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CHAPITRE IV: L’APPRENANCE PROFESSIONNELLE MOTEUR DE CHANGEMENT

4.1. L’apprenance professionnelle: définition et niveaux

Belet explique que la traduction du terme organisation apprenante est souvent mal interprétée par les francophones. Une des raisons est de nature sémantique et réside dans la traduction des termes anglo-saxons «Learning organization» ou « learning compagny ». Dans le monde culturel français l’apprentissage est lié à l’individu. Sa dimension collective organisationnelle reste ambiguë et floue. En revanche, le terme « Learning » possède une connotation différente dans le contexte anglophone. L’accent est plus mis sur l’apprenant que sur l’enseignant. « Les Anglo-saxons ont d’ailleurs toujours davantage mis l’accent sur celui

qui apprend et sur la façon dont il apprend que sur celui qui enseigne et sur le contenu de l’enseignement comme c’est le cas de la tradition pédagogique française » (Belet 2003, p.

51-52). A la suite de Belet, nous préférons utiliser le terme « apprenance » traduisant mieux le terme « learning » qui s’inscrit dans l’univers de management des hommes et des organisations (Belet, 2003, p.52) et nous ajoutons professionnelle puisque l’apprenance dont il est question se fait sur lieu de travail.

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Le concept d’apprenance est associé au paradigme de l’organisation apprenante. Argyris lie l’apprentissage au concept d’action plus qu’à l’introduction d’une nouveauté. Pour lui, «apprendre n’est pas seulement avoir une nouvelle intuition ou une idée neuve. Nous

apprenons dans l’action, nous apprenons quand notre action est efficace, nous apprenons quand nous détectons et corrigeons une erreur » (Argyris, 2003, p.17). Belet donne à

l’apprenance une dimension managériale. Elle est, pour lui, « une philosophie managériale

différente des synergies entre le projet stratégique de l’entreprise et les potentiels des hommes » (Belet, 2003, p.69). Elle permet aux organisations éducatives d’agir dans des

environnements professionnels complexes et changeants. Elle est un levier déterminant pour le développement professionnel des acteurs et pour l’amélioration des performances de l’établissement scolaire à tous les niveaux.

En faisant référence à la revue de littérature, nous constatons que le mot apprentissage a deux sens: le premier se réfère au « produit », à l’ensemble d’expériences accumulées avec le temps, à « ce qu’on a appris » (informations, connaissances, techniques, pratiques, compétences, etc.); le second au processus qui permet d’obtenir ce produit. Il s’agit là de l’acte même d’apprendre, du processus d’apprentissage: « comment apprenons-nous ? ». Selon Argyris et Schon, le schéma générique de l’apprentissage comprend un contenu, un processus et un sujet. C’est « un contenu d’information ou produit d’apprentissage, un

processus d’apprentissage qui consiste à acquérir, traiter et stocker l’information; et un apprenant à qui le processus d’apprentissage profite » (Argyris & Schon, 2002, p.24).

Les avis à propos du sujet qui apprend sont divergents. L’approche individualiste explique l’apprentissage à partir de l’activité cognitive des individus dans l’organisation. C’est l’individu qui apprend. Un autre courant pense l’organisation d’une manière métaphorique à la manière d’un individu ou une collectivité. L’apprentissage est aussi appréhendé à partir des pratiques, des routines et de la mémoire organisationnelle. On parle alors d’apprentissage organisationnel. Miner et Haunschild (1995) ont montré qu’un groupe d’entreprises peut constituer, lui aussi un sujet d’apprentissage puisque les entreprises apprennent les unes des autres grâce au partage des routines et des expériences (cité par Leroy, 2000, p.86). Pour Huber (1991), le problème du sujet qui apprend ne se pose pas car, il peut être n’importe quelle «entité qui acquiert, interprète, diffuse et retient des connaissances, peu importe que

90 L’apprenance organisationnelle L’apprenance collective L’apprenance individuelle

Les recherches scientifiques distinguent donc trois niveaux d’apprenance: l’apprenance individuelle, l’apprenance collective et l’apprenance organisationnelle. Dans les paragraphes qui suivent, nous détaillerons les trois niveaux tout en signalant que l’individu et la collectivité se trouvent au cœur de l’apprenance organisationnelle (voir figure nº 11).

Figure nº 11

Représentation de la relation entre l’apprenance individuelle et l’apprenance organisationnelle

L’apprenance est souvent liée à l’acquisition des connaissances et des capacités. Selon Kim, elle comporte deux sens: l’acquisition du comment « know-how » qui exige des capacités physiques pour accomplir une action et l’acquisition du pourquoi « know-why » qui implique une capacité de compréhension de l’expérience (Kim, 1993, p.3). Ce processus permet à l’individu de tirer des leçons et d’agir plus efficacement. Il se caractérise par la disposition de la personne à collecter et traiter les informations, autrement dit, « toutes les

capacités qui permettent de glaner de l’information et de la transformer pour en tirer des leçons conduisant l’individu à agir autrement dans une situation nouvelle ou similaire »

(Marsan, 2005, p.1).

L’ensemble des théories étudie les mécanismes cognitifs, comportementaux, affectifs et sociaux assurant la réalisation de ce processus. Pavlov (1927) avance l’idée que l’apprentissage est un processus de réponses mécaniques conditionné par les stimuli extérieurs. Pour Piaget (1959), l’apprentissage est la résultante des interactions entre les données extérieures et l’activité mentale de l’individu. Un équilibre se réalise entre les informations nouvellement acquises et les schèmes cognitifs déjà existants. De ce fait,

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l’apprentissage ou comme Piaget l’appelle «l’adaptation intelligente », se présente comme le processus assimilation-accommodation des schèmes de pensées de la personne pour s’adapter à son environnement (Morin, 1996, p180-181). Selon Maisonneuve (1991) l’apprentissage est « la capacité d’un individu à réaliser une tâche sous l’effet des interactions dans son

environnement » (cité par Morin, 1996, p.169).

Schön (1987) de sa part, trouve que l’individu apprend dans la pratique professionnelle grâce à la réflexion dans et sur l’action. Charlier explique que l’expérimentation des choses nouvelles permet à l’enseignant d’acquérir de nouveaux savoirs et lui donne du pouvoir sur son action :

« L’apprentissage n’est possible que dans la pratique. Celle-ci met l’enseignant en contact

avec des connaissances qui ne sont pas disponibles ailleurs. Elle lui permet d’appréhender des conduites, des routines en situation, [….]. Cet apprentissage dans l’action suppose de la part de l’enseignant un positionnement d’acteur « insider»: il peut agir sur les situations, les modifier en expérimentant de nouvelles conduites plutôt que de les subir ».

(Dans Paquay & al., 2003, p.107)

L’apprenance individuelle est donc le processus d’acquisition de connaissances enracinées dans l’expérience. Morin avance la même idée en expliquant que l’acte d’apprendre, « c’est

acquérir des connaissances et des compétences; c’est modifier ses attitudes et ses comportements pour être plus efficace qu’avant; c’est changer ses routines, ses habitudes et ses automatismes » (Morin, 1996, p.173).

Dans le milieu professionnel, l’apprenance individuelle peut être en outre le résultat de la formation continue, du travail sur le portfolio comportant un plan de développement personnel et professionnel, des techniques de coaching ou tutorat, de l’exercice d’une responsabilité et des démarches personnelles pour acquérir des apprentissages (assister à une conférence, discuter avec les pairs) (Belet, 2003, p.78). Elle requiert une condition préalable: la motivation et l’envie d’apprendre et de s’améliorer, la perception positive du travail et la bonne relation aux responsables hiérarchiques. Elle fait appel à d’autres aptitudes comme la curiosité intellectuelle, l’observation, l’esprit critique, l’écoute, la recherche de feedback.

92 - L’apprenance au plan collectif

Ce processus d’apprentissage est de type socio constructiviste. Il met en valeur les apprentissages collectifs qui se créent au niveau des équipes. Travailler, échanger, informer, dialoguer, réfléchir ensemble permet aux individus d’apprendre collectivement, de modifier les comportements collectifs et de produire des savoirs. L’interaction entre les systèmes cognitifs individuels crée une dynamique collective produisant de nouveaux savoirs et de nouvelles règles d’actions. Vygotsky (1934) met en relief la dimension sociale de l’apprentissage. Grâce à l’interaction, l’individu et la collectivité se construisent et apprennent. Pour Bandura (1980) l’apprentissage collectif est une construction sociale influencée par les connaissances personnelles et aussi par les connaissances et les croyances des autres (cité par Leroy, 2000, p.79).

Il existe donc des phénomènes collectifs d’apprentissage, de transmission et de mémorisation des connaissances acquises. De nouvelles connaissances sont créées grâce aux interactions entre les individus. Le processus d’apprenance collective exige un contexte de travail mettant l’accent sur la qualité des relations, la confiance et le respect mutuel, des procédures de travail souples favorisant l’échange, la coopération, la réflexivité collective ainsi qu’un style de management adapté qui reconnait et récompense les efforts individuels et collectifs pour apprendre. Notons que la continuité des acquisitions dans le temps aide à passer du collectif à l’organisationnel (Marsan, 2005, p.2).

- L’apprenance au plan organisationnel

Les multiples approches de l’apprenance organisationnel expriment des visions théoriques diverses. Elles montrent en même temps l’ambigüité, la complexité et la diversité des champs disciplinaires (psychologie, sciences de l’éducation, sciences de la gestion, etc.) auxquels appartient ce concept. Koenig (1994), dans la Revue Française de Gestion, reconnait que « la diversité des approches et des résultats est telle qu’il est impossible de

faire aujourd’hui une véritable synthèse des recherches consacrées à l’AO » (cité par Cayla,

2007, p.22). Qu’est-ce que l’apprenance au plan organisationnel ? Quelles sont les voies à travers lesquelles une organisation apprend? Comment certaines approches la

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elles? Et quels sont ses niveaux et son objet ? La section suivante sera une tentative pour répondre à ces interrogations.