et de journaux, la rédaction d’histoires globales comme celle-ci, qui étudie l’Empire romain germanique :

fort estimée415

ou la compilation raisonnée des auteurs majeurs de la période sont également bienvenus. Ainsi, cette édition de la chronique d’Islande, rédigée au XIIe siècle, qui fournit le texte en danois médiéval et sa traduction latine, à partir d’un manuscrit de la Bibliothèque Cottonienne d’Oxford, est-elle accueillie avec reconnaissance :

les gens de lettres sont très redevables […]416

Il faut dire que l’étude des siècles enfouis peut susciter chez les hommes des Lumières cette même excitation, liée au défrichage des terres inconnues, qui les conduit à se passionner pour les voyages d’exploration autour du monde. Il s’agit là, cependant, d’une affaire de spécialistes et le journaliste réclame des éditeurs compétents pour rendre justice aux texte de cette époque, sous peine de les rendre totalement inaccessibles. Les éditions fautives ou approximatives ne font que discréditer le Moyen Âge et, donc, se conformer aux idées reçues, paresse intellectuelle contre laquelle ne peuvent que s’élever les Nouvelles. C’est précisément

411 N.L., oct. 1757, p. 702, de Paris : La Place, A., Dictionnaire des Fiefs, & autres droits Seigneuriaux, Paris : Knapen, 1757, in-8°. [Jur.]

412 N.L., nov. 1781, p. 765, de Paris : Migieu, de, Recueil des Sceaux du moyen âge, dits Sceaux gothiques, Paris : Antoine Boudet, 1779. [Antiq.]

413 N.L., mars 1752, p. 177, de Venise : Zanotti, Jérôme-François, Sigillum areum Alesinae e Marchionibus

Montisferrati, Venise : Antonio de Castro, 1751, in-4°. [Antiq.]

414 N.L., avril 1786, p. 233, de Paris : Collection universelle des Mémoires, éd. Gérard de Tieulaine, contrib. maréchal de Boucicault, Commines, Pierre de Fenin, Florent d'Illiers, Olivier de La Marche, Christine de Pisan & le connétable de Richemont, in-8°, 3150 p. en 7 vol. [Hist.]

415 N.L., juin 1755, p. 446, de Leipzig : Mascovius, Johann Jacob, Commentarii de rebus Imperii

Romano-Germanici sub Lothario II & Conrado III ab anno 1125, ad annum 1152. [Hist.]

416 N.L., avril 1734, p. 242, de Copenhague : Ara-Froda, Arii Thorgilsis filii, cognomen Froda, id est Multiscii,

vel Polyhistoris, in Islandia quondam Presbyteri, primi in Septentrione Historici, Schedae, seu Libellus de Islandia, Islendinga-Book dictus; è veteri Islandicâ, vel, si mavis, Danicà antiquâ, Septentrionalibus olim communi Linguâ, in Latinam versus, éd. André Buffaeus, avec des textes d’Elfred le Grand, Jonas Gam,

ce que reproche le journaliste à cet imprimeur qui pense pouvoir se passer d’une caution savante en éditant seul des recueils de poèmes médiévaux :

c’est dommage qu’un habile homme ne veille point sur ces éditions417

A l’inverse, une édition d’histoire médiévale consacrée à l’abbaye de Glastonbury mérite bien un maître d’œuvre aussi illustre que Thomas Hearne418, ce « savant éditeur419 ». Quatre ans plus tard, c’est le même qui recevra ce satisfecit :

M. Hearne continue sans relâche ses utiles recherches sur l’histoire d’Angleterre420

Les pouvoirs institutionnels montrent également une réelle volonté de restituer les acquis intellectuels médiévaux. C’est particulièrement vrai pour la papauté, liée par nature à la tradition et désireuse de raviver le souvenir de sa gloire passée. Lorsque Benoît XIV421 ordonne la rédaction d’une vie de son lointain prédécesseur Nicolas V422, c’est afin, nous dit-on, de « contribuer à faire connoître davantage un siècle où les lettres ont repris naissance423 ».

C’est d’ailleurs sous le pontificat de ce même Benoît XIV que, en 1757, se termine l’édition de ces monumentales Annales ecclésiastiques424, commencée sous Clément XII425. Les ouvrages qui étudient le Moyen Âge peuvent même accéder à un niveau de recevabilité comparable à ceux venus tout droit de l’Antiquité gréco-latine. On citera ainsi la bibliographie en latin médiéval éditée par « le savant & laborieux Fabricius […] pas reçu moins favorablement que la bibliographie latine & grecque426 ».

L’université n’est pas en reste et le sujet suscite également bon nombre de ces « dissertations académiques »427 que produisent les institutions germaniques.

Certes, tout ceci peut sembler rébarbatif et c’est ainsi que l’on entend ce commentaire, quelque peu sibyllin, qu’une histoire des hommes illustres de Suède recueille en 1751 :

417 N.L. janv. 1724, p. 64, de Paris : Paris : Coutelier.

418 Thomas Hearne (1678-1735), antiquaire, historien et bibliothécaire anglais. Cité comme éditeur (1710, 14, 27, 28, 30-32, 35) et référence (1763).

419 N.L., janv. 1728, p. 57, d’Oxford : Adam de Domerham, Historia…, éd. Thomas Hearne, Oxford : Theatre of Sheldon, 1727, in-8°. [Hist.]

420 N.L., juin 1732, pp. 368-369, d’Oxford : Hemingford, Walter, Walteri Hemingford, Canonici de…, éd. Thomas Hearne, Oxford : Theatre of Sheldon, 1731, in-4°.

421 Benoît XIV [Prospero Lorenzo Lambertini] (1675-1758), pape de 1740 à 1758. Cité comme auteur (1746, 50, 51) et référence (1741-48, 50-54, 61, 63, 76).

422 Nicolas V [Tommaso Parentucelli] (1397-1455), pape de 1447 à 1455. Cité comme référence (1710, 43).

423 N.L., juin 1743, p. 375, de Rome : Georgi, Dominico, Vita Nicolai V. Pont. Max., Rome : Frères Pagliarini, 1742, in-4°. [Hist.]

424 N.L., nov. 1757, pp. 763-764, de Lucques : Raynald, Odorico, Annales Ecclesiastici, éd. Giovanni Domenico Mansi, Lucques : Leonardo Venturini, 1756, in-f°, T. XXXV.

425 Clément XII [Lorenzo Corsini] (1652-1740), pape de 1730 à 1740. Cité comme référence (1733, 40-43, 46, 52, 57).

426 N.L., mai 1736, p. 313, de Hambourg : éd. Jo. Albert Fabricius, Hambourg : Vve Felginer, 1734-35, in-8°. [Misc.]

427 N.L., juill. 1738, p. 442, d’Altdorf : Schwartz, De Henrici VI. Imperatoris Romana eaque ignominiosa

l’auteur anonyme commence au Xe siècle, on doute qu’il continue428

En effet, au-delà de sa caricature, le Moyen Âge apparaît parfois dans les Nouvelles comme une période écrasée par la barbarie et l’ignorance, du moins jusqu’à la Renaissance carolingienne. Ainsi, l’auteur d’une histoire de Bergame juqu’à l’an 900 est-il salué pour s’être consacré à cette

partie de l’histoire la plus difficile à éclaircir en raison de l’ignorance de ces temps-là429

Des domaines comme la science héraldique s’enracinent dans la nuit des temps mais lorsque son histoire nous est relatée dans un texte du XVIe siècle, on comprend alors que la période renaissante ne peut que s’inscrire en réaction contre ces « siècles barbares430 » dont elle cherche à émerger.

Encore le XIIe siècle allemand demeure-t-il plus longtemps dans l’obscurité :

quoique l’ouvrage se ressente beaucoup du temps où il a été composé431

C’est pourquoi un réel souci de vulgarisation accompagne l’édition de nombreux ouvrages. Il est nécessaire, en effet, d’adapter certains textes au goût de l’époque, de les rendre accessibles, par la forme choisie, d’anecdotes ou de divertissement, mais sans rien céder sur la rigueur de leur traitement intellectuel, notamment quant à l’authenticité des sources. Il n’est naturellement pas question, pour plaire au public, d’opérer des raccourcis méthodologiquement contestables. Redonner vie et proximité à cette époque, par le biais de la littérature, certes, mais à condition de l’étayer par une édition raisonnée et critique. Ainsi, le

Roman de la Rose est-il réédité en 1735 « d’après quelques éditions & anciens manuscrits, avec

notes & glossaire432 ».

De la même façon, un recueil d’anecdotes semble satisfaire, pour le journaliste, à deux préoccupations récurrentes, plaire à un large public tout en ne déplaisant pas aux savants :

[anecdotes] curieuses & intéressantes sur l’histoire du Moyen Âge [il] puise toujours ses matériaux dans des manuscrits anciens & inconnus433

428 N.L., oct. 1751, p. 697, de Stockholm : Vies des Hommes illustres de Suéde, Stockholm : Salvius, 1750, in-8°. [Hist.]

429 N.L., mars 1785, pp. 169-170, de Bergame : Lupi, Mario, Codex diplomaticus civitatis…, à Paris chez la Vve Dessaint, 1784, in-f°. [Hist.]

430 N.L., sept. 1741, p. 752, de Lucques : Cittadini, Celso, Dell'Antichita delle Armi Gentilizie, éd. Giovan. Girolamo Carli, Lucques : Giovan Domenico & Salvatore Marescandoli, 1741, in-8°. [Hist.]

431 N.L., avril 1748, p. 251, de Bâle : Ebulo, Petrus de, Carmen de motibus siculis & rebus inter Henricum VI

Imp. Rom. & Tancredum saeculo XII gestis, éd. Samuel Engel, Bâle : Emmanuel Thurn, 1746, in-4°. [Orat.] 432 N.L., juin 1735, p. 370, de Paris : Lorris, Guillaume de & Meung, Jean de, Le Roman de la Rose, Paris : Vve

Pissot, 1735, in-12. [Orat.]

433 N.L., oct. 1755, pp. 687-688, de Florence : Deliciae Eruditorum, éd. Giovanni Lami, Florence, 1754, in-4°. [Antiq.]

On citera enfin cette traduction française d’une vie de Wittikind434 qui « avait besoin d’être réduite dans une forme qui en rendît la lecture agréable & intéressante435 ».

En effet, c’est par le biais des biographies de ses héros que le Moyen Âge, bien souvent, entre en résonance avec le XVIIIe siècle. Nous allons maintenant examiner certains de ces personnages, au travers de leurs vies-exempla ou de la réédition de leurs œuvres, tels que les Nouvelles Littéraires nous les donnent à voir, en commençant par l’une des références absolues de l’érudition :

le fameux Roger Bacon, auteur du XIIIe siècle436

A l’occasion de l’édition complète de ses œuvres, les Nouvelles Littéraires participent ainsi à lui rendre justice et à travers lui, à l’époque qui l’a produit :

Bacon a fait bien des découvertes dont plusieurs philosophes modernes ont cru être les inventeurs 437

Charlemagne438, naturellement, cet ancêtre commun aux souverains d’Europe, représente l’idéal fantasmé d’une unité perdue dont la culture, à travers la Renaissance carolingienne, était l’un des ciments. Cette allégorie du pouvoir absolu qui reconnaît l’importance capitale des lettres et de l’instruction ne pouvait, en effet, qu’aller droit au cœur du journaliste. Il évoque ainsi avec nostalgie un manuscrit réunissant les noms illustres « du temps de Charlemagne439 ».

Dans une autre sphère, Dante Alighieri440 intéresse une époque éprise de poésie et sensible au prestige des lettres italiennes. Une nouvelle édition de la Divine Comédie est ainsi proposée aux « amateurs des belles-lettres & de la poésie italienne441 » tandis que les amours d’Héloïse et Abélard, dans les années 1780, suscite la curiosité de leur correspondance à l’occasion de la parution d’une gravure de leur tombeau dans le goût d’Hubert Robert442. On s’adresse alors aux « âmes sensibles » et l’ouvrage « fait faire à des gens d’esprit le voyage du Paraclet443 ».

434 Wittikind [Widukind] (VIIIe s.-810), chef saxon, symbole de la résistance à Charlemagne. Cité comme référence (1710, 11, 57).

435 N.L., déc. 1757, pp. 831-832, de Paris : Crusius, André, Vie de Witikind le Grand, abrégé par Dreux du Radier, 1757, in-12. [Hist.]

436 N.L., sept. 1731, pp. 562-563, de Londres : Bacon, Roger, éd. Jebb, Londres, en prépa., in-f°. [Philo.]

437 N.L., avril 1730, pp. 253-254, de Londres : Bacon, Roger, éd. Jebb, en prépa., in-f°. [Philo.]

438 Charlemagne (742-814), empereur des Francs. Cité comme référence (1710, 11, 18, 24, 26, 32, 34, 37, 39, 44, 46, 48, 53, 56, 63).

439 N.L., mars 1756, p. 186, de Lucques : Mansi, père, contrib. Alcuin, Anastase le bibliothécaire, Eusèbe, Gennadius, saint Grégoire le Grand, saint Isidore, saint Jérôme, saint Musivis & Pline, trad. saint Jérôme & Ruffin. [Patr.]

440 Dante Alighieri (1265-1321), poète, homme politique et écrivain florentin. Cité comme auteur (1725, 46, 54, 57, 59) et référence (1744, 45, 47, 69).

441 N.L., nov. 1757, pp. 762-763, de Venise : Dante, Divina Commedia, éd. P. Pompeo Venturi & Volpi, Venise : Antonio Zatta, en prépa., in-4°. [Poet.]

442 Hubert Robert (1733-1803), peintre et graveur français.

443 N.L., févr. 1783, p. 125, de Paris : Bruandet & Picquenot, Le Tombeau d'Abailard & d'Héloïse, d’apr. Lantara, Paris, 3 estampes, 16 sols chaque est. [Hist.]

Enfin, on rencontre même des témoignages de la légende noire des Templiers, dont l’aspect « sensationnel » connaît apparemment, déjà, un succès de librairie :

la réédition de ce livre qui était devenu rare444

c – La Renaissance et le XVIIe siècle

Même si le XVIe siècle apparaît beaucoup plus rarement que l’Antiquité dans les Nouvelles Littéraires, il participe cependant de l’enracinement culturel et de l’héritage humaniste qui structurent la pensée des Lumières, notamment au travers de sa littérature.

Les éditions de poésie dramatique ou lyrique de Boccace445, l’Arioste446 ou le Tasse447

bénéficient ainsi de commentaires attentifs tout autant que les anthologies de poètes burlesques, tandis que Tassoni448, l’un des modèles de La Fontaine449, est présenté comme