• Aucun résultat trouvé

Enjeux et limites d’une instrumentation gestionnaire élargie à l’extra-financier

Partie 4 : Evaluer, piloter et rendre compte d’une démarche

1 La problématique de l’évaluation de la performance globale

1.2 Enjeux et limites d’une instrumentation gestionnaire élargie à l’extra-financier

Nous partons du principe que les normes et standards comptables et financiers en vigueur sont le produit de conventions entre acteurs. Ces derniers se sont, à un moment donné, accordés sur une méthode particulière d’estimation de la « valeur » générée par une entreprise. Par là, ils ont produit une norme/ un standard, adopté par la société à un moment donné. Si la norme ou le standard change (par exemple le passage aux IFRS), l’appréciation comptable et/ou financière de l’entreprise changera également.

Comme toute convention de calcul créée par l’homme, l’instrumentation comptable et financière a ses limites. Même si les nouvelles normes en vigueur tendent à mieux intégrer les aspects extra-financiers, celles-ci demeurent encore insuffisantes pour constituer une « comptabilité sociétale ». Cette dernière est traditionnellement définie comme l’intégration des préoccupations environnementales et sociales au sein du système d’information mobilisé par les managers de l’organisation (Unermanet al., 2007). Au cours des trois dernières décennies, les recherches menées en matière de comptabilité sociétale se sont progressivement structurées (Gray 2002) et, aujourd’hui, elles constituent un véritable champ de recherche : « social and environnemental

accounting research has now clearly established itself as a signifiant stream of scholarship in the accouting research literature » (Parker, 2005).

1.2.1 Initiatives destinées à élargir la comptabilité : le cas des enjeux environnementaux

Les principes fondateurs de la comptabilité générale n’intègrent pas les thématiques sociales et environnementales. Pourtant, l’organisation est aujourd’hui de plus en plus contrainte à diffuser des informations extra-financières, par le biais de lois (Art. 116 de la Loi sur les Nouvelles Régulation Economiques de 2001, Art. 225 du Grenelle II de 2007) ou encore de pressions sociales (partenaires, ONG, citoyens, etc.). Aussi, une nouvelle forme de comptabilité générale apparaît : la comptabilité environnementale. Cette dernière est définie, dès 1995 par Christophe, comme « un système d’information

efficient sur le degré de raréfaction des éléments naturels engendré par l’activité des entreprises, utilisable pour réduire cette raréfaction et pour informer les tiers »

(Christophe, 1995). Ainsi, différentes initiatives vont voir le jour :

- Au niveau national, le Conseil National de la Comptabilité a esquissé, dès 1980, les prémices d’un bilan environnemental. Mais c’est en 1996 que l’ordre des experts comptables propose d’isoler, dans des numéros de comptes spéciaux, les investissements liés à l’environnement. Cette proposition consiste à affiner le plan comptable en créant des « comptes verts » où l’information environnementale nécessaire à l’entreprise serait isolée (Roder, 1993, cité par Mikol, 1995).

- Au niveau européen, en 1993, l’Union Européenne initie le Système de Comptabilité Economique et Environnementale Intégré (SCEE). L’objectif de cette comptabilité est de rassembler au sein d’un cadre commun des informations économiques et environnementales dans le but de mesurer l’impact de l’économie sur l’environnement. Pour cela quatre catégories de grands comptes

sont créées : compte de flux pour pollution, compte de dépenses de protection de l’environnement, compte de ressources naturelles et l’évaluation des flux non-marchands. Si le SCEE influence l’élaboration des politiques environnementales, il permet aussi d’évaluer les effets de l’action des pouvoirs publics (PNUE, 2001). - Au niveau international, les normes IFRS intègrent la thématique

environnementale notamment avec l’IAS 37 « Provisions, passifs éventuels et actifs éventuels ». Cette dernière permet à une organisation de comptabiliser des provisions environnementales et ainsi de prendre en compte le coût du risque environnemental (par exemple en provisionnant pour la remise en état d’un site) mais aussi de communiquer sur une politique environnementale volontariste. Clarkson et al. (2008) indiquent, à partir d’une étude sur 191 entreprises considérées comme les plus polluantes, une relation positive entre la performance environnementale et la diffusion d’informations environnementales.

Ces évolutions traduisent la volonté d’intégrer l’environnement au sein de la comptabilité générale (Gray et al., 1993). Au-delà de ces premiers référentiels, l’étude des systèmes de comptabilité de gestion relate la même trajectoire (Surma et Vondra, 1992). Ainsi, la création d’une comptabilité de gestion environnementale (Environmental Management Accounting) permet d’identifier, de collecter, d’estimer et de reporter en interne les données conventionnelles et environnementales d’une organisation (Xiaomei, 2004) et ce afin d’améliorer l’efficience de l’utilisation de ces matières, de réduire les impacts environnementaux et les coûts de la protection de l’environnement (Jasch, 2003). En 2001, l’United Nations Division for Sustainable Development initie une première formalisation et, plus récemment, en 2005, l’International Federation of Accountants propose à son tour une grille permettant d’identifier les coûts relatifs à l’environnement. Ces deux outils permettent d’initier une démarche de coût complet environnemental. L’essor des calculs de coût de cycle de vie des produits sont à relier à ce mouvement (Berliner et Brimson, 1988). Si cette méthode permet de déterminer le profil environnemental d’un produit afin d’améliorer ses performances écologiques (Butel-Bellini et Janin, 1999), elle ambitionne aussi d’évaluer les impacts environnementaux des produits au cours des différentes phases de leur cycle de vie. Quel que soit l’outil mis en place (voir les études menées sur l’Activity Based Costing : Brandt et al. 1998, Abrassart et Aggeri 2002, Lockhart et Taylor 2007), l’intérêt du déploiement de ces calculs de coût réside dans une appréciation plus pertinente des faits environnementaux qui permettrait de mieux apprécier les coûts générés par l’entreprise (Burnett et Hansen 2007, Herbohn 2005, Jasch 2003, Kitzman 2001). La nécessité du développement d’une comptabilité de gestion pour pallier les difficultés rencontrées par la comptabilité générale a notamment été mise en évidence par les travaux de l’ISEOR via la théorie des coûts-performances cachés (Savall et Zardet 1992, 2003). Si cette dernière pointe les carences de la comptabilité générale sur ce domaine, elle met aussi en exergue, via le concept de « coûts cachés », l’importance de cet outil de gestion pour engager une performance globale et durable des actions entreprises par une organisation.

L’élargissement aux enjeux environnementaux de l’instrumentation gestionnaire progresse et ouvre la voie d’une comptabilité intégrant simultanément les données financières, environnementales et sociales. Le déploiement effectif d’une comptabilité que nous qualifierons de « durable » ou de « responsable » est donc en passe d’émerger.

Mais pour être réellement implémentée dans les entreprises privées comme dans les organisations publiques, un certain nombre de difficultés restent à lever.

1.2.2 Les difficultés à lever

La majorité des recherches menées sur ce sujet mettent en avant l’importance du développement de ces outils de gestion de l’environnement. Ainsi, un coût complet environnemental permettra de prendre des décisions plus rationnelles, plus transparentes car fondées sur des résultats justifiables (Herbohn 2005). De la même manière, l’implantation de ces techniques engagera un reporting financier plus pertinent car plus en adéquation avec les besoins des parties prenantes de l’organisation (Rouse et Putterill, 2000). Enfin, d’autres études mettent en évidence l’importance de la financiarisation de l’environnement dans l’amélioration du processus de décision des managers (Chan 2005, Kitzman 2001). Néanmoins, un nombre important de limites apparaissent. Parmi les limites identifiables, les enjeux techniques entourant le calcul des coûts environnementaux sont particulièrement remarquables. Quatre difficultés peuvent être soulignées :

- La première est relative à l’anticipation des coûts. La complexité de l’évaluation environnementale consiste à prévoir, en amont, de manière plus ou moins précise, l’ensemble des coûts environnementaux générés par un produit. Ce constat rejoint les résultats énoncés par Gray et Bebbington (2001) dans le cadre de leur étude sur la société Landcare Research : il est souvent difficile de sérier précisément l’ensemble des coûts environnementaux.

- La deuxième limite est liée aux possibilités de formalisations. Malgré les avantages liés au développement d’un coût environnemental, il ressort que les entreprises hésitent à mettre en place des systèmes de gestion environnementale essentiellement à cause d’un manque de formalisation (Brichard, 1996). En effet, l’identification des coûts et des risques environnementaux fait appel à des connaissances techniques (relatif à la chimie, à la biologie, l’écologie …) que ne maîtrisent pas les professionnels de la comptabilité (La Fontaine2003, Chan 2005).

- La troisième limite concerne la possibilité d’évaluation des coûts environnementaux (Berland et al., 2008). Les recherches menées par Antheaume (2001), Buritt (2004) et Herborn (2005) soulignent la délicate appréhension des coûts externes en l’absence d’une normalisation comptable.

- Enfin la dernière limite est liée à la prolifération de normes, de lois, ou encore de règlements qui engendre, comme l’a montré la description de l’environnement tétranormalisé (Savall et Zardet, 2005), des difficultés fortes d’appropriation de la part des organisations.

Au final, apparaît un paradoxe, né de la structuration progressive des outils de comptabilité « classique », d’un côté ; de la structuration d’une comptabilité « responsable », de l’autre. En effet, on observe que les systèmes « classiques » de mesure de la performance s’orientent vers la prise en compte de dimensions non financières (Cf. travaux de Kaplan et Norton autour du Balanced Scorecard). Mais, à l’inverse, les outils ’évaluation d’une performance « responsable » tentent, difficilement, de se financiariser. Or, face aux difficultés techniques auxquelles se heurtent les gestionnaires en quête d’une comptabilité élargie, les nombreuses recherches menées

par les économistes, afin de pallier aux défaillances des marchés que sont les externalités, pourraient intéresser les managers des organisations. Ces travaux, menés depuis plusieurs décennies, ont abouti à l’élaboration de toute une série de méthodes destinées à évaluer financièrement les externalités, les monétariser, pour in fine parvenir à les internaliser (i.e. les réintroduire dans la sphère marchande).

Documents relatifs