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CHAPITRE 8 : LES MODES D’ENGAGEMENT DANS E2C

2) L’engagement ambivalent

Portant sur la valorisation de l’aspect utilitaire et professionnel de la formation,

l’engagement ambivalent concerne 13 jeunes. L’E2C y est perçu positivement, en tant que le

dispositif constitue, notamment via l’alternance et les cours de remise à niveau, un marchepied vecteur d’insertion. En outre, l’expérience de formation constitue un levier important pour se faire reconnaître comme travailleur capable.

Concernant l’image de soi, si tous ont tendance à se distinguer des échecs passés (à l’école en particulier), seuls 9 d’entre eux se valorisent tandis que 4 autres s’affichent sur un mode plutôt négatif. Ce mode d’engagement est développé chez les jeunes bénéficiant d’un soutien familial moindre et ne possédant pas de diplôme. Parmi ces 13 jeunes, un seul est diplômé (détenteur d’un CAP et père d’un enfant). Les 12 autres ont tous un niveau collège, mais ont connu différents types de parcours :

- 6 d’entre eux ont interrompu un contrat en alternance (2 liés à l’échec au CAP, 3 autres pour abandon),

- 3 jeunes ont connu un parcours dans des filières d’adaptation : SEGPA, PISA, ou DAVA, - 1 jeune a connu des problèmes d’alcoolisme,

- 2 autres ont interrompu leur scolarité au collège.

Deux éléments ressortent de leurs parcours de formation : d’une part, l’importance accordée à l’alternance, liée aux nombreux abandons de contrats d’apprentissage (6 jeunes) et une certaine familiarité avec les dispositifs adaptés à des publics spécifiques. En outre, les « ambivalents » sont majoritairement des hommes (10 hommes pour 3 femmes) et vivent pour 9 d’entre eux chez un parent (parents séparés). Outre le jeune père, on dénombre également une mère d’un jeune enfant, un jeune primo arrivant vivant chez ses parents et un jeune en foyer, aidé dans son parcours par sa sœur ainée. On perçoit ici que l’alternance tient une place importante, tant dans les échecs passés (pour ceux qui ont connu un contrat d’apprentissage) que pour les modalités présentes proposées à E2C autour des stages possibles. En outre, tous évoquent la possibilité d’intégrer un projet de formation en alternance comme une opportunité à forte valeur ajoutée :

« (À propos de l’apprentissage interrompu) Ben en fait j'étais une semaine sur deux en entreprise, du coup j'apprenais un métier, ça me mettait dans… je voulais avoir mon diplôme. Je faisais tout pour. Je voulais faire ce métier, alors je faisais tout. (…) ben en fait en préapprentissage, je faisais pas vraiment le métier, je faisais toujours avec quelqu'un et euh en apprentissage, tout seul j'arrivais pas ; j'avais peur de faire des bêtises, j'étais stressé. Du coup, j'ai arrêté, ça me plaisait plus » (Norbert - 11).

A l’inverse du mode d’engagement d’émancipation, les jeunes priorisent l’indépendance financière (avant le choix du métier) en se montrant disponibles pour tout type de travail. Les projets d’insertion sont majoritairement orientés vers des métiers « non qualifiés », si possible disponibles dans des délais très rapprochés. En clair, ils sont prêts, au moins pour un temps, à accepter n’importe quel emploi rémunérateur. Même s’ils souhaiteraient pouvoir prioriser certains domaines, ils se soumettent à l’idée qu’il faut « être réaliste » et ne viser que les emplois auxquels ils peuvent réellement prétendre :

« Moi j’aimerais bien dans l’infographie mais c’est trop haut pour moi. Enfin, faut les diplômes quoi. Donc je vais essayer de rester réaliste et faut voir quoi. Je vais pas me mettre… enfin je vais quand même me renseigner personnellement et voir comment il faut faire. Les démarches, les diplômes, les formations qui existent ; et en même temps, découvrir d’autres choses quoi. Le plus possible pour moi, voilà quoi » (Khalid - 34).

D’ailleurs, si E2C est perçue positivement, c’est en tant que tremplin pour accéder au monde de l’entreprise, afin d’en découvrir les codes et de tester différents domaines d’intérêt. En cela, les jeunes « ambivalents » (5 entretiens concernés) font référence à un certain travail qu’ils ont réalisé sur leurs propres perceptions du dispositif. En effet, ils énoncent une certaine distanciation d’avec les stigmates colportés par E2C. Le fait de se distinguer de ces stigmates indique, en outre, une tentative de s’afficher soi-même sous un jour favorable :

« Ben au début, quand vous entendez parler les gens, c’est… c’est une école pour les cas soc’, pour ceux qui n’ont rien… mais non, ce n’est pas ça. C’est voilà, c’est pour aider les jeunes. Peut-être qu’on a eu une chance, on l’a pas saisi mais celle-là, faut la saisir. Faut la saisir, faut être motivé » (Jonas - 7).

Reste que les jeunes qui s’inscrivent dans ce type d’engagement se soumettent aux codes attendus, affichent leur motivation, se montrent à la hauteur des tâches demandées, en cours et également en entreprise :

« Je suis venu ici c’était pour vraiment euh trouver on va dire la corde de sortie quoi. Vraiment trouver la stabilité et au final, ben voilà, c’est en se donnant les moyens qu’on y arrive quoi ; parce que moi j’ai eu que des bons retours de stage donc euh.

Du coup, en se donnant les moyens, qu’est-ce que vous avez fait pour y arriver ?

Ben respecter ce que le patron il demandait, euh suivre ses règles, appliquer ce qu’il nous demandait euh tout ça quoi » (Patrick - 13).

La dynamique impulsée est celle du rachat vis-à-vis de ses proches ou de soi-même. C’est le cas, par exemple, d’une jeune ayant quitté le domicile familial à l’âge de 15 ans pour suivre un compagnon qui se droguait. Son retour chez ses parents, qui se poursuit lors de la formation E2C, est associé à une tentative de se racheter, de se situer désormais dans « le droit chemin » :

« Je suis tombée sur des bons parents c’est pour ça ; parce que je les ai déçus une paire de fois quand même mais euh ils sont toujours là » (Laurence - 9).

S’ils assument le choix de rompre avec le passé et de se montrer sous un angle favorable au regard des échecs passés, ils tendent désormais d’infléchir leur trajectoire dans une perspective de rachat. Il s’agit pour eux de se situer en phase avec les attendus (réels ou supposés) de transparence demandés par le dispositif. Tel est le cas, par exemple, de cette jeune qui affirme ne rien vouloir cacher à la formatrice sur son parcours et sa vie privée, afin de répondre à ce qu’elle perçoit de ses attentes :

« Elle m'a dit : c'est ça qui m'a fait envie de vous prendre parce que je savais que vous m'avez rien caché que je savais sur ça que je pouvais vous faire confiance. C'est l'une des raisons qui a fait qu'elle m'a pris. En cas de problème, je peux lui dire la vérité » (Laurence - 9).

Les jeunes « ambivalents » tentent ainsi de répondre aux attendus, quitte à afficher un surplus de motivation ou des comportements qui leur semblent jouer en leur faveur :

« Sur le coup j’ai… je me suis montré plus motivé que j’étais, forcément. Et au début, quand je suis rentré, je me suis dit (pffou), j’étais motivé mais j’espère que ça va me plaire » (Bernard - 2).

Cependant, deux jeunes présentent un profil qui dénote par rapport à cette tendance générale. Le premier, primo arrivant, s’inscrit dans un projet professionnel choisi en tant qu’il vise un métier précis dans le bâtiment. Même si tous les éléments ne sont pas enclenchés pour suivre une formation professionnalisante dans le domaine, c’est ce chemin qui est priorisé. En effet, le fait d’avoir commencé sa formation dans son pays d’origine et de ne pas avoir eu la possibilité d’obtenir le diplôme requis le motive doublement pour aboutir dans ce projet. Ce même jeune laisse poindre un regard critique sur les codes appris à E2C. Alors qu’il se voit encouragé, dans un cours sur l’image de soi, à porter certains habits et parfums, il constate l’inadéquation des codes abordés en cours par rapport à ceux pratiqués dans le métier qu’il priorise :

« Moi dans mon domaine que je devais bosser, moi je suis électricien, je vais pas aller bosser avec la veste tout, de se comporter… mettre des crèmes, des parfums, voilà, ça ces critères tout ça. Eux, ils peuvent faire ça quoi, les gens qui travaillent dans des supermarchés, tout ça voilà. Mais moi en tant qu'électricien ça n'a rien à voir avec. Si je mets ma blouse, si je mets les chaussures de sécurité, voilà… peut-être en soirée avec les potes et tout mais c'est un autre monde… » (Quentin - 14).

Nous constatons également qu’une jeune mère s’est vue contrainte de revenir chez ses parents afin de bénéficier d’une solution de garde pour son enfant tout en suivant la formation E2C. A cette situation qu’elle vit mal, s’ajoutent des temps de bus très longs pour venir en formation (départ le matin à 7h, retour le soir à 19h). Elle met ici en avant sa capacité à faire face à l’adversité, en se distinguant des autres jeunes qui n’ont pas ces problèmes à gérer :

« Oui je prends le bus à 7h le matin et je rentre à 7h le soir. (…) (À propos de son enfant) C’est ma mère qui le garde, parce que la crèche, il y a un an d’attente. La nounou, c’est trop cher » (Tulipe - 17).

Alors qu’une majorité de jeunes valorisent leur engagement présent vers des perspectives plus en accord avec ce qu’ils souhaitent faire et être, 4 jeunes ont tendance à se dévaloriser parmi les 13 jeunes « ambivalents ». Il s’agit d’interviews « pauvres » en contenu. Ces jeunes parlent peu, on sait assez peu de choses sur eux si ce n’est qu’ils ont arrêté leur scolarité au collège pour 3 d’entre eux et que l’un d’eux a connu un parcours SEGPA. Ce qui prime dans ces interviews, ce sont les difficultés passées, mais également présentes, à affronter la nouveauté, à se montrer à la hauteur des attendus dans leur parcours, que ce soit vis-à-vis de leurs proches ou des formateurs. Même s’ils n’y parviennent que partiellement, ils montrent tous une motivation certaine et une envie d’afficher une facette d’eux-mêmes plus positive que ce qu’ils ont connu par le passé

« Là je suis bien quoi, je me suis calmé aussi, parce que j'ai pas le choix pour rentrer dans le monde du travail ici quoi faut être bien. Je sais pas comment dire. En fait, moi, ça m'a… ça faisait : tat tat tat tat tat… toujours. Là ça m'arrive, des fois je sais que être enfermé trop souvent, je vais être agressif, quoi pas agressif, insultant. Dire des mots voilà quoi. Je vais avoir des coups de speed (…). Là j'essaye de prendre sur moi parce que voilà, la formation c'est pour le travail après, c'est pour nous aider aussi quoi » (Bruno - 25).

Il s’agit, pour ces jeunes, de s’engager dans une quête de reconnaissance qui, si elle échoue, risque de les conduire à une dynamique autodestructrice, comme c’est le cas pour l’engagement dépréciatif.