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Considérations générales des objectifs et méthodes missionnaires

Chapitre II : LES OBJECTIFS ET LES METHODES MISSIONNAIRES DANS LE VICARIAT

Section 1. Considérations générales des objectifs et méthodes missionnaires

Les missionnaires, depuis les Pères Blancs, ont entrepris l’œuvre missionnaire à Bukavu, rappelant souvent les objectifs qui leur étaient assignés, à savoir travailler à la conversion des Congolais, selon des formules que chaque groupe privilégiait en fonction de ses moyens et aptitudes.

A. Objectif

L’objectif essentiel, c’était d’annoncer Jésus-Christ, de convertir les auditeurs et d’établir l’Église. Cet objectif unique a été exprimé souvent dans une formule qui rappelait l’œuvre à accomplir, formule qui a varié avec le temps et les équipes missionnaires. Trois étapes ont constitué cette démarche. Ainsi, en est- on passé du « salut des âmes » à « l’évangélisation » en passant par l’« implantation ». Sans m’attarder, je vais dire un mot, sur chacune des trois formules et leur implication socio-pastorale.

1. Le « salut des âmes »

Le « salut des âmes » est la première formulation du travail missionnaire au Congo comme partout en Afrique. Les Pères missionnaires l’ont hérité de la spiritualité du XIXe siècle européen d’où ils venaient, et qu’ils avaient chanté dans « Tu n’as qu’une âme qu’il faut sauver !... ».

C’est ainsi que dans le contexte camerounais, par exemple, la formule du salut des âmes s’est concrétisée à Yaoundé, au dire de Nicolas Ossama, dans la prière que tout bon chrétien Ewondo devait réciter religieusement et dans laquelle il disait à Dieu : « Me ayi kig akuma si, to mvom si, ti mintag mi si,…= je ne désire ni la richesse de ce monde, ni le bonheur, ni les joies de ce monde ; je ne te demande qu’une seule chose, ta grâce, pour que je méprise toutes les joies et tous les plaisirs de ce monde, et que je n’aime que toi… » (2007 :28).

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Bien que cette tendance ait pu s’incarner dans l’agir et les attitudes de certains missionnaires comme orientation pastorale (Hebga, M., 1995 :175), le salut des âmes n’a pas empêché certains premiers missionnaires, en l’occurrence les Pères Pallottins au Cameroun, de mener des activités économiques : débroussage, plantations, élevages, briqueteries… comme nous l’avons précédemment montré, surtout à l’époque de la mission.

2. L’ « implantation de l’Eglise »

L’« implantation de l’Eglise », elle fut, sous les papes Pie XI et Pie XII, le leitmotiv, l’objectif déclaré de l’action missionnaire en Afrique. Il s’agissait pour eux d’implanter solidement l’Église là où elle ne l’était pas encore. Selon Elikia M’Bokolo, cet objectif d’implantation de l’Église a eu comme effet heureux d’éviter une formation au rabais des clergés indigènes des missions catholiques, au moment où, entre les deux guerres, dit-il, l’ « Etale coloniale » pouvait y entraîner. Elle a permis un contrôle serré de cette formation, par les responsables du Vatican (2004 :396). Comme danger, d’après l’auteur, l’on peut signaler le reproductionnisme, c’est-à-dire la tendance à reproduire en terre de mission la chrétienté d’origine du missionnaire : la fierté du missionnaire à faire admirer en terre de mission le style chrétien de son terroir flamand, wallon, le style toscan, andalou, vendéen ou breton…

Chargés entre autres d’aider l’implantation coloniale, nous dit Elikia M’Bokolo, les missionnaires « nationaux » étaient notablement plus encouragés que les étrangers, dont on craignait qu’ils ne détournent les indigènes de l’objectif colonial spécifique à chaque empire, qu’ils soient plus difficiles à manipuler, voire qu’ils ne fomentent des troubles sécessionnistes. Ainsi, par exemple, le décret de 1923 établit pour les colonies françaises que tout enseignement devait se faire en français ou en latin, par des instructeurs ayant obtenu des diplômes français : cette mesure atteignit son objectif, limiter les missions protestantes, en particulier allemandes, anglaises et hollandaises (Ibid.).

Dans leur conception, les occidentaux allaient en mission pour évangéliser, et l’évangélisation est devenue, surtout depuis Vatican II, l’objectif déclaré de l’entreprise missionnaire. Le mot évangélisation inclut, en fait, tout le processus missionnaire : il est catéchèse, il est liturgie, mais il est surtout prédication, et prédication à partir de l’Évangile, sur le texte même de l’évangile. Il est même engagement de l’Église dans le social, au sens large du mot. C’est de cette implication qu’est né l’enseignement social de l’Église. Dans l’entre-deux-guerres, le rôle direct des Africains dans la christianisation commença de s’accroître avec les projets d’ «indigénisation » des Églises africaines.

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La baisse du soutien des Européens aux missions mais également les premières craintes de voir les peuples colonisés lier trop étroitement l’impérialisme occidental à la foi chrétienne et les rejeter de pair, le souhait enfin de se désolidariser des abus qu’elles commençaient à entrevoir, tout cela poussa les Églises à vouloir s’implanter solidement dans les colonies et à s’appuyer sur les indigènes.

Ainsi, au Rwanda-Urundi, les « prêtres indigènes » étaient-ils au nombre de 37 en 1935, et 159 en 1945 ; les « frères » et les « sœurs indigènes » étaient 105 en 1935 pour atteindre 716 en 1945 (Ibid. :396). En ce sens, la mission comme « Évangélisation » dit plus que ce qu’elle a été comme « Salut des âmes » ou comme « Implantation de l’Église ». Dans les deux cas, la mission a pu se faire sans l’Évangile, sans le texte de l’Évangile.

Il est remarquable que le catéchisme, livre de chevet des missionnaires, tout en étant un commentaire sur l’Évangile, ne contenait guère, jusqu’aux années 60, beaucoup de références à l’Évangile même ! Si la préoccupation majeure de la plupart des congrégations missionnaires était d’« amener les masses d’Africains qui gisaient dans l’ombre de la mort à la lumière de la civilisation en les christianisant » (Roussel, J., 1944:

224), certains ne s’intéressaient pas moins à des questions économiques. Les missions avaient une fonction économique non négligeable : parties d’un besoin normal d’autosuffisance, elles avaient cultivé des jardins potagers et élevé du petit bétail.

La création des écoles, des centres de soin, le travail de plus en plus important des catéchumènes firent passer l’exploitation agricole du stade « familial » à un stade quasi industriel : nécessité alimentaire, souci d’aider les populations, disent les uns ; volonté de puissance, appât du gain, disent les autres ; toujours est-il que plusieurs missions devinrent progressivement de véritables entreprises agricoles et artisanales (menuiserie, mécanique, imprimerie, fabrique de tapis, etc.), où les fidèles servaient de main- d’œuvre bon marché, comme en témoignent ces extraits de l’annuaire des Missions catholiques au Congo belge, paru en 1935 :

« Les missions doivent se créer des ressources, et ce faisant, elles contribuent excellemment à la prospérité économique du pays (…) Dans toutes les missions du lac Albert, les catéchumènes travaillent aux cultures vivrières afin de se procurer la nourriture nécessaire ; partout, on tâche d’améliorer les méthodes et de rendement. Comme le Gouvernement pousse les indigènes aux travaux des champs, dans toutes les écoles, les enfants ont leur jardin d’essai et d’expérience (…) Le Vicariat de Lisala possède 800 hectares de cultures de rapport. Ce n’est guère que dans les missions que l’on trouve des jardins potagers et des vergers ; beaucoup d’arbres fruitiers ont été introduits à l’intérieur par les catéchistes et les chrétiens (…) Dans l’Uélé, l’avenir est prometteur au point de vue agricole ; aussi les missionnaires se préoccupent-ils de favoriser l’éclosion du paysannat indigène souhaité par le Gouvernement » (Ibid.).

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B. Les méthodes missionnaires

Il s’agit des façons de faire, des procédés et des manières pour toujours mieux faire, pour parvenir à des résultats plus abondants, complets et définitifs. Les méthodes sont organisées et promues en fonction des temps, des lieux, des impératifs, des hommes et des objectifs préalablement déterminés. Les méthodes missionnaires ont varié dans le Vicariat Apostolique du Kivu surtout en fonction des acteurs, des objectifs poursuivis et de l’époque.

1. Sous les Pères Blancs

Sous les Pères Blancs pour qui tout était nouveau et étranger, l’objectif « Salut des âmes » ne les a pas aidés à accrocher sans coup férir à leurs méthodes les Noirs et à provoquer l’initiative et le sens de la responsabilité. Dans les directives à ses missionnaires de la première caravane à l’Afrique équatoriale, le cardinal Lavigerie disait que ceux-ci « ne devaient pas être des savants, mais bien des chercheurs d’âmes » (Ceillier, J.-C., 2008 :68). Effectivement, pendant longtemps, la vision des Missionnaires d’Afrique concernant les études des prêtres diocésains, leurs fils spirituels, ne changera jamais. Fidèles à l’esprit de leur fondateur, pour eux, les études scientifiques importent peu, seule compte la foi vive pour être un bon prêtre, peu importe son époque et ses exigences pastorales.

C’est ainsi que pendant les décennies lesquelles ils ont dirigé le Vicariat Apostolique du Kivu, la poignée des prêtres diocésains ont été formés dans la seule langue régionale, le swahili, le français étant considéré comme une langue des privilégiés à laquelle le Noir n’avait pas à prétendre. Durant toutes les longues et humiliantes années que durait leur formation, les grands séminaristes congolais devaient marcher nu-pieds. Ils ne seront autorisés à porter des chaussures qu’une fois devenus diacres. Point n’est besoin de dire qu’ils n’avaient pas le droit de manger avec leurs formateurs blancs.

Avec Mgr Leys, les lignes seront timidement poussées avec la création des structures embryonnaires de formation pour les catéchistes et responsables des chapelles-écoles. Il faudra attendre l’avènement de Mgr Richard Cleire pour voir impulser le système éducatif en créant des écoles secondaires aussi bien pour garçons que pour filles, avec des programmes scolaires conformes à ceux de la Métropole. Il est même considéré comme le pionnier de l’enseignement supérieur et universitaire au Congo. J’y reviendrai ultérieurement.

Pour Lavigerie, transformer par les arts et métiers, et par le commerce, un pays barbare comme l’Afrique équatoriale qui est aussi vaste que l’Europe peut paraître une œuvre de longue durée :

« Combien de siècles ne faudra-t-il pas pour faire adopter seulement par de tels peuples nos arts européens ! », s’exclame

le cardinal (de Montclos, X, 1968 :68). Selon lui, trois conditions sont requises pour réussir dans la transformation de l’Afrique : « Élever les Africains choisis « par nous » (les occidentaux) dans des conditions qui les

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laissent vraiment africains pour tout ce qui touche à la vie matérielle ; leur donner l’éducation qui leur permettra d’exercer, aux moindres frais possibles pour la mission, le plus d’influence possible parmi leurs compatriotes ; entreprendre cette œuvre dans des proportions qui lui assurent toute sa portée » (de Montclos, X., 1968 :100).

Pour cela, il faut aux jeunes Nègres, même à ceux dont on voudra faire des instituteurs ou des catéchistes, un état qui leur permette de vivre à leurs frais de la vie africaine et, s’il se peut, un état qui les honore, qui leur donne de l’influence et qui soit accepté sans conteste par tous, de façon à leur permettre d’aider puissamment les missionnaires, sans être une charge pour eux. Et cet état, rassure Lavigerie, qui est universel, universellement honoré et qui remplit toutes les conditions que l’on peut désirer pour assurer leur existence, c’est la médecine (Ibid.).

En agissant ainsi, renchérit-il, les missions africaines ne feraient que pratiquer le moyen marqué par Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même à ses Apôtres pour assurer les fruits de leur apostolat : « Guérissez les malades et dites aux gens : le royaume de Dieu est là près de vous » (Ibid. ; Luc, 10, 9). Il s’agit de ce que Lavigerie appelle, « la manière divine » d’élever leurs jeunes Nègres, un plan tendant à leur donner des sentiments de foi, de dévouement, de zèle vraiment apostolique :

« En parlant de l’éducation matérielle de nos jeunes Nègres, j’ai dit qu’il fallait qu’elle fût africaine, essentiellement africaine. Mais, par contre, leur éducation religieuse doit être essentiellement apostolique. Il y a, en effet, deux manières de faire les hommes à notre ressemblance. La première est de les rendre semblables à nous par le dehors. C’est la manière humaine, celle des civilisations philanthropes, de ceux qui disent, comme on l’a répété à la Conférence de Bruxelles, que pour changer les Africains, il suffit de leur enseigner les arts et métiers de l’Europe. C’est croire que, lorsqu’ils seront logés, vêtus, nourris comme nous, ils auront changé de nature. Ils n’auront changé que d’habit. Leur cœur sera aussi barbare, plus barbare même ; car il sera aussi corrompu, et fera servir à sa corruption ce qu’il aura appris des secrets de notre luxe et de notre mollesse. La manière divine est tout autre. C’est saint Paul qui l’a défini en disant : « Se faire tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ » (1 Co. 9,22). L’apostolat s’adresse à l’âme, c’est l’âme qu’il change, sachant que tout le reste viendra par surcroît, et pour gagner l’âme il se condamne lui-même, s’il le faut, à abandonner toutes les habitudes extérieures de la vie. Il se fait barbare avec les barbares, comme il est grec avec les Grecs.» (Ibid.:101-102).

Cet objectif de Lavigerie a-t-il été atteint en Afrique centrale et des Grands lacs ? Il serait difficile de répondre par l’affirmative. Certes, les Pères Blancs ont fidèlement mis en application l’esprit de leur fondateur. Mais l’objectif n’a pas été atteint car la philosophie de départ portait en elle-même des limites. L’homme étant un tout cohérent, on ne saurait imaginer son développement (c’est-à-dire, selon l’idéologie occidentale dont Lavigerie est aussi porteur, « sortir l’homme Noir de sa barbarie en le civilisant »), en ne s’occupant que de sa seule âme, comme s’il n’était qu’âme !

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C’est justement le travail que les Pères Blancs ont réalisé dans le Vicariat apostolique du Kivu. A part quelques cas isolés, tel Mgr Richard Cleire, ils ne se sont pas intéressés à la question économique de leurs missions ni de leurs chrétiens. Seul le soin de l’âme par les sacrements et les instructions chrétiennes régulières suffisaient pour procurer aux ouailles le nécessaire à leur bien-être.

C’est dans cette philosophie qu’il faut placer l’attitude des Pères Blancs vis-à-vis des études supérieures du clergé diocésain du vicariat qu’ils jugeaient inutiles, des structures économiques rentables quasi inexistantes dans les missions. Cette conception édulcorée et réductrice du bien-être de l’homme noir a eu des répercussions sur les comportements des chrétiens et de leur hiérarchie autochtone après le départ de celle missionnaire comme je le montrerai dans le quatrième chapitre.

2. Avec l’arrivée des autres congrégations et après la Deuxième Guerre Mondiale

Avec l’arrivée des autres congrégations et après la Deuxième Guerre Mondiale, les circonstances de temps ont orienté leur apostolat missionnaire vers les méthodes telles que les « pierres d’attente », l’adaptation, sans pour autant abandonner le salut des âmes. La spiritualité missionnaire de Lavigerie orientait nettement dans ce sens, mais dans un contexte colonial très différent du précédent, car ici le ton était désormais celui d’une opposition de rivalité entre l’État colonial et la mission chrétienne, d’une part, et, de l’autre, entre les deux et l’aspiration des indigènes à leur indépendance. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre Mondiale de 1939-1945 que les « pierres d’attentes » engagent la méthode d’« Adaptation », puis de « l’Africanisation ».

Mais, déjà, dans le Vicariat Apostolique du Kivu, dès l’époque des Pères Blancs, certaines langues indigènes, en l’occurrence le Mashi pour le Centre-Est, le Kinyarwanda pour le Nord, et le Swahili pour le Sud, l’Ouest et dans les villes, avaient été promues langues de prières et de cantiques religieux catholiques. Les « Oburhekere Butagatifu, Missale Ntakatifu, Mwaka A, B, C » vont se multiplier, des livres des Évangiles du dimanche furent édités, des extraits et des résumés du texte de la Bible, ainsi que le « Endagano Mpyahya, Nouveau Testament ». Il faudra attendre les années 1990 pour éditer en Espagne la Bible d’abord en Mashi puis en Swahili, œuvre formidable d’un groupe de prêtres et d’anciens grands séminaristes sous la direction de l’Abbé Vincent Mulago sous l’imprimatur de Mgr Aloys Mulindwa (1992).

3. Les méthodes Post missionnaires : l’ « indigénisation » et l’ « inculturation »

J’appelle ainsi les manières et les formules venues après 1966, en particulier dans les Églises du Congo. Au début, elles furent plutôt disparates, d’orientation hétéroclite, les unes portées vers le passé, d’autres voulant innover, sinon « prophétiser ». Peu à peu, une orientation générale s’imposa, celle de la Conférence Nationale Episcopale du Zaïre.

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Ce fut d’abord l’ « indigénisation», au cours des années 197035. On en vint ensuite à l’ « inculturation »,

à la fin des années 1980, dans tous les diocèses du Congo. Après plusieurs années d’hésitations, Rome finit par autoriser que la messe soit célébrée dans ce qu’on appelle le « Rite zaïrois » qui intègre des éléments culturels dans la célébration de la messe. Très vite, les populations chrétiennes trouvèrent en ce rite une expression concrète de leur âme socioculturelle dans la célébration de la messe, notamment la place donnée aux ancêtres et leur invocation comme intercesseurs aussi puissants que les saints chrétiens auprès de Dieu.

Depuis l’agrément de ce rite zaïrois, on observe une participation enthousiaste des fidèles à la liturgie. De sorte que, parmi les multiples messes dominicales, la messe célébrée en « Rite zaïrois » est la plus animée et solennelle dans toutes les cathédrales du Congo. Car, non seulement la liturgie, dont le chant dansé occupe la place centrale, est célébrée dans les langues locales36, mais aussi les chrétiens découvrent des éléments de leur culture qui sont insérés dans la célébration de la messe.

Section 2 : Les générations successives des missionnaires dans le Vicariat Apostolique du Kivu,