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CHAPITRE 8 : LES MODES D’ENGAGEMENT DANS E2C

3) L’engagement dépréciatif

Les jeunes dont la présence à E2C ne fait pas sens et pour lesquels la formation semble n’offrir aucune perspective d’amélioration, s’inscrivent dans un engagement dépréciatif (9 jeunes). En outre, deux sous-groupes peuvent être distingués dans ce mode d’engagement : d’une part, les jeunes qui s’engagent à E2C en étant liés à leur institution de rattachement par un contrat (engagement contraint - 3 entretiens)), et d’autre part, les jeunes qui développent une image de soi négative et un sentiment de résignation dans la mesure où aucun projet réel ne semble pouvoir émerger (engagement apathique – 6 entretiens).

3.1) Engagement contraint

Les 3 jeunes dont la présence à E2C conditionne le bénéfice d’une liberté conditionnelle (un jeune en mandat judiciaire) et de prestations de logement (2 jeunes en contrat avec un FJT) développent un engagement contraint. Ici, l’inscription à E2C est liée à l’obtention d’une contrepartie (ou tout au moins sa non-suppression) comme le moyen de conserver son logement :

« C’est déjà grâce à la formation qu’à cette heure-ci je suis relogé. Parce que si j’aurais pas eu la formation, je serais encore à la rue. D’ailleurs si je perds la formation, je me retrouve directement en dehors » (Ichem - 32).

Aucun d’eux n’est diplômé, deux d’entre eux ont échoué dans une formation CAP du fait de difficultés familiales. Il y a parmi eux une femme (en FJT) et deux hommes. Ils se désintéressent globalement de l’offre de formation, tout en valorisant les activités qu’ils mènent en dehors. Les deux jeunes en FJT font part de l’ingéniosité dont ils doivent faire preuve pour s’en sortir, se protéger de la violence d’autrui et survivre. Tel est le cas de cette jeune qui dit s’être évadée de sa famille dans les livres pour se protéger de sa mère alcoolique et violente avec ses enfants :

« …parce que je m'étais enfuie dans mes bouquins, j'avais une sorte d'évasion à ma famille. Et… je me suis évadée de ma famille dans mes bouquins… Hum… je m'évadais de ma maman, tout le monde, donc euh ben on va dire c'était une évasion quoi, j'ai pris une chose pour oublier l'autre. Donc moi je passais mes journées isolée dans ma chambre à lire mes bouquins, à lire des cours, à lire les livres d'école. Je lisais tout et n'importe quoi. La lecture, c'était… quand j'étais chez ma mère, pour moi c'était mon évasion, c'était euh… voilà quoi. C'est… je sais pas c'est… de me concentrer dans la lecture, ça m'empêchait de penser à ma mère qui était derrière la porte en train de boire sa bière quoi. C'était pour éviter… vu que pour la lecture, ça demande beaucoup de concentration, ben je m'étais enfuie là-dedans pour euh comme ça, je serais sûre de penser à autre chose qu'au problème familial » (Raphaëlle - 15).

Ces jeunes ont tendance à valoriser leurs capacités en dehors d’E2C et à se projeter dans des environnements tout à fait éloignés de la formation (travail et réseaux parallèles, parfois illégaux). Dès lors, ils se focalisent sur le monde du travail en se distinguant de l’environnement E2C en tant qu’espace protégé.

« J’ai fait ben des chantiers au black, comme ça par ci par là, maçonnerie, plomberie, isolation, placo. J’ai fait électricité, j’ai fait un petit peu de tout » (Ichem - 32).

Chez ces trois jeunes, ne s’exprime aucune critique frontale du dispositif E2C. Les discours restent vagues, n’évoquant jamais directement les formateurs. Leur comportement en cours est également peu abordé, en ce sens que ce qui se passe entre les murs du centre de formation ne semble pas les concerner au premier chef. L’un d’eux se distingue des autres jeunes, en développant à l’égard de ses pairs un regard stigmatisant, ce qui traduit une fois encore un besoin de s’extraire de cet environnement perçu comme dégradant :

« Y a souvent où je reste chez moi, où je préfère encore rester chez moi à bouquiner que de venir me faire chier avec les autres. Pour voir des abrutis et des gamins. Enfin voilà » (Ichem - 32).

Le jeune en mandat judiciaire se situe également dans une optique où la formation en tant qu’école ne s’adresse pas réellement à des personnes possédant son expérience. Néanmoins, il s’applique à ne pas faire de vagues, à s’afficher dans les attendus de l’école, pour pouvoir continuer à bénéficier d’une liberté conditionnelle :

« Ben je n’ai pas le choix, ce n’est pas la question qu’il faut que je m’adapte, je n’ai pas le choix je suis obligé de venir ici parce que si je ne viens pas ici c’est direction case prison. J’essaie de faire en sorte de me concentrer tout ça, ça me permet de sortir de prendre l’air de rencontrer des gens. En fait tant que je ne suis pas pris (ndlr : recruté dans une entreprise) je suis obligé de continuer les cours et de rester à l’E2C » (Éric - 28).

3.2) Engagement apathique

Les jeunes qui s’inscrivent dans un engagement apathique (6 entretiens) cumulent nombre de difficultés qui rendent leur investissement dans la formation E2C problématique voire impossible. On retrouve ici des comportements que l’on pourrait qualifier de « décrochage » présentiel (ennui en cours) ou lié à un absentéisme récurent (problèmes d’assiduité). Toute injonction reçue, liée au fait d’être à l’heure, de devoir fournir un travail tangible, peut être sujette à des réactions perçues comme inappropriées par l’entreprise ou les formateurs d’E2C, et générer des sentiments de révolte ou de résignation :

« Et ben là faut que je trouve un stage pour lundi. C'était employé libre-service, mais je me suis pris la tête avec le patron parce que j'étais absent le matin pis il a commencé à lever le ton pis ça m'a pas plu » (Xavier - 21).

Ici, les difficultés à faire face dans son parcours déteignent sur l’engagement en formation, les jeunes se dévalorisent systématiquement alors qu’ils perçoivent majoritairement E2C comme une aide (exceptés deux entretiens qui insistent sur les manques d’accompagnement et l’aspect injonctif du dispositif). Le fait de se montrer sous un jour défavorable tout en valorisant le dispositif marque une incapacité, chez ces jeunes, à répondre aux attendus d’E2C. Malgré toute la bonne volonté qu’ils affichent, ils font l’expérience, à E2C, d’un nouvel échec. Aussi, la projection dans l’avenir peut être source d’angoisse dans la mesure où même l’accès au travail « déqualifié » et aux stages semble bouché. Cette stagiaire qui évoque les différents refus d’embauches comme autant de « défaites » lui laissent un goût amer du monde du travail, qu’elle perçoit comme inatteignable :

« Plus tard, j’aurai aucun diplôme pour autre chose et je vais me retrouver dans la merde (…) Donc ça fait trois ans que je cherche un apprentissage et que je trouve pas donc euh… je reste que sur des défaites quoi (…). J’ai toujours eu des… des « non », des « non », des « non », des «non » pendant trois ans donc euh… c’est sûr qu’après on s’en lasse quoi, on en a marre » (Raphaëlle - 15).

Il est à noter que, dans ce groupe mixte (3 hommes, 3 femmes), tous les jeunes sont de niveau collège (arrêt des études en 4è ou 3è). En outre, un jeune vit chez ses deux parents mais dans un contexte difficile (il a connu des problèmes judiciaires). 3 jeunes vivent chez un parent (séparé), une femme vit seule et une autre jeune, mère d’un enfant, est retournée vivre chez ses parents à la naissance de son fils. La faible densité de discours collecté dans ces 6 entretiens signale, en plus d’une résistance passive difficile à évaluer, des difficultés de restitution orale, du « rendre compte » de son parcours et de son positionnement dans le jeu social. Tel est le cas, par exemple, de cette jeune exprimant le fait d’avoir livré tous ses savoirs sur son expérience d’E2C, comme si ces derniers constituaient une jauge limitée :

« Je sais pas quoi dire de plus… C'est tout ce que je peux vous dire sur l'E2C. Ouais y a rien de plus que je sais » (Véronique - 19).

Parmi eux, un jeune « inclassable » figure parmi les « apathiques ». Bien qu’il affiche tous les ingrédients d’un engagement émancipé dans la formation, les possibilités de choix qu’il évoque au travers d’E2C apparaissent comme quasi nulles. Aussi, ce qu’il valorise de lui-même ou du dispositif semble dissimuler, en réalité, un profond sentiment de résignation, lié à une absence de perspectives :

« Après il y a un… comme j'en ai parlé à ma référente, donc XXX, j'ai une peur, c'est d'arriver en fin de parcours et… rien quoi !! C'est ça et je veux pas échouer, je veux pas, parce qu'elle m'a dit : mais oui, mais on peut prolonger, on peut reprendre un nouveau parcours. Mais euh pfou c'est pas que je suis pas bien ici (rires), c'est pas que je suis pas bien c'est que maintenant il faut que je sois en formation, il faut que je rentre dans quelque chose parce que là… voilà quoi. Donc, pour l' instant le projet n'est pas validé, donc euh, on est un peu bloqués… » (Dorian - 4).