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Section 1. Le concept de mort

3. L’approche psychanalytique

L’approche psychanalytique permet de traiter des processus psychiques, conscients et inconscients mis en œuvre dans la façon d’appréhender la mort. Les travaux de Freud en la matière sont bien sur abordés, ainsi que les travaux fondateurs de Becker (1973) qui synthétise les opinions de plusieurs auteurs, tels que Freud, Fromm, Kierkegaard, Rank, Jung ou encore Maslow. Nous abordons ainsi successivement : le paradoxe existentiel propre à l’homme, la dramatisation freudienne de la mort et la mort en tant qu’idée vide de sens.

3.1. Le paradoxe existentiel de l’homme comme point de départ

Becker (1973) souligne le fait que l’homme se distingue des autres êtres vivants dans sa nature paradoxale : le fait qu’il soit moitié animal, moitié symbolique (Fromm, 1964). Ce paradoxe a été repris par des nombreux auteurs tels que Kierkegaard, Jung, Fromm, Maslow, Otto Rank etc. Il est considéré par Becker comme étant la condition de l’individualité à l’intérieur de la finitude. L’homme a donc la particularité d’être constitué de deux dimensions :

- une dimension matérielle, corporelle : l’homme est dans la nature à cause de son corps (Conche, 1980) et a en ce sens conscience qu’il va disparaître à jamais. Il s’agit du soi physique (Becker, 1973) ;

- une dimension symbolique : l’homme a une identité symbolique individuelle, unique, au-delà de la nature, avec une histoire de vie qui lui donne une valeur infinie. Son esprit et sa conscience de soi lui confèrent un statut particulier qui transcende la nature : il s’agit du soi symbolique via le sens (Becker, 1973).

Sur la base de ce paradoxe existentiel, Becker montre que l’appréhension de la condition humaine peut pousser l’individu à tomber dans la folie. C’est ce que souligne d’ailleurs Pascal, cité par Becker, pour qui « l’homme est nécessairement tellement fou que ne pas être fou serait une autre forme de folie ». Becker explique ce terme de folie en soulignant que tout ce que l’homme cherche à faire dans son monde symbolique est finalement une tentative de nier ou de surmonter sa fatalité matérielle et corporelle. Ainsi, les auteurs précisent que l’homme s’investit littéralement dans de nombreuses préoccupations personnelles, sociales, qui sont autant de ruses psychologiques, tellement éloignées de la réalité qu’elles peuvent apparaître comme des formes de folie. Dans cette perspective, Ferenczi (1959) parle même des traits de caractère comme étant des « psychoses secrètes ». Cette idée souligne le fait que cette dualité, symbolique et matérielle, ne peut exister chez l’homme sans heurt. Becker, citant Kierkegaard, indique que l’anxiété de l’homme est fonction de cette ambiguïté et de sa capacité à la surmonter. Nous développerons cette idée relative à l’anxiété existentielle dans la section 2 de ce chapitre 1.

3.2. Freud : une dramatisation de la mort

La théorie psychanalytique de Freud (1912, 1915) participe à une dramatisation de la mort. Pulsions de vie et pulsions de mort (Eros et Thanatos) sont abordés comme des objets tabous généralisés. Il semble cependant que le tabou de la mort soit plus fort que celui qui touche la sexualité (Ariès, 1977), la mort étant frappée d’interdit. Becker (1973) donne des éléments d’explication pour mieux comprendre pourquoi Eros et Thanatos sont des notions inséparables. D’une part, la nature arrive à conquérir la mort, non pas en créant des organismes éternels, mais en donnant la possibilité de procréer. D’autre part, le sexe représente la défaite de l’individualité en rappelant à l’homme qu’il n’est qu’un lien dans la chaîne de la vie et de l’être ; en ce sens, l’homme devient échangeable et facilement remplaçable.

Selon Freud, trois aspects participent à ce phénomène de dramatisation. Tout d’abord, il existe une conduite interminable et douloureuse de deuil, marquée par une culpabilité et une perte d’intérêt pour le monde extérieur. La culpabilité serait, selon Freud, liée à la volonté de l’inconscient de souhaiter la mort d’autrui. De plus, le comportement individuel se caractériserait par une tentative de destruction ou de libération après une phase d’identification et enfin, un instinct de mort (appelé « thanatos ») existant au fond de l’âme. Ainsi, au fond du psyché, l’individu rechercherait sa propre disparition, tout en éprouvant une satisfaction narcissique dans le deuil, comme si la mort d’un proche favoriserait sa propre mort. A travers l’instinct de mort, l’homme aurait une tendance innée à l’agression, à la destruction, au mal et à la haine (Becker, 1973). Becker (1973) l’explique en précisant que le désir de mourir existe, mais serait remplacé par le désir de tuer, dans le sens où l’homme arriverait à vaincre sa propre mort en tuant les autres. Tuer serait ainsi la solution symbolique trouvée par l’homme pour répondre à la peur de la mort ressentie. Rank (1931), cité par Becker, le définit très bien : « la peur de la mort de l’ego est atténuée par le fait de tuer l’autre ; à travers la mort de l’autre, l’homme se libère de la sentence de mourir ».

Selon Freud, concernant la mort personnelle traitée dans les discours, les hommes seraient soi-disant convaincus que la mort est un phénomène naturel, inévitable, alors qu’en réalité, tous tentent d’écarter la mort, de l’éliminer, de jeter sur elle le silence. Personne ne croît au fond à sa propre mort, et il serait, selon Freud, impossible de se la représenter. Quand on essaie, on y

assiste qu’en tant que spectateur. En parallèle, Freud précise que l’inconscient est persuadé de l’immortalité personnelle.

De plus, Freud présente l’écart qui existe entre la banalisation de la mort en tant qu’événement occasionnel et le respect que les individus ont à l’égard de l’individu mort. Ainsi, concernant la mort d’autrui, les individus adoptent une attitude plutôt conventionnelle et insistent généralement sur la mort occasionnelle, la dépouillant de tout caractère de nécessité. Toujours dans les discours, il existe un fort respect à l’égard du mort, supérieur même à la vérité (nous avons par exemple tendance à n’évoquer que des qualités en parlant du mort) et à la considération que nous devons aux vivants. Pour Freud, les individus se comportent comme s’ils souhaitaient suivre dans la mort ceux qu’ils ont aimés dans la vie, perdant ainsi tout intérêt pour la vie.

Voilà pourquoi, selon Freud, l’individu recherche dans le monde de la fiction, la littérature, le théâtre, voir même la consommation, ce qu’il est obligé de refuser dans la vie réelle. Dans la fiction, l’individu retrouve ce qui pourrait le réconcilier avec la mort, c’est-à-dire l’idée selon laquelle, malgré les aléas de la vie, nous continuerons à vivre, mais d’une vie qui sera à l’abri de toute atteinte. La fiction présente ce dont nous manquons : des hommes qui savent mourir et qui s’entendent à faire mourir. Sans cela, l’individu se sent impuissant, perd tout contrôle et son incapacité à maîtriser les évènements semble le dépasser.

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3.3. La mort, une idée vide de sens

Dans les sociétés primitives, la mort est prise au sérieux, et l’on s’en sert en conséquence : l’individu tue volontiers et naturellement. Pourtant on assiste à la naissance d’une ambivalence affective, d’un conflit affectif entre l’amour porté à une personne et la haine ressentie pour le même individu qui nous apparaît comme étranger. De plus, le sentiment de culpabilité, les remords font naître les premiers commandements moraux (« tu ne tueras point ») et l’homme primitif développe alors l’idée d’une décomposition de l’individu en un corps et une ou plusieurs âmes. Le souvenir persistant du mort est ainsi à la base de la croyance en une vie après la mort, en l’immortalité et en de possibles réincarnations. Avec cette promesse de l’éternité vient la négation de la mort : refuser sa propre mort et le rôle destructeur de la mort.

Pour Freud, l’inconscient se comporte comme l’homme primitif. L’inconscient constitue l’ensemble des instincts. L’inconscient moderne ne croît pas à la possibilité de sa propre mort et se considère immortel. Louis-Vincent Thomas, en citant Freud, ajoute qu’en chacun de nous existeraient le moi et le soi : le moi redoute la mort et fait que l’on s’y prépare ou qu’on l’évacue (via le déni) ; le soi nous renvoie simultanément à l’inconscient animal et surtout à la vie.

La mort n’est alors pas une perception sensible, c’est une idée vide de signification. La croyance en la mort ne trouve donc aucun point d’appui dans nos instincts et l’angoisse de la mort résulte pour Freud du sentiment de culpabilité. De plus, l’inconscient se contente de penser la mort et de la souhaiter, sans la réaliser : il existerait ainsi une volonté de supprimer tous ceux qui nous font du mal, vérité qui est niée dans l’inconscient et abordée uniquement sous forme de plaisanteries. Tout comme l’homme primitif, il existe un conflit affectif, une ambivalence affective liée à la mort d’un être cher. D’où les traits communs à l’homme primitif et à notre inconscient : l’impénétrabilité à la représentation de notre propre mort, le souhait de mort contre l’étranger et l’ennemi et l’ambivalence à l’égard de la personne aimée.

Pour conclure, Freud recommande de prêter une plus grande attention à la mort pour être sincère avec soi-même et rentre la vie plus supportable : « Si tu veux supporter la vie, soit prêt à accepter la mort ».

Encadré 1.1.3. Les apports de l’approche psychanalytique

! Un paradoxe existentiel fondamental : l’homme a un soi physique via le corps et un soi symbolique via le sens et la conscience.

! Le tabou lié à la mort via l’instinct de mort : l’homme rechercherait sa propre disparition. ! Personne ne croit à l’idée de sa propre mort et impossibilité de se la représenter (Freud).

Cependant, l’inconscient croit à l’immortalité personnelle. ! Angoisse relative aux pensées liées à la mort.

! Déni de la réalité corporelle de l’individu dans une inconscience aveugle : l’homme se lance dans des préoccupations personnelles et sociales éloignées de la réalité, voire dans la fiction pour refuser la réalité.

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