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Partie 1 : Impliquer la direction en démontrant la pertinence d’une démarche

4 Intérêt d’une démarche responsable en matière de légitimité pour l’entreprise

4.3 Autodisciplines et assujettissement du corps politique

Foucault (1975, p.239) associe à la relation pouvoir-savoir et au Panoptique l'idée que les acteurs sont contraints de s'auto-discipliner afin de ne pas subir les effets d'un éventuel comportement déviant. Ainsi l’ensemble des entreprises françaises cotées sont tenues, par l’article 116 de la loi NRE du 15 mai 2001, de rendre compte de leurs pratiques sociales et environnementales. Toutefois, au-delà de cette obligation de reddition des comptes, elles ne sont tenues à aucun objectif précis. Pour autant, aucune ne publie de rapport social et environnemental laissant entendre qu’elle ne ferait rien en la matière. Ce serait s’exposer au ressentiment de ses parties prenantes, ouvrir une porte à un risque de dénigrement généralisé à l’ensemble des entreprises cotées et inciter la puissance publique à exiger des engagements concrets et mesurable, via la législation. Les entreprises ne savent pas a priori qui étudie leur rapport ‘Développement Durable’39, pour autant, elles s’auto-disciplinent sur ce sujet.

39On anticipe que les principaux lecteurs des rapports 'Développement Durables' sont les chercheurs, leurs étudiants, les militants des ONG, les auditeurs et analystes extra-financiers.

4.3.1 Autodiscipline et assujettissement des parties prenantes

Compte tenu du risque encouru par l’entreprise en cas de déviance par rapport au cadre donné par l'auteur de la norme, celle-ci minimisera son risque en s'auto-disciplinant (voir Joannidès, Démettre et Naudin, 2008). L'effet du Panoptique est de mettre celui en charge de veiller au cap de la norme en situation de ne jamais en dévier et de ne jamais faillir à sa mission. En montrant au surveillant qu'il ne lui est pas utile d'exercer son pouvoir de contrôle, l’entreprise lui accorde un statut proche de celui de l'auteur de la norme.

Un nombre croissant d’organisations se révèlent soucieuses de faire état de leurs pratiques responsables alors même qu’elles n’y sont pas tenues par la loi. Ainsi, la MAIF publie un rapport ‘Développement Durable’ depuis 2008, alors que ce n’est pas une société cotée. De même, plusieurs écoles, membre de la Conférence des Grandes Ecoles, s’engagent sur cette voie (Ecole des Mines de Nantes, Euromed, etc.). Parallèlement, beaucoup d’entreprises vont au-delà du rapport ‘Développement Durable’ en se faisant évaluer part des agences de notations extra-financières (notation sollicitée) : HSBC, Dexia, Agrica… Alors que cela reste facultatif, en prenant les devants vis-à-vis du normalisateur, ces organisations montrent leur allégeance à l'égard de celui qui a initié le mouvement et est reconnu comme tel. Les pouvoirs publics qui sont en charge de la surveillance et des sanctions disposent alors d’éléments supplémentaires propices à l'observation.

L’entreprise en charge de veiller au cap de la RSE entretient avec les parties prenantes une relation panoptique et une auto-discipline réflexives. La réflexivité vient de ce que l’entreprise statutairement épie les pratiques socialement responsables et est observée en même temps par ses parties prenantes qui sont dans sa sphère d’influence. L'observation qu'elle exerce à leur endroit les conduit à s'auto-discipliner et à respecter la norme. Et dans le même temps, celle qu'elles exercent vis-à-vis de l’entreprise auteur de la norme l'incite à veiller avec d'autant plus d'acuité à ce que ses pratiques soient conformes à la norme qu’elle édicte.

Fig. 1 : Le Panoptique réflexif

4.3.2 Autodiscipline autoriale et maintien de la légitimité

Quoique reconnu légitime pour déterminer les normes de la responsabilité sociale de l'entreprise, l'auteur se trouve lié par ses édits. Tant qu'il peut compter sur cette légitimité, la norme sera opposable aux parties prenantes et son pouvoir sera assuré. S'il perd sa légitimité, l'auteur perdra son ascendant sur le corps social. Afin d'éviter qu'une telle situation se présente, l'auteur de la norme est tenu de la conserver comme incontestable et incontestée (Chiapello et Bourguignon, 2006 ; Chiapello et Medjad, 2009). Cela nécessite qu'il la respecte en premier. Etant donné qu'il l'a établie d'après ses comportements antérieurs, il se trouve dans l'obligation de ne pas changer ses pratiques. S’il ne parvient pas à anticiper la nécessité d’un changement de cap et/ou à légitimer celui-ci, il peut progressivement perdre cette légitimité. Ainsi, lorsque Peugeot a posé la norme du moteur diesel comme le plus propre, cette position a été reconnue comme légitime. L’entreprise a ainsi persévéré dans le développement du diesel comptant sur sa légitimité et n’a pas vu arriver l’avènement de l’hybride.

L'auteur de la norme se place de lui-même dans un Panoptique inversé, puisqu'il demeure acteur de la RSE au même titre que les autres entreprises. Seulement, du fait que la norme est le produit d’une modélisation de ses propres pratiques, la probabilité que l'auteur dévie est relativement faible, en tout cas sensiblement plus faible que chez ceux de ses concurrent qui ont adopté le modèle de responsabilité existant. Dès lors, la publicité de leur respect vise exclusivement à rappeler les sources de sa légitimité et de son autorité. La continuité de ses pratiques dans le temps et dans l'espace, très

certainement ne représente par pour lui une contrainte réelle. De la sorte, l'auteur donne l'impression qu'il se soumet au même titre que les autres à la norme et essaie parfois d’aller au-delà (outre son partenariat avec le WWF qui valide son engagement en faveur de la biodiversité, Lafarge se fait évaluer par un grand nombre d’agences de notations extra-financières –SAM, Oekom, Vigeo, FTSE4Good, RiskMetrics, Strorebrand, etc.-). Il crée l'illusion qu'il est un acteur comme les autres, voire encore plus responsable. Son comportement, apprécié comme vertueux, lui assure le maintien de l'autorité.

Au final, dans une perspective foucaldienne, nous considérons que lala RSE, en accroissant le rôle du marché au détriment de celui de l’Etat, a permis à certaines grandes entreprises d’assujettir à son insu le corps social. La place qu'a l'entreprise visible dans les relations de pouvoir provoquées par les pratiques socialement responsables nous laisse à penser que la RSE ne peut se résumer à une mise en conformité passagère avec le discours politiquement correct du moment, une simple mode susceptible de passer. Au contraire, via l’édiction de normes, elle apparaît comme un instrument de domination politique et sociale durable.

Conclusion

A travers nos quelques travaux de recherches (sur le cas du financement de projet, de l’ancrage territorial, de la quête de légitimité, ou plus largement sur les gains et opportunités de démarches responsables), nous avons voulu mettre en évidence l’intérêt stratégique des politiques RSE. Il ne s’agit nullement de tenter d’être exhaustif et de très nombreux travaux scientifiques explorent le business case de la RSE, mais de montrer comment il est possible d’impliquer la direction générale. Ceci est nécessaire car c’est cette dernière qui doit, ensuite, jouer un rôle moteur dans la mise en œuvre effective des démarches responsables, comme nous allons le montrer dans les parties suivantes.

Partie 2 : Définir les priorités d’une

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