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CHAPITRE 2. L’ethos politique : définition et caractéristiques

I.2. L’ETHOS POLITIQUE

2. La construction de l’ethos politique par les procédés énonciatifs

Les procédés18 énonciatifs par lesquels le sujet parlant peut construire un rapport

intersubjectif avec son public sont au nombre de trois : se mettre lui-même en scène (énonciation élocutive), impliquer son interlocuteur dans son acte de langage (énonciation allocutive) et/ou présenter ce qui est dit comme si personne n’était impliqué (énonciation délocutive).

De plus, ces procédés permettent aussi de construire un ethos politique de crédibilité, d’identification ou les deux à la fois. Mais ce qu’il faut préciser, c’est que ces procédés n’ont d’effets que dans le contexte dans lequel ils sont employés, en sachant aussi que certains procédés peuvent produire plusieurs effets à la fois : construire une image positive de l’orateur et négative de son adversaire.

2.1. L’énonciation élocutive

L’énonciation élocutive s’exprime à l’aide des pronoms personnels de première et de quatrième personne (désormais P1 et P4) et accompagnés de verbes de modalité, d’adverbes et de qualificatifs qui révèlent l’implication de l’orateur et décrivent son point de vue personnel.

Certains de ces indices élocutifs contribuent à fabriquer un ethos correspondant aux images et figures précédemment décrites comme, par exemple, la figure de guide !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

18 Charaudeau (2005 : 135) précise qu’il emploie le terme de « procédé » par commodité, et dit qu’il

ne faut pas en déduire que les moyens discursifs à l’aide desquels est mis en scène l’ethos résultent tous d’une intention et d’un calcul volontaires de la part du sujet parlant. Ceux-ci sont employés par le sujet parlant de manière plus ou moins consciente, et sont plus ou moins perçus et reconstruits par l’interlocuteur ou le public.

I.2. L’ETHOS POLITIQUE

qui peut être exprimée par les verbes d’engagement tels s’engager, vouloir, lutter,

mener, faire, conduire, etc. :

F. Bayrou 2007 : « Je veux être le président de la République qui rendra son équilibre à notre pays ».

Certains indices, comme je l’ai dit supra, peuvent évoquer plusieurs ethos à la fois, c’est notamment le cas des verbes exprimant le rejet (refus ou rectification des propos de l’adversaire) qui évoquent l’ethos de sérieux, s’opposant au mensonge, la figure du combattant qui affronte un adversaire, l’ethos de chef qui n’admet pas que l’on trompe le peuple.

N. Sarkozy 2007 : 1er tour : « Je n’accepte plus un tel niveau d’échec scolaire dans notre pays.

Je n’accepte plus que des milliers de jeunes soient envoyés dans des filières universitaires sans débouchés. Je n’accepte plus la situation faite à nos enseignants, professionnels, chercheurs ».

Quant à l’usage de la P419, il contribue à mettre en place un ethos de solidarité :

O. Besancenot 2007 : « Supprimons les multiples aides aux entreprises privées qui n’ont jamais créé d’emploi, et qui ne les ont jamais empêchées de licencier. Obligeons-les à rembourser l’ensemble de ces aides publiques lorsqu’elles décident de se délocaliser sous peine de réquisition ».

2.2. L’énonciation allocutive

L’énonciation allocutive s’exprime à l’aide de pronoms personnels de P220 et de P5, accompagnés de verbes modaux, de qualificatifs et de diverses dénominations, qui révèlent à la fois l’implication de l’interlocuteur, la place que lui assigne le locuteur, et la relation qui s’instaure entre les deux.

Cette façon d’impliquer l’auditoire a pour effet de fabriquer en retour une certaine image de l’orateur. Comme pour la modalité élocutive, divers indices allocutifs contribuent à fabriquer certaines figures d’ethos :

- La figure de chef-souverain : Elle peut se construire en utilisant les termes d’adresse qui ont pour but d’identifier l’auditoire comme citoyen participant à la vie politique, tout en légitimant le statut de l’orateur comme : mes chers compatriotes, mes chers

concitoyens, etc. Parfois, les termes d’adresse spécifient l’appartenance à une famille

politique où à un parti politique, comme travailleuses, travailleurs.

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19 Je reviendrai en détail sur les divers emplois de la P4 dans le chapitre 4. PS!Le pronom personnel de P2 est absent dans toutes les professions de foi.

I.2. L’ETHOS POLITIQUE

Un autre indice, proche de celui de l’adresse, qui est la sollicitation, permet à l’orateur de construire un ethos de guide. En effet, l’orateur peut solliciter son auditoire en l’interrogeant sur des questions dont les réponses espérées ont pour but de disqualifier son adversaire et le valoriser, car, en disqualifiant son adversaire, on se montre meilleur que lui.

2.3. L’énonciation délocutive

Selon Charaudeau (2005 : 138), l’énonciation délocutive « présente ce qui est dit comme si le propos tenu n’était sous la responsabilité de personne et ne dépendait que du seul point de vue d’une voix tierce, voix de la vérité ».

Elle présente ce qui est dit comme une évidence et non comme dépendant du point de vue de l’énonciateur. Cette modalité s’exprime à l’aide de phrases qui effacent toute trace des interlocuteurs, pour se présenter sous une forme déliée de l’énonciation :

N. Sarkozy 2007 1er tour : « Partager le travail n’a jamais permis de réduire le chômage ».

Les hommes politiques recourent souvent à cette modalité énonciative car, en présentant ce qui est dit comme étant la vérité, elle leur permet de se mettre au dessus

de la mêlée, et de se construire ainsi une figure de grandeur. Cependant, cette

modalité énonciative n’est pas sans défaut, car elle peut aussi révéler une distance, une froideur hautaine, une position d’arrogance de la part de l’orateur. C’est donc une arme à double tranchant.

Dans le chapitre 4, je traiterai en détail les procédés d’effacement énonciatif.

Bilan

On a vu, en premier lieu, dans ce chapitre que les ethos politiques se déclinent en deux grandes catégories : les ethos de crédibilité qui reposent sur un discours de raison, et ceux d’identification qui reposent sur un discours d’affect. Dans la première catégorie, il y a trois types d’ethos : l’ethos de sérieux, l’ethos de vertu et l’ethos de compétence. Dans la seconde, il y a six types d’ethos : d’un côté, il y a les ethos tournés vers le soi comme l’ethos de puissance ; l’ethos de caractère ; l’ethos d’intelligence et l’ethos d’humanité, et de l’autre, il y a les ethos tournés vers le citoyen comme l’ethos de chef et l’ethos de solidarité. Chacun de ses ethos peut être construit à partir de plusieurs figures.

I.2. L’ETHOS POLITIQUE

Ensuite, j’ai envisagé les trois modalités d’énonciation permettant au sujet parlant de construire un ethos particulier : énonciation élocutive, allocutive et délocutive. Mais il faut préciser que :

Il ne s’agit pas de dresser une liste exhaustive de ces procédés, ni de décrire une sorte de rhétorique du discours politique, mais de mettre en évidence quelques-uns des modes d’expression susceptibles de produire des effets d’ethos, sachant que le résultat ne peut être garanti d’avance. (Charaudeau 2005 : 135)

Enfin, il est important de préciser que l’ethos n’est autre qu’une affaire des représentations sociales et sa valorisation ou dévalorisation dans le domaine politique, comme dans tous les autres domaines, dépend des circonstances (lieu, temps, attentes du public).

Après avoir défini ce qu’est l’ethos en général, et l’ethos politique, je passerai dans les deux chapitres suivants aux manifestions linguistiques de l’ethos.

CHAPITRE 3. Les marques linguistiques de la