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Section 1. Le concept de mort

1. L’approche biologique

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! L’approche biologique est bien sur incontournable, car le corps est le premier touché par la mort. Les professionnels de la santé cherchent en permanence à atténuer la douleur, allonger l’existence, ou à faciliter le dernier moment, à l’humaniser. Descartes voit les débuts de la non mortalité comme le premier fruit de la science expérimentale. La mort biologique marque l’arrêt des fonctions vitales et la perte de cohérence fonctionnelle du corps. Elle est, pour l’homme, un fait biologique, celui que nous voyons dans le cadavre.

Notons que l’approche biologique nous a permis de considérer deux réalités différentes, deux manières d’appréhender et de définir la mort qui seront expliquées dans cette sous-partie et qui correspondent à la citation de La Bruyère (1688), pour lequel « la mort n’arrive qu’une fois et se fait pourtant sentir à tous les moments de la vie ».

1.1. La mort, un processus inéluctable, nécessaire et paradoxale

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! L’approche biologique, bien que fondée sur des critères et des définitions purement scientifiques, apparaît cependant assez complexe. D’une part, la mort est vue comme une donnée paradoxale : elle est le rien que l’on a du mal à cerner, mais sur lequel se focalisent toutes nos angoisses et nos énergies pour le repousser. La mort est quotidienne (mais paraît loin quand on est jeune), naturelle (mais apparaît parfois comme une agression brutale qui prend au dépourvu), aléatoire et universelle. Pour Baudrillard (1976), « Il n’y a de bonne mort que vaincue et soumise à la loi » (L’échange symbolique et la mort). D’autre part, la mort s’étale dans le temps : c’est un processus et non un état. Ainsi, la vie représente le temps que nous mettons à mourir. La mort est donc inséparable de la notion de temps et de la façon dont l’individu va utiliser ce temps.

Les définitions médicales d’inspiration chrétienne insistent sur le dualisme âme/corps et la distinction homme/animal. Il existe également des critères par lesquels nous confirmons la

mort, même s’ils ne disent rien sur le phénomène : la mort n’existe pas, seuls existent le mourant et le cadavre. Toutefois, Schwartzenberg (1977) propose d’adopter une nouvelle définition de la mort : « la nouvelle définition de la mort n’est ni médicale, ni biologique, ni scientifique ; c’est une définition métaphysique. On définit la mort d’un être humain à partir du moment où sa conscience est morte ».

Il existe de nombreuses causes à la mort, différentes selon les âges, les époques, les lieux, les catégories socio-professionnelles, qu’il s’agisse de causes endogènes (mort génétique ou naturelle) ou de causes exogènes (mort accidentelle telle que le suicide, le meurtre). D’un point de vue scientifique, la mort se révèle comme une loi inéluctable, une nécessité inhérente à la vie, à la nature et à l’espèce humaine. Ainsi, selon cette première approche, la mort apparaît come un événement, un fait vérifié, objectif et constatable lorsqu’elle a déjà eu lieu. La mort a alors un caractère rétrospectif et n’est que constatée par les autres, comme si elle ne nous concernait pas. Comme le souligne P. Valéry (1919), « la mort est ce qui arrive aux autres ».

1.2. La mort, processus inséparable de la vie

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Parler de la mort nous impose nécessairement d’aborder le concept de vie. Mort et vie semblent ainsi être deux concepts opposés. Pourtant, les notions de mort et d’absence de vie d’une part, et de vie et d’absence de mort d’autre part sont bien complémentaires et l’approche biologique permet de souligner les liens existants entre ces notions.

Particulièrement dans l’approche biologique, la mort est inséparable de la vie. Alors que la mort est souvent perçue comme un mal, une punition, il faudrait la regarder comme inséparable de la vie : elle la conditionne. Ainsi, Schopenhauer (1818) écrit : « Naissance et mort sont deux accidents qui, au même titre, appartiennent à la vie ; elles se font équilibre ; elles sont mutuellement les conditions l’une de l’autre ou, si l’on préfère cette image, elles sont les pôles de ce phénomène, la vie, pris comme ensemble… dans toutes ces images [relatives aux rites des défunts chez les grecs et les romains], le but évident était de détourner nos yeux de la mort du défunt dont on célébrait le deuil, et par un effort violent, de les élever jusqu’à considérer la vie immortelle de la nature. » Mort et vie sont indissociables : la mort est déjà dans la vie et il reste même parfois un peu de vie dans la mort.

Cela nous conduit alors à considérer une seconde approche de la mort, comme étant ce qui se fait sentir à tous les moments de la vie. Ainsi, selon La Bruyère, nous nous savons si bien attendus par la mort que nous en percevons parfois la présence. Nous en présumons partout le risque et chacun de nos gestes en est alors conditionné. Toutes nos expériences sont ainsi en relation avec la mort. En définitive, c’est donc le seul événement auquel nous sommes sûrs de ne pas assister, mais dont nous savons qu’il ne manquera pas d’arriver et que nous redoutons. Cette attente correspond alors à l’imagination et à l’anticipation de la fin de tout avenir, de toutes possibilités. Prenant le contre-pied du refoulement, une autre tendance consiste à réhabiliter la mort en lui attribuant un rôle irrationnel et « extatique ». Siemons (2009) considère d’ailleurs la mort comme l’alliée la plus fidèle de la vie.

Encadré 1.1.1. Les apports de l’approche biologique

! La mort est définie comme naturelle, inéluctable, universelle, un fait vérifié, objectif et constatable.

! La mort est nécessaire à la vie, à la nature et à l’espèce humaine. ! La mort, inséparable du temps, est un processus tout au long de la vie.

! La mort conditionne la vie : toutes les expériences sont en relation avec la mort et avec son anticipation.