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L’arrivée des Missionnaires d’Afrique ou Pères Blancs à Bukavu

C’est dans un contexte colonial, rappelons-le, que les missionnaires arrivent en Afrique. La tâche s’annonce ardue. Que faire pour s’attirer la sympathie des indigènes devenus par trop méfiants aux « hommes à la peau blanche », avec les répressions sanglantes et les humiliations subies auparavant par la cruelle force publique de l’État Indépendant du Congo de Léopold II ? En effet, les premiers missionnaires sont des religieux belges. Ils arrivent au Kivu dans un contexte particulièrement critique.

C’est la période de l’implantation coloniale. Celle-ci ne se déroule pas sans heurt. A Bukavu, par exemple, les esprits sont surchauffés. Le roi des Bashi, le mwami Kabare oppose une farouche résistance à l’envahisseur blanc. Les indigènes arrêtent et tuent le lieutenant Tombeur ; toute sa suite est massacrée. En représailles, plusieurs contrées du Bushi sont alors mises à feu et à sang. C’est ainsi que le village de Shakishe, pour ne citer que celui-là, est pratiquement le théâtre des massacres dictés par la folie meurtrière des colons surexcités et revanchards.

A. Les premiers contacts avec les populations autochtones Shi et les premières difficultés

C’est dans ce climat de totale désolation et de méfiance des autochtones que les agents de l’évangélisation débarquent. Car pour les Bashi, « tous les Blancs sont les mêmes, d’ailleurs ils parlent une langue incompréhensible pour eux. Les missionnaires, vêtus d’un habit blanc, le gandoura, avec une longue barbe et un long cauris au coup. Ils ne sont autres que des espions au service de l’administration coloniale. Ils sont venus et chargés de faire accepter celle-ci en se montrant plus doux et sympathiques, en saluant gentiment les gens, en se rapprochant des populations, en leur posant beaucoup de questions pour connaître leurs langues, leurs us et coutumes, et enfin en leur parlant d’un Dieu sauveur... »

C’est entre autres pour cette raison que pendant longtemps, beaucoup d’autochtones refuseront de se convertir à la religion du Blanc. Cette méfiance des Bashi envers les missionnaires subsistera pendant très longtemps. Elle sera même exacerbée par l’attitude des premiers missionnaires vis-à-vis des coutumes ancestrales des populations. En 1908, ils étaient déjà définitivement installés.

1. Une méfiance et un malentendu dus à l’origine commune des missionnaires et des colons

Même jusque dans les années qui ont précédé les indépendances des pays africains, cette méfiance était réelle, comme le prédit déjà à cette époque Guy Mosmans qui reconnaît que maintes circonstances l’y invitent : « L’Église portera longtemps encore le poids d’un fait historique dont elle n’est pas responsable, mais qui a marqué son implantation. L’évangélisation en Afrique a marché de pair avec la conquête coloniale. L’Église a parfois soutenu le régime colonial comme étant alors indispensable pour faire régner la paix ou pour apporter la prospérité. Elle en a souvent bénéficié dans la mesure où la colonisation a pu favoriser la dispersion des missionnaires à travers le continent africain. Elle a bien souvent été tributaire des subsides pour ses écoles et pour ses œuvres, parfois pour ses églises. »

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Il est intéressant de voir comment les Africains avaient à cette époque-là des avis divergents sur ce que d’aucuns ont appelé récemment les bienfaits de la colonisation. Deux figures-types peuvent être évoquées, Mgr Maranta, un évêque ougandais, et le président ghanéen, Nkwamé Nkrumah. Le premier, tout en se réjouissant que l’ère des colonies touche à sa fin, estime qu’un Africain, qui voit dans sa foi catholique son plus grand trésor, voudra bien se rendre compte que la colonisation a été avant tout un instrument dans les mains de la Providence pour gagner l’Afrique au Royaume du Christ. Même si, ajoute-t-il, les colonisateurs pouvaient avoir des objectifs très différents, pour répandre l’Évangile, ils n’étaient que des instruments entre les mains de Dieu. (Mosmans, G., 1958 :7)

De son côté le chef de l’État ghanéen n’hésite pas à écrire : « Le scénario commence par l’apparition des missionnaires et d’ethnologues, de commerçants, de concessionnaires et d’administrateurs. Pendant que les missionnaires, avec le christianisme déformé, demandent au sujet colonial ‘d’amasser des trésors du ciel où ni la mite, ni la rouille ne les détruisent’, les commerçants, les concessionnaires et les administrateurs disposent de ses ressources minérales et agricoles, détruisent ses arts, ses métiers et ses industries locales. »(Ibid.)

Ainsi, alors que Mgr Maranta en appelle à la foi pour trouver une explication recevable de la colonisation, le Dr Nkrumah souligne, dans un contraste brutal, des faits dont tout Africain a souffert d’une manière ou d’une autre. Et Alioune Diop, comme pour trancher entre les deux précédents, souligne : « Profiter de notre docilité de chrétiens à l’autorité religieuse (qui dans les hautes sphères demeure toujours européenne) pour nous rendre dociles à l’autorité de la politique coloniale, telle est la chance que les hommes politiques n’ont jamais cessé d’espérer et d’exploiter. » (1957 : 145) Cela paraît à la fois tragique et injuste car le christianisme et la colonisation n’ont aucunement un destin lié.

Dans l’Afrique noire, à l’heure actuelle, la colonisation s’avère, au plan des faits, comme un obstacle à l’implantation de l’Église (Mosmans, G., 1958 :8). C’est cet état d’esprit qui a incité les Evêques du Cameroun à écrire, en avril 1955, une lettre collective pour réfuter les accusations dont les évêques et les chrétiens européens étaient victimes : « Depuis quelque temps nous éprouvons beaucoup de peine quand nous apprenons les calomnies auxquelles, un peu partout, l’Église catholique et ses représentants sont en butte. On entend dire : ‘Il ne faut pas croire les missionnaires : ce sont des Blancs comme les autres qui ne cherchent que leurs intérêts au détriment des Noirs. Ils ont volé aux Noirs des terrains : ils ont empêché l’évolution des Africains : ils sont les alliés des colonialistes. »28

28 Cf. Ossama, N., 1998: 47. Mgr René Graffin, Archevêque de Yaoundé fut particulièrement accusé par certaines élites influentes camerounaises d’être de mèche avec le pouvoir colonial pour ne pas donner l’indépendance au pays. Il fut même pris à parti dans une église où on l’enferma pendant des longues heures avant que les forces de l’ordre ne viennent l’en délivrer.

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Dans bien d’autres pays, en l’occurrence le Congo belge, la hiérarchie a été amenée, en de multiples occasions, à faire le point face aux nationalismes africains mais de telles prises de position n’ont pas suffit à apaiser les inquiétudes des Africains et de leur donner toutes les assurances souhaitables pour l’avenir. Mosmans révèle qu’il n’y a pas que des Africains qui en voulaient à l’Église catholique. Il montre que dans le conflit de plus en plus aigu qui oppose colonialistes et anticolonialistes (Ibid. : 1-2) durant la dernière décennie de la colonisation, l’Église occupe une situation particulièrement inconfortable. Les anticolonialistes lui reprochent d’avoir partie plus ou moins liée avec les nations colonisatrices, de ne pas vouloir efficacement l’émancipation complète et rapide des peuples africains et de se prêter en conséquence aux manœuvres de diversion ou de retardement.

De leur côté, les colonialistes parlent avec amertume de l’ingratitude de l’Église, de son cynisme même car, après avoir accepté sans réticences l’aide financière, en certains cas très importante (cas de l’Afrique Belge), des gouvernements coloniaux, elle s’empresse de retirer son épingle du jeu et de fuir le navire qui menace de couler. Certains lui reprochent de se livrer à une démagogie facile afin de garder son « empire » sur les masses africaines (Ibid.).

2. Une méfiance et un malentendu dus à l’état civil des missionnaires

Un autre élément, d’ordre sociologique, qui fonde la méfiance des populations autochtones envers les premiers missionnaires d’Afrique, c’est l’état civil de ces derniers. Alors que la polygamie était, avec les autres éléments socioculturels évoqués ci-haut, considérée par les missionnaires comme une pratique païenne qu’il fallait à tout prix bannir dans les populations, le célibat des prêtres missionnaires et des sœurs a constitué pour sa part et pendant longtemps un véritable obstacle à la perméabilité de leur message évangélique dans les couches sociales en Afrique en général et au Kivu en particulier. Ils étaient plutôt regardés comme des aventureux, la Bible à la main, qui sont au service du colonisateur.

Pour comprendre cette méfiance et ce mépris dont ils étaient victimes, il faut se référer à la conception du célibataire dans les cultures bantoues. En effet, depuis longtemps dans toute l’aire bantu29, un homme

célibataire n’avait aucune considération sociale, il n’avait pas droit à la parole dans l’assemblée lors d’un conseil du village. Aux yeux des adultes, c’est un irresponsable et ne peut avoir aucun conseil à donner, surtout pas aux hommes mariés. Au contraire, il constitue un danger pour le village ; c’est pourquoi il faut éviter qu’il soit en contact avec les femmes et les filles de village.

29On nomme Bantu un ensemble d’ethnies parlant quelques 500 langues apparentées, dites bantu. Les langues bantu constituent le groupe linguistique le plus important d’Afrique et celui dont l’aire géographique est la plus vaste puisqu’elle s’étend du Cameroun jusqu’en Afrique du Sud.

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Quand, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les missionnaires entrent en contact avec les

populations autochtones du Kivu essentiellement bantu, celles-ci ont du mal à comprendre comment des hommes aussi adultes avec leur longue barbe30 peuvent être célibataires et prétendre parler au nom du Dieu Transcendent, que les Africains connaissaient bien du reste et le rôle d’intermédiaires que jouaient les ancêtres entre les vivants et Dieu, rôle qu’ils refusaient catégoriquement d’attribuer à ces prêtres blancs célibataires. A supposer qu’ils aient laissé leurs femmes et enfants en Europe pour venir seuls en Afrique, cela ne serait pas moins critiqué car un responsable ne peut pas abandonner sa famille pendant si longtemps pour aller vivre très loin seul.

C’est pour cela que beaucoup de parents africains, jusqu’à une époque récente, s’opposaient radicalement à l’entrée de leurs fils dans la vie religieuse qu’ils considéraient comme anormale et scandaleuse. Plusieurs cas sont connus dans le Vicariat apostolique du Kivu où les candidats au grand séminaire étaient systématiquement bannis de la famille et du clan.

3. Une méfiance due à l’attitude des missionnaires face à l’organisation socioculturelle du Bushi

Un troisième élément qui a constitué une source de malentendu et donc de méfiance entre Africains et missionnaires Pères Blancs dans le Vicariat apostolique du Kivu, comme partout ailleurs sur le continent, c’est le non respect par les derniers des traditions et savoir-faire de l’Afrique, notamment dans les domaines socioculturelle et économique (Elikia M’bokolo et alii, 2004 :392).

Dans sa thèse classique, Georges Balandier a bien décrit la « situation coloniale » comme« la domination imposée par une minorité étrangère, « racialement » et culturellement différente, au nom d’une supériorité raciale (ou ethnique) et culturelle dogmatiquement affirmée, à une majorité autochtone matériellement inférieure ; la mise en rapport de civilisations hétérogènes : une civilisation à machinisme, à économie puissante, à rythme rapide et d’origine chrétienne s’imposant à des civilisations sans techniques complexes, à économie retardée, à rythme lent et radicalement « non chrétienne » ; le caractère antagoniste des relations intervenant entre les deux sociétés s’explique par le rôle d’instrument auquel est condamnée la société dominée ; la nécessité, pour maintenir la domination, de recourir non seulement à la « force » mais encore à un ensemble de pseudo-justifications et de comportements stéréotypés, etc. » (1955 : 34-35, cité par M’Bokolo ELikia, 2004: 292)

Ainsi le christianisme fut exporté mais non adapté, nous dit Elikia M’Bokolo, la « médecine des Blancs » introduite sans tenir compte des compétences et des savoirs accumulés pendant des siècles ni des systèmes locaux de représentation de la maladie, la scolarisation imposée sans lien avec le

30 La longue barbe que portaient tous les missionnaires de l’époque et leur état de célibataires paraissaient très paradoxalement incompréhensibles aux yeux des Africains pour qui la barbe était un signe caractéristique de la sagesse, de la maturité, vertus non reconnues aux célibataires.

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patrimoine culturel ou le statut des enfants. Le modèle suprême était évidemment la société européenne à laquelle les Blancs se croyaient un devoir d’amener les Noirs. Dès lors, la religion et l’éducation s’intégrèrent à la politique coloniale pour conjuguer leurs effets avec la mise en valeur économique (Ibid. : 2004 :292). Par ailleurs, les premiers missionnaires ont eu affaire face au mode de vie sociopolitique et économique ainsi que les croyances religieuses des populations du Bushi.

Contrairement au malentendu non intentionnel dont parle Jean-François Baré dans ses travaux sur les communautés autochtones de Tahiti lors du premier contact entre les civilisations insulaires isolées au cœur de l’immense Pacifique et les Anglais, dès le début de leurs contacts (2002 :1-2), un malentendu s’installe entre les missionnaires et les Africains.

Car les fils de Lavigerie, convaincus que les masses africaines ne connaissent pas Dieu mais vivent plutôt dans l’ombre du paganisme et sous l’emprise de Satan, il faut vite les convertir pour arracher leurs âmes de ses griffes et de la malédiction de leur ancêtre lointain, Cham. Pour cela, ils devront abandonner leur religion traditionnelle et les coutumes ancestrales « rétrogrades ». Les Pères fustigent la polygamie, la sorcellerie et le fétichisme. Ils engagent une lutte sans merci contre ces pratiques et autres coutumes jugées par eux idolâtriques. Les garants de la tradition et les néophytes africains perdront, par moment et par endroit, patience. Certains retourneront aux pratiques ancestrales. D’autres, par contre, seront séduits par l’action missionnaire notamment grâce à l’assistance sociale et caritative, telle, par exemple, les soins médicaux, l’apprentissage de nouveaux métiers. Après leur séjour à Lusenda, les pères rencontrent au Bushi un conditionnement historique et géographique tout à fait nouveau. Ils découvrent un peuple sédentaire, solidement enraciné dans une tradition patriarcale minutieusement hiérarchisée.

Tous les secteurs de la vie oscillent autour des trois axes centraux : le bananier, la vache et le Mwami, c’est-à-dire le chef traditionnel. Ce dernier incarne le pouvoir, aussi bien politique que religieux.

Contrairement à la mission de Lusenda, le Bushi n’a jamais souffert de la maladie du sommeil. Les missionnaires sont donc obligés de revoir leur méthodologie et leur prédication. Par leur détermination et leur courage, ils se feront peu à peu accepter comme étant différents des autres Blancs, en tenue autre que celle des missionnaires. Tout compte fait, le parcours historique qui a porté les Missionnaires d’Afrique au cœur du Vicariat apostolique du Kivu fut jonché de difficultés diverses. Il a fallu beaucoup de patience, de tact, de délicatesse pour se faire accepter comme crédibles et sérieux. C’est grâce à leur foi profonde, leur détermination et leur courage inébranlables qu’ils en viendront à bout.

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Aucun fanatisme, aucun prosélytisme ne sauraient expliquer à eux seuls leur héroïsme jugé parfois de téméraire. Ils avaient reçu de leurs supérieurs des directives et des consignes strictes et précises. Celles- ci ne leur seront parfois d’aucune utilité. Car étant donné les modes de vie différents de l’Occident, les missionnaires vont être amenés à être créatifs et penser de nouvelles stratégies pour pouvoir s’adapter et se socialiser dans leur nouveau milieu.

B. Les moyens utilisés par les missionnaires pour se socialiser

C’est progressivement que les fils de Lavigerie ont compris que, pour réussir leur mission - celle de convertir les masses africaines -, pour attirer à eux les autochtones et se faire accepter dans le milieu, il leur fallait changer de méthodes de travail, apprendre à respecter les Africains, apprendre les us et coutumes des populations qu’ils évangélisaient pour les connaître. Dès cet instant, ils destinaient leur apostolat à une réussite car il n’y avait plus une volonté de rejet symétrique.

En effet, les missionnaires avaient fini par comprendre la nécessité d’instaurer un système de communication interculturelle que sont les situations de « découverte », comme celle qui, à la fin du XVIIe siècle, institue de baroques dispositifs de communication entre communautés tahitiennes et européennes, tel qu’elle est analysée par Jean-François Baré (2002 :3). Il s’est développé nécessairement des relations basées sur une connaissance par définition progressive et inachevée des unes sur les autres, sur une sorte d’anthropologie « sauvage » au sens de la Pensée sauvage selon Claude Lévi-Strauss.

Dès lors, nous dit l’auteur, l’histoire des interactions culturelles – et de ce fait, pourrait-il sembler, l’histoire tout court – peut être vue pour partie, avec l’accélération des échanges internationaux, comme le résultat de cette accommodation progressive de chacun sur tous les autres, comme un travail, perpétuellement en devenir, d’appréhension de l’altérité (Ibid.). Ce regard positif de l’Africain permit aux missionnaires de trouver des moyens de se socialiser. Ils les trouvèrent notamment dans l’amitié avec des Chefs locaux, le recrutement des catéchistes autochtones et l’apprentissage des langues locales. 1. L’amitié avec les Chefs locaux et une collaboration prudente avec l’autorité coloniale

Les amitiés avec le sous- chef coutumier Nyangezi tout comme le Chef coutumier, Na-Ngweshe, ou le Grand Chef coutumier (Mwami) Kabare autour duquel tout le peuple Bashi en général se retrouvait, ont permis aux missionnaires d’éviter les erreurs de l’administration coloniale31, mais aussi d’obtenir d’eux

31 L’une des raisons d’échec de contact entre les agents de l’administration coloniale et les populations autochtones dans le Bushi comme de partout au Congo, c’est d’avoir dans un premier temps ignoré par les premiers la place et le prestige dont jouissaient les Chefs traditionnels auprès de leur peuple. Il suffisait d’une arrogance envers leur chef pour se voir rejeté par ce peuple.

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des faveurs en termes de concessions foncières. Parfois, cette relation amicale entre le missionnaire et l’autorité locale traditionnelle aboutissait à la conversion de celle-ci au christianisme, avec comme effet d’entraînement, l’adhésion de la population à la nouvelle religion de son chef, comme pour confirmer le principe « cujus regio, huius religio ».

D’ailleurs, dans ses directives adressées à la première caravane à l’Afrique Equatoriale, Lavigerie souligne cet avantage pour les missionnaires d’avoir l’amitié des chefs traditionnels. Ceillier nous donne la recommandation du cardinal à ses missionnaires :« Dans une société violente, subdivisée en une multitude de tribus qui vivent à l’état patriarcal, ce qui importe surtout c’est de gagner l’esprit des chefs. On s’y attachera donc d’une manière spéciale, sachant qu’en gagnant un seul chef on fera plus pour l’avancement de la Mission, qu’en gagnant isolément des centaines de pauvres Noirs. Une fois les chefs convertis, ils entraîneront tout le reste après eux… Dans le principe surtout, il est important de ne s’adresser qu’aux chefs et aux tribus, auprès desquels on sera moralement certain de trouver un accueil favorable, afin de faire une brèche plus rapide dans la masse indigène… » (2008 :63).

C’est ainsi qu’ils réussirent à convertir le sous-chef Nyangezi, à partir duquel son peuple n’eut plus de peine à accepter le baptême du Blanc. Le Mwami Kabare Kaganda fut baptisé sous le nom d’Alexandre. Toutefois, en ce qui concerne la collaboration avec l’autorité coloniale, le cardinal Lavigerie recommande à ses missionnaires une grande prudence pour éviter des écueils qui pourraient compromettre leur travail. Dans son allocution pour le départ de la neuvième caravane, le 29 juin 1890, il leur dit ceci : « Vous allez vous trouver, dans le centre de l’Afrique, au milieu des compétitions, des divisions, des passions, souvent légitimes, de toutes les nations engagées dans les querelles d’où dépend l’avenir africain. Ne prenez