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DEUXIÈME PARTIE LES DISCIPLINES

C – L’ART ORATOIRE

L’éloquence, sacrée ou profane, doit assumer certaines fonctions : « instruire (comme l’éloquence académique), convaincre (comme l’éloquence délibérative), émouvoir (comme l’éloquence judiciaire) ou édifier (comme l’éloquence sacrée ) 1034 ». Nous constatons cependant que les ouvrages qui prennent pour objet ou utilisent l’art oratoire – éloges1035, oraisons1036, discours universitaires1037 – ne semblent éveiller qu’un enthousiasme très mesuré chez le journaliste des Nouvelles Littéraires qui ne prend guère en compte les spécificités que nous venons de citer. Nous ne lisons quasiment que des compliments convenus qui s’en tiennent à l’aspect formel du texte, très différents de ceux que suscitent bon nombre de travaux scientifiques ou historiques. Rien de très approfondi dans ces commentaires qui demeurent descriptifs et sans réelle perspective critique. Il n’est ici question que d’ouvrages

1033 N.L., mai 1787, p. 305, de Londres : Weston, Stephen, Hermesianax, Londres : J. Nichols, 1784, in-8°, 134 p. [Poet.]

1034 Armoghate, Jean-Robert, « Plaire, instruire et édifier : les traits spécifiques de la rhétorique de la chaire »,

Littérature, 1/2008 (n° 149), pp. 45-55, p. 45.

1035 N.L., mai 1786, p. 315, de Paris : Lacépède, comte de, Eloge de Maximilien-Jules-Léopold, duc de

Brunswick-Lunebourg, Paris : Imprimerie de Monsieur, 1785, in-8°, 22 p. [Hist.]

1036 N.L., févr. 1769, p. 115, de Paris : Boismont, abbé de, Oraison funèbre de Très-Haute, Très-Puissante &

Très-Excellente Princesse, Marie Leczinzka, Reine de France & de Navarre, Paris : Vve Regnard, 1768.

[Orat.]

1037 N.L., juin 1732, p. 371, de Strasbourg : Schoepflin, Jean-Daniel, Panegyricus Ludovico XV. Galliarum Regi

où se manifestent « onction & éloquence1038 », « douceur & harmonie1039 » et qui, au mieux, « méritent d’être lus avec réflexion1040 ».

Cependant, ainsi mise en exercice, la rhétorique ne peut se résumer à un vain exercice de style et bien que la forme soit tout dans cet art codifié, le journaliste, expert en la matière, réclame qu’elle soit étayée par des connaissances solides, organisées et utilisées à bon escient, ce que résume ce commentaire de 1764 :

excellent discours, érudition, sagacité1041

En effet, la rhétorique est théorisée :

nouveau & excellent traité de rhétorique1042

et constitue une discipline universitaire1043 et académique des plus traditionnelles, supposée faciliter la compréhension des grands textes :

ouvrage utile pour l’intelligence des auteurs1044

Il est ainsi fréquent qu’un ouvrage revienne sur ses hauts faits, comme cette nouvelle édition des harangues de Dudith 1045au concile de Trente, justifiée par la « découverte faite depuis peu de deux harangues point encore imprimées1046 ».

Mais il s’agit également d’un art et d’une science, qui peut éventuellement s’assurer des secours de la philosophie afin de conserver sa place dans le siècle, tout en procédant à certains ajustements. En 1748, est ainsi publié un « nouveau système pour apprendre solidement l’éloquence, les principes de cet art & de les accommoder aux mœurs de notre siècle […] connoissances que la philosophie moderne nous a fournies1047 ».

Il n’est cependant pas question de la vider de sa substance et certains univers, comme la poésie, en demeurent foncièrement antagonistes ainsi qu’en témoigne ce commentaire d’un discours consacré au roi, obligation annuelle de l’académie d’Angers :

1038 N.L., mars 1729, p. 193, de Paris : Office de la Semaine Sainte, Paris : Vve Mazières, 1728, in-8°. [Patr.]

1039 N.L., avril 1769, p. 238, de Paris : Imbert de Nîmes, Ode présentée à Sa Majesté le Roi de Danemark. [Poet.]

1040 N.L., déc. 1761, p. 830, de Paris : Eloge historique de Monseigneur le Duc de Bourgogne, Paris : Imprimerie royale, 1761, in-8°. [Hist.]

1041 N.L., mars 1764, p. 186, de Paris : Desmars, Discours sur les Epidémiques d'Hippocrate, Berne, à Paris chez P.-Fr. Didot le Jeune, 1763, in-12. [Med.]

1042 N.L., nov. 1758, p. 757, de Paris : L’Art de peindre à l'esprit, Paris : Augustin M. Lottin l’aîné, 1758, in-8°, 3 vol. [Orat.]

1043 N.L., nov. 1786, pp. 757-758, de Paris : Lenoir du Parc, abbé, Nouveau Recueil de Plaidoyers François, Paris : Vve Thiboust, 1786, in-12. [Jur.]

1044 N.L., déc. 1730, p. 750, de Paris : Du Marsais, Des Tropes, Paris : Vve Jean-Baptiste Brocas, 1730, in-8°. [Orat.]

1045 Andreas Dudith (1533-1589), prélat hongrois. Cité comme auteur (1744) et traducteur (1743).

1046 N.L., juin 1744, p. 381, de Halle de Magdebourg : texte add. Lorandus Samuelfy, Halle : Renger, 1743, in-4°. [Patr.]

1047 N.L., juin 1748, pp. 383-384, de Paris : Clausier, La Rhétorique ou l'Art de connoître & de parler, Paris : Ganeau & Laurent d’Houry, 1748, in-12. [Orat.]

nous aurions seulement souhaité qu’il eût oublié pour le moment qu’il [l’auteur] étoit poète1048

En revanche, à peu près n’importe quel sujet peut donner lieu à un beau morceau de rhétorique ou d’éloquence. Nous citerons cette harangue « à la gloire de la théologie & de la médecine1049 » ou cette autre qui permet à l’ « habile orateur » de féliciter « sa patrie sur la paix qui venait d’y être rétablie1050 ».

Quant au panégyrique annuel dont est chargé Schoepflin1051 et qui salue, à l’université de Strasbourg, le jour de naissance du roi, on s’émerveille qu’il aborde « toujours quelque sujet nouveau1052 ».

Harangue, discours ou panégyrique, peu importe finalement le terme employé puisque ces objets ne sont que des déclinaisons oratoires, parfois organisées de façon à les rendre plus persuasives :

espèce de rhétorique presque toute en exemples1053

et dont la nature varie selon les circonstances qui les commandent.

Nous ferons maintenant une place à part à l’éloge funèbre, spécialité littéraire de type rhétorique où excellent certains auteurs comme, à la fin du siècle, Condorcet, « dont le talent pour les éloges est connu1054 ».

Remarquons tout d’abord que l’intérêt stylistique, dans les commentaires qu’en font les journalistes, prend nettement le pas sur une quelconque émotion, se lit sans affect et se résume à un simple exercice de style, parfois virtuose. La mort de Louis XV1055, pour citer cet illustre exemple, s’accompagne ainsi de quantité d’ouvrages dont celui-ci, qualifié de « chef-d’œuvre d’esprit & d’éloquence1056 ».

1048 N.L., août 1753, pp. 569-570, de La Haye : Verdier de la Sorinière, Discours sur le Roy, Paris : Ganeau, 1752, in-4°. [Orat.]

1049 N.L., sept. 1744, p. 571, de Londres : Londres : Chicth, C. Davis & R. Dodsley, in-4°, 6 ff. [Med.]

1050 N.L., mai 1739, p. 317, de Genève : Oratio gratulatoria de concordiâ Genevae restituta, Genève : Pellissari, 1738, in-4°. [Orat.]

1051 Johann Daniel Schoepflin (1694-1771), historien alsacien. Cité comme auteur (1730, 39, 43). Cf. Lutz, Jean-François & Voss, Jürgen, « Jean-Daniel Schoepflin (1694-1771) », in Bibliothèque de l’école des chartes, 2001, T. 150, livr. 2, pp. 693-695.

1052 N.L., mai 1739, p. 317, de Strasbourg : Schoepflin, Panegyricus Ludovico XV Astriae foederato, in-f°. [Orat.]

1053 N.L., juin 1771, p. 441, de Paris : Sensaric, dom, L’Art de peindre à l'Esprit; Ouvrage dans lequel les

préceptes sont confirmés par des exemples, éd. de Wailly, Paris : A.M. Lottin l’aîné, 1771, in-12, 1200 p. en

3 vol. [Orat.]

1054 N.L., juin 1792, p. 378, de Paris : Condorcet, de, Eloge de Franklin, Paris : Petit & Pyre.

1055 Louis XV (1710-1774), roi de France (1715-1774). Cité comme référence (1721, 24-26, 32, 33, 35-37, 41, 44-47, 49, 50, 52-54, 57, 65, 66, 74, 76, 80, 92).

1056 N.L., sept. 1774, p. 639, de Paris : Boismont, abbé, Oraison funèbre de Louis XV, Paris : Demonville, 1774, in-4°, 42 p. [Hist.]

Dans ce domaine également, le goût varie sensiblement selon l’époque et le pays. Ainsi, les dernières années du siècle, en France, préfèrent la simplicité, jugée plus touchante et une certaine légèreté de ton :

on désireroit que cet élogue fût moins pompeux en phrases & en exclamations. Mais le genre de nos éloges historiques n’est pas encore celui des écrivains de la Sicile, du moins de M. Costanzo1057