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Analyse des postures énonciatives en relation avec les modes de textualisation 1 L’adresse : Madame, Mademoiselle, Monsieur, mes chers compatriotes

François Bayrou

2. Analyse des postures énonciatives en relation avec les modes de textualisation 1 L’adresse : Madame, Mademoiselle, Monsieur, mes chers compatriotes

F. Bayrou opte pour une configuration qui combine deux formes d’adresse : - la première adresse prend la forme d’une interpellation singularisante, imitant un face à face ou un dialogue avec l’électeur pris isolément. Elle est composée des appellatifs, non marqués axiologiquement, employés au singulier ; madame,

mademoiselle, monsieur, qui, selon (Rigat, 2010), permettent au candidat de marquer

sa volonté de singulariser l’interpellation sur le plan énonciatif, autrement dit, d’établir un rapport plus particulier avec l’électeur tout en restant formel.

- la dernière adresse, contrairement aux premières, prend la forme d’une interpellation collective, envisageant l’électeur dans sa pluralité. Elle est composée du désignant social compatriotes actualisé par le déterminant possessif de P1, et marqué subjectivement par l’adjectif chers. En effet, le fait d’utiliser cette forme d’adresse, dépourvue de tout clivage politique particulier, permet au candidat d’adresser son discours à toutes les catégories d’électeurs sans en privilégier une particulière. Quant au marquage affectif de cette forme d’adresse et au fait qu’elle est écrite à la main, cela permet au candidat d’amortir l’aspect formel présent dans la première adresse et de contribuer à renforcer son identité du candidat crédible s’adressant aux électeurs. Cette combinaison de termes d’adresse qui relève d’une textualisation en soi-

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2.2. Les marques de personne

Voici un tableau récapitulant tous les emplois des pronoms personnels de P1, P4, P5, et de prépersonnel on et des déterminants possessifs correspondants :

Pronom personnel / séquence P1 P4 P5 On

Séquence 1 8 4 1 1

Séquence 2 19 9 - -

Séquence 3 1 5 2 -

Totaux 28 18 3 1

Pourcentage / ratio 56% 36% 6% 2%

La première personne domine cette PDF, du début à la fin, en effet, F. Bayrou l’emploie 28 fois pour annoncer des engagements ou révéler des points de vue personnels concernant certains sujets politiques. Quant à la cinquième personne, qui sert à désigner les coénonciateurs-électeurs, il ne l’utilise que 3 fois. Cette PDF est donc construite sur un mode de textualisation en soi-même discriminant les deux pôles énonciatifs. Or, ce mode est modulé parfois par certains outils comme la quatrième personne, le pronom prépersonnel (on) et des énoncés à l’infinitif, qui permettent au candidat d’impliquer les électeurs dans son action et de faire en sorte qu’ils se sentent eux-mêmes les auteurs de ce discours.

Dans les points qui suivent, j’exposerai et analyserai les marques permettant de construire une textualisation en soi-même et les indices permettant, à certains moments, de la moduler.

2.2.1. Les pronoms personnels je-vous (marques d’une textualisation en soi-

même)

Les pronoms personnels de P1 et de P5 sont les indices d’une textualisation en soi-

même. Mais comme je l’ai dit dans l’introduction de ce point, le candidat ne s’adresse

de manière directe aux électeurs que dans deux énoncés : ceux de clôture de la première et de la troisième séquence.

(Séq.1) (1) Je vous confie ce grand choix, avec affection. (Séq.3) (2) Je vous remercie de votre confiance.

En (1), le candidat cherche à construire une relation horizontale et affective avec les électeurs, d’abord, par l’emploi du verbe confier, qui a pour but d’instaurer un rapport de proximité avec les électeurs (on ne confie quelque chose qu’à quelqu’un en qui on a confiance), d’autant plus qu’il s’agit d’une écriture manuscrite, ensuite, par le

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syntagme prépositionnel avec affection. Par cet énoncé, il veut faire savoir aux électeurs qu’il se remet à eux pour être élu et pouvoir mettre en œuvre son programme électoral.

Dans l’énoncé (2), qui clôt la PDF, il ne demande pas aux électeurs de voter pour lui, mais il considère leur vote comme déjà acquis, en les remerciant d’avance de leur confiance.

Bref, ces deux énoncés illustrent la mise en place d’un mode de textualisation en

soi-même, qui, comme il sera expliqué infra, est biaisé dans certains passages, par des

outils de textualisation en même.

2.2.2. Le pronom personnel nous en emploi inclusif (outil du biaisage de la textualisation en soi-même par monstration de points de vue posés comme synchronisés)

Toutes les occurrences du pronom personnel de P4, dans cette PDF, sont en emploi inclusif, renvoyant à la fois au candidat et aux électeurs. Par conséquent, il est un outil de modulation d’une textualisation discriminante des pôles énonciatifs. Toutefois, le candidat de l’UDF ne construit aucun de ses nombreux engagements à la P4, et se contente d’employer nous uniquement dans la séquence de clôture de la PDF. Quant au déterminant possessif correspondant, il l’emploie pour actualiser certains substantifs.

Voici certaines de ces occurrences :

(Séq.1) (3) Je rassemblerai des personnalités compétentes, pour les faire travailler ensemble au service de notre pays.

(Séq.2) (4) Je veux renforcer notre démocratie. (Séq.2) (5) Je soutiendrai notre agriculture.

(Séq.3) (6) Nous allons reconstruire. Nous allons construire. Nous avons besoin maintenant de la France de toutes nos forces.

L’emploi des substantifs pays, démocratie et agriculture actualisés par le déterminant possessif de P4, ainsi que l’emploi du verbe construire conjugué à la P4, permettent au candidat de moduler le mode de textualisation en soi-même, pour instaurer un rapport intersubjectif tendant à considérer l’autre comme un même, ce qui lui permet de créer une communauté en partage avec les électeurs, qui facilite leur adhésion à son point de vue.

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2.2.3. Le pronom prépersonnel on

Le pronom prépersonnel on peut, comme je l’ai déjà indiqué supra, représenter toutes les personnes. Ainsi, il peut être au service d’une textualisation en soi-même ou

en même selon l’assise énonciative que lui est accordée. Cette PDF présente une seule

occurrence de on :

(séq.1) (7) Comment en est-on arrivé là ?

Il peut s’agir d’un on qui réfère à la fois au candidat je et aux électeurs vous, et ayant pour objectif de moduler la discrimination des deux pôles énonciatifs pour mettre en jeu le « tous ensemble », ou d’un on indécidiable renvoyant aux partis qui ont partagé le pouvoir durant les années précédentes. Dans les deux cas, on s’avère un outil de biaisage de la textualisation en soi-même.

2.3. Les autres marques de biaisage de la textualisation en soi-même 2.3.1. Les énoncés à l’infinitif

Dans la deuxième séquence, le candidat de l’UDF formule ses engagements avec des énoncés à l’infinitif, après les avoir formulés à la P1. Je présente infra deux de ces engagements :

(Séq.2) (8) Je garantirai un plan d’aide au logement :

Supprimer les cautions et les dépôts de garantie pour tous les locataires.

Prévoir 25% de surfaces de logements sociaux dans tous les grands programmes immobiliers. (Séq.2) (9) J’augmenterai le pouvoir d’achet :

Augmenter le minimum vieillesse et les petites retraites, en 5 ans, jusqu’à 90% du SMIC. Payer l’heure supplémentaire 35% de plus que l’heure normale.

Les énoncés (8) et (9), illustrent le biaisage de la textualisation en soi-même en une textualisation en même. D’abord, F. Bayrou emploie les verbes d’engagement

garantir et augmenter à la P1, pour se poser comme le seul garant de tout ce qui est

dit. Ensuite, il s’efface de la scène énonciative en formulant les engagements à l’infinitif, un mode qui élimine tout point de vue explicite, et tout marquage personnel et temporel. Cette stratégie lui permet d’impliquer les lecteurs dans son action, et d’attribuer aux énoncés une force persuasive majeure, car comme je l’ai expliqué

supra, le mode infinitif, étant un des procédés d’effacement énonciatif, attribue aux

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À la lumière de l’analyse des postures énonciatives qui vient d’être faite, il s’avère que le candidat centriste tient, surtout, à construire un ethos de chef, en employant massivement le pronom personnel de P1, qui est, entre autres, un indice de la textualisation en soi-même, mais aussi, à construire, au second plan, un ethos de solidarité, en impliquant les électeurs dans son discours, par divers procédés énonciatifs travaillant la textualisation en même.

Dans le point suivant, j’analyserai en détail les indices discursifs permettant au candidat de construire un ethos politique dominant et les contours de cet ethos.

3. La construction de l’ethos politique