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LES CONDITIONS D’EXERCICE DES DIRIGEANTS DE SUCCURSALES DE NATIONALITÉ ÉTRANGÈRE

43. Une réglementation qui s’est libéralisée avec le temps. Le gérant d’une succursale de nationalité étrangère ne peut être traité sur le même pied d’égalité qu’un gérant de nationalité française. La protection des activités commerciales françaises suppose un contrôle des personnes étrangères exerçant ce type d’activité sur le sol français124. La réglementation de l’entrée et du séjour des dirigeants étrangers a connu un début hostile vis-à-vis de ces derniers, surtout dans les périodes de crise (§1). Une telle situation ne pouvait cependant durer car la limitation d’accès au marché français peut constituer une menace sur l’attractivité de la France. Une libéralisation de la réglementation était donc nécessaire (§2). Certains secteurs, en revanche, en raison de leur dangerosité continuent de faire l’objet d’une réglementation très stricte (§3).

§1 - UN DÉBUT HOSTILE AUX DIRIGEANTS ÉTRANGERS

44. La carte de commerçant étranger. Jusqu’à une période récente, il était nécessaire de produire à l’appui d’une demande d’immatriculation d’une succursale en France une carte de commerçant étranger, cette exigence s’imposant à toutes les personnes habilitées à agir au nom de la société dans le cadre de sa succursale et n’étant ni ressortissantes de l’Union européenne, de l’Espace économique européen, ni titulaire d’une carte de résident125. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de le rappeler dans un certain nombre de ses décisions : « qu’aux

termes de l’article 1er du décret du 12 novembre 1938126, relatif à la carte

d’identité de commerçant pour les étrangers, il est interdit à tout étranger

124 V. notamment, P. LEBOUCHÉ, « Dirigeants étrangers de sociétés : quelles règles respecter

pour exercer ? », Bull. Joly Stés 1999, chron. n° 11 ; R. BESNARD-GOUDET, J.-Cl. Sociétés, Fasc. 165-40, Groupes de sociétés, -Dirigeants – Statuts Conventions réglementées, n° 13 et s.

125 A. BEJINARIU et I. POLNE, « Les nouvelles règles en matière de carte de d’identité de commerçant

étranger », Bull. Joly Sociétés, 1998, p. 1138.

126 Modifié par la loi du 8 octobre 1940 et l’ordonnance n° 69-815 du 28 août 1969, dont les

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d’exercer sur le territoire français une profession commerciale, industrielle ou artisanale sans justifier de la possession d’une carte d’identité spéciale portant la mention commerçant, délivrée par le préfet du département où l’étranger doit exercer son activité »127.

Cette exigence ne pouvait être éludée que si l’entreprise étrangère faisait appel à des dirigeants de nationalité française pour ses activités en France. Cette solution n’était cependant pas sans risque car la Cour de cassation considère qu’un dirigeant de fait est astreint à la possession de la carte professionnelle comme le dirigeant de droit128.

45. Les effets de la crise. Avant les années 1930, le marché français était ouvert à tous les étrangers. Le Code de commerce ne prévoyait aucune limitation au droit pour les étrangers d’exercer une profession commerciale et industrielle en France. Les effets de la crise économique de 1930 et l’activité de la concurrence étrangère ont conduit le législateur à restreindre ce régime libéral. Ainsi, le décret-loi du 17 juin 1938 et le décret-loi du 12 novembre 1938 instaurèrent des mesures sévères à l’effet de diminuer la concurrence faite par les étrangers aux commerçants français, et de lutter contre d’éventuelles pratiques en marge de l’honorabilité commerciale. De plus, l’article 2 de l’ordonnance n° 45- 2658 du 2 novembre 1945 sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France prévoyait que des décrets pourraient soumettre à autorisation l’exercice, par les citoyens, de telle ou telle activité professionnelle. Un décret du 28 janvier 1998 a maintenu le régime de la carte de commerçant étranger. Son article 4 dispose « Toutes les personnes physiques qui souhaitent exercer le commerce à

titre personnel sont soumises à la carte de commerçant, y compris dans l’hypothèse où une personne physique a le pouvoir d’engager une personne morale de droit étranger au titre d’un établissement, d’une succursale ou d’une représentation commerciale implantée en France ». En reprenant les mêmes

catégories que la réglementation antérieure, le décret de 1998 s’expose aux

127 CE 10 juillet 1987, Recueil Lebon, n° 67.315.

128 Cass. Crim. 2 juillet 1958, D.1959, S, p.31 ; pour plus de détails v. J. STOUFFLET,

Succursales et filiales de sociétés étrangères, in Festchrift für Hermann JARRHEIß, zum 80. Geburtstag, 19 August 1974, Herausgeben vom Institut für Völkerrecht und ausländisches

öffentliches Recht der Universität zü Koln, Carl Heymanns Verlag KG – Köln – Berlin – Bonn –

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mêmes critiques. Il manque de logique car il impose la détention d’une carte de commerçant à des personnes qui, en droit français, n’ont pas cette qualité. D’après M.-L. MORANCAIS-DEMEESTER « il faut voir là la volonté des pouvoirs

publics de protéger les commerçants français par un contrôle individuel des éléments étrangers désirant exercer en France une activité commerciale, industrielle ou artisanale sans se préoccuper toujours de la qualité juridique du commerçant ni du lieu de situation de l’entreprise qui peut être à l’étranger »129.

Cependant, depuis l’institution de la Communauté Économique Européenne, la plupart des restrictions ainsi imposées aux étrangers pour l’exercice du commerce en France, ont été progressivement levées, d’abord, pour les ressortissants des Etats membres de l’Union, puis pour ceux relevant d’Etats associés à l’Union.

§2 - UN AIR DE LIBERALISATION

46. La déclaration à la préfecture. La loi n° 2006-911du 24 juillet 2006 (JO du 25 juillet 2006) relative à l’immigration et à l’intégration a modifié les dispositions du Code de commerce relatives aux commerçants étrangers. A compter de l’entrée en vigueur de cette loi et de son décret d’application, les étrangers qui exercent en France une activité industrielle commerciale ou artisanale dans des conditions rendant nécessaires leur inscription au registre de commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers doivent en faire la déclaration au préfet du département dans lequel ils envisagent d’exercer pour la première fois leur activité dans des conditions définies par décret. Les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats parties à l’accord sur l’espace économique européen ou de la confédération suisse sont dispensés de cette obligation de déclaration130. L’exemption prévue par

l’ordonnance n° 2004-279 du 25 mars 2004 au bénéfice des Etats membres de l’OCDE131 n’étant pas reprise par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, les

intéressés seront soumis à déclaration.

129 Thèse précitée p.43. V. aussi N. GUIMEZANES, J.-Cl. civil Fasc. 18 Conditions des étrangers

en France.

130 Art. L. 122-1 du Code de commerce tel que modifié par la loi du 24 juillet 2006. 131 Australie, Canada, Etats-Unis, Japon, Mexique, Nouvelle Zélande et Turquie.

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47. Les mérites et les inconvénients de la loi de 2006. Cette loi a été une grande avancée par rapport à celle de 2004132. Cependant, la crainte était grande que la cette loi ait le même sort que la celle de 2004 faute de décret d’application. Cette crainte fut dissipée le 26 juillet 2007, date d’adoption du décret d’application n° 2007-1141. Il concerne les conditions de déclaration pour les étrangers non résidents exerçant une activité commerciale, industrielle ou artisanale. Le décret a inséré les articles D. 122-1 à D. 122- 4 au Code de commerce. Ainsi, en cas d’exercice d’une activité par voie de succursale, l’article D. 122-1, II al. 6 du Code de commerce dispose que la déclaration préalable peut être effectuée par la personne physique ayant le pouvoir d’engager une personne morale de droit étranger au titre de ladite succursale133.

Il est à signaler cependant que la loi du 24 juillet 2006, et sans minimiser ses intérêts134, reste handicapante pour certains investisseurs. Pour un étranger

résidant hors de France, la déclaration doit être accompagnée d’un extrait judiciaire ou d’un équivalent dans le pays d’origine. Ceci relève d’un parcours du combattant pour un investisseur d’un pays comme les Etats-Unis où il faut faire prendre les empreintes digitales par le sheriff puis transmettre le dossier au FBI qui délivre le document demandé dans un délai de 16 à 18 semaines135. Il serait

souhaitable que le législateur prenne en compte ces éléments qui peuvent avoir des conséquences sur l’attractivité de l’investissement en France, en prévoyant des mesures particulières d’assouplissement pour les pays concernés par voie d’accords ou de conventions.

Il faut signaler enfin qu’en cas de non respect des dispositions de déclaration contenues dans l’article L. 122-1 et du décret d’application, la sanction est l’emprisonnement de six mois et une amende de 3750 euros. En cas de récidive, les peines sont portées au double. Le tribunal peut, en outre, ordonner la fermeture de l’établissement. Une jurisprudence ancienne a sanctionné aussi les cas de

132B. SAINTOURENS, « Le statut juridique de l’étranger exerçant une activité commerciale,

industrielle ou artisanale : la suppression de la carte d’identité spéciale », RTD.com., 2004, pp.694.

133 V. l’étude rédigée par INOREG (Service d’information réglementaire aux entreprises de la

chambre de commerce et d’industrie de Paris), le nouveau statut du dirigeant étranger, Cahiers de

droit de l’entreprise, n°6, novembre 2007, prat. 28.

134 La loi a mis fin à l’introduction en France de clandestins déguisés en PDG sans aucun contrôle. 135 C. SALAMA HAUSMAN, « Note d’humeur : halte à l’immigration clandestine des dirigeants

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fraude consistant pour un étranger non autorisé à exercer le commerce par l’intermédiaire d’un prête-nom, celui-ci étant condamné comme complice136.

136 Crim. 4 juill. 1956, D. 56.720 ; 2 juill. 1958, Gaz. Pal. 58.2.217 ; Paris 7 oct. 1967, JCP G.68.II.15525, JDI 68.76, RC 68.267 ; T.. Corr. Seine, 7 nov. 1961, RC 62.287 n. Simon-Depitre, JDI, 1962. 998 obs. Sialelli.

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SECTION 2 :

LA RÉGLEMENTATION DES INVESTISSEMENTS