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CHAPITRE IV: L’APPRENANCE PROFESSIONNELLE MOTEUR DE CHANGEMENT

4.2. L’apprentissage organisationnel

4.2.2. L’apprentissage organisationnel explicité par trois conceptions théoriques

4.2.2.3. L’apprentissage organisationnel vu par l’approche expérientielle

En se basant sur les travaux de Piaget, Dewey et Lewin, Kolb définit l’apprentissage comme un processus dialectique entre la réflexion et l’action permettant de transformer l’expérience de la personne en connaissance (cité par Fillol, 2002, p.69). Pour lui, le processus d’apprentissage expérientiel comprend les phases suivantes: l’expérimentation de la situation, l’observation réflexive, la conceptualisation et la formalisation d’un ensemble de théories et règles qui vont être mises en action et en expérimentation (Derobertmasure, 2012, p.52).

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En effet, tout le monde s’accorde à dire que l’expérience joue un rôle incontestable dans le développement des compétences et des savoirs des individus. L’expérience est un terme utilisé dans plusieurs expressions comme « les acquis de l’expérience », « apprendre de

l’expérience», « valider les expériences », etc. C’est en expérimentant les choses que

l’individu apprend à s’adapter aux différentes situations qu’il rencontre. Ce rôle conféré à l’expérience paraît dans les écrits de plusieurs auteurs. Dewey (1938), affirme l’importance du « Learning by doing ». Piaget (1959) met en relief le lien entre l’expérience concrète et le développement de l’intelligence. Argyris et Schon parle de l’apprentissage qui se fait dans et sur l’action grâce à la réflexion (cités par Oudet, 2006, p.250).

L’approche expérientielle définit l’apprentissage comme étant « le processus par lequel

la connaissance est créée à travers la transformation de l’expérience » (Morin, 1996, p. 190).

Les expériences vécues au passé marquent souvent la personne et influencent son présent. Elles sont considérées comme un patrimoine expérientiel: « l’expérience s’acquiert non par

accumulation mais par intégration. […] Elle est à la fois action et patrimoine, produit et processus» (Oudet, 2006, p.254). L’expérience se construit dans la pratique. Cependant,

la pratique à elle seule ne suffit pas. Pour devenir une expérience ayant du sens et produisant des savoirs, la pratique a besoin d’un retour sur elle-même et d’un travail de réflexion et d’intégration. La distanciation réflexive vis-à-vis des pratiques rend possible la compréhension, l’explicitation, l’interprétation de l’action et la résolution des problèmes. Elle conduit le professionnel à un travail de conceptualisation et favorise la production de tout type de savoirs (théoriques, procédurales, savoir-faire, etc.). Elle permet en outre le transfert de l’ensemble des savoirs mobilisés à une autre situation, produisant ainsi de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences (Oudet, 2006, p.254-258). Nous aurons l’occasion, dans le sixième chapitre, de développer le rôle de la réflexivité dans la production de nouveaux apprentissages grâce à la transformation de l’expérience.

Soulignons que toute expérience n’aboutit pas obligatoirement à un apprentissage. Il faut qu’elle réunisse un nombre de conditions: qu’elle soit d’abord riche et complexe autrement dit qu’elle comporte un problème à résoudre; que le processus d’apprentissage soit bien organisé, basé sur les besoins de la personne et visant des objectifs bien précis; qu’elle constitue enfin un mouvement de va et vient entre l’action et la réflexion permettant de construire les savoirs.

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Le contenu de l’expérience et son processus dépend également du contexte du travail: nature et contenu du travail, modes d’organisation du travail, diversification des situations du travail et du mode de management. L’organisation du travail « influence la nature et le contenu

de l’expérience selon qu’elle favorise ou non l’intelligibilisation des pratiques via les modes de management et les interactions qu’elle rend possible » (Oudet, 2006, p.254-261). Pour

qu’elle soit communicable, l’expérience a besoin d’être valorisée et reconnue. Le contexte de travail doit être riche en situations de travail variées et enrichissantes. Pour Tarondeau (1998) l’être humain éprouve du plaisir quand il apprend. Il suffit de lui assurer un contexte stimulant: « Les sources de savoir individuel sont quasi illimitées lorsque l’individu est placé

dans des contextes changeants et stimulants où il exerce librement ses facultés d’expérimentation et satisfait son plaisir d’apprendre » (cité par Leonard-Barton, 1992,

p.10). La formation continue offre aux enseignants des possibilités d’interprétation de l’expérience professionnelle.

Les chercheurs spécialistes dans le domaine de la théorie organisationnelle s’intéressent à l’apprentissage à partir de l’expérience. « La logique managériale de l’OA s’appuie sur

les théories de l’experiential learning et de l’action learning» (Belet, 2003, p57). Leavitt

et March (1988) voient que les organisations apprennent de leurs expériences en les transformant en routines. Elles «encodent les conclusions qu’elles tirent de leurs expériences

sous forme de routines guidant le comportement » (Argyris & Schon, 2002, p.247).

Nous présentons dans le tableau qui suit une synthèse de l’AO tel qu’il est abordé dans les approches que nous venons de développer plus haut (voir tableau nº 8).

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Tableau nº 8

Synthèse de l’AO selon les approches behavioriste, cognitive, socio-constructiviste et expérientielle

Approche behavioriste Approche cognitive et

socio-constructiviste Approche expérientielle L’apprentissage est un processus

d’ajustement des routines

existantes (Fiol et Lyres)

L’apprentissage est un processus

essentiellement cognitif

d’acquisition des connaissances (Huber 1991)

L’apprentissage est un processus dialectique entre la réflexion et

l’action qui permet la

transformation de l’expérience en savoirs « Learning by doing ». (Kolb, 1984) (Morin, 1996) L’apprentissage est un processus

de changement de comportement, comme résultat de l’évolution des routines qui évoluent (Levitt et March)

L’apprentissage est un processus d’assimilation-accommodation des schèmes de pensées basés sur les interactions avec l’environnement (Morin 2009).

L’apprentissage est un processus

mécanique de réponses

conditionnées et renforcées. Il se fait par essai/erreur menant l’individu à modifier ses choix

L’apprentissage est un processus de transformation de l’état des connaissances et des savoir-faire dus à une réflexion, un traitement

et une interprétation des

informations (Nonaka & Takeuchi, 1997).

L'apprentissage est une

modification et une restructuration des théories de l'action (Argyris et Schon, 1978)

Notons qu’aucune de ces perspectives n’a pu élaborer une conceptualisation complète qui rend compte de tous les enjeux théoriques et pratiques de l’AO. Durant les dernières années, un rapprochement est constaté entre les différents champs d’étude dans une tentative de développer une théorie plus générale « de manière à ce qu’elle englobe à la fois un

changement dans les routines, dans les compétences ou dans les représentations cognitives, à condition de définir une hiérarchie entre ces trois types d’apprentissage » (Cayla, 2007,

p.38). En effet, plusieurs chercheurs soulignent que les différentes dimensions de l’apprentissage ne sont pas totalement séparées. Les individus apprennent par essai/erreur, en

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agissant sur les choses, en réfléchissant avant, pendant et après l’action, en interprétant les faits dans et au travers de l’action et en expérimentant les choses. « Dans cette situation, il y a

lieu de penser que les processus d’apprentissage combinent des phases à dominante cognitive et des phases à dominante comportementale en interaction qui se traduisent dans des développements cognitifs et comportementaux qui s’ajustent de façon interactive et permanente jusqu’à l’accomplissement des processus » (Nonaka & Takeuchi, 1997, p.8).

Nous pouvons donc conclure des explications du phénomène d’apprentissage que le professionnel apprend en situation de travail. Nous distinguons trois niveaux d’apprentissage élaborés par Argyris et Schon (1978): l’apprentissage en simple, double et triple boucle que nous détaillerons dans les lignes suivantes.