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Partie 4 : Evaluer, piloter et rendre compte d’une démarche

1 La problématique de l’évaluation de la performance globale

1.3 L’apport des méthodes économiques

Comme nous l’avons déjà précisé (Cf. introduction générale et Partie I), dans la perspective d’une organisation responsable, nous pouvons appréhender le concept d’effets externes comme l’ensemble des impacts -positifs ou négatifs- de l’activité d’une organisation, qui affecte tout ou partie de ses parties prenantes, sans être spontanément intégré par le marché. Pour une estimation pertinente de ces externalités, il convient d’adopter des méthodes qui permettent d’évaluer financièrement les atteintes aux bien-être de ces parties prenantes (externalités négatives) et, symétriquement, les gains associés à une amélioration de ce bien-être (externalités positives). Il est également nécessaire de rester conscient des hypothèses et limites sous-jacentes à ces méthodes (Vatn, 2009).

1.3.1 Eléments à prendre en compte pour évaluer les externalités générées par une organisation

Du point de vue de la science économique, les parties prenantes peuvent s’assimiler à des individus ou entités dotés d’une fonction d’utilité (si l’on reprend le postulat du modèle néo-classique selon laquelle chaque partie prenante est capable d’avoir une évaluation subjective de son bien-être). En répondant à certaines de leurs attentes, une entreprise donnée contribue à leur bien-être. Compte tenu de la multiplicité des attentes des parties prenantes (Baret, 2006) qui intègre aussi celles de générations futures, il est indispensable d’appréhender la ‘valeur économique totale’ (Pearce et Turner, 1990)50. Seule cette dernière permet de réellement introduire le long terme, donc, de mesurer une performance globale, qui agrège les dimensions financières et non financières (en valorisant financièrement l’effort fait par les organisations qui préservent les potentialités de leur environnement).

Raisonner en termes de valeur économique totale permet de pleinement identifier le gain -ou le coût- lié à une amélioration -ou à une détérioration- de la situation des parties prenantes, suite à une modification de l’activité d’une organisation donnée. Elle s’évalue en mesurant, pour chaque partie prenante, la variation du surplus économique

50La valeur économique totale se décompose en valeurs d’usage et de non-usage. Les premières renvoient aux bénéfices directement attendus par les parties prenantes. Les secondes correspondent aux bénéfices associés à des attentes concernant le maintien ou la création d’usages potentiels futurs. Ainsi, les valeurs de non-usage se composent de :

- valeur d’option, pour d’éventuels usages futurs de la part des parties prenantes existantes ; - valeur de legs, pour une disponibilité pour les générations futures ;

- valeur intrinsèque/ d’existence, liée au simple maintien du bien par l’entreprise, indépendamment de ses usages présents ou futurs (préservation de l’intégrité du patrimoine naturel…).

qui résulte de cette modification. Chaque réponse de l’organisation aux différentes attentes s’assimile à un bien ou service généré, volontairement ou non, à tout niveau de son processus productif. En ce sens, une partie prenante s’apparente à un consommateur dont l’attente vis-à-vis de l’organisation peut, ou non, être intégrée par le marché. Dès lors, à partir du concept de surplus du consommateur, nous pouvons définir un ‘surplus des parties prenantes’. Il correspond à la différence entre ce que les parties prenantes seraient prêtes à payer pour accroître leurs retours de la part de l’entreprise et ce qu’ils payent pour les retours dont ils bénéficient dans la situation actuelle. Concrètement, à chacune des attentes des parties prenantes, correspond un surplus spécifique. Celui-ci contribue, de manière positive ou négative, à la performance globale. Ainsi, pour évaluer de manière pertinente la performance globale d’une organisation donnée, il convient d’identifier une méthode qui soit :

- adaptable, en permettant de rendre compte des attentes de l’ensemble des parties prenantes de l’organisation et en étant à même d’appréhender le long terme, donc les valeurs de non-usage qui composent la valeur économique totale ;

- opérationnelle, en étant relativement facile à mettre en œuvre, en produisant des résultats pertinents (externalités clairement imputables) et solides (éprouvés via de nombreuses études empiriques).

C’est sur cette base que les différentes méthodes d’évaluation des externalités sont analysées.

1.3.2 Détermination d’une méthode économique d’évaluation de la performance globale

Schématiquement, il existe quatre grandes catégories de méthodes d’évaluation des externalités : les méthodes des préférences révélées, les méthodes de préférences exprimées (ou directes), les méthodes indirectes (ou dose-effet) et les méthodes tutélaires.

Les méthodes de préférences révélées consistent à utiliser les données monétaires fournies par l’observation de marchés de substitution. Les principales sont :

- Les dépenses de protection : le coût social de la nuisance sonore d’un aéroport peut s’extrapoler à partir des coûts d’installation du double vitrage multiplié par le nombre d’habitations exposées au bruit qui ont fait cette dépense.

- Les coûts de déplacement : le coût social de la pollution d’un lac peut être estimé à partir de l’agrégation des frais de transport engagés par les populations avoisinantes pour se rendre à un autre lac afin de bénéficier des mêmes aménités : baignade, pêche… - Les prix hédonistes :

1°) on considère deux biens immobiliers parfaitement identiques, offrant les mêmes aménités, mais l’un soumis à une nuisance environnementale, l’autre non ;

2°) on fait alors l’hypothèse que l’écart de prix observé résulte de l’externalité négative ; 3°) par agrégation, on obtient le coût social.

Bien évidemment, ces méthodes sont approximatives et souffrent d’importants biais. En outre, elles s’adaptent difficilement à la multiplicité des attentes des parties prenantes, n’intègrent pas les valeurs de non-usage et ne permettent donc pas de mesurer la valeur

économique totale. De plus, elles présentent un certain nombre de limites en termes d’opérationnalité (Wu et Huang, 2001 ; Sugden, 2009 ; King, 1997).

Les méthodes de préférences exprimées (ou directes) sont fondées sur l’existence de marchés hypothétiques, ce qui permet d’estimer la variation de bien-être sans passer par l'observation de marchés existants. La principale est la Méthode d’Evaluation Contingente (MEC) s’appuie sur les déclarations d’intention des parties prenantes, placées dans des situations hypothétiques, pour déterminer leur consentement maximal à payer pour que l’entreprise réponde à leurs attentes. Par exemple, pour une population victime du bruit d’un aéroport on élabore un scénario fictif, mais réaliste, que l’on administre auprès d’un échantillon représentatif de la population touchée par un dommage environnementale. Ainsi, proposons que la communauté de commune envisage de financer des murs anti-bruit. Cela va se traduire par une hausse des impôts locaux, selon le degré d’efficacité des murs de 350 €, 525 € ou 830 €. Quel niveau d’imposition vous semble acceptable compte tenu de la réduction de nuisance sonore qui va en découler ?... On en déduit un consentement moyen à payer qui intègre aussi les valeurs de non-usage. Par agrégation, on obtient une estimation du coût social de l’externalité. La MEC a un large domaine d’application qui lui permet de rendre compte de l’ensemble des attentes des parties prenantes. De plus, elle est la seule à intégrer les valeurs de non-usage, donc à permettre une mesure de la valeur économique totale. Elle est, depuis les années 90, la méthode la plus utilisée (Touaty, Gié, 2004). De fait, sa solidité a été éprouvée au travers de nombreuses études et ses résultats sont considérés comme pertinents (King, 1997 ; Brouwer 2006 ; Shlapfer, 2008). Pour autant, ces derniers se heurtent à plusieurs biais (Bhattacharya et Isen, 2009) qui peuvent en limiter la fiabilité si un certain nombre de règles ne sont pas scrupuleusement respectées (Brouwer 2006 ; Shlapfer, 2008). Enfin, si sa mise en œuvre demeure relativement complexe, cette difficulté reste acceptable comparativement aux autres méthodes d’évaluation.

Les méthodes indirectes (ou dose-effet) établissent un lien quantitatif de causalité entre l’évolution des pratiques de l’entreprise et son incidence sur ses différentes parties prenantes (par exemple, en établissant une corrélation entre des émissions de gaz polluant et des hospitalisations pour problèmes respiratoires), puis associent une valeur monétaire à ce lien (coût de la journée d’hospitalisation). Les principales sont les fonctions de dommage, les coûts de remplacement et le capital humain. Ces méthodes présentent l’inconvénient de ne pas intégrer les valeurs de non usage, donc de ne pouvoir mesurer la valeur économique totale. En outre, chacune présente des limites propres (Willinger et Masson, 1996 ; Touaty et Gié, 2004).

Les méthodes tutélaires renvoient aux montants fixés par la justice et plus largement la puissance publique (indemnités compensatrices dédommageant les victimes d’externalités –par exemple, les victimes de l’amiante-, taxes environnementales, coûts implicites liés au respect des normes…). Par construction, ces méthodes ne sont mobilisables qu’avec un nombre restreint d’externalités négatives : celles déjà évaluées par la justice. Toutefois elles présentent l’avantage d’être très facile à mobiliser et peuvent, parfois, intégrer la valeur économique totale (ex. protocoles destinés à préserver l’intérêt des générations futures).

Au final, si l’ensemble des méthodes présentées permet une approximation des externalités, seule l’évaluation contingente est capable de réellement appréhender la valeur économique totale, de s’adapter à la multiplicité des attentes des parties prenantes et de présenter des résultats suffisamment fiables. Elle s’impose donc comme la méthode la plus à même de compléter les approches gestionnaires. Les autres méthodes économiques ne doivent pas être rejetées, mais elles ne viendront compléter les approches gestionnaires que de manière très ponctuelle. Enfin, rappelons que la MEC, comme les autres méthodes économiques, ne fournit qu’une évaluation très approximative du montant de l’externalité considérée.

1.4 Evaluer la performance globale pour éclairer la prise de décision

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