• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 6. L’auditoire : définitions et catégories

5. Les catégories d’auditoire

5.3. L’auditoire universel

Toutes les catégories d’auditoire ayant été mentionnées font partie de ce que Perelman appelle la catégorie de l’auditoire particulier défini comme « tout public ciblé constitué par un groupe national, social, politique, professionnel déterminé ». Selon l’auteur du Traité de l’argumentation, l’adaptation à l’auditoire ne doit pas être le seul leitmotiv du discours de l’orateur : ce faisant, il risque de perdre la force persuasive des thèses qu’il défend car elles peuvent être réfutées par d’autres personnes que celles auxquelles le discours s’adresse sur le moment. Selon Perelman (1970 : 40-41), ce danger est apparent

lorsqu’il s’agit d’un auditoire composite où l’adversaire peut retourner contre son prédécesseur imprudent tous les arguments dont il a fait usage à l’égard des diverses parties de l’auditoire, soit en les opposant les uns aux autres pour montrer leur incompatibilité, soit en les présentant à ceux auxquels ils n’étaient pas destinés.

C’est la raison pour laquelle Perelman (ibid.) insiste sur l’idée que, pour qu’un discours argumentatif soit le plus efficace possible, il doit être adressé à un auditoire dit universel défini comme « le garant de la rationalité du discours, et la source de son caractère non pas simplement persuasif mais convaincant ; il constitue la norme de l’argumentation objective ».

À l’instar de l’auditoire particulier, l’auditoire universel n’a pas d’existence objective, il est aussi une fiction verbale créée de toutes pièces par un orateur en situation. En effet, l’auditoire universel est l’image que l’orateur se fait de l’être de raison, de ses modes de penser et de ses prémisses. Par conséquent, la conception de l’auditoire universel n’est pas fixée une fois pour toutes, mais varie en fonction des cultures et des civilisations comme le note Perelman (1970 : 43) :

Chaque culture, chaque individu a sa propre perception de l’auditoire universel, et l’étude de ses variations serait fort instructive, car elle nous ferait connaître ce que les hommes ont considéré, au cours de l’histoire, comme réel, vrai et objectivement verbal.

Bilan

L’auditoire est divisé en deux catégories : auditoire homogène vs auditoire composite. La catégorie de l’auditoire homogène se décline en deux sous-catégories : (1) ceux qui partagent les points de vue de l’orateur et (2) ceux qui ne partagent pas les points de vue de l’orateur. Quant à la catégorie de l’auditoire composite, elle se

I.6. L’AUDITOIRE

subdivise aussi en deux sous-catégories : (1) l’auditoire diversifié et (2) l’auditoire divisé.

L’orateur doit adapter son discours à son auditoire pour emporter leur adhésion à ses points de vue. Pour ce faire, l’orateur doit fonder son discours sur des prémisses d’ores et déjà admises par son auditoire. Mais s’il s’agit d’un auditoire diversifié, l’orateur doit miser sur des valeurs qui ne privilégient pas une partie de l’auditoire au détriment de l’autre, autrement dit, il doit appuyer son discours sur des points plus ou moins communs.

Enfin, on a vu que ce qui importe au moment de l’interaction verbale, ce n’est pas la présence ou non de l’auditoire ou de ce qu’il est vraiment, mais l’image que l’orateur se fait et expose dans son discours de celui-ci. De ce fait, la construction de l’auditoire devient un facteur primordial dans l’entreprise de persuasion. Aussi devient-elle elle-même une stratégie argumentative. C’est pourquoi l’orateur a intérêt à projeter une image positive de son public, une image dans laquelle le public voudrait se reconnaître, afin de le faire adhérer à ses positionnements.

SYNTHÈSE

Dans cette partie, j’ai tenté de donner un cadre théorique complet de l’objet d’étude, à savoir l’ethos discursif et la construction des rapports intersubjectifs dans les professions de foi des élections présidentielles françaises de 2007 et de 2012. J’ai consacré les deux premiers chapitres à l’ethos et à ses diverses définitions. D’abord, j’ai précisé que la notion d’ethos vient de la Grèce antique et signifie l’image de soi que l’énonciateur donne dans son discours selon Aristote, ou celle qu’on connait déjà de lui d’après Isocrate. Ensuite, j’ai expliqué que la renaissance de l’ethos tel qu’on le connaît aujourd’hui est due à Ducrot, et surtout à Maingueneau pour qui l’ethos correspond à ce que l’orateur prétend être dans son discours. En revanche, Pour ce dernier, l’ethos n’est pas, comme le considère Aristote, un moyen de preuve, mais est partie prenante de la scène d’énonciation. Enfin, j’ai traité la question de l’ethos politique à partir des travaux de Charaudeau qui distingue deux grandes catégories d’ethos politiques : les ethos de crédibilité qui englobent les ethos de sérieux, de vertu et de compétence, et les ethos d’identification qui regroupent les ethos de puissance, de caractère, d’intelligence, d’humanité, de solidarité et de chef. Dans les troisième et quatrième chapitres, j’ai abordé le thème des manifestations linguistiques de l’ethos du point de vue de la linguistique énonciative et de la linguistique praxématique.

Dans un premier temps, j’ai traité les procédés linguistiques par lesquels, selon Kerbrat-Orecchioni, l’énonciateur s’inscrit dans un énoncé et se situe par rapport à lui. Ces procédés se déclinent, selon la linguiste, en deux catégories :

(1) les déictiques qui comprennent les pronoms personnels ; les démonstratifs (ce, cet,

cette, ces, etc.) ; les localisations temporelles (hier, aujourd’hui, demain, etc.) ; les

localisations spatiales (devant, derrière, à droite, à gauche, etc.) et certains termes de parenté (papa, maman). J’ai aussi précisé que selon Benveniste, les pronoms personnels qui permettent l’inscription énonciative du locuteur et de son allocutaire dans la scène d’énonciation sont « je », et « tu » avec les déterminants possessifs correspondants.

SYNTHÈSE

(2) les subjectivèmes qui comprennent les substantifs, adjectifs, verbes et adverbes ayant une valeur subjective de type affectif, évaluatif (axiologique ou non) et modalisateur.

Dans un deuxième temps, j’ai abordé la question de l’intersubjectivité dans le langage, et la théorie de l’actualisation textuelle initiée par Barbéris et aménagée par Détrie et Verine. Barbéris s’oppose à Benveniste sur le fait que la subjectivité ne peut pas être un processus achevé une fois pour toutes, mais il s’agit au contraire d’un processus graduel qui se développe et se renégocie au cours de l’interaction. À partir de là, Détrie et Verine distinguent deux types de construction des rapports intersubjectifs, autrement dit, deux modes de textualisation :

(1) mode en soi-même : il pose une disjonction achevée entre les pôles interactionnels du locuteur-énonciateur et de l’interlocuteur-coénonciateur, ce mode illustre la théorie de la subjectivité de Benveniste.

(2) mode en même : il ne discrimine pas explicitement les pôles énonciatifs, et les envisage plutôt dans une sorte de halo énonciatif.

J’ai précisé aussi l’idée qu’un texte ne se construit presque jamais, exclusivement, sur un mode ou sur l’autre, mais il tend plutôt vers un mode ou vers l’autre. Chacun de ces deux modes de textualisation permet de construire un ethos spécifique.

Dans le cinquième chapitre, j’ai donné les catégories des genres de discours et les caractéristiques de chaque catégorie selon Maingueneau pour définir le genre de discours profession de foi.

Dans le sixième chapitre, j’ai abordé le thème de l’auditoire et les diverses catégories le composant, pour analyser comment chaque candidat s’adresse à son auditoire et adapte sa profession de foi en fonction des attentes de son auditoire. Dans la partie suivante, j’analyserai les PDF, selon un protocole précis qui sera expliqué au début de la partie, afin de répondre aux interrogations que cette étude pose.