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Les générations successives des missionnaires dans le Vicariat Apostolique du Kivu, leurs méthodes et

Chapitre II : LES OBJECTIFS ET LES METHODES MISSIONNAIRES DANS LE VICARIAT

Section 2 Les générations successives des missionnaires dans le Vicariat Apostolique du Kivu, leurs méthodes et

Il y a lieu de caractériser le travail de l’évangélisation du Vicariat Apostolique du Kivu depuis ses origines en le répartissant en quatre générations successives avec chacune des objectifs et des méthodes spécifiques selon ses impératifs dictés eux-mêmes par le contexte sociopolitique et économique du moment.

Pour le dire avec Marie-Joseph Lory (1958 :24), depuis 1880, des milliers de missionnaires se sont succédé en un flot ininterrompu au Congo en se répartissant en trois générations coïncidant avec trois moments essentiels de la mise en valeur du pays : la génération des défricheurs, la génération des organisateurs, la génération de grands animateurs et créateurs et enfin une quatrième, la génération des héritiers. Sans entrer dans le détail, je vais dire un mot sur chacune d’elles puisque le visage actuel de l’Eglise catholique du Kivu répartie en six diocèses y trouve sa racine.

35 Voir ENSEMBLE N° 27 de novembre 1974 : 30-32.

36 En plus des quatre langues nationales (Kikongo, Lingala, Swahili et Tshiluba) dans la liturgie catholique, l’intégration des langues maternelles aura été la plus grande réussite de l’action missionnaire au Congo, comme partout ailleurs en Afrique, depuis l’époque coloniale.

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A. La génération des conquérants et des défricheurs (1883-1906)

C’est la génération du cardinal Charles Lavigerie, fondateur de la Société des Missionnaires d’Afrique, mais aussi la génération de Léopold II, souverain belge autoproclamé propriétaire personnel du Congo. Cette génération connut en son milieu la guerre contre les esclavagistes et se termina au moment même où commençait, en Europe, la première course aux armements, comme le rappelle Lory, qui fait un éloge appuyé du travail audacieux et risqué des missionnaires de la première génération.

1. Le cardinal Charles Lavigerie et ses premiers missionnaires

En regardant les photographies des hommes qui sont allés chercher si loin leur accomplissement dans l’aventure, dit Lory, de ces barbus assis devant les misérables huttes recouvertes de paille ou de roseaux, ou debout, bien droits dans leurs vêtements de grosse toile, tenant ces longs bâtons indispensables dans la brousse et qui leur donnait cet aspect de pèlerins de l’inconnu qui nous frappe tant aujourd’hui […] (1958 :25). L’auteur compare l’audace des missionnaires de cette première génération à celle des explorateurs qui les ont précédés de quelque temps dans l’Afrique profonde :

« Je voudrais les évoquer sans romantisme, sans parti pris et parler d’eux dignement, comme ils le méritent. Lorsqu’ils ont relevé leur soutane pour s’enfoncer dans la savane ou la forêt, rien ne les distingue des explorateurs. Tous ont à vaincre les mêmes difficultés pratiques. Rien ne peut s’apprendre sans un minimum d’infrastructure matérielle. Or, dans ce domaine, tout était à improviser. Laïcs et missionnaires de la première génération furent donc appelés à collaborer étroitement à l’œuvre d’exploration à poursuivre, de pacification à accomplir, d’aide médicale de première urgence, d’équipement rudimentaire. Ils devaient chercher d’abord à vivre, d’abord réussir à survivre, en bravant des dangers de tous genres, en commençant par la dure épreuve du climat (chaud dans la plupart des cas) et des maladies : la malaria et la mouche tsé-tsé qui sévissait dans le Maniema » (Ibid.).

2. Les appuis économiques et financiers à cette première génération

Cette génération a bénéficié des aides précieuses de la fondation de l’Association de la Propagation de la Foi qui recueillait de l’argent venu de presque tous les diocèses d’Europe et d’Amérique et le répartissait pour toutes les missions (Comby, J., 1992 : 207), mais aussi et surtout des pouvoirs coloniaux. C’est le cas du Vicariat apostolique du Kivu qui bénéficia de la grande générosité de Léopold II et reçut des très vastes étendues de terres fertiles grâce à l’expropriation systématique des communautés paysannes à partir de l’année 1887.

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Dans ses travaux consacrés au Congo depuis le souverain belge jusqu’aux années 1990, Auguste Maurel parle de « quatre-vingt années d’expropriations foncières par la colonisation belge et révèle qu’avant d’abandonner le

Congo à la Belgique, Léopold II s’empressa de s’enrichir en distribuant de nouvelles concessions. Environ 20 000 000 ha furent expropriés pour le compte des sociétés privées pendant la période léopoldienne, auxquels il faut ajouter les terres domaniales. Pour l’auteur, il s’agit donc d’un véritable partage juridique de tout le Congo entre le roi, ses familiers et les sociétés financières.»(1992 :57-58).

Cette pratique d’expropriation à grande échelle des terres déclarées abusivement « vacantes » par le système léopoldien est dénoncée aussi par Isidore Ndaywel pour qui le développement des implantations missionnaires dans leur ensemble et celui des rapports entre les deux types de mission, protestant et catholique, ne sont compréhensibles que replacés dans le cadre de la politique globale de l’EIC, particulièrement dans celui de la politique foncière.

Pendant les cinq premières années de l’EIC, Léopold II adopta une politique de grande générosité, accordant de vastes concessions aux entreprises commerciales pour encourager l’initiative privée dans l’exploitation des richesses naturelles du pays. Pour encourager la « nationalisation » (la belgicisation) de la christianisation, il afficha la même générosité à l’égard des missions catholiques dont les membres étaient belges (1998 :350). A part Charles Lavigerie, l’acteur central sur le terrain est sans doute Mgr Victor Roelens, premier Vicaire Apostolique du Haut-Congo. Mais son œuvre déborde la première génération et s’étend beaucoup plus sur la deuxième génération, celle des créateurs et organisateurs. B. La génération des créateurs (1906-1945)

Cette génération connut à elle seule, trois grands événements mondiaux : la Première Guerre mondiale, la crise économique mondiale et la Deuxième Guerre mondiale. Elle connut aussi les premiers fondateurs du Vicariat Apostolique du Kivu. Les deux figures missionnaires qui ont été des acteurs majeurs de cette deuxième génération sont Mgr Victor Roelens et Mgr Edouard-Louis-Antoine Leys.

1. Mgr Victor Roelens et la création des premières missions

Le Pape Léon XIII avait confié la mission d’évangéliser le Congo aux Pères Blancs en 1878. Dès 1879, ils étaient au Burundi et l’année suivante sur la rive occidentale de l’immense lac Tanganyika. C’est alors que furent constituées les deux Missions du Congo Supérieur septentrional et méridional qui devinrent en 1887 le Vicariat Apostolique du Haut-Congo, dont le premier évêque, est Mgr Victor Roelens, une des figures marquantes de ces pionniers.

En 1880 donc, les Pères Blancs fondèrent la première mission dans l’Ubembe, précisément à Mulweba. Mais cette mission ne tiendra que cinq ans à cause des attaques arabes. Le Père Vyncke avait construit dès le 2 juin 1883 une mission au sud de Kibanga. Les rescapés de Mulweba vinrent s’y installer.

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C’est dans cette paroisse que pour la première fois les habitants du Kivu reçurent le baptême à la veille de Noël, le 24 décembre 1883. L’insalubrité du milieu entraîna la mort sur place de six Pères en moins de dix ans. Au mois de mai 1906, Mgr Huys, coadjuteur de Roelens, et le Père Louis Verstraete venant de Baudouinville viennent chercher un emplacement pour fonder la première mission au Kivu.

2. Mgr Edouard-Louis-Antoine Leys (1930-1944) et l’acquisition des domaines fonciers

L’autre personnage très important de la deuxième génération des missionnaires, c’est Mgr Edouard- Louis-Antoine Leys, le premier Vicaire Apostolique du Kivu. Son activité pastorale dans un contexte tout nouveau constitua une base solide sur laquelle ses successeurs viendront édifier l’Église du Kivu en général et celle de Bukavu en particulier. A son arrivée dans le vicariat, il y avait sept missions dont une inoccupée, une école de catéchistes avec un embryon de petit séminaire. Dans ces missions, les écoles étaient à peine fréquentées et les constructions étaient insuffisantes.

Le personnel de tout le Vicariat était composé de 18 Prêtres et 5 Frères, soit en tout 23 missionnaires. Il y avait aussi 13 Sœurs Blanches réparties dans trois postes. Les baptisés étaient 12 500 et les catéchumènes 8 500. De leur coté, les protestants avaient des missions à Uvira, Kaziba, Shabunda et Masisi. Environ 900 Blancs étaient établis au Kivu. On construisait des routes partout. Un projet de chemin de fer Uvira-Bukavu (148 km) était en vue pour favoriser le tourisme et l’implantation des familles européennes dans le milieu. Il a géré le Vicariat d’une superficie de 69 695 km2.

C’est sous Leys que, le 15 août 1940, soit dix ans après son arrivée au Kivu, que les deux premiers prêtres de son Vicariat et natifs du pays furent ordonnés par lui au Petit Séminaire de Mugeri, lieu de sa résidence. Il s’agit de l’abbé Jean Mahano et l’abbé Joseph Busimba, respectivement originaires de Lulenga (Rugari) et Jomba, deux paroisses se trouvant dans l’actuel diocèse de Goma dont Joseph Busimba sera le tout premier évêque.

En dehors du terrain strictement pastoral, Leys a eu à initier quelques actions socio-économiques et culturelles. En effet, bien que « le salut des âmes » fût le but principal de la pastorale missionnaire de l’époque, comme je l’ai souligné plus haut, on voit apparaître des aspects socio-économiques et financiers dans les préoccupations du prélat. Il créa la Caisse de Dépôt et d’Epargne (CADEP), initiative approuvée et encouragée par Mr Noirot, alors gouverneur de la province du Kivu, de même que par le délégué apostolique Dellepiane. Il nous est peut-être difficile d’apprécier à juste titre la portée économique de l’action de Leys en créant la CADEP, déjà à cette époque-là, où les populations n’avaient pas encore acquis une certaine maturité en matière de gestion. C’est pourquoi il est important d’ouvrir une parenthèse pour relever l’importance de l’épargne dans la vie économique d’une entité sociale donnée ou même d’un pays.

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En créant la CADEP, Leys voulait amener la population locale à prendre conscience de la nécessité de l’épargne par un changement de la structure mentale et accepter de faire des sacrifices nécessaires pour épargner, c’est-à-dire sacrifier une consommation immédiate en vue d’une consommation future supérieure. Instituée évidemment dans toutes les missions du Vicariat, la CADEP était sous la direction du Père Supérieur et régie par des statuts appropriés. Elle était ouverte à tous les indigènes et n’avait aucun but lucratif.

Mgr Leys aura gouverné le Vicariat pendant quinze ans. Il fut remplacé par Mgr Richard Cleire. A sa mort, le Vicariat comptait 12 missions où travaillaient 47 Pères et 3 Prêtres congolais, 11 Frères blancs, 47 Sœurs européennes, 15 Frères congolais, 15 Sœurs congolaises et 543 catéchistes. Il laissa un Petit Séminaire avec 64 élèves, une École Normale avec 154 élèves et une École Moyenne qui comptait 82 élèves. Il y avait aussi un Pensionnat et un Collège pour enfants européens.

En outre, une œuvre sociale très importante avait été mise sur pied à Katana: la FOMULAC avec deux hôpitaux, un pour les Européens et un autre pour les Congolais. Il existait aussi un mouvement important d’Action catholique. La presse prenait son essor avec le mensuel « Hodi ». Sur une population estimée à ce moment à 82. 000 âmes, Mgr Leys pouvait léguer à son successeur 66 962 chrétiens et 15 038 catéchumènes. Les résultats obtenus étaient encourageants, compte tenu de la pauvreté des moyens et des difficultés provenant de la guerre. Il y avait encore beaucoup d’âmes à convertir au catholicisme en les amenant au baptême après avoir abandonné la polygamie, la sorcellerie, le fétichisme, l’art divinatoire, etc. Mgr Leys est véritablement le fondateur du Vicariat Apostolique du Kivu, œuvre immense qu’il légua à son successeur, Mgr Richard Cleire.

C. La génération de grands organisateurs, animateurs et administrateurs (1945-1965)

Cette génération de deux décennies se caractérise pourtant par une complexité d’événements mondiaux dont les plus significatifs, par le fait qu’ils ont eu de l’impact sur la vie sociopolitique et économique congolaise jusque d’ailleurs maintenant, sont : la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la reconstruction de l’Europe par le Plan Marshall, le début de la Guerre Froide, la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), la conférence de Bandung et enfin l’Indépendance du Congo.

1. Mgr Richard Cleire (1945-1952)

La figure la plus marquante de cette génération est sans conteste Mgr Richard Cleire. Après un ministère dans les paroisses de Kabare, Bukavu et Nyangezi et comme économe, professeur, puis Recteur du Grand séminaire de Nyakibanda (Rwanda), Richard Cleire fut nommé pour succéder à Leys comme Vicaire apostolique du Kivu.

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A cause de la guerre, son sacre eut lieu à Bukavu. Très doué en langues, d’un esprit clairvoyant et novateur, son engagement pour la justice sociale fut net et le démarqua radicalement de la méthode coloniale et des idées reçues de l’époque.

L’objectif majeur de son épiscopat était d’accompagner le Vicariat apostolique du Kivu à sa maturité responsable. Il voulait l’amener à occuper effectivement sa place dans le concert de l’Église universelle. Quelques années plus tard, le Magistère, comme pour lui donner raison, déclarera ceci à propos du développement des Églises indigènes : « Nous avons eu la joie d’instituer en de nombreux pays la hiérarchie ecclésiastique et d’élever déjà plusieurs prêtres africains à la plénitude du sacerdoce, conformément au « but dernier » du travail missionnaire qui est d’établir fermement et définitivement l’Église chez les nouveaux peuples. Ainsi, dans la grande famille catholique, les jeunes Églises africaines prennent aujourd’hui leur place légitime, saluées d’un cœur fraternel par les diocèses les plus anciens»37.

Mgr Cleire est reconnu dans le Vicariat comme un prélat novateur, un homme clairvoyant qui voyait loin et grand dans l’avenir. Dans un style métaphorique qui décèle déjà sa socialisation, il multipliait ses interventions auprès de la hiérarchie de sa congrégation pour obtenir les moyens nécessaires pour son Vicariat : « Kivu est un garçon qui a grandi, mais qui continue de porter son costume de la première communion. Il pleure pour en avoir un qui soit mieux adapté à sa taille. Quand les Noirs d’ici viennent demander une grande faveur, ils disent en frappant dans les mains : vous êtes mon père, vous êtes ma mère ! Je fais la même chose auprès de vous, et avec combien plus de raison »38.

Le Vicariat Apostolique du Kivu comprenait quatre zones fort différentes du point de vue socioculturel: le Nord (devenu en 1961 le diocèse de Goma), la zone centrale (devenu archidiocèse de Bukavu en 1952), le Sud (devenu une partie du diocèse d’Uvira en 1962), et l’Ouest (qui fut rattaché à Kasongo en 1952). Perspicace, Mgr Cleire constata rapidement que son Vicariat devait être divisé en trois entités sociologiques. Au Nord, les missions de Lulenga, Jomba et Bobandana, peuplées surtout de Banyarwanda et de Bahunde. Le Sud-Est, cœur du Vicariat, avec les missions implantées de Mwanda à Uvira en passant par le triangle Burhale, Kabare, Bukavu et Nyangezi, était peuplé surtout de Bashi, Bahavu, Bavira et Bafuliru.

Très intellectuel lui-même, Cleire s’intéressait aux études. Il s’employa à obtenir de l’administration coloniale la permission d’ouvrir un collège pour Congolais à Bukavu. Après de multiples démarches difficiles, sa cause pour les autochtones finit par l’emporter. Ce collège commença à Rugari en 1949 et fut transféré à Bukavu.

37 Cf. Pie XII, Encyclique « Fidei donum » du 21 avril 1957.

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Les professeurs peu nombreux étaient des Pères Blancs, mais bientôt le collège passa aux Pères Barnabites. C’est l’actuel Institut Kitumaini, ancien Collège Saint Paul. On voit déjà l’esprit d’ouverture du prélat qui voyait la mission comme une œuvre commune et non comme une chasse gardée de sa seule famille religieuse, la Société des Pères Blancs.

Il revient à Mgr Cleire le mérite d’avoir introduit l’enseignement du français dans un système éducatif où jusque-là tout était enseigné en Swahili. Cette initiative qui constituait la clé de toute son entreprise socio-pastorale, fut jugée très audacieuse tant par sa hiérarchie religieuse que par l’administration coloniale. Son objectif était de donner une base indispensable pour un enseignement secondaire fructueux et universel. Il fit réformer complètement les programmes des écoles primaires du Kivu et refaire les manuels scolaires, afin d’arriver à un niveau aux standards internationaux.

Il poursuivra le même plan pour les Petits Séminaires de Mugeri et de Mungombe et obtiendra la reconnaissance par l’État colonial de l’enseignement donné au Petit Séminaire et son diplôme de fin d’études. Cela signifiait pour lui la préparation de professeurs qualifiés et les dépenses en matériel scolaire, action qu’il entreprit avec détermination.

Dans une même optique, il suggéra très tôt à la conférence des évêques du Congo (tous des européens) de doter chacune des cinq Provinces Ecclésiastiques du Congo d’un Grand Séminaire, afin que les séminaristes puissent être formés dans le contexte socioculturel de leur futur travail pastoral. Il essuya alors un refus catégorique de ses compères. Mais dix ans après, en 1959, comme pour lui donner raison, Rome autorisa la fondation du Grand Séminaire Saint Pie X-Murhesa au Kivu.

Dès le début de son épiscopat, Cleire avait transféré sa résidence de Mugeri, où son prédécesseur Mgr Leys l’avait établie, à la ville de Bukavu alors en pleine expansion. Il voulait être présent là où se forgeaient les plans et où l’on prenait les décisions : «Je pense résider habituellement à Constermansville, et non à Mugeri, il y a toutes sortes de raisons pour cela et tous les confrères d’ici sont contents», confiera-t-il au Supérieur Général.

Car, dans son esprit, dès 1945, la colonisation n’était qu’une étape provisoire. Pour lui, les Congolais devaient être préparés à l’indépendance, spécialement en améliorant le niveau des écoles. Il considérait que le travail principal de la mission de l’Église au Congo était non seulement de procurer à tous une vie spirituelle équilibrée, mais aussi de préparer l’avenir en formant des sujets capables de remplir plus tard des fonctions de cadres pour leur pays.

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C’est encore lui, Richard Cleire qui, le premier, lança l’idée de la création d’une Université au Congo. Lovanium fut en quelque sorte une création de son esprit. J’en parlerai dans les pages qui suivent. Bref, Cleire avait une vision intégrale des choses et était conscient que sa mission ne se limitait pas aux seules questions religieuses. Tous les problèmes du pays l’intéressaient, mais ceux qui concernaient les plus pauvres et les plus humbles l’attiraient davantage. A l’époque de son Vicariat, la justice sociale était fort malmenée au Kivu par certains colons peu scrupuleux. Il se présenta comme artisan de la justice sociale et promoteur du développement social.

Dans son mandement de carême du 19 février 1949, resté célèbre et actuel, il intervint énergiquement pour défendre les droits des déshérités: « Devant sa conscience et devant Dieu, personne n’a le droit de retenir le salaire de ses ouvriers; tout chrétien sait ce que l’Ecriture dit de ce péché : il crie vengeance au ciel. Il est injuste d’imposer par des voies détournées, un contrat de travail à un homme que son ignorance ou que sa faiblesse laissent sans défense devant l’astuce de son employeur. Il est injuste de traiter les ouvriers de telle façon qu’ils finissent par se révolter, par déserter ou par tomber d’inanition. Il est injuste d’empêcher les travailleurs de faire partie d’une association professionnelle par laquelle ils pourraient défendre légitimement leurs intérêts. Il est injuste d’imposer à des travailleurs des clauses de contrat qui lèsent les droits d’hommes et des chrétiens, de prendre à des paysans, incapables de se défendre, les maigres champs dont ils ont besoin pour vivre, afin d’en faire un objet de lucre »39.

Il fallait s’armer d’un grand courage pour dire de telles vérités, pour en parler au Congo des années 1949, c’est-à-dire à l’apogée du règne colonial. Cette lettre jugée de subversive dans les milieux