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2 L’AUTONOMIE DES SUCCURSALES PAR RAPPORT À LA MAISON MÈRE

LES SUCCURSALES SOURCES D’ATTRIBUTION DE COMPÉTENCE

2 L’AUTONOMIE DES SUCCURSALES PAR RAPPORT À LA MAISON MÈRE

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La seconde condition pour pouvoir attraire une société au lieu de situation de sa succursale est que cette dernière soit autonome de sa maison mère. Le gérant de la succursale doit pouvoir prendre seul des décisions qui engagent la maison mère. La jurisprudence de droit commun (A) et en droit de l’Union européenne (B) a essayé d’éclaircir ces éléments. Toutefois, malgré ces éclaircissements, certaines interrogations restent encore posées.

A. En droit commun

139. Une autonomie certes, mais relative. La succursale doit jouir

d’une autonomie relative par rapport à la maison mère, elle ne doit pas être qu’un simple intermédiaire entre le client et sa mère. C'est ainsi que l'agence d'une société d'assurance qui n'a aucune autonomie, dont les contrats portent la mention « Fait à Paris », dont la correspondance émane du siège parisien, ne constitue pas un établissement attributif de compétence au sens de l’art. 43 du Code de procédure civile339. C’est la prise d’initiative par le responsable d’une succursale qui fait de lui un gérant.

140. Un gérant autonome dans ses activités. La direction de

l'établissement par un préposé ayant pouvoir d'engager la société constitue aujourd'hui la condition essentielle et indiscutée de l'existence d'une succursale340.

À cet égard, la notion de gare principale ne fait pas exception à la règle et la présence à la tête de l'établissement d'un agent ayant le pouvoir de traiter avec les tiers au nom de la société. Elle apparaît même comme la condition déterminante de l'existence d'une succursale ou d'une gare principale attributive de

339 T.I Lyon, 24 avr.1975, JCP G 1975, IV, p.266, obs. J.-M. Agron.

340 C.A Besançon 25 janv. 1928, Gaz. Pal. 1928, I, Jsp. p. 546 ; C.A Amiens, 30 mai 196, D. 1962,

somm. p. 7 ; Cass. soc. 18 oct. 1967, JCP G. 1967, IV, p. 165 ; T. com. Lille, 29 mars, 1971, RTD

com. 1971, n° 4, p. 980.

Cass. com., 21 mars 1995, Bull. civ. IV, n°93 ; Bull. Joly 1995, p.509, § 177, note A. Couret; JCP

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compétence341. Ainsi, ne répond pas au concept d'établissement attributif de

compétence celui à la tête duquel le directeur n'a aucune responsabilité, ni dans le domaine de la gestion du personnel, ni dans celui de la gestion financière et commerciale, et remplit de ce fait simplement une tâche d'exécutant intermédiaire342. Quel sera l’étendue des pouvoirs nécessaires aux gérants pour qu’il puisse y avoir une succursale ? Selon une conception extensive, ce pouvoir équivaut au pouvoir de conclure un contrat quel qu’il soit avec un tiers : un établissement secondaire serait une succursale dès lors qu’il peut contracter avec un tiers, même si les conditions du contrat, et notamment le montant du prix, sont fixés impérativement par la maison mère. D’après la conception extensive, le pouvoir de traiter avec des tiers implique le pouvoir de conclure un contrat avec une certaine liberté de décision : un établissement secondaire ne serait une succursale que si son animateur dispose d’un pouvoir suffisant de décision, notamment en ce qui concerne la fixation du prix et des modalités d’exécution du contrat. Le gérant de la succursale doit pouvoir engager la maison mère pour les affaires importantes. Toutefois, engager la société ne signifie pas l’accomplissement d’actes en quelque sorte purement mécaniques, dont les conditions sont définies à l’avance par la société. Il faut quand même que le gérant ait la capacité d’en conclure quelques uns. À l’inverse, le gérant d’une succursale peut avoir le pouvoir d’engager la société sans avoir celui de conclure certains contrats, réservés, en raison de leur importance, à la direction générale. Ainsi, dans le domaine bancaire, le directeur d’agence peut être amené à solliciter l’accord de la direction pour certaines opérations. L’obligation d’obtenir l’autorisation ne concerne que les rapports internes de la banque sans remettre en cause le pouvoir de représentation du directeur d’agence à l’égard des clients343. Ainsi il a été décidé qu’une société dont le siège est à Paris mais qui possède à Oran « une succursale importante ayant à sa tête un agent qui pouvait utilement

la représenter », peut être assignée devant le tribunal d’Oran, lieu où elle est

341 Cass. 2e civ. 20 oct. 1965, Bull. civ., II, n°762 ; D.1966, p.193 ; Gaz. Pal. 1966, 1, p.44 ; JCP G, 1965, IV, p.146, Rejet du pourvoi formé contre CA Bordeaux, 2 juillet 1963, Gaz. Pal. 1964, 1,

p.26 ; TI Lyon précité ; CA Paris, 5e ch. sect. B, 28 juin 1996, JurisData n°022099.

342 Cass. soc. 18 oct. 1967 RCDIP 1968, p. 490. Cass. soc. 10 fév.1971, Bull. civ. V, n° 99 ; Cass.

12 fév. 1971, Bull. civ,. IV n°112 ; Tb Lyon 24 avril 1975, JCP G 1975, IV, 266 ; TGI Chartes 20 janv. 1983, Banque 1983, 1203 ; Cass. com. 12 janv.1988, RTD com. 1988, 474 ; CA Paris, 1ère

ch., sect. D, 31 mars 1999, Juris-Data n° 023597.

343 Cass. Com., 12 janv. 1988, Bull. civ. IV, n°13, Juris-Data n°000741, RTD com. 1988, p.474,

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établie, par son créancier, la Banque nationale d’Algérie344. Il s’agissait en

l’espèce d’une société Schenk qui a été obligée de transférer son siège en France par suite de l’accession à l’indépendance de l’Algérie. Elle avait conservé à Oran une succursale. L’un de ses créanciers, la Banque d’Algérie, demandait en France l’exequatur d’une décision de la Cour d’Oran. La société française, qui avait renoncé tacitement au privilège de juridiction de l’article 15 du Code civil, contestait la compétence du juge étranger au motif qu’elle n’avait en Algérie qu’une simple succursale sans personnalité morale distincte de celle de la société qui avait un siège en France et que le juge français avait exclusivement compétence à raison de la fixation du siège en France. La Cour de cassation constate que la Cour d’appel, après avoir relevé que la société Schenk avait à Oran une succursale importante géré par un agent qui représentait la maison mère, avait déduit à bon droit que la société avait été valablement assignée devant le tribunal d’Oran.

B. En droit de l’Union européenne

141. L’arrêt Somafer345. C’est à l’occasion de l’arrêt Somafer que la

CJCE donne une définition complète de la notion de succursale. L’affaire portait sur une relation juridique franco-allemande. Le Land de Sarre avait demandé à une entreprise française de démolition, la société Somafer d’Uckange, de dynamiter un bunker. Avant l’opération, une société allemande de distribution de gaz, l’entreprise Ferngas, avait pris, en accord avec un employé de la société Somafer, des mesures de protection des conduites dont elle réclamait le remboursement. L’entreprise Ferngas avait porté l’action en Allemagne devant le Landgericht de Sarrebruck sur la base des articles 5-1 et 5-5 de la convention de Bruxelles. En appel, l’Oberlandesgericht de Sarrebruck a interrogé la Cour de justice des Communautés européennes sur le point de savoir si la notion de succursale devait s’interpréter selon le droit national des États concernés ou de façon autonome. Et comment définir ces notions, notamment pour la conclusion d’affaires, et quant à l’importance de l’installation matérielle.

344 Cass. Civ. 15 nov. 1983, Bull. civ., I, n° 269; RCDIP 1985, p. 100, note H. Battifol; V.

notamment Y. LOUSSOUARN, J.-Cl. International, Fasc. 570-50, Conflits de jurisdictions en droit des sociétés, n° 58.

345 CJCE 22 nov. 1978, aff. 33/78, Somafer c/ Saar-Ferngas: Rec. CJCE 197, p. 2183; JDI 1979, p.

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142. Une décentralisation de la maison mère. C’est le second élément

qui caractérise la succursale. Tout en étant dépendante de la maison mère, la succursale doit constituer un prolongement décentralisé de celle-ci346. La CJCE a estimé nécessaire à l’occasion de l’arrêt Somafer de donner une définition autonome. D’après la Cour, la succursale serait « un centre d'opérations qui se

manifeste d’une façon durable vers l'extérieur comme le prolongement d'une maison mère et qui est pourvu d'une direction et d'un équipement lui permettant de négocier des affaires avec les tiers de façon à ce que ceux-ci, tout en sachant qu'un lien de droit éventuel s'établira avec la maison mère dont le siège est situé dans un État contractant sont dispensés de s’adresser directement à celle-ci. »347.

La définition est essentiellement centrée sur les caractères d’autonomie et de permanence de la succursale348. Pour être qualifié de succursale, un établissement

doit être matériellement distinct et son activité dirigée vers l’extérieur. Autrement dit, la succursale, l’agence ou tout autre établissement secondaire sont des entités susceptibles d'être l'interlocuteur principal, voire exclusif, de tiers dans la négociation des contrats. La succursale doit être autonome par rapport à la maison mère, parce que celle-ci entend réaliser, par son intermédiaire, une décentralisation349. Comme en droit commun, la CJCE a exigé que la succursale

en tant que centre d’opérations soit pourvue d’une « direction capable de négocier des affaires avec les tiers »350. Le dirigeant ne peut se contenter d’être un simple intermédiaire. Cependant, la CJCE n’a pas précisé l’étendue des pouvoirs du gérant nécessaires pour pouvoir être en présence d’une succursale. La conception restrictive exigeant une liberté pour le gérant dans ses prises de décisions semble avoir la préférence de la CJCE. Elle déclare que la succursale doit pouvoir « négocier des affaires avec des tiers », ce qui suppose qu’elle est en droit de les discuter elle-même avec la clientèle351. C’est la prise d’initiative par le gérant qui

346 H. GAUDEMET-TALLON, op. cit. n° 230. 347 Arrêt Somafer, op. cit.

348 J.-P. BERAUDO et M.-J. BERAUDO, J.-Cl. International, Fasc. 631-40, Convention de

Bruxelles du 27 septembre 1968, Convention de Lugano du 16 septembre 1988, Règlement (CE) n° 44/2001du Conseil du 22 décembre 2000, Règles ordinaires de compétence - Matières autres que les obligations contractuelles, spéc. n° 53.

349 A. HUET, note préc. p.678. 350 Arrêt Somafer, op. cit. 351 A. HUET, note préc. p. 680.

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permet de qualifier l’entité de succursale. Dans le cas contraire il ne peut s’agir que d’un simple bureau sans aucune autonomie.

143. L’apparence. Les juges doivent être certains de l’existence d’une

succursale. Ils ne peuvent statuer sur une simple apparence, c’est-à-dire à partir d’actes extérieurs de nature à faire croire à l’existence d’une succursale. Comme l’a relevé A. HUET, « abandonner la définition de la succursale à la croyance

des tiers rendrait particulièrement incertaine la qualification de nombreux établissements secondaires »352. La Cour de justice a refusé dans l’arrêt Somafer

qu’une simple apparence puisse fonder une compétence judiciaire. C’est une bonne décision dans la mesure où si l’apparence était admise, le chef de compétence optionnelle de l’article 5-5 deviendrait trop incertain353. Il fluctuerait

au gré de la sensibilité des juges face à des éléments parfois inattendus. Il appartient alors au demandeur d’établir que l’établissement à propos duquel il introduit une action fondée sur ce texte comporte les caractères que la Cour de justice des Communautés européennes attache aux succursales.

144. Une affaire confuse : l’arrêt Schotte354. La définition donnée dans

l’arrêt Somafer à la succursale ne peut être appliquée à une personne juridique indépendante. Pourtant, la CJCE a décidé le contraire dans un arrêt Schotte qui a été vivement critiqué. La société Parfums Rothschild (« Rothschild France »), dont le siège était en France avait passé commande auprès d’un fournisseur allemand, la société Schotte GmbH, d’une marchandise. Celle-ci devait être livrée en France et les factures adressées à Rothschild France. Les négociations en Allemagne ont été menées par Rothschild GmbH, établie à Düsseldorf, et dont Rothschild France est la filiale à 100%. De même c’est Rothschild GmbH qui avait correspondu avec Schotte après les livraisons. En raison de malfaçons invoquées, six factures étaient restées impayées. Schotte assigne devant le Landgericht Düsseldorf, Rothschild GmbH en paiement. Cette dernière fait valoir qu’elle n’était pas débitrice des factures qui ne concernent que Rothschild France. Schotte modifie en conséquence sa demande initiale et assigne Rothschild

352 Ibid. p. 680.

353 J.-P. BERAUDO et M.-J. BERAUDO, J.-Cl. Europe, op. cit. n° 55.

354 CJCE 9 déc. 1987, aff. 218/86, Sté SAR Schotte GmbH c/ Sté parfums Rothchild SARL, Rec.

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France, toujours devant le Landgericht Düsseldorf en justifiant la compétence de ce dernier par le fait que Rothschild GmbH devait être considérée comme un « établissement de Rothschild France au sens de l’article 5-5 de la Convention ». Le Landgericht se déclare incompétent, estimant que les conditions de cet article n’étaient pas remplies, mais, sur appel, l’Oberlandesgericht éprouve quelques doutes sur ce point la Cour de justice laquelle a dit pour droit « l’article 5-5 de la

Convention du 27 septembre 1968, doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à un cas où une personne morale établie dans un Etat contractant tout en n’exploitant pas une succursale (…) dépourvu d’autonomie dans un autre Etat contractant, y exerce néanmoins ses activités au moyen d’une société indépendante portant le même nom et ayant la même direction, qui agit et conclu des affaires en son nom et dont elle sert comme d’un prolongement ». La CJCE

s’est contredite elle-même. Par cette décision elle donne une interprétation extensive à l’article 5-5 de la Convention. Elle avait pourtant déjà déclaré expressément dans l’arrêt Somafer que « compte tenu de la circonstance qu’une

multiplication des chefs de compétence pour un même litige n’est pas de nature à favoriser la sécurité juridique et l’efficacité de la protection juridictionnelle sur l’ensemble des territoires formant la Communauté, il est conforme à l’objectif de la Convention d’éviter une interprétation extensive et multiforme des exceptions à la règle générale de compétence énoncée à l’article 2 ». La Cour de justice

laissait penser qu’ « une maison mère établie dans un État contractant peut être

considérée comme la succursale de sa propre filiale établie dans un autre État contractant »355. La Cour de justice n’a pas vérifié, si l’affaire répond à tous les

critères exigés par elle dans l’arrêt Somafer, notamment si Rothschild GmbH constituait « un centre d’affaire » se manifestant d’ « une façon durable vers

l’extérieur comme le prolongement ». Pas plus ne s’est-elle expliquée sur la notion

d’exploitation. Elle s’est contentée de constater que, pour l’affaire en cause, Rothschild GmbH aurait agi comme un prolongement de Rothschild France. Il en résulte que contrairement à la succursale, le « prolongement » pourra ne concerner qu’une opération isolée et que l’article 5-5 sera susceptible de s’appliquer à un acte de représentation occasionnelle356. La Cour de justice s’est fondée

355 G. DROZ, note préc. p. 739. V. notamment J.-P. BERAUDO et M.-J. BERAUDO, J. Cl. Europe, op. cit.

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principalement sur la théorie de l’apparence. Une théorie qu’elle avait refusée dans l’arrêt Somafer357. Or, l’usage de cette théorie subvertit la règle de compétence ordinaire de l’article 2 à laquelle la Cour se dit pourtant attachée358.

La Cour de justice s’est laissée enfermée dans des contradictions qui auraient pu être évitées en affirmant clairement que l’article 5-5 de la Convention ne s’applique pas à un établissement possédant la personnalité juridique.

145. Une nécessaire clarification. Les définitions et les critères donnés

par les jurisprudences de droit commun et de l’Union européenne, quoique déjà importantes, ne résolvent pas tous les problèmes que soulève la notion de succursale. Les juges ne sont pas allés au terme de leur raisonnement. Certaines questions méritent des réponses. Quel sera par exemple le degré exigé d'autonomie d’une entité pour être qualifiée de succursale ? Suffit-il que la direction de celle-ci puisse passer des contrats, même si la maison mère en détermine strictement le contenu, ou faut-il que la direction jouisse d'un véritable pouvoir de décision ? D’après certains auteurs, le directeur de la succursale doit être autonome ; c’est ce qui ressort des termes « négocier des affaires avec les

tiers » utilisés dans l’arrêt Somafer, ou des termes « les tiers qui font leurs affaires avec... » utilisés par l’arrêt Schotte du359, en plus des précisions données par la

Commission dans ses observations dans l’affaire Somafer « sur le plan de

l’autonomie de gestion : que le directeur...soit autorisé à conclure de façon autonome des affaires sous la direction et le contrôle de la maison mère, de sorte qu’il puisse engager la maison mère pour des affaires importantes sans devoir consulter chaque fois celle-ci ; et sur le plan de la permanence : que les activités commerciales de la succursale ne soient pas provisoires »360.

357 V. supra, note n° 278.

358 J.-P. BÉRAUDO et M.-J. BÉRAUDO, J.-Cl. Europe, Fasc. 3022, Convention de Bruxelles du

27 septembre 1968, Convention de Lugano du 16 septembre 1988, Règlement CE n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000. –Règles ordinaires de compétence. – Matières autres que les obligations contractuelles, spéc. n°58.

359 H. GAUDEMET-TALLON, préc. p. 187. 360 Rec. 1978, 2188.

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SECTION 2 :

LE LIEN ENTRE LE LITIGE ET L’EXPLOITATION DES