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CHAPITRE 7 : CE QUE S’ENGAGER VEUT DIRE : ANALYSE DES THEMATIQUES

2) L’engagement dans le monde

Afin de justifier ou de préciser les conditions de leur investissement dans la formation E2C, les jeunes décrivent le « background » de leur présence en formation. L’engagement dans le monde caractérise la manière dont les jeunes s’investissent dans leur trajectoire de vie suivant leurs conditions d’existence. Bien qu’ils déclarent tous n’avoir pas réellement eu le choix de s’inscrire à l’École de la Deuxième Chance, les jeunes exposent ici leurs hésitations, leurs doutes, mais également leurs certitudes et les perspectives qui s’offrent à eux de façon hétérogène. Quatre sortes d’engagement peuvent y être différencié : d’accomplissement, de distinction, de résistance et apathique.

2.1) L’engagement d’accomplissement

Dans les 15 entretiens qui rendent compte d’un investissement dans la vie quotidienne choisi et assumé, les activités auxquelles les jeunes participent sont source d’épanouissement et de satisfaction. L’engagement d’accomplissement intervient quand les expériences menées peuvent se révéler source de plaisir et de réalisation de soi. Par exemple, certaines activités manuelles, exercées dans un contexte familial, peuvent être conduites du fait de l’exemple du père :

« Ben je vois mon père depuis tout jeune faire de la mécanique alors petit à petit j’ai commencé à m’y intéresser. Et puis ben après je suis tombé dedans car mon frère aussi, il fait de la mécanique (…). Bon après moi ce que j’ai le plus de mal c’est le dans le contrôle des

plaquettes de freins, le disque et les pneus c’est ça que je n’ai pas encore appris ça ils n’ont pas eu le temps de me l’apprendre » (Jules - 33).

Les activités dans lesquelles ils s’investissent sont présentées comme étant plutôt ludiques, s’ancrant dans une émulation culturelle au travers des apprentissages réalisés « dans la vraie vie ». Tout est alors prétexte à exprimer sa créativité dans des projets qui donnent sens au quotidien, comme cette stagiaire qui présente ici sa passion pour les chevaux dont elle s’occupe, dans la ferme familiale :

« …je sors les chevaux un par un et pis je les brosse, ou alors rien que… et pareil, les slaloms, les plots, leur faire marcher sur les bâches (…) et il y a toujours pleins de choses, j'ai des bacs à bouteilles en plastique, ça fait plein de bruit ça pareil, des choses comme ça (rires) ; j'en ai inventé des trucs (rires) ; il faut bien s'occuper » (Laurence - 9)

2.2) L’engagement de distinction

Certains jeunes (15 entretiens) font part de leur ambition de ne pas reproduire les erreurs du passé et disent vouloir s’engager désormais sur le « droit chemin ». L’engagement de distinction relève d’une rupture assumée avec son passé. Les difficultés d’insertion professionnelle qui se posent au présent entrent en résonance avec des regrets qui accompagnent ce qu’ils considèrent désormais comme un manque d’investissement de leur part à l’école. S’ils insistent sur leur propension à s’impliquer dorénavant dans leur parcours professionnel (et de formation), ils justifient parfois (4 entretiens) le fait qu’ils ne saisissaient pas, pendant leur scolarité, les enjeux liés à l’accès à la qualification - et donc au travail.

« Comme à l’école, pour plus que je faisais pas beaucoup d’efforts, je sais pas pourquoi (…) Mais aujourd’hui, quand je repense je me dis : j’aurais dû être comme je suis là en fait. C’est parce que tu es trop jeune, je faisais n’importe quoi. Mais pourtant, j’étais bonne élève et tout, mais ça n’a pas fonctionné, voilà » (Hannah - 31).

Lorsqu’ils évoquent leur participation aux chahuts scolaires, c’est pour marquer une certaine rupture par rapport à des comportements jugés a posteriori comme immatures. En outre, ils insistent sur le fait que la recherche de reconnaissance auprès de leurs camarades de classe, s’est révélée pénalisante sur le long terme.

« …vu que ben il suffisait de faire un peu le bordel ; voilà de faire l’insolent, tout ça ; d’amuser la galerie, c’est ça en fait. Mais bon à l’époque, je pensais pas vraiment comme ça quoi (…) quelque part, je garde quand même des bons souvenirs d’avoir rigolé tout ça. Mais dans un autre sens, si j’aurais travaillé tout ça, je serais peut-être pas ici quoi ; mais bon après voilà quoi» (Albert - 24).

Les jeunes impliqués dans des activités illégales (4 entretiens) soulignent leur volonté de s’extraire de ces expériences dans lesquelles ils ne se reconnaissent plus. Ces épisodes de leur parcours sont désormais considérés comme appartenant au passé et ils s’appuient ici sur des valeurs et une moralité ancrée dans l’expérience « de la rue » ou de « l’argent facile », désormais dévalorisée au regard de ce qui est priorisé. Pour expliquer ces errances de comportement, ils arguent un manque de soutien familial, mais mettent également en avant leur propre volonté de s’extirper de ces perspectives risquées sur le long terme et désormais éloignées des valeurs qu’ils souhaitent défendre.

« Oui, j'aurais pu rester dans la rue et faire de l'argent facile. (…) Après j'ai commencé à trainer, mais ici, vu que la vie active je sais ce que c'est, et bien je me dis dans la vie si on veut quelque chose et bien il faut s'investir » (Nathanaël - 37).

Enfin, certains mettent en avant leur propre aveuglement à ne pas avoir suivi des conseils qui auraient été bénéfiques au regard du chemin emprunté, comme en témoigne par exemple cette stagiaire qui fait part de regrets du fait d’avoir préféré suivre son compagnon qui se droguait dès l’âge de quinze ans plutôt que de rester chez ses parents. Il est d’ailleurs surprenant de constater à quel point elle assume personnellement ses propres errances :

« Moi je lui ai dit [à mon père] : pourquoi tu m'as pas empêché, pourquoi tu m'as pas retenue, tu savais que je faisais une bêtise. Et il me dit : écoutes, je t'ai prévenue, je te l'ai dit. Il dit : tu m'as pas écouté, tant pis, à cette heure-ci, tu t'en aperçois, je suis d'accord avec toi mais t'as quand même perdu 7 ans. Je te l'avais prévenu que tu allais perdre du temps » (Laurence - 9).

2.3) L’engagement de résistance

Certains jeunes (5 entretiens), concernés par l’engagement de résistance, mentionnent une lutte de tous les instants pour conserver leur intégrité physique et morale, en mobilisant le plus souvent des ressources informelles. Par exemple, un jeune exclu du domicile familial par son père a d’abord tenté de trouver un logement par l’intermédiaire de son réseau dans les « rave parties », avant de trouver une place dans un foyer de jeunes travailleurs :

« Et euh, j'étais aussi dans des fêtes, dans des free-parties, et j'ai rencontré beaucoup de monde, et ce qui m'a permis de bouger de ville en ville ; et de pouvoir m'en sortir (…).mais vu que je connaissais les personnes dans le cadre des free-parties que je connaissais des personnes que j'avais passé quelques soirées, ça m'a fait que je les ai recontactées pis que j'ai réussi à les retrouver, pis on a fait le tour des villes pour trouver des endroits où s'abriter» (Ichem - 32)

Les difficultés, y compris pour sa propre survie, sont parfois telles qu’il faut redoubler de vigilance et faire face malgré l’adversité, l’absence de soutien, voire le mépris de ses proches. Tel est le cas de ce même jeune se trouvant du jour au lendemain livré à lui-même, exclu du domicile familial par son père :

« Ben quand j’ai commencé à fumer un peu d’herbe à 18 ans et pis après j’ai bougé un petit peu ; ça m’a fait rencontrer du monde, et y a beaucoup de gens qui fument et qui vont dans les free-parties. C’est là que j’ai rencontré du monde et y a bien souvent des jeunes qui choisissent d’eux-mêmes d’habiter dans la rue et vivre dans les squats et bouger d’un squat à l’autre. Et moi c’était pas par choix justement c’est mon père qui m’a mis dehors » (Ichem - 32).

Ces jeunes mettent en avant le fait qu’ils ont été moins aidés que les autres (stagiaires d’E2C), qu’ils ont pu moins bénéficier de soutiens de la part de leurs parents (soit absents, soit en incapacité de les aider). Ils évaluent ici leur propre situation par rapport à ce dont ils auraient pu obtenir dans d’autres circonstances, en se distinguant des autres jeunes (qui ont bénéficié d’un soutien parental) :

« J’ai vécu beaucoup de choses, après je raconte pas toute ma vie parce que voilà, j’ai beaucoup de vécu et je pense qu’à 21 ans déjà grandir sans ses parents et devoir se démerder tout seul c’est assez difficile » (Patrick - 13).

2.4) L’engagement apathique

Les expériences vécues sous l’angle de la contrainte, soulevant des sentiments d’incapacité à faire face aux difficultés de la vie, sont relatées dans 5 entretiens.

L’engagement apathique apparait, par exemple, chez cette stagiaire qui évoque un

sentiment de « saturation » (selon ses propres termes) par rapport à un contexte familial vécu comme un frein l’empêchant de vivre la vie qu’elle souhaiterait mener :

« … Enfin voilà quoi je l’ai toujours dit de toutes façons, les… chaque problème que j’ai eu, ça a toujours été, il y a toujours eu un problème avec la famille dans les histoires là. Alors moi euh enfin je sature de la famille quoi, je commence à en avoir marre. En ce moment, je me dis, je vais changer de numéro, je vais faire ma vie, je vais les renier quoi, je vais faire ma vie. Parce que j’ai l’impression que c’est eux qui me font reculer quoi. C’est compliqué quoi parce que je les aime mais… quand ils nous font reculer quoi c’est vraiment… on en a marre quoi, on a envie de s’en sortir. On n’a pas envie de rester comme eux quoi » (Raphaëlle - 15).

Le plus souvent, ce type d’engagement est marqué par le découragement et l’incapacité à

trouvent alors submergés par des sentiments de culpabilité et d’inutilité, signes d’une détérioration de l’image de soi.

« Et vraiment quand ça commence à me gonfler euh… que je vois que j'y arrive pas, ben c'est vrai que je baisse les bras et euh j'arrête ; mais à part ça euh, je saurais pas quoi vous dire d'autres hein ; et qu'on nous met pas des barrières mais euh presque! Ben c'est décourageant ; donc j'ai été un peu découragée. Ben ouais parce qu'à force qu'on se sent pas encouragée. Moi en fait, quand je sais pas, ben ça va vite m'énerver et je vais baisser les bras » (Mounia - 10).

Tel est le cas, par exemple, de cette stagiaire qui fait part de ses difficultés pour concilier le suivi des cours avec des problèmes familiaux liés à la « fugue » de sa mère et aux demandes de soutien de ses frères et sœurs.

« Encore ce matin, je suis pas allé en cours parce que ma mère, elle a fugué de chez elle. Ça fait deux jours qu’elle est pas rentrée, qu’il y a ma petite sœur, mon neveu, mon petit frère chez elle euh elle a fugué, voilà, ça fait deux jours que je la recherche. Je la trouve pas, je suis pas allé en cours ce matin parce que je faisais que de recevoir des appels, des appels, des appels…» (Raphaëlle - 15).

Le décalage ressenti dans les temporalités vécues d’avec le monde du travail et de la formation peut alors générer sentiments de solitude et d’inutilité, que relate cette stagiaire souffrant de dépression :

« …la télé toute la journée, y a rien à faire, le temps passe pas, tout le monde est en cours ; on se sent seul quoi. C’est comme quelqu’un qui est au chômage, on va dire (silence) (…) on se sent Inutile aussi, de servir à rien tout ça (silence) (…) juste la télé. M6 tout ça. Après ça devient lassant, très très vite. Ça avance à rien dans la vie de regarder la télé pendant des mois. Voilà… » (Stessy - 40).

L’engagement dans le monde laisse donc voir des facettes variées de la façon dont les jeunes contribuent à construire (ou non) leur parcours professionnel.