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CHAPITRE 7 : CE QUE S’ENGAGER VEUT DIRE : ANALYSE DES THEMATIQUES

1) L’engagement dans la formation E2C

La façon dont les jeunes abordent leur engagement dans la formation E2C s’organise autour de la thématique du projet (projet d’adhésion ou de rejet des perspectives offertes par E2C). Une majorité d’entretiens (les deux-tiers) relatent une implication importante, en valorisant un domaine de prédilection par rapport au parcours socioprofessionnel, en mettant en avant les opportunités ouvertes par la formation, ou plus globalement, en soulignant les possibilités d’évolution dans leur vie d’homme ou de femme (projet d’émancipation, de qualification et d’adaptation). Pour le tiers des occurrences restants, l’engagement peut être qualifié de conflictuel lorsque l’offre de formation apparait comme un frein pour la construction d’un projet, ou résigné lorsque rien n’est réellement mis en œuvre pour mettre à profit ce temps de formation. Nous revenons ici sur ces cinq types de projets en commençant par les perspectives émancipatrices.

1.1) Le projet d’émancipation

Une part importante de stagiaires (11 entretiens) déclare s’impliquer indifféremment dans toutes les activités de la formation E2C : dans les stages, les cours sur la recherche d’emploi, la remise à niveau, les activités culturelles et sportives et dans les projets collectifs comme la mini- entreprise. Ici, tout est prétexte à apprendre, à évoluer et à s’ouvrir aux autres, et les activités manuelles, sportives, ou artistiques sont alors présentées comme source d’épanouissement. En effet, les projets collectifs autour de créations artistiques, de performances sportives, ou de la mini- entreprise, constituent des espaces où les jeunes disent pouvoir s’investir dans un rôle particulier, avec une place qui offre une identité particulière et la possibilité de goûter au plaisir d’être reconnu dans cette activité :

« La mini-entreprise, non la mini-entreprise c'est cool. Je pense c'est là où c'est que je me sens… bien (…) je me sens à ma place quand je fais la mini-entreprise, je me sens… je me sens bien La mini-entreprise, non y a pas de soucis, et je suis là je suis directrice des finances (rires), c'est très cool ! » (Caroline54 - 3).

La tonalité qui domine ici concerne le plaisir d’apprendre, voire la possibilité de reprendre un cursus d’études après E2C. La formation est alors l’occasion de « réécrire son histoire » comme le mentionne cette stagiaire qui retrouve le plaisir d’apprendre, au travers du sport et des activités artistiques sources de réalisation de soi :

« Ben on a fait du sport aujourd'hui, et certains l'ont vu : oh ben tu cours vite, toi. J'arrache, je donne le paquet ! J'avoue que c'est bon le matin… hum… Oui, le bonheur ! Je retrouve tout. (…) (…) On ouvre une nouvelle page (rires). Et voilà ! On essaye de réécrire tout ! Mon histoire » (Hannah - 31).

Le travail sur soi est mis en avant, au travers de ses vertus cathartiques. L’activité de prise de parole contribue, selon ces stagiaires, à mettre à distance ses émotions néfastes. C’est le cas, par exemple, de ce jeune qui dit avoir dépassé la honte qu’elle ressentait par rapport à sa maladie (l’épilepsie) :

« Mais ce qui m’a beaucoup aidé aussi c’est au niveau de mon épilepsie. Déjà avant, j’en parlais vraiment à personne et j’ai compris en fin de compte que c’était important que les gens le sachent et moi c’était comme une honte quoi au départ. Au fur et à mesure, ben je… je me libère sur ça quoi, j’en parle de plus en plus ; j’ai de moins en moins honte de ça. Et oui ça fait du bien quoi (…) Le fait d’en parler, de plus se cacher, ouais ça fait du bien (silence) » (Stéphane - 16).

Quoiqu’il en soit, le vécu de la formation y est décrit comme porteur d’un potentiel de transformation de soi. La mise à distance de ses affects, la prise de recul par rapport à un vécu chargé émotionnellement, l’adoption d’un autre regard sur ses façons de faire, constituent autant d’éléments relatés quant aux changements profonds intervenus dans la façon de se percevoir et de voir le monde :

« …de toute manière quoiqu'il en soit je ne serai pas la même en sortant d'ici. Ben des expériences en fait nous renforcent, nous changent. Parce que tout ce que je vis ici m'apprend quelque chose : déjà être moins naïve, réagir à des situations dont je n'étais pas habituée avant, à garder de la distance aussi parce que je suis quelqu'un qui fait de son mieux mais si j'y arrive pas à avoir des résultats ben je suis facilement touchée. » (Deborah - 27).

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1.2) Le projet de qualification

On dénombre quatre entretiens particulièrement concernés par un projet de qualification. Il s’agit de jeunes qui font état d’un projet professionnel précis et qui tentent de mobiliser la formation E2C pour obtenir une qualification leur permettant d’aller au bout de leur projet, comme c’est le cas pour cette jeune qui souhaite devenir monitrice d’auto-école :

« - qu’est-ce que vous veniez chercher à l’E2C?

- Une aide : m’aider pour euh… parce que moi je veux devenir monitrice d’auto-école. Ça fait des années que j’y pense, enfin depuis que j’ai mon permis (…) mais je pense que ça va être difficile de m’enlever cette idée de la tête, je pense que même si j’y arrive pas cette année, je retenterai l’année prochaine (…) Ouais donc du coup euh j'ai demandé à ce qu'on me prépare à l'écrit. Donc ils sont OK, enfin XXX, la formatrice de français est OK. Et pis le Greta en fait ils font des préparations au concours. Donc du coup on est en train de voir pour que… » (Yacina - 22).

Parfois, les projets de qualification évoluent au cours de la formation, comme c’est le cas pour deux jeunes qui revoient leur projet « à la baisse », en choisissant d’eux-mêmes de viser le niveau de qualification inférieur. Tel est le cas par exemple, d’une stagiaire qui avait pour projet de passer le BPJEPS55 et qui, après quelques semaines, avait finalement choisi de se rabattre sur le CQP56 et le BAFD57 (certifications inférieures au BPJEPS) alors que le premier projet avait été validé par sa formatrice. Plus étonnant encore, les raisons qu’elle avance concernant cette révision de projet relèvent de ses échecs scolaires passés (le Bac où elle avait échoué) :

« Parce que je m’étais dit viser directement le Bac alors que j’ai loupé le mien avant, je me dis c’est peut-être un peu trop rapide, donc euh je préfère repasser par un niveau CAP BEP, et après seulement faire le BPJEPS

- Qu’est-ce qui fait que vous avez voulu repasser par un CQP plutôt qu’un BPJEPS ?

- Euh l’échec de l’année dernière. Parce que j’ai loupé mon BMA58, là je préfère pas refaire la même erreur pour l’instant » (Alissia - 23).

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Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et du Sport

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Certificat de Qualification Professionnelle

57 Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur 58

1.3) Le projet d’adaptation

Le volet professionnel reste une priorité pour une part importante d’entre eux (13 entretiens concernés) et l’optique privilégiée ici consiste à s’adapter aux opportunités d’insertion offertes, en acceptant par exemple d’entrer en formation « préqualification » ou de réaliser des stages dans des domaines qui, loin de constituer une priorité, n’en sont pas moins perçus comme propices au recrutement :

« Là je suis en stage à Cora. Dans… Employé Libre-Service on va dire. Ben c’ne est pas trop mon projet mais ; des grandes surfaces j'aime bien (…) Toutes façons, y a pas le choix faut être motivé pour le faire ; faire les trois semaines bien ; y a les contrats d'engagement qui suivent après juste après ; on n'a pas le choix » (Bernard - 2).

Dans cette perspective, le projet reste secondaire par rapport aux soucis immédiats, centrés sur l’urgence de retrouver un emploi, en étant aux aguets par rapport à toute opportunité d’entrer dans l’entreprise. En outre, le stage est perçu comme le moyen privilégié pour accéder au monde du travail et le projet d’adaptation privilégie l’alternance par rapport aux autres modalités pédagogiques du dispositif.

« ...j’ai une situation familiale difficile où il faut absolument que j’aie un travail personnellement et en même temps quelque chose qui me plait dans lequel je m’épanouis… Or j’adore rendre service j’adore dépanner les gens donc je vais le faire et sinon je trouverais un autre travail même femme de ménage je le ferais jusqu’à temps de trouver un autre travail » (Deborah - 27).

Dans le projet d’adaptation, centré sur le professionnel, les jeunes accordent un intérêt singulier aux informations récoltées sur les orientations possibles. Aussi, tout renseignement collecté sur les possibilités d’insertion apporte des changements de cap quasi immédiats par rapport aux projets privilégiés. L’impact des discours des formateurs sur les possibilités d’emplois en fonction des secteurs est donc déterminant dans leur manière d’appréhender les perspectives d’insertion :

« J’étais venue ici avec mon projet de petite enfance, mais bon comme on m’a dit comme quoi y avait presque plus de places dans n’importe quel secteur donc euh (…)

- Donc vous êtes parti dans la vente, et là ce n’est pas bouché ?

- Oui là y a du travail ; j’étais chez XXX comme quoi ils me prenaient donc… - Donc là vous avez changé de projet, en gros ?

- Mais après je prends ce que l'on me donne et après je vais me réorienter sur autre chose si j'ai besoin» (Nathanaël - 37).

Dans cette même logique, certains évoquent le fait de devoir construire des « projets réalistes », lorsque la priorité consiste à répondre aux exigences de l’entreprise quelle qu’en soit le coût. Il s’agit moins ici de construire un projet professionnel précis que de rester alerte par rapport à tout ce qui peut se présenter, en acceptant sans condition toute offre rémunératrice, y compris si cette dernière consiste en un nouveau dispositif après E2C. Ce type d’engagement est souvent lié à la mobilisation de ressources propres au dispositif (le réseau E2C, les formateurs etc.) :

« …juste reprendre un travail même saisonnier de reprendre un rythme, une vie sociale, me faisait réfléchir si ce n’avait pas été l’E2C ça aurait été autre chose, j’aurais de toute façon fait quelque chose quoi. Ça arrivait je sentais puis oui le déclic il s’est fait ici mais il aurait pu se faire avec n’importe quel travail » (Laurent - 35)

Enfin, au-delà des stages, c’est également la préparation à l’entrée en entreprise qui est ici valorisée. Aussi, les cours priorisés concernent la découverte des codes de l’entreprise afin de s’y adapter de façon la plus adéquat :

« Ben les cours où j'essaie de plus écouter ce sont les cours où on nous apprend un peu les démarches qu'il faut faire, les phrases qu'il faut dire, comment bien se présenter devant un patron ; voilà, les trucs qui peuvent m'aider le plus » (Christopher - 26).

1.4) Le projet conflictuel

Lorsque la présence à E2C ne fait pas sens du fait de désaccords (plus ou moins explicités) sur les activités menées, quelques entretiens (très minoritaires, trois entretiens en tout) font état de comportements conflictuels vis-à-vis des formateurs. Les projets conflictuels apparaissent quand les conditions de travail sont perçues comme inéquitables, ou quand les contenus de formation ne correspondent pas aux attentes.

Certains stagiaires (deux entretiens) se sentent empêchés dans leurs projets lorsque les propositions formulées par les formateurs ne correspondent pas à ce qu’ils attendent de leur insertion future. Par exemple, une stagiaire, recadrée par la formatrice quant à sa trop faible implication, se sent « prise dans l’étau » entre la nécessité de se soumettre aux attendus de l’entreprise et l’obligation de délaisser les projets qu’elle aimerait valoriser :

« (La formatrice) elle m'a perturbé, du coup je ne sais plus ce que je veux faire. Elle m'a dit il n'y a pas de place après. Elle m'a dit en gros qu'est-ce que je faisais ici en gros, mais elle ne l'a pas dit comme ça » (Frédérique - 29).

De même, les employeurs, en stage, peuvent être perçus comme profitant du système en exploitant une main-d’œuvre « bon marché ». En étant tenu à une productivité similaire à des

salariés perçus comme avantagés du fait de leur statut, certains jeunes expriment un sentiment de révolte, d’autant plus quand le projet de l’entreprise ne correspond pas à de réelles aspirations personnelles :

« [En stage] Chez XXX, j’ai été viré. Euh ils sont trop stricts enfin, pour nous euh enfin, pour moi

j’allais assez vite et pour eux non, ils nous ont dit que vu que l’E2C nous payait, on devait travailler comme des salariés. Alors moi j’ai dit que déjà ce n’était pas mon projet, et qu’on ne pouvait pas travailler comme des salariés sachant qu’on n’était déjà pas payés pareil. Que moi c’était la première fois que je faisais de la vente, donc euh je ne pouvais pas faire comme elle quoi. Du coup j’ai été viré au bout d’une semaine » (Frédérique - 29).

Parfois, ce sont les conditions de travail qui poussent certains stagiaires à abandonner leur stage où ils se sentent contraints à adopter une position d’observateur (souvent considérée comme de l’inactivité) :

« [Suite à un abandon de stage] moi je ne suis pas forcément contente du choix qu'on m'impose. (…) Et ici je me suis fait engueuler à mort. J'ai reçu un avertissement euh… et euh ben du coup ben j'ai reçu un avertissement, enfin voilà, mais moi je leur ai dit : j'en ai marre, j'expliquais à mon formateur que je suis parti parce que ça me saoulait… » (Raphaëlle - 15).

Enfin, le mode conflictuel au sein de la formation E2C est parfois assumé au même titre que les chahuts scolaires souvent évoqués dans les parcours. Dans ce cas, le fait d’associer E2C à un environnement scolaire génère ce type de comportement, en discordance avec les attentes :

« Ben moi ici je me lâche je suis avec mes amis alors ici ça ne me sert strictement à rien donc je me lâche on va dire que je fais le bazar quoi mais en dehors de l'école je suis totalement différent. Là ici je suis ouverte des fois je suis l'élément perturbateur mais au boulot je suis toute timide je suis très respectueuse voilà. Oui ici ils ne comprennent pas ; ils croient que je suis pareil au boulot qu'ici. Alors que non vaut mieux pas » (Martine - 36).

1.5) Le projet résigné

Lorsque sa présence à E2C ne fait pas vraiment sens, ou qu’aucune perspective d’amélioration de sa situation ne pointe à l’horizon, les jeunes développent des projets résignés (huit entretiens). En effet, certains ne parviennent pas à y trouver leur place, du fait d’une absence de perspectives perçues dans l’après-E2C, ou de difficultés personnelles qui rendent la formation comme secondaire par rapport à des priorités à gérer (difficultés familiales, judiciaires etc.). Dans ce cadre, venir à E2C est synonyme de faire acte de présence :

« Le stage là en fait, je l'ai pris vite fait quoi, c'était pour dire que j'ai un stage, pour pas rester ici (…). Donc j'ai dit : faut que je trouve un stage, j'ai pris n'importe quoi, pis j'ai eu ça (…) ben, pas trop motivé quoi. Pis j'ai eu des soucis familiaux en même temps donc euh. Je vais pas dire que j'ai pas trop la tête à ça mais… j'écoutais pas en fait, je faisais plus acte de présence quoi, c'est tout » (Xavier - 21).

Ce type d’engagement, lié à l’ennui en cours et au sentiment de ne pas être à sa place, aboutit à terme à l’absentéisme. A l’instar de l’école de la première chance, l’E2C doit également faire face à des jeunes qui « décrochent ». Les projets construits par ces jeunes sortent des cadres institutionnels classiques, comme nous allons le voir au travers de leur engagement dans le monde.

« Je suis pas souvent ici, c’est ça le problème… j’ai manqué presque toutes les semaines de cours. Malheureusement oui ; parce que venir ici, ça va bien cinq minutes (Ichem - 32).

« Comment vous voyez votre investissement ici ?

Moyen, je fais le minimum en fait. Je peux faire plus mais je fais le minimum » (Xavier - 21).